Redonner toute sa place à la Parole de
Dieu
Rapport d'introduction du cardinal Marc Ouellet,
Rapporteur général du synode
Le 6 octobre, premier jour des travaux du
Synode sur la Parole de Dieu, le cardinal Marc Ouellet,
archevêque de Québec (Canada) et Rapporteur
général du Synode, a présenté
la Relatio ante disceptationem (informations qui
précèdent le débat) en
présence de Benoît XVI et des 253 membres de
la XIIe Assemblée générale ordinaire
du Synode des évêques. Il leur a posé
trois questions qui devront orienter les trois semaines
de débats : qu'est-ce que la Parole de Dieu ?
Comment faut-il l'interpréter ? Et quelle place
joue-t-elle dans la mission
d'évangélisation de l'Église ?
Texte italien dans l'Osservatore Romano des 6-7
octobre 2008 (*)
I. Un regard sur mon ministère patriarcal
« À
l'ange de l'Église qui est à Smyrne,
écris : Ainsi parle le Premier et le Dernier,
celui qui fut mort, mais qui est revenu à la vie
[…] Sois fidèle jusqu'à la
mort et je te donnerai la couronne de vie. Celui qui a
des oreilles, qu'il entende ce que l'Esprit dit aux
Églises […] » (Ap 2,
8.10-11).
Nous sommes réunis en la XIIe
Assemblée générale ordinaire du
Synode des évêques pour écouter ce
que l'Esprit dit aux Églises aujourd'hui à
propos de « la Parole de Dieu dans la vie et la
mission de l'Église ». Nous partageons la
conviction des Pères de l'Église,
exprimée par saint Césaire d'Arles, que
« la lumière de l'âme et sa nourriture
éternelle ne sont pas autre chose que la Parole de
Dieu, sans laquelle l'âme ne peut jouir de la vue
ni même de la vie : notre corps meurt, faute
d'absorber des aliments ; de la même façon,
notre âme périt, faute de recevoir la Parole
de Dieu » (1).
Le but du Synode est éminemment
pastoral et missionnaire. Il consiste à
écouter ensemble la Parole de Dieu afin de
discerner comment l'Esprit et l'Église aspirent
à répondre au don du Verbe incarné
par l'amour des Saintes Écritures et l'annonce du
Règne de Dieu à toute l'humanité.
Faisons nôtre la prière de saint Paul qui
nous plonge au cœur du mystère de la
Révélation : « C'est pourquoi je
fléchis les genoux devant le Père, de qui
toute famille tient son nom, au ciel et sur la terre ;
qu'il daigne, selon la richesse de sa gloire, vous armer
de puissance, par son Esprit, pour que se fortifie en
vous l'homme intérieur, qu'il fasse habiter le
Christ en vos cœurs par la foi ; enracinés et
fondés dans l'amour, vous aurez ainsi la force de
comprendre, avec tous les saints, ce qu'est la largeur,
la longueur, la hauteur, la profondeur… et de
connaître l'amour du Christ qui surpasse toute
connaissance, afin que vous soyez comblés
jusqu'à recevoir toute la plénitude de
Dieu. À celui qui peut, par sa puissance qui agit
en nous, faire au-delà, infiniment au-delà
de ce que nous pouvons demander et imaginer, à lui
la gloire dans l'Église et en Jésus-Christ,
pour toutes les générations, aux
siècles des siècles. Amen » (Ep 3,
14-21).
Le Synode proposera des orientations
pastorales pour « renforcer la pratique de la
rencontre avec la Parole de Dieu comme source de vie
» (2), en faisant le point sur la réception
du Concile Vatican II concernant la Parole de Dieu dans
son rapport au renouveau ecclésiologique, à
l'œcuménisme et au dialogue avec les nations
et les religions.
Par-delà les discussions
théoriques, nous sommes invités à
épouser l'attitude du Concile : « Quand il
écoute religieusement et proclame hardiment la
Parole de Dieu, le saint Concile obéit aux paroles
de saint Jean : “Nous vous annonçons la vie
éternelle, qui était auprès du
Père et qui nous est apparue : ce que nous avons
vu et entendu, nous vous l'annonçons, afin que
vous soyez vous aussi en communion avec nous, et que
notre communion soit avec le Père et avec son Fils
Jésus-Christ” » (1 Jn 1, 2-3) (Dei
Verbum 1).
Grâce à la vision trinitaire
et christocentrique du Concile Vatican II,
l'Église a renouvelé la conscience de son
propre mystère et de sa mission. La Constitution
dogmatique Lumen gentium et la Constitution pastorale
Gaudium et spes développent une
ecclésiologie de communion qui s'appuie sur une
conception renouvelée de la
Révélation. En effet, la Constitution
dogmatique Dei Verbum (DV) a marqué un
véritable tournant dans la manière de
traiter de la Révélation divine. Au lieu de
privilégier comme auparavant la dimension
noétique des vérités à
croire, les Pères conciliaires ont mis l'accent
sur la dimension dynamique et dialogale (3) de la
Révélation comme autocommunication
personnelle de Dieu. Ils ont ainsi posé les bases
pour une rencontre et un dialogue plus vivant entre Dieu
qui appelle et son peuple qui répond.
Ce tournant a été largement
salué comme un fait décisif par les
théologiens, les exégètes et les
pasteurs (4). Cependant, on reconnaît assez
généralement que la Constitution Dei Verbum
a été insuffisamment reçue et que le
tournant qu'elle a inauguré n'a pas encore
donné tous les fruits désirés et
attendus dans la vie et la mission de l'Église
(5). Compte tenu des progrès accomplis, il faut se
demander pourquoi le modèle de la communication
personnelle (6) n'a pas pénétré
davantage la conscience de l'Église, sa
prière, ses pratiques pastorales de même que
les méthodes théologiques et
exégétiques. Le Synode doit proposer des
solutions concrètes pour combler les lacunes et
remédier à l'ignorance des Écritures
qui ajoute aux difficultés actuelles de
l'évangélisation.
Reconnaissons en effet que la vie de foi et
l'élan missionnaire des chrétiens sont
profondément affectés par divers
phénomènes socioculturels tels que la
sécularisation, le pluralisme religieux, la
mondialisation et l'explosion des moyens de
communication, avec les conséquences multiples de
ces phénomènes, notamment l'écart
grandissant entre riches et pauvres, le foisonnement des
sectes ésotériques, les menaces à la
paix, sans oublier les assauts actuels contre la vie
humaine et la famille (7).
À ces phénomènes
socioculturels, ajoutons les difficultés internes
de l'Église touchant la transmission de la foi
dans la famille, les déficiences de la formation
catéchistique, les tensions entre le
Magistère ecclésial et la théologie
universitaire, la crise interne de
l'exégèse et son rapport à la
théologie, et d'une façon plus
générale « un certain fossé
entre les experts et les pasteurs et entre les experts et
les gens simples des communautés
chrétiennes » (Instrumentum laboris, 7a).
Le Synode doit faire face au grand
défi de la transmission de la foi en la Parole de
Dieu aujourd'hui. Dans un monde pluraliste, marqué
par le relativisme et l'ésotérisme (8), la
notion même de Révélation pose
question (9) et appelle des clarifications.
Convocatio, communio, missio. Autour de ces
trois mots clés qui traduisent la triple
dimension, dynamique, personnelle et dialogale de la
Révélation chrétienne, nous
exposerons la structure thématique de
l'Instrumentum laboris (IL). La Parole de Dieu convoque,
elle fait communier au dessein de Dieu par
l'obéissance de la foi et elle envoie le peuple
élu vers les nations. Cette Parole d'Alliance
culmine en Marie qui accueille dans la foi le Verbe
incarné, le Désiré des nations. Nous
reprendrons les trois dimensions de la Parole d'Alliance
telles que l'Esprit Saint les a incarnées dans
l'histoire du salut, les Saintes Écritures et la
Tradition ecclésiale.
Demandons à l'Esprit Saint
d'amplifier ce désir de redécouvrir la
Parole de Dieu, toujours actuelle et jamais
dépassée. Cette Parole a la puissance de
« remettre au monde », de rajeunir
l'Église et de susciter une nouvelle
espérance en vue de la mission. Benoît XVI
nous a rappelé que cette grande espérance
repose sur la certitude que « Dieu est Amour »
(10) et que, « dans le Christ, Dieu s'est
manifesté » (11) pour le salut de tous.
I. CONVOCATIO :
IDENTITÉ DE LA PAROLE DE DIEU
A. DIEU
PARLE
« In principio
erat Verbum, et Verbum erat apud Deum, et Deus erat
Verbum » (Jn 1, 1s). D'entrée de jeu,
il nous faut partir du mystère de Dieu tel qu'il
nous est révélé dans la Sainte
Écriture. Le Dieu de la Révélation
est un Dieu qui parle, un Dieu qui est en lui-même
Parole et qui se donne à connaître à
l'humanité de multiples manières (He 1, 1).
Grâce à la Bible, l'humanité se sait
interpellée par Dieu ; l'Esprit lui donne
d'écouter et d'accueillir la Parole de Dieu,
devenant ainsi l'Ecclesia, la communauté
rassemblée par la Parole. Cette communauté
croyante reçoit son identité et sa mission
de la Parole de Dieu qui la fonde, la nourrit et l'engage
au service du Règne de Dieu (12).
Clarifions au départ les multiples
significations de la Parole de Dieu. Le prologue de Jean
offre la perspective la plus haute et la plus englobante
pour apporter ces clarifications. Par le terme logos,
l'évangéliste désigne une
réalité transcendante qui était
auprès de Dieu et qui est Dieu lui-même. Ce
logos est « auprès de Dieu et tourné
vers Dieu » […] (Jn 1, 1) dans le
principe, c'est-à-dire avant toutes choses, en
Dieu même […]. La fin du prologue
précise la nature divine personnelle du logos par
ces mots : « Personne n'a jamais vu Dieu ; le Fils
unique, qui est dans et tourné vers le sein du
Père, nous l'a dévoilé » (Jn 1,
18).
Dans ses lettres aux Colossiens et aux
Éphésiens, saint Paul exprime d'une
façon à peu près équivalente
le mystère du Christ, Parole de Dieu : « Il
est l'image du Dieu invisible, Premier-né de toute
créature, car en lui tout a été
créé dans les cieux et sur la terre, les
êtres visibles comme les invisibles… Tout a
été créé par lui et pour lui
» (Col 1, 15-16). Dans son dessein de salut, Dieu a
voulu « réunir l'univers entier sous un seul
chef, le Christ, ce qui est dans les cieux et ce qui est
sur la terre. En lui aussi, nous avons reçu notre
part : suivant le projet de celui qui mène tout au
gré de sa volonté, nous avons
été prédestinés pour
être, à la louange de sa gloire, ceux qui
ont d'avance espéré dans le Christ »
(Ep 1, 10-12).
B. LE VERBE DE
L'ALLIANCE NOUVELLE ET ÉTERNELLE,
JÉSUS-CHRIST
La Parole de Dieu signifie donc
premièrement Dieu lui-même qui parle, qui
exprime en lui-même un Verbe divin appartenant
à son mystère intime. Ce Verbe divin donne
origine à toutes choses, car « rien de ce qui
fut ne fut sans lui » (Jn 1, 3). Il parle de
multiples langages, notamment celui de la création
matérielle, de la vie et de l'être humain.
« En lui était la Vie, et la Vie était
la lumière des hommes » (Jn 1, 4). Il parle
en outre d'une façon particulière et
même dramatique dans l'histoire des hommes,
notamment par l'élection d'un peuple, par la loi
de Moïse et les prophètes.
Enfin, après avoir parlé de
multiples façons (cf. He 1, 1), il
récapitule et couronne tout d'une façon
unique, parfaite et définitive en
Jésus-Christ. « Et Verbum caro factum est et
habitavit in nobis » (Jn 1, 14). Le mystère
du Verbe divin incarné occupe le centre du
prologue et de tout le Nouveau Testament. « C'est
pourquoi Jésus-Christ – qui le voit voit
aussi le Père (Jn 14, 9) –, par toute sa
présence, par tout ce qu'il montre de
lui-même, par ses paroles, par ses œuvres, par
ses signes, par ses miracles, mais surtout par sa mort et
sa glorieuse résurrection d'entre les morts, enfin
par l'envoi qu'il fait de l'Esprit de
vérité, donne à la
Révélation son dernier achèvement et
la confirme par le témoignage divin :
Jésus-Christ, c'est Dieu avec nous
[…] » (DV 4).
La Parole de Dieu dont témoigne
l'Écriture revêt par conséquent
différentes formes et recèle
différents niveaux de signification. Elle
désigne Dieu lui-même qui parle, son Verbe
divin, son Verbe créateur et sauveur, et
finalement son Verbe incarné en
Jésus-Christ, « médiateur et
plénitude de la Révélation »
(DV 2). Pour Luc, la Parole de Dieu s'identifie
même à l'enseignement oral de Jésus
(Lc 5, 1-3), voire au message pascal, le kérygme,
qui, par la prédication des apôtres, «
croît et se multiplie » à l'instar d'un
organisme vivant (Ac 12, 24). Cette Parole de Dieu une et
multiple, dynamique et eschatologique, personnelle et
filiale, habite et vivifie l'Église par la foi ;
elle est consignée dans les Saintes
Écritures comme un témoignage historique et
littéraire, comme un dépôt
sacré destiné à toute
l'humanité. D'où cette nouvelle et
décisive modalité de la Parole de Dieu, le
texte sacré, la forme écrite qu'a retenue
le peuple d'Israël comme témoignage de la
première Alliance. D'où aussi les
Écritures du Nouveau Testament que l'Église
a reçues à son tour de l'Esprit Saint et de
la Tradition apostolique, Écritures qu'elle
considère comme normatives et définitives
pour sa vie et sa mission.
Bref, la Parole de Dieu écrite ou
transmise est une parole dialogale et même
trinitaire. Elle s'offre à l'homme en
Jésus-Christ pour l'introduire dans la communion
trinitaire et y trouver sa pleine identité. Selon
le prologue johannique, ce Verbe personnel de Dieu
interpelle l'humanité et pose immédiatement
la question de son accueil : « Il est venu chez les
siens et les siens ne l'ont pas accueilli » ; mais
« à ceux qui croient en son nom, il a
donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu »
(Jn 1, 12).
Dieu parle et, de ce fait, l'homme est
constitué comme un être interpellé.
Cette dimension anthropologique de la
Révélation est exprimée
laconiquement dans la Constitution Dei Verbum 2 : «
Par le Christ, Verbe fait chair, les hommes ont, dans le
Saint-Esprit, accès auprès du Père
et deviennent participants de la nature divine ».
Sur ce thème anthropologique, les Pères de
l'Église ont déployé la doctrine
traditionnelle de l'Imago Dei. Saint Irénée
de Lyon, par exemple, commentant saint Paul, parle du
Fils et de l'Esprit comme des « mains du Père
» qui façonnent l'homme à «
l'image et à la ressemblance de Dieu » (13).
Il importe d'avoir à l'esprit cette dimension
anthropologique de la Révélation, car elle
joue un rôle très important aujourd'hui dans
l'herméneutique des textes bibliques. Le Concile
Vatican II a redéfini l'identité dialogale
de l'homme à partir de la Parole de Dieu dans le
Christ. « En réalité, le
mystère de l'homme ne s'éclaire vraiment
que dans le mystère du Verbe incarné. Adam,
en effet, le premier homme, était la figure de
celui qui devait venir, le Christ Seigneur. Nouvel Adam,
le Christ, dans la Révélation même du
mystère du Père et de son amour, manifeste
pleinement l'homme à lui-même et lui
découvre la sublimité de sa vocation »
(Gaudium et spes [GS] 22, § 1). Il
apparaît ainsi, dans cette lumière
christologique, qu'en accueillant cette vocation sublime
par la foi et l'amour l'homme accède à sa
pleine identité personnelle dans l'Église,
mystère de communion, « peuple
rassemblé dans l'unité du Père, du
Fils et de l'Esprit Saint » (14). Sur le plan
pastoral, ne devrait-on pas vérifier si cette
théoanthropologie dialogale et filiale
fondée sur le Christ occupe la place qui lui
revient dans la liturgie, la catéchèse et
l'enseignement théologique ? « Car dans les
Livres saints, rappelle la DV, le Père qui est aux
cieux s'avance de façon très aimante
à la rencontre de ses fils, engage conversation
avec eux ; une si grande force, une si grande puissance
se trouve dans la Parole de Dieu, qu'elle se
présente comme le soutien et la vigueur de
l'Église, et, pour les fils de l'Église,
comme la solidité de la foi, la nourriture de
l'âme, la source pure et intarissable de la vie
spirituelle » (DV 21).
La vocation divine de l'homme, avons-nous
dit, s'éclaire dans le mystère du Verbe
incarné, nouvel Adam. Cette vocation lui
confère son dynamisme transcendantal sous le mode
d'un désir profond de Dieu, inscrit dans son
être même. L'homme est un être de
désir qui aspire à l'infini, mais il est
aussi un être de service qui obéit à
la Parole de Dieu : « Je suis la servante du
Seigneur » (Lc 1, 38). Toute l'anthropologie se joue
dans ce passage du désir au service qui fait de
l'homme un être ecclésial, une anima
ecclesiastica.
C. L'ÉPOUSE DU
VERBE INCARNÉ
1. La Fille de Sion et
l'Ecclesia
« Dans la communion de toute
l'Église, nous voulons nommer en premier lieu la
bienheureuse Marie toujours Vierge, Mère de notre
Dieu et Seigneur, Jésus-Christ » (Canon
romain).
Une femme, Marie, accomplit parfaitement la
vocation divine de l'humanité par son « oui
» à la Parole d'Alliance et à sa
mission. Par sa maternité divine et sa
maternité spirituelle, Marie apparaît comme
le modèle et la forme permanente de
l'Église, comme la première Église.
Arrêtons-nous à la figure charnière
de Marie entre l'ancienne et le nouvelle Alliance qui
accomplit le passage de la foi d'Israël à la
foi de l'Église. Contemplons le récit de
l'Annonciation qui est l'origine et le modèle
insurpassable de l'auto-communication de Dieu et de
l'expérience de foi de l'Église. Il nous
servira de paradigme pour comprendre l'identité
dialogale de la Parole de Dieu dans l'Église.
Du côté de Dieu qui parle
apparaît en toute clarté la dimension
trinitaire de la Révélation. L'ange de
l'Annonciation parle au nom de Dieu le Père, qui
prend l'initiative de s'adresser à sa
créature pour lui signifier sa vocation et sa
mission. Il s'agit d'un événement de
grâce dont le contenu est communiqué
malgré la frayeur et l'étonnement de sa
créature : « Tu concevras et tu enfanteras un
fils auquel tu donneras le nom de Jésus. Il sera
appelé Fils du Très-Haut ». Dans le
dialogue vivant qui s'ensuit, Marie interroge : «
Comment cela sera-t-il puisque je ne connais pas d'homme
? » L'ange lui répond : « L'Esprit Saint
viendra sur toi, c'est pourquoi l'être saint qui
naîtra sera appelé Fils de Dieu » (Lc
1, 35).
Outre cette dimension trinitaire du
récit de l'événement, le dialogue de
Marie avec l'ange nous instruit en même temps sur
la réaction vitale de l'interpellée, sa
frayeur, sa perplexité et sa demande
d'explication. Dieu respecte la liberté de sa
créature ; c'est pourquoi il ajoute le signe de la
fécondité d'Élisabeth qui permet
à Marie de donner son assentiment d'une
façon qui est à la fois surnaturelle et
pleinement humaine. « Je suis la servante du
Seigneur, qu'il m'advienne selon ta parole » (Lc 1,
38). Épouse du Dieu vivant, Marie devient
mère du Fils par la grâce de l'Esprit.
Dès que Marie donne son assentiment
inconditionnel à l'annonce de l'ange, la vie
trinitaire entre dans son âme, son cœur et son
sein, inaugurant le mystère de l'Église.
Car l'Église du Nouveau Testament commence
à exister là où la Parole
incarnée est accueillie, chérie et servie
en toute disponibilité à l'Esprit Saint.
Cette vie de communion à la Parole dans l'Esprit
commence avec l'annonce de l'ange et s'étend
à toute l'existence de Marie. Cette vie inclut
toutes les étapes de la croissance et de la
mission du Verbe incarné, en particulier la
scène eschatologique de la croix où Marie
reçoit de Jésus lui-même l'annonce de
la plénitude de sa maternité spirituelle :
« Femme, voici ton fils » (Jn 19, 26). En
toutes ces étapes, par « son OUI initial et
permanent » (15), Marie communie à la vie de
Dieu qui se donne et elle collabore entièrement
à son dessein de salut sur toute
l'humanité. Elle est la nouvelle Ève
chantée par saint Irénée, qui
participe comme épouse de l'Agneau à la
fécondité universelle du Verbe
incarné.
La scène de l'Annonciation et la vie
de Marie illustrent et récapitulent la structure
d'Alliance de la Parole de Dieu et l'attitude
responsoriale de la foi. Elles font ressortir la nature
personnelle et trinitaire de la foi qui consiste en un
don de la personne à Dieu qui se donne en se
révélant (16). « Cette attitude, c'est
l'attitude des saints. Elle est celle même de
l'Église qui ne cesse de se convertir à son
Seigneur en réponse à la voix qu'il lui
adresse » (17). C'est pourquoi l'attention à
la figure de Marie comme modèle et même
archétype (18) de la foi de l'Église nous
semble capitale pour opérer concrètement un
changement de paradigme dans le rapport à la
Parole de Dieu. Ce changement de paradigme n'obéit
pas à la philosophie du jour, mais à la
redécouverte du lieu originel de la Parole, le
dialogue vital du Dieu-Trine avec l'Église son
Épouse, qui s'accomplit dans la sainte Liturgie.
« Effectivement, pour l'accomplissement de cette
grande œuvre par laquelle Dieu est parfaitement
glorifié et les hommes sanctifiés, le
Christ s'associe toujours l'Église, son
Épouse bien-aimée, qui l'invoque comme son
Seigneur et qui passe par lui pour rendre son culte au
Père éternel » (19).
2. Tradition, Écriture et
Magistère
Parler de la Liturgie comme dialogue vital
de l'Église avec Dieu, c'est parler de la
tradition en son acception première,
c'est-à-dire de la transmission vivante du
mystère de la nouvelle Alliance. La Tradition est
constituée par la prédication apostolique,
elle précède les Écritures, les
élabore et les accompagne toujours. La Parole de
Dieu prêchée engendre la foi qui s'exprime
à son sommet par le baptême et
l'Eucharistie. C'est là en effet que Dieu, dans le
Christ, offre sa vie aux hommes « pour les inviter
à entrer en communion avec lui et les recevoir en
cette communion » (DV 2). C'est là aussi que
l'Église, au nom de toute l'humanité,
répond au Dieu de l'Alliance en s'offrant
elle-même avec le Christ pour sa gloire et pour le
salut du monde.
Dans la tradition vivante de
l'Église, la Parole de Dieu occupe la
première place : c'est le Christ vivant. La Parole
écrite en porte témoignage.
L'Écriture, en effet, est une attestation
historique et une référence canonique
indispensable pour la prière, la vie et la
doctrine de l'Église. Cependant, l'Écriture
n'est pas toute la Parole, elle ne s'identifie pas
totalement avec elle, d'où l'importance de la
distinction entre la Parole et le Livre, tout comme entre
la lettre et l'Esprit. Saint Paul affirme avec force que
nous sommes les ministres « d'une Alliance nouvelle,
non de la lettre, mais de l'Esprit ; car la lettre tue,
mais l'Esprit donne la vie » (2 Co 3, 6). Il est
clair que la lettre de l'Écriture joue un
rôle primordial et normatif dans l'Église,
mais « le christianisme n'est pas à
proprement parler une “religion du livre” : il
est la religion de la Parole mais non pas uniquement ni
principalement de la Parole sous sa forme écrite.
Il est la religion du Verbe et “non d'un verbe
écrit et muet, mais d'un Verbe incarné et
vivant” » (20). Cette religion de la Parole
demeure toutefois inséparable du Verbe
écrit, entretenant avec lui un rapport complexe
mais essentiel.
L'unité de la Tradition vivante et
de la Sainte Écriture repose sur l'assistance du
Saint-Esprit à ceux qui exercent le
ministère pastoral. « Mais la charge
d'interpréter authentiquement la Parole de Dieu
écrite ou transmise a été
confiée au seul Magistère vivant de
l'Église, dont l'autorité s'exerce au nom
de Jésus-Christ. Ce Magistère n'est
pas au-dessus de la Parole de Dieu ; il la sert,
n'enseignant que ce qui a été transmis,
puisque, en vertu de l'ordre divin et de l'assistance du
Saint-Esprit, il écoute pieusement la parole, la
garde religieusement, l'explique fidèlement, et
puise dans cet unique dépôt de la foi tout
ce qu'il nous propose à croire comme étant
divinement révélé
» (DV
10).
Les clercs ainsi
confisquent la Parole voir: 3120_trahicler.html
L'assistance que donne le Saint-Esprit au
Magistère (cf. 2 Tm 1, 14) complète
l'action qu'il exerce dans la création et
l'histoire du salut. En effet, l'Esprit Saint est
à l'œuvre dans l'histoire, suscitant des
« actions » et des « paroles » qui
ont interprété les événements
et qui ont été consignées par
écrit dans les Livres saints (DV I, 2).
L'exégèse historico-critique nous a rendus
plus conscients des médiations humaines complexes
qui intervinrent dans l'élaboration des textes
sacrés, mais il n'en reste pas moins que l'Esprit
Saint a guidé toute l'histoire du salut, il a
inspiré son interprétation verbale et
écrite et il a façonné sa
culmination dans le Christ et l'Église. Saint Paul
décrit poétiquement « la Parole de
Dieu » comme « le glaive de l'Esprit » (Ep
6, 17). Il excelle à mettre en valeur le
rôle de l'Esprit dans le dessein de Dieu, en
particulier dans la synthèse magistrale de
l'Épître aux Éphésiens (cf. 1,
13 ; 2, 22 ; 3, 5). Notons toutefois que l'action de
l'Esprit Saint n'oppose pas la dimension dialogale et la
dimension doctrinale, comme le Magistère de
l'Église s'efforce de le rappeler, tout en mettant
l'accent dans la DV sur la dimension
personnelle-dialogale à partir de
l'autocommunication de Dieu dans le Christ.
« Il est donc évident que la
Tradition sacrée, la Sainte Écriture et le
Magistère de l'Église sont entre eux, selon
le très sage dessein de Dieu, tellement
liés et associés qu'aucun d'eux n'a de
consistance sans les autres, et que tous contribuent
en même temps de façon efficace au salut des
âmes, chacun à sa manière, sous
l'action du seul Saint-Esprit » (DV 10).
Malgré cet équilibre délicat qui a
beaucoup d'implications œcuméniques, des
tensions demeurent et la réflexion est à
poursuivre sur ces questions fondamentales qui
déterminent la manière de lire les
Écritures, de les interpréter et d'en faire
un usage fructueux pour la vie et la mission de
l'Église.
Convocatio : Dieu convoque ses
créatures à l'existence par sa Parole. Il
convoque l'homme au dialogue en son Fils et il convoque
l'Église à partager sa vie divine dans
l'Esprit. Nous avons voulu conclure cette partie sur
l'identité de la Parole de Dieu par une section
sur l'Église, Épouse du Verbe
incarné. Malgré la complexité des
rapports entre Écriture, Tradition et
Magistère, l'Esprit Saint assure néanmoins
l'unité de l'ensemble, surtout si l'on garde bien
présente la dynamique responsoriale et même
nuptiale du rapport d'Alliance. En situant les fonctions
ecclésiales de l'Écriture, de la Tradition
et du Magistère à l'intérieur d'une
ecclésiologie mariale, nous invitons à un
changement de paradigme où l'accent passe de la
dimension noétique à la dimension
personnelle de la Révélation. La figure
archétypique de Marie permet de faire ressortir la
dimension dynamique de la Parole et la nature personnelle
de la foi comme don de soi, tout en invitant
l'Église à demeurer sous la Parole et
disponible à toute action de l'Esprit Saint.
II. COMMUNIO : LA PAROLE
DE DIEU DANS LA VIE DE L'ÉGLISE
Dans cette seconde partie, nous traitons de
la Parole de Dieu dans la vie de l'Église en
commençant par le dialogue de l'Église avec
Dieu dans la sainte liturgie qui est le berceau de la
Parole, son Sitz im Leben (21). Ensuite, nous traitons de
la lectio divina et de l'interprétation
ecclésiale de la Sainte Écriture en mettant
l'accent sur la recherche du sens spirituel, invitant
ainsi à renouer avec l'exégèse des
Pères de l'Église.
A. LE DIALOGUE DE L'ÉGLISE AVEC
DIEU QUI PARLE
1. La sainte liturgie
La liturgie est considérée
comme l'exercice de la fonction sacerdotale de
Jésus-Christ, exercice dans lequel le culte public
intégral est exercé par le Corps mystique
de Jésus-Christ, c'est-à-dire par le chef
et par ses membres (cf. SC 7). C'est pourquoi la
Constitution Sacrosanctum concilium (SC) insiste sur les
différentes modalités de la présence
du Christ dans la liturgie. « Il est là
présent dans le sacrifice de la messe, et dans la
personne du ministre, “le même offrant
maintenant par le ministère des prêtres, qui
s'offrit alors lui-même sur la croix” et, au
plus haut point, sous les espèces eucharistiques
». Le Christ « est là présent
dans sa parole, car c'est lui qui parle tandis qu'on lit
dans l'Église les Saintes Écritures »
(SC 7).
« C'est lui qui parle tandis qu'on lit
dans l'Église les Saintes Écritures ».
On ne saurait trop insister sur les implications
pastorales de cette affirmation conciliaire solennelle.
Elle nous rappelle que le sujet premier de la sainte
liturgie est le Christ lui-même s'adressant
à son Peuple et s'offrant à son Père
en sacrifice d'amour pour le salut du monde. Même
si dans l'accomplissement des rites liturgiques,
l'Église semble avoir le premier rôle, en
fait elle joue toujours un rôle subordonné,
au service de la Parole et de celui qui parle.
L'ecclésiocentrisme est étranger à
la réforme du Concile. Quand la Parole est
proclamée, c'est le Christ qui parle au nom de son
Père, et l'Esprit Saint nous fait accueillir sa
Parole et communier à sa vie. L'assemblée
liturgique existe en autant qu'elle est centrée
sur la Parole et non sur elle-même. Autrement, elle
dégénère en un quelconque groupe
social.
Par cette insistance, l'Église nous
enseigne que la Parole de Dieu, c'est d'abord Dieu qui
parle. Déjà dans la Première
Alliance, Dieu parle à son peuple par Moïse
qui lui rapporte ensuite la réponse du peuple aux
paroles de Yahvé : « Tout ce que Yahvé
a dit, nous le ferons » (Ex 19, 8) (22). Dieu parle
moins pour nous instruire que pour se communiquer
lui-même et « nous introduire dans sa
communion » (DV 2). L'Esprit Saint réalise
cette communion en rassemblant la communauté
autour de la Parole et en actualisant le mystère
pascal du Christ où il se livre lui-même en
communion. Car, selon les Écritures, la mission du
Verbe incarné culmine dans la communication de
l'Esprit divin (23). Dans cette lumière trinitaire
et pneumatologique, il apparaît plus clairement que
la sainte Liturgie est le dialogue vivant entre Dieu qui
parle et la communauté qui écoute et
répond par la louange, l'action de grâce et
l'engagement dans la vie et la mission. Comment cultiver
chez les fidèles la conscience que la liturgie est
l'exercice de la fonction sacerdotale de
Jésus-Christ à laquelle l'Église est
associée comme Épouse bien-aimée ?
Quelles conséquences devrait avoir la
redécouverte de ce lieu originel de la Parole sur
l'herméneutique biblique, sur la
célébration eucharistique et tout
particulièrement sur la place et la fonction de la
Liturgie de la Parole, incluant l'homélie ?
a) Parole et Eucharistie
L'Église a toujours
témoigné son respect à
l'égard des Écritures, tout comme à
l'égard du Corps du Seigneur lui-même,
puisque, surtout dans la sainte Liturgie, elle ne cesse,
de la table de la Parole de Dieu comme de celle du Corps
du Christ, de prendre le pain de vie et de le
présenter aux fidèles (DV 21).
En comparant la Liturgie de la Parole et
l'Eucharistie à deux « tables », la DV
voulait souligner à juste titre l'importance de la
Parole. Cette expression reprend une donnée
traditionnelle qu'on trouve fortement exprimée
chez Origène, par exemple, quand il exhorte au
respect de la Parole comme à celui du Corps du
Christ : « Que si, lorsqu'il s'agit de son corps,
vous apportez à juste titre tant de
précautions, pourquoi voudriez-vous que la
négligence de la Parole de Dieu mérite un
moindre châtiment que celle de son corps ? »
(24).
Si l'on tient à conserver la
métaphore des deux tables, ne devrions-nous pas
nuancer la manière de les vénérer
(25) ? Ne devrions-nous pas aussi souligner surtout leur
unité car elles servent le même « Pain
de vie » (Jn 6, 35-58) aux fidèles ? Que ce
soit sous la forme de la Parole à croire ou de la
Chair à manger, la Parole proclamée et la
Parole prononcée sur les oblats participent
à un même événement
sacramentel. La liturgie de la Parole porte en
elle-même une force spirituelle qui est toutefois
décuplée par son lien intrinsèque
avec l'actualisation du mystère pascal : la Parole
de Dieu qui se fait Chair sacramentelle par la puissance
de l'Esprit. Ce mystère sacramentel s'accomplit
par des paroles, comme le rappelle le Concile de Trente
(26), et aussi par l'action de l'Esprit Saint qui repose
sur le ministre ordonné et qui est explicitement
invoqué dans l'épiclèse.
L'Esprit confère à la Parole
proclamée dans la liturgie une vertu performative,
c'est-à-dire « vivante et efficace » (He
4, 12). Cela signifie que la Parole liturgique, comme
l'Évangile, « n'est pas uniquement une
communication d'éléments que l'on peut
connaître, mais une communication qui produit des
faits et qui change la vie » (27). Cette vertu
performative de la Parole liturgique dépend du
fait que celui qui parle ne veut pas d'abord instruire
par sa Parole, mais se communiquer lui-même. Celui
qui écoute et répond n'adhère pas
seulement à des vérités abstraites ;
il s'engage personnellement avec toute sa vie,
manifestant ainsi son identité de membre du Corps
du Christ. L'Esprit Saint est la clé de cette
communication vitale. C'est lui qui façonne le
Corps sacramentel et ecclésial du Christ, comme il
a façonné en Marie son Corps de chair et,
selon le mot d'Origène, le « Corps de
l'Écriture » (28). Ainsi, avec le Fils et
l'Esprit, « le Père qui est aux cieux
s'avance de façon très aimante à la
rencontre de ses fils (et) engage conversation avec eux
» (DV 21). Comment devrait-on former des disciples
et des ministres qui soient capables de mettre en valeur
la dimension trinitaire et responsoriale de la Liturgie ?
Ces incidences pastorales n'engagent pas seulement une
réforme des études, mais aussi une
revalorisation de la contemplation des
Écritures.
b) L'homélie
Malgré la restauration dont
l'homélie fut l'objet au Concile, nous
expérimentons encore l'insatisfaction de beaucoup
de fidèles face au ministère de la
prédication. Cette insatisfaction explique en
partie le départ de beaucoup de catholiques vers
d'autres groupes religieux. Pour remédier aux
lacunes de la prédication, nous savons qu'il ne
suffit pas de donner la priorité à la
Parole de Dieu, car il faut aussi qu'elle soit
correctement interprétée dans le contexte
mystagogique de la liturgie. Il ne suffit pas non plus de
recourir à l'exégèse ni d'utiliser
de nouveaux moyens pédagogiques ou technologiques
; il ne suffit même plus que la vie personnelle du
ministre soit en profonde harmonie avec la Parole
annoncée. Tout cela est très important,
mais peut demeurer extrinsèque à
l'accomplissement du mystère pascal du Christ.
Comment aider les homélistes à mettre la
vie et la Parole en relation avec cet
événement eschatologique qui fait irruption
au cœur de l'assemblée ? L'homélie
doit atteindre la profondeur spirituelle,
c'est-à-dire christologique de la Sainte
Écriture (29). Comment éviter la tendance
au moralisme et cultiver l'appel à la
décision de foi ?
L'Instrumentum laboris a mis en exergue le
passage de Luc 4, 21, qui parle de la «
première homélie » de Jésus
dans la synagogue de Nazareth : « Alors il
commença à leur dire : “Aujourd'hui,
cette écriture est accomplie pour vous qui
l'entendez” ». L'Évangile de Luc
introduit cette séquence d'une façon
solennelle, en faisant comme un résumé de
la prédication et du destin de Jésus. Dans
un certain sens, la scène dans la synagogue de
Nazareth fut un symbole de sa vie. Les gens se sont
émerveillés du message de grâce qui
sortait de sa bouche, mais à la fin, ils
étaient prêts à le jeter dans le
précipice. Le début de sa
prédication fut le prologue du mystère
pascal.
« Aujourd'hui, cette écriture
est accomplie pour vous qui l'entendez » (Lc 4, 21).
Entre l'aujourd'hui du Ressuscité et l'aujourd'hui
de l'assemblée, il y a la médiation de
l'Écriture portée par l'Esprit sur les
lèvres de l'homéliste. « Tous
étaient émerveillés des paroles de
grâce qui sortaient de sa bouche » (Lc 4, 22).
Illuminé par l'Esprit Saint, le texte
expliqué de façon simple et
familière sert de médiation pour la
rencontre entre le Christ et la communauté.
L'accomplissement de l'Écriture survient ainsi
dans la foi de la communauté qui accueille le
Christ comme Parole de Dieu. L'aujourd'hui qui
intéresse le prédicateur est l'aujourd'hui
de la foi, la décision de foi de s'abandonner au
Christ et de lui obéir jusque dans les exigences
morales de l'Évangile.
Le prêtre en tant que ministre de la
Parole complète ce qui manque à la
prédication de Jésus pour son corps qui est
l'Église. Il partage les souffrances de la
préparation, les difficultés de la
communication, mais surtout la joie d'être
instrument de l'Esprit Saint au service d'un
avènement très radical : « L'accueil
de l'homme à l'offrande d'amour de Dieu qui se
présente à lui dans le Christ »
(30).
c) L'Office divin
Dieu continue de parler avec son peuple par
son Fils, dans l'Esprit, « non seulement par la
célébration de l'Eucharistie, mais aussi
par d'autres moyens et surtout par l'accomplissement de
l'Office divin » (SC 83). Le Christ Jésus
« a introduit dans notre exil terrestre cette hymne
qui se chante éternellement dans les demeures
célestes. Il s'adjoint toute la communauté
des hommes et se l'associe dans ce divin cantique de
louange ». « Ainsi¸ écrit saint
Augustin, notre Seigneur Jésus-Christ, unique
Sauveur de son Corps mystique, prie pour nous, prie en
nous, et reçoit nos prières. Il prie pour
nous comme notre prêtre, il prie en nous comme
notre chef, il reçoit nos prières comme
notre Dieu. Reconnaissons donc, et que nous parlons en
lui, et qu'il parle en nous » (31).
L'Office divin fait partie de l'exercice de
la fonction sacerdotale de Jésus-Christ, à
laquelle l'Église est intimement associée
comme Épouse du Verbe incarné. La
restauration de l'Office divin, réalisée
par le Concile, a produit de grands fruits dans
l'Église grâce au développement d'une
pratique beaucoup plus répandue en des formes
simplifiées qui permettent un contact
fréquent et priant avec la Parole de Dieu. Cette
pratique monastique et conventuelle, assaisonnée
aussi de lectures patristiques, demeure un
élément constitutif de la tradition
ecclésiale et représente par
conséquent une référence importante
pour l'interprétation de l'Écriture dans
l'Église.
Cette pratique ecclésiale incarne la
finalité spirituelle des Saintes Écritures
et met en valeur la prière insurpassable des
psaumes. « Certes, toute la Sainte Écriture,
de l'Ancien comme du Nouveau Testament, est
inspirée par Dieu et utile pour l'enseignement,
ainsi qu'il est écrit néanmoins le livre
des Psaumes, écrit saint Athanase, comme un
paradis contenant tous les fruits des autres livres,
propose ses chants et ajoute ses propres fruits aux
autres dans la psalmodie » (32). Celui qui chante
les psaumes est comme devant un « miroir »
où il peut retrouver ses propres sentiments, comme
Augustin qui confesse qu'ainsi « la
vérité s'infiltrait dans mon cœur que
la ferveur transportait, mes larmes coulaient et cela me
faisait du bien » (33).
Le Synode devrait rappeler à quel
point la pratique fervente de l'Office divin, selon la
règle propre de chaque communauté, demeure
un précieux ferment de vie communautaire et de
joie (34). Elle incarne la Sequela Christi, l'union de
l'Épouse à l'Époux dans la louange
d'amour et d'intercession pour la gloire de Dieu et le
salut du monde.
2. Lectio divina
La tradition de l'Église
véhicule aussi la pratique de la lectio divina
comme une contemplation savoureuse de la Sainte
Écriture, à la manière de Marie qui
méditait dans son cœur tous les
mystères de Jésus. « Marie recherchait
le sens spirituel des Écritures et elle le
trouvait en le rapportant (symballousa) aux paroles,
à la vie de Jésus et aux
événements qu'elle découvrait
progressivement dans son histoire personnelle ». En
cela, « Marie devient un symbole pour nous, pour la
foi des gens simples et pour celle des docteurs de
l'Église qui étudient, évaluent et
définissent la façon de professer
l'Évangile » (35).
« Je voudrais surtout évoquer
et recommander l'antique tradition de la lectio divina
», écrit le Pape Benoît XVI. « La
lecture assidue de l'Écriture sainte,
accompagnée par la prière, réalise
le dialogue intime dans lequel, en lisant, on
écoute Dieu qui parle et, en priant, on lui
répond, avec une ouverture du cœur confiante
(cf. DV 25). Cette pratique, si elle est promue de
façon efficace, apportera à
l'Église, j'en suis convaincu, un nouveau
printemps spirituel » (36).
Pour que les pratiques de la lectio divina
soient vécues avec plus de fruit, le texte de la
DV (n. 23) nous place dans la juste lumière en
évoquant l'Église, Épouse du Verbe
incarné, qui est animée et instruite par le
Saint-Esprit. Cette ecclésiologie nuptiale
introduit d'elle-même le climat d'amour et de
réciprocité qui favorise la contemplation
de l'Écriture. Cette indication précieuse
nous aide à prendre conscience des
présupposés ecclésiologiques qui
jouent un rôle plus important qu'il ne paraît
dans le dialogue avec Dieu à même le texte
sacré. Dans la mesure où l'Église,
dans ses membres, se perçoit comme une
épouse bien-aimée, objet d'un amour
d'élection, il devient tout naturel de se tourner
amoureusement vers la Sainte Écriture comme vers
la source sans cesse jaillissante de l'amour divin
(37).
« Dans cette perspective, il faut
prendre en considération, comprendre correctement
et récupérer l'exégèse
extraordinaire des Pères ainsi que la grande
intuition médiévale des “quatre sens
des Écritures”, qui n'ont aucunement perdu
leur intérêt » (38). La pratique de la
lectio divina produira des fruits pour autant qu'elle
baignera dans une atmosphère de confiance à
l'égard des Écritures, ce qui suppose une
exégèse du texte « dans le même
Esprit qui l'a fait écrire » (DV 12). Dans ce
contexte, on ne saurait trop encourager «
l'étude des saints Pères de l'Orient et de
l'Occident, et des saintes Liturgies » (DV 23).
Bref, la lectio divina peut beaucoup
apporter au dialogue de l'Église avec Dieu,
à la formation des disciples et des
communautés chrétiennes, et même au
rapprochement des Églises et communautés
ecclésiales par la « lecture spirituelle
commune de la Parole de Dieu (39) ».
Il est souhaitable que le Synode encourage
la recherche de stratégies nouvelles, simples et
attrayantes, adaptées à l'ensemble du
peuple chrétien ou à des catégories
particulières de fidèles, pour
développer le goût et la pratique d'une
lecture continue, tant communautaire que personnelle, de
la Parole de Dieu.
B. L'interprétation
ecclésiale de la Parole de Dieu
1. Éléments de
problématique
L'interprétation des
Écritures dans l'Église a donné
lieu, depuis les origines apostoliques, à des
conflits et à des tensions récurrentes. Des
schismes et des séparations ont rajouté
d'autres obstacles. Parallèlement à ces
événements malheureux,
l'exégèse et la théologie se sont
éloignées non seulement l'une de l'autre,
mais aussi de l'interprétation spirituelle de
l'Écriture qui était courante à
l'âge patristique (40). Le modèle
contemplatif de la théologie monastique et
patristique a cédé la place à un
modèle spéculatif et souvent
polémique sous l'influence des erreurs à
combattre et des découvertes historiques,
philosophiques et scientifiques. Ajoutons encore le
tournant anthropocentrique de la pensée moderne,
qui a écarté la métaphysique de
l'être au profit d'une épistémologie
immanentiste. Prisonnier de l'enceinte enchantée
du cogito (Ricœur), l'homme est fasciné par
ses propres prouesses spéculatives (Hegel), mais
il perd le sens de l'émerveillement devant le
mystère de l'être et de la
Révélation (41).
Dans ce contexte de séparation et de
conflit entre la foi et la raison, on assiste à la
remise en question de l'unité de l'Écriture
et à une fragmentation excessive des
interprétations. Dorénavant, le rapport
interne de l'exégèse à la foi ne
fait plus l'unanimité et des tensions augmentent
entre exégètes, pasteurs et
théologiens (42). On complète certes de
plus en plus l'exégèse historico-critique
par d'autres méthodes, dont certaines renouent
avec la tradition et l'histoire de
l'exégèse (43). Mais d'une façon
générale, après plusieurs
décennies de concentration sur les
médiations humaines de l'Écriture, ne
faut-il pas retrouver la profondeur divine du texte
inspiré sans perdre les acquis précieux des
nouvelles méthodologies ?
On ne saurait trop insister sur ce point
car la crise de l'exégèse et de
l'herméneutique théologique affecte
profondément la vie spirituelle du Peuple de Dieu
et sa confiance dans les Écritures. Elle affecte
aussi la communion ecclésiale, à cause du
climat de tension souvent malsain entre la
théologie universitaire et le Magistère
ecclésial. Face à cette situation
délicate, et sans entrer dans les débats
d'écoles, le Synode doit donner une orientation
pour assainir les rapports et favoriser
l'intégration des acquis des sciences bibliques et
herméneutiques dans l'interprétation
ecclésiale des Saintes Écritures (44).
Les dialogues en ce sens, promus par la
Congrégation de la Doctrine de la Foi, devraient
être intensifiés, afin d'approfondir de
façon multidisciplinaire et respectueuse des
compétences les points en litige et de
préparer ainsi le jugement de l'Église qui
doit s'acquitter « de l'ordre et du ministère
divin de garder et d'interpréter la Parole de Dieu
» (DV 12). La Commission biblique pontificale et la
Commission théologique internationale jouent un
rôle important et hautement apprécié
en ce sens. Le Synode pourrait reconnaître la
précieuse contribution de ces organismes et
encourager des sessions conjointes (45) afin
d'intensifier le dialogue entre pasteurs,
théologiens et exégètes. Il pourrait
aussi suggérer des rencontres régionales du
même genre qui aideraient à cultiver un
climat sain de communion et de service de la Parole de
Dieu. Le Synode pourrait proposer en outre qu'on prenne
comme axe d'intégration de cette recherche
d'unité le sens spirituel de l'Écriture
(46).
2. Le sens spirituel de
l'Écriture
« Le théologien averti
reconnaît sans ambages, écrit le P. de
Lubac, que l'existence d'un double sens littéral
et spirituel est une donnée inaliénable de
la tradition. Elle fait partie du patrimoine
chrétien. Il (le sens spirituel) est, redisons-le
avec les Pères, le Nouveau Testament
lui-même, avec toute sa fécondité, se
révélant à nous “comme
accomplissement et transfiguration de l'Ancien”
» (47). Selon saint Thomas d'Aquin, le sens
spirituel suppose le sens littéral et s'y appuie
(48). Cependant, toute interprétation symbolique
ou spirituelle doit conserver une
homogénéité avec le sens
littéral. Car, « admettre des sens
hétérogènes équivaudrait
à couper le message biblique de sa racine, qui est
la Parole de Dieu communiquée historiquement, et
à ouvrir la porte à un subjectivisme
incontrôlable » (49).
Cette crainte du subjectivisme et le manque
de réflexion contemporaine sur l'inspiration
scripturaire expliquent la lenteur de
l'exégèse catholique contemporaine à
s'intéresser réellement au sens spirituel
de l'Écriture (50). Cependant, une
évolution significative se dessine en ce sens :
« En règle générale,
écrit la Commisson biblique pontificale (CBP), on
peut définir le sens spirituel, compris selon la
foi chrétienne, comme le sens exprimé par
les textes bibliques, lorsqu'on les lit sous l'influence
de l'Esprit Saint dans le contexte du mystère
pascal du Christ et de la vie nouvelle qui en
résulte » (51). Cette définition
rejoint bien l'orientation de la DV 12, demandant
d'interpréter les textes bibliques dans le
même Esprit qui les a fait écrire.
En effet, c'est l'Esprit qui a
préparé les événements de
l'Ancien et du Nouveau Testaments selon une progression
allant de la promesse à l'accomplissement ; c'est
par l'Esprit qu'ont été
interprétés ces événements
par des paroles prophétiques et des relectures
symboliques ou sapientielles, afin de conduire le Peuple
de Dieu, par purifications et approfondissements
successifs, à la rencontre de Jésus-Christ,
plénitude de la Révélation. Au fond,
le sens spirituel de l'Écriture, « le sens
véritable reste celui de l'Esprit Saint »
(52). « Quant à moi, écrit saint
Bernard, ainsi que le Seigneur me l'a enseigné, je
chercherai dans les profonds recès de la parole
sacrée son Esprit et son sens vivant ; telle est
ma part, puisque je crois en Jésus-Christ. Comment
n'essaierais-je pas de tirer de la lettre morte et
insipide un aliment spirituel savoureux et salutaire,
comme on sépare le grain de la balle, la noix de
sa coquille ou comme on extrait la moelle d'un os ? Je
n'ai point affaire de cette lettre qui a le goût de
chair et qui donne la mort à qui l'avale. Mais ce
qui est caché sous son enveloppe vient du
Saint-Esprit » (53).
La pratique de l'exégèse
spirituelle de l'Écriture requiert ici encore un
approfondissement pneumatologique. Il ne suffit pas
seulement de lire « sous l'influence de l'Esprit
Saint », il faut chercher à percevoir dans la
lettre l'Esprit qui y est contenu. Ainsi, le Saint-Esprit
n'est pas simplement un agent extrinsèque de la
production de la Sainte Écriture ; il est celui
qui, dans la Bible, s'exprime de concert avec la Parole
du Père qu'est Jésus-Christ. Dans le
prolongement de cette recherche, il serait opportun que
le Synode s'interroge sur la pertinence d'une encyclique
éventuelle sur l'interprétation de
l'Écriture dans l'Église.
3. L'exégèse et la
théologie
L'exégèse et la
théologie s'occupent du même objet, la
Parole de Dieu, mais dans des perspectives
différentes et complémentaires.
L'exégète étudie la « lettre
» de l'Écriture « avec le même
Esprit qui l'a fait écrire (54), pour
découvrir correctement le sens des textes
sacrés » (DV 12). Il est attentif à la
genèse historique des textes, à leur genre
littéraire, à leur structuration, mais
aussi au rapport entre les différents livres de la
Bible et entre l'un et l'autre Testament. Le Synode
devrait saluer le regain d'intérêt pour
l'approche canonique de l'Écriture et les efforts
pour proposer des synthèses de théologie
biblique comme d'intéressants pas en avant dans le
sens d'une intelligence globale de l'Écriture. Le
théologien, lui aussi, s'efforce
d'interpréter la « lettre » en fonction
de « l'unité de l'Écriture tout
entière, compte tenu de la tradition vivante de
l'Église tout entière » (DV 12), des
langages philosophiques et autres qui marquent la culture
de son époque, et en respectant autant que
possible les sensibilités particulières de
ses contemporains.
Exégètes et
théologiens savent que « les Saintes
Écritures contiennent la Parole de Dieu et, parce
qu'elles sont inspirées, elles sont
réellement la Parole de Dieu ; aussi
l'étude des Saintes Lettres doit-elle être
comme l'âme de la sainte théologie »
(DV 24). Cette Parole de Dieu est toujours et
simultanément la Parole de la foi, le
témoignage d'un peuple et de ses auteurs
inspirés. En conséquence, les
méthodes exégétiques et
théologiques doivent refléter
l'interdépendance de la « lettre », de
l'Esprit et de la foi dans le travail
d'interprétation. Le rapport d'Alliance entre Dieu
et son peuple habite le texte lui-même et commande
une interprétation qui soit non seulement
noétique, mais dynamique et dialogale. Bref, ou
bien les exégètes et les théologiens
interprètent rigoureusement la Bible dans la foi
et l'écoute de l'Esprit, ou bien ils s'en tiennent
aux caractéristiques superficielles du texte s'ils
se limitent à des considérations
historiques, linguistiques ou littéraires.
Parmi les tâches urgentes de la
recherche, il importe d'approfondir
l'épistémologie théologique à
l'aide des Pères de l'Église et des saints.
Par leur attitude personnelle et méthodique de foi
contemplative, ceux-ci s'ouvrent à la profondeur
du texte, c'est-à-dire à la présence
de Dieu qui parle maintenant par celui-ci et interpelle
l'auditeur. D'où leur témoignage d'une
« science de l'amour (55) » qui demeure la voie
d'accès par excellence à la connaissance de
Dieu. « La justesse inspirée avec laquelle
les saints les moins spéculatifs insistent sur
certains aspects de la vie chrétienne peut avoir
des effets imprévisibles sur la théologie
vivante de l'Église. Pensez à la
règle de saint Benoît au testament de saint
François d'Assise, aux Exercices de saint Ignace
» (56). Même si les saints en question ne sont
pas des théologiens de profession, les accents
propres de leur vie servent de « canons » et de
règles d'interprétation de la
Révélation car « ce sont ceux qui
aiment qui en savent le plus long sur Dieu. C'est eux que
le théologien doit écouter » (57).
Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus
savait que sa voie d'enfance spirituelle était un
exemple à imiter et saint Paul, dans la Bible
chrétienne, se donne lui-même en
exemple.
« Pour une éthique
anthropologique close, la franchise avec laquelle saint
Paul démontre en lui-même la sainteté
chrétienne – afin de démontrer la
vérité dogmatique – et présente
l'analyse de sa propre existence devant l'Église
tout entière et devant le monde aura toujours
quelque chose de choquant. Mais elle n'est que le reflet
exact et docile, sur le plan ecclésial, de
l'extraordinaire affirmation du Christ, celle
d'être lui-même dans son existence vivante la
vérité de Dieu » (58).
« La manière dont saint
François comprend l'Écriture se distingue
sur des points essentiels de celle de ses biographes.
Ceux-ci sont familiers avec les méthodes
scientifiques d'alors et s'engagent dans une
exégèse symbolique où aucune limite
n'est imposée à l'imagination. Il en est
tout autrement chez François : il n'a aucune
idée des principes herméneutiques
acceptés de son temps. Son exégèse
est réaliste, concrète, son imagination est
liée à la lettre de l'Écriture
» (59). Bref, les saints contemplent avec les yeux
de l'Esprit les profondeurs de Dieu qui émergent
de la Sainte Écriture (60). « Les saints sont
à l'Évangile ce qu'est une partition
chantée par rapport à une partition
notée », écrit saint François
de Sales (61).
III. MISSIO : LA PAROLE
DE DIEU DANS LA MISSION DE L'ÉGLISE
Nous avons placé la Parole de Dieu
dans la vie de l'Église sous le signe de la
Communio, car la Parole accueillie dans la foi nous
introduit dans la communion trinitaire.
L'expérience de cette communion entraîne une
conversion toujours plus profonde à l'Amour et une
participation au dynamisme missionnaire et eschatologique
de la Parole de Dieu. Animé par l'Esprit de la
Pentecôte, ce Synode veut faire écho
à ce dynamisme.
« La Parole de Dieu croissait et se
multipliait », nous disent les Actes des
Apôtres (Ac 12, 24). Elle faisait des adeptes parmi
les juifs et les païens, comme en témoigne
Pierre lui-même devant la communauté de
Jérusalem en parlant de l'effusion de l'Esprit
Saint sur les païens. C'est ainsi que « par la
puissance du Seigneur, la parole se répandait et
se montrait pleine de force » (Ac 19, 20),
accroissant l'Église et lui communiquant la paix
du Royaume (cf. Ac 9, 31).
A. Annoncer l'Évangile du
Règne de Dieu
1. L'Église, servante de la
Parole
L'Église « a une vive
conscience que la parole du Sauveur – “Je dois
annoncer la bonne nouvelle du Royaume de Dieu”
– s'applique en toute vérité à
elle. Elle ajoute volontiers avec saint Paul : “Pour
moi, évangéliser ce n'est pas un titre de
gloire, c'est une obligation. Malheur à moi si je
n'annonçais pas l'Évangile !” »
(1 Co 9, 16). Le cœur de la mission de
l'Église est d'évangéliser.
Évangéliser signifie : « prêcher
et enseigner, être le canal du don de la
grâce, réconcilier les pécheurs avec
Dieu, perpétuer le sacrifice du Christ dans la
sainte messe, qui est le mémorial de sa mort et de
sa résurrection glorieuse » (Evangelii
nuntiandi (EN) 14 ; DC 1976, n. 1689, p. 3). «
Évangéliser, pour l'Église, c'est
porter la Bonne Nouvelle dans tous les milieux de
l'humanité et, par son impact, transformer du
dedans, rendre neuve l'humanité elle-même :
“Voici que je fais l'univers nouveau !” (Ap 21,
5) » (EN 18).
Dans l'accomplissement de sa mission
évangélisatrice, l'Église accueille
et sert la Parole de Dieu. Par la prophétie, la
liturgie et la diaconie, elle témoigne du
dynamisme personnel de la Parole incarnée.
Évêques, prêtres, diacres, laïcs
et personnes consacrées, tous demeurent sous la
Parole et agissent de concert avec elle, selon le
charisme qu'ils ont reçu de l'Esprit. Collaborant
ainsi avec la Parole de Dieu, l'Église participe
à la mission de l'Esprit qui rassemble les «
enfants de Dieu dispersés » (Jn 11, 52)
« sous un seul chef, le Christ » (Ep 1,
10).
2. Le Jésus historique des
Évangiles
Comme aux temps apostoliques,
l'Église annonce le Règne de Dieu,
c'est-à-dire Jésus, le Christ, tel que
présenté dans les Évangiles. Or
cette tâche a été
hypothéquée par l'influence des courants
d'exégèse qui ont creusé un
fossé entre le « Jésus de l'histoire
» et le « Christ de la foi ». Ces courants
exégétiques ont mis en question la valeur
historique des Évangiles, minant ainsi la
crédibilité du texte. « Une telle
situation est dramatique pour la foi, déclare
Benoît XVI, car le vrai point d'appui dont tout
dépend – l'amitié intime avec
Jésus – demeure incertain » (62). Il est
vrai que depuis quelques décennies, la recherche
biblique a rétabli la valeur historique des
Évangiles (63) et a même
réaffirmé leur caractère
biographique (64). Ces résultats ne sont pas
encore largement connus et n'ont pas corrigé
l'impact négatif de l'exégèse
rationaliste sur la vie spirituelle et le
témoignage missionnaire des chrétiens.
Dans ce contexte, la publication du livre
Jésus de Nazareth par le Pape Benoît XVI
représente un événement majeur qui
libère l'accès à la figure
authentique de Jésus. Il montre que
l'identité divine de Jésus, historiquement
attestée par les Évangiles, émerge
des textes eux-mêmes et du témoignage
cohérent et crédible du Nouveau Testament.
Tout en valorisant les résultats positifs de
l'exégèse historico-critique, le Pape
souligne ses limites méthodologiques et souhaite
le développement de « l'exégèse
canonique » pour compléter
l'interprétation théologique. L'attitude
libératrice de Benoît XVI consiste à
« faire confiance aux Évangiles », en
présentant le « Jésus des
Évangiles comme un Jésus réel
», comme un « Jésus historique » au
sens propre du terme (65).
Ce livre « n'est en aucune
manière un acte du Magistère » (66),
mais il n'en demeure pas moins un phare qui
protège des écueils et des naufrages. Son
témoignage rapproche la théologie et
l'exégèse par l'union harmonieuse de la
compétence scientifique et du témoignage
personnel d'une autorité ecclésiale. Il va
sans dire qu'une telle œuvre aide à dissiper
la confusion semée par certains
phénomènes médiatiques (67) et
à relancer le dialogue de l'Église avec la
culture contemporaine. Le Synode pourrait
reconnaître en ce livre un lieu important pour la
refondation d'une culture contemplative des
Évangiles.
B. Incarner le témoignage du
Dieu-Amour
1. La primauté de l'amour
Quand l'Esprit parle à
l'Église aujourd'hui en lui remémorant les
Écritures, il la convoque à un nouveau
témoignage d'amour et d'unité afin de
rehausser la crédibilité de
l'Évangile face à un monde qui est plus
sensible aux témoins qu'aux docteurs. « C'est
à ce signe que l'on vous reconnaîtra comme
mes disciples : à l'amour que vous aurez les uns
pour les autres » (Jn 13, 35). Ce signe de l'amour
mutuel prolonge le témoignage de Dieu, car il
incarne l'amour même de Jésus qui a dit :
« Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai
aimés » (Jn 13, 34). Ce « comme »
signifie : aimez-vous du même amour dont je vous
aime. Toute la prière sacerdotale de Jésus,
synthèse de son offrande pascale, vise à
associer l'humanité au témoignage
d'unité de la Trinité : « Et moi, je
leur ai donné la gloire que tu m'as donnée,
pour qu'ils soient un comme nous sommes un, moi en eux
comme toi en moi, pour qu'ils parviennent à
l'unité parfaite et qu'ainsi le monde puisse
connaître que c'est toi qui m'as envoyé et
que tu les as aimés comme tu m'as aimé
» (Jn 17, 22-23). Grégoire de Nysse identifie
la Gloire à l'Esprit (68), qui prie aussi avec le
Christ pour que ses disciples soient consacrés
dans la vérité, c'est-à-dire
consumés dans l'unité. Cette prière
solennelle montre bien que la fidélité au
commandement de l'amour engage non seulement le salut du
croyant, mais aussi et surtout la
crédibilité de la Trinité dans le
monde. « Que tous soient un comme toi, Père,
tu es en moi et que je suis en toi, qu'ils soient en nous
eux aussi, afin que le monde croie que tu m'as
envoyé » (Jn 17, 21).
Le témoignage de la Parole de Dieu
exige par conséquent des disciples missionnaires
(69) qui soient d'authentiques témoins de la
primauté de l'amour sur la science. Saint Paul
l'affirme sans ambages dans l'hymne à l'amour de
la première Épître aux Corinthiens (1
Co 13, 1-13) de même que dans son exhortation aux
Philippiens : « Ayez un même amour, un
même cœur ; recherchez l'unité »
(Ph 2, 2) à l'exemple du Christ en sa
kénose. « Ce ne sont pas des manuels arides,
même s'ils sont pleins de vérités
indubitables, qui peuvent exprimer pour le monde la
vérité de l'Évangile et la rendre
plausible, c'est l'existence des saints qui ont
été saisis par le Saint-Esprit du Christ.
Le Christ n'a pas prévu d'autre
apologétique (Jn 13, 35) » (70).
2. Le témoignage
œcuménique
Depuis l'entrée officielle de
l'Église catholique dans le mouvement
œcuménique, les papes ont fait de la cause de
l'unité chrétienne une priorité. Par
ailleurs, le rapprochement œcuménique a
permis aux Églises et aux communautés
ecclésiales de s'interroger ensemble sur leur
propre fidélité à la Parole de Dieu.
Bien que les rencontres et dialogues
œcuméniques aient produit des fruits de
fraternité, de réconciliation et
d'entraide, la situation présente est
caractérisée par un certain malaise qui
appelle une conversion plus profonde à «
l'œcuménisme spirituel » (71). «
Cette conversion du cœur et cette sainteté de
vie, unies aux prières publiques et privées
pour l'unité des chrétiens, doivent
être regardées comme l'âme de tout
l'œcuménisme » (UR 8).
Cette orientation du Concile garde toute
son actualité comme y exhorte le Pape : «
Écouter ensemble la Parole de Dieu, pratiquer la
lectio divina de la Bible, c'est-à-dire la lecture
liée à la prière, se laisser
surprendre par la nouveauté qui ne vieillit jamais
et qui ne s'épuise jamais, de la Parole de Dieu,
surmonter notre surdité face aux paroles qui ne
s'accordent pas avec nos préjugés et nos
opinions, écouter et étudier dans la
communion des croyants de tous les temps : tout cela
constitue un chemin à parcourir pour atteindre
l'unité dans la foi, comme réponse à
l'écoute de la Parole » (72).
Parmi les nombreux témoignages
œcuméniques de notre époque, citons
à titre d'exemple, le mouvement des Focolari
fondé par Chiara Lubich, dont la
spiritualité de l'unité met l'accent sur
« l'amour mutuel » et l'obéissance
à la « Parole de vie ». La
pédagogie de ce mouvement met justement en
priorité l'élément dynamique de
l'amour par rapport à l'élément
noétique de la Parole. Cette priorité
réclame de tous les partenaires
œcuméniques une conversion toujours plus
profonde au dessein d'amour du Dieu trinitaire, que
l'Esprit Saint s'efforce de porter à son
achèvement avec des « gémissements
inexprimables » (Rm 8, 26).
Il est significatif que ce mouvement
catholique et œcuménique – ne devrait-on
pas seulement dire « catholique »,
c'est-à-dire œcuménique ? – porte
le nom canonique de « l'Œuvre de Marie ».
On y voit heureusement et harmonieusement confluer –
comme d'ailleurs en d'autres mouvements (73) le mouvement
biblique, le mouvement œcuménique et le
mouvement marial, grâce à une pratique
résolue de la Parole de Dieu, incarnée et
partagée (74). Ce témoignage rappelle que
l'unité des chrétiens et son impact
missionnaire ne sont pas d'abord « notre œuvre
», mais celle de l'Esprit et de Marie (75).
C. Dialoguer avec les nations et les
religions
1. Au service de l'homme
L'activité missionnaire de
l'Église s'enracine, nous l'avons dit, dans la
mission du Christ et de l'Esprit qui révèle
et répand la communion trinitaire dans toutes les
cultures du monde. La portée salvifique
universelle du mystère pascal du Christ appelle
l'annonce de la Bonne Nouvelle à toutes les
nations et aussi à toutes les religions. La Parole
de Dieu invite tout homme au dialogue avec Dieu qui veut
sauver tous les hommes en Jésus-Christ, l'unique
médiateur (1 Tm 2, 5 ; He 8, 6 ; 9, 5 ; 12, 24).
L'activité missionnaire de l'Église
témoigne de son amour pour le Christ total qui
inclut toute culture. Dans ses efforts
d'évangélisation des cultures, cette
activité vise l'unité de l'humanité
en Jésus-Christ, mais dans le respect et
l'intégration de toutes les valeurs humaines (76).
« Au reste, frères, tout ce qu'il y a de
vrai, tout ce qui est noble, juste, pur, digne
d'être aimé, d'être honoré, ce
qui s'appelle vertu, ce qui mérite l'éloge,
tout cela, portez-le à votre actif » (Ph 4,
8).
Dans son dialogue liturgique avec Dieu,
l'Église intercède pour tous les humains et
surtout pour les plus pauvres. Sa passion pour la Parole
de Dieu l'entraîne sur les pas de Jésus
pauvre, chaste et obéissant, afin d'apporter
l'espérance, la réconciliation et la paix
dans toutes les situations d'injustice, d'oppression et
de guerre. Comme chez le « bon Samaritain », ce
souci de l'homme quel qu'il soit exprime la compassion de
l'Église pour toute souffrance humaine et sa
disponibilité pour secourir les pauvres et les
affligés. Consciente de la présence de
Jésus à ses côtés, comme sur
le chemin d'Emmaüs, elle interprète
l'Écriture comme lui “en partant de
Moïse et de tous les prophètes” et en
expliquant à tout homme le mystère de
Jésus sauveur : « Ne fallait-il pas que le
Christ souffrît cela et qu'il entrât dans sa
gloire ? » (Lc 24, 26).
Cette exégèse de
Jésus, reprise sans cesse par l'Église,
authentifie l'interprétation christologique du
Premier Testament, que les Pères, après
Origène et Irénée, ont largement
développée. De nos jours, compte tenu de
l'histoire tragique des relations entre Israël et
l'Église, nous sommes invités non seulement
à réparer l'injustice commise à
l'égard des juifs, mais aussi à « un
nouveau respect pour l'interprétation juive de
l'Ancien Testament » (77). Un dialogue respectueux
et constructif avec le judaïsme peut d'ailleurs
servir à approfondir, de part et d'autre,
l'interprétation de la Sainte Écriture
(78).
2. Le dialogue interreligieux
Parmi les partenaires des différents
dialogues de l'Église avec les nations, le peuple
juif occupe une place singulière comme
héritier de la première Alliance, dont nous
partageons les Saintes Écritures. Cet
héritage commun nous invite à
l'espérance, « car les dons et l'appel de
Dieu sont irrévocables » (Rm 11, 29), comme
en témoigne passionnément saint Paul dans
l'épître aux Romains : « Oui, je
souhaiterais être anathème, être
moi-même séparé du Christ pour mes
frères, ceux de ma race selon la chair, eux qui
sont les Israélites, à qui appartiennent
l'adoption, la gloire, les alliances, la loi, le culte,
les promesses et les pères, eux enfin de qui,
selon la chair, est issu le Christ qui est au-dessus de
tout, Dieu béni éternellement. Amen »
(Rm 9, 1-5) ; « Frères, je veux vous faire
connaître le plan secret de Dieu, afin que vous ne
vous preniez pas pour des sages : une partie du peuple
d'Israël restera incapable de comprendre
jusqu'à ce que l'ensemble des autres peuples soit
parvenu au salut. Et c'est ainsi que tout Israël
sera sauvé, comme le déclare
l'Écriture » (Rm 11, 25-26).
Viennent ensuite les fidèles de foi
musulmane, enracinés eux aussi dans la tradition
biblique, confesseurs du Dieu unique. Face à la
sécularisation et au libéralisme, ils sont
des alliés dans la défense de la vie
humaine et dans l'affirmation de l'importance sociale de
la religion. Le dialogue avec eux est plus important que
jamais dans les circonstances actuelles afin de «
promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice
sociale, les valeurs morales, la paix et la
liberté » (Nostra aetate [NA] 3). Le
témoignage des martyrs de Tibhirine en
Algérie en 1996 élève ce dialogue
à un niveau peut-être jamais atteint dans
l'histoire, quant au service de l'homme et de la
réconciliation des peuples. Les initiatives
audacieuses du Pape Benoît XVI plaident pour la
poursuite persévérante du dialogue avec
l'islam.
Viennent enfin les humains « de toute
tribu, langue, peuple et nation » (cf. Ap 5, 9), qui
sont sous les cieux, car l'Agneau immolé a
versé son sang pour tous. La Parole de Dieu est
spécialement destinée à ceux qui ne
l'ont jamais entendue car, dans le cœur de Dieu et
la conscience missionnaire de l'Église, les
derniers ont la grâce d'être les premiers
(79).
Dans un monde en voie de globalisation,
avec les nouveaux moyens de communication, le champ de la
mission est ouvert à de nouvelles initiatives
d'évangélisation dans un esprit
d'authentique inculturation. Nous sommes à
l'ère de l'Internet et les possibilités
d'accès à la Sainte Écriture se sont
démultipliées (80). Le Synode doit
écouter, discerner et encourager les projets de
transmission et de transposition des Saintes
Écritures dans tous ces nouveaux langages qui
attendent de servir la Parole de Dieu.
Conclusion
« Quel est le vainqueur du monde,
sinon celui qui croit que Jésus est le Fils de
Dieu ? Et c'est l'Esprit qui rend témoignage,
parce que l'Esprit est la vérité. Ils sont
trois à rendre témoignage : l'Esprit, l'eau
et le sang, et ces trois convergent dans l'unique
témoignage : si nous recevons le témoignage
des hommes, le témoignage de Dieu est plus grand
» (1 Jn 5, 5-9).
Jésus vient toujours, dans
l'Église, « rendre témoignage à
la Vérité » et communiquer à
ceux qui croient en son nom la connaissance du
Père qu'il possède en plénitude. Ce
message de Jean précise le premier but et le souci
premier du Synode : écouter et accueillir à
neuf Dieu qui parle et demander la grâce d'une foi
renouvelée en son Verbe incarné. Conscient
du renouveau ecclésiologique lié à
la conception dynamique et dialogale de la
Révélation, nous avons
suggéré des pistes d'approfondissement de
la Parole de Dieu à partir de la foi de Marie
telle qu'elle se prolonge dans la vie de l'Église,
la Liturgie, la prédication, la lectio divina,
l'exégèse et la théologie.
L'application de ce paradigme marial
suppose un approfondissement pneumatologique de la
tradition ecclésiale et de l'exégèse
scripturaire qui rendent compte de la vertu performative
de la Parole de Dieu tout en la distinguant soigneusement
de la présence eucharistique. Plus qu'une
bibliothèque pour érudits, la Bible est un
temple où l'Épouse du Cantique
écoute les aveux du Bien-aimé et
célèbre ses baisers (cf. Ct 1,1). «
Qui est instruit par le Saint-Esprit comprend tout,
écrit saint Silouane, son âme se sent comme
au Ciel, car l'Esprit Saint lui-même est au Ciel et
sur la terre, dans la sainte Écriture et dans les
âmes de tous ceux qui aiment Dieu » (81).
Cette perspective plus dynamique que
noétique appelle une théologie plus
contemplative, enracinée dans la liturgie, les
Pères et la vie des saints, une
exégèse pratiquée dans la foi
conformément à son objet, et aussi une
philosophie de l'être et de l'amour.
Elle ouvre à une lecture spirituelle
plus fructueuse de la Bible, à une
interprétation ecclésiale de
l'Écriture et à une revitalisation du
dialogue missionnaire de l'Église sous toutes ses
formes. La fréquentation plus assidue des
Écritures ravivera la conscience missionnaire de
l'Église et son amour de l'homme, image de Dieu en
mal de ressemblance divine.
Saint Césaire d'Arles exhortait
fréquemment ses diocésains à ne
jamais négliger ce qu'il qualifiait de «
nourriture de l'âme pour l'éternité
» : « Je vous prie, frères
bien-aimés, de vous appliquer à consacrer
à la lecture des textes sacrés autant
d'heures que vous le pourrez » (82).
Fréquemment, en fin de journée, il aimait
demander à ses prêtres, à propos de
la méditation de la Parole de Dieu : «
Qu'avez-vous mangé, aujourd'hui ? »
Puissions-nous avoir la même disponibilité,
le même goût pour la Parole de Dieu, et nous
poser à notre tour la même question : «
Qu'avons-nous mangé, aujourd'hui ? ».
" Mais la charge d'interpréter
authentiquement la Parole de Dieu écrite ou
transmise a été confiée au seul
Magistère vivant de l'Église, dont
l'autorité s'exerce au nom de
Jésus-Christ.
"
dit le raporteur général du synode
. Les clercs ainsi ne
confisquent-ils pas la Parole de Dieu ?