Jésus-Christ
était-il prêtre?
D'où tenons-nous que Jésus était
prêtre? Un seul texte du Nouveau Testament
l'affirme, rompant avec le passé lévitique
et ouvrant le sacerdoce à tous.
Ariel Alvarez Valdès, Santiago dei
Estero, Argentine
Prêtre, professeur de Sainte Écriture au
Grand séminaire, et de théologie et de
Université catholique de Santiago
D'où provient le titre de
prêtre conféré à Jésus
par l'Église? Jamais les Évangiles
ne le nomment ainsi; les seuls prêtres dont ils
font mention sont ceux du Temple de Jérusalem (Mc
1,44), comme Zacharie, le père de Jean-Baptiste
(Luc 1,5); Nulle part ils n'affirment que Jésus
a officié au cours de cérémonies
religieuses dans le Temple. Les Actes des
Apôtres également ne mentionnent jamais
d'autres prêtres que les prêtres juifs (4,1)
ou païens (14,13). Quant à saint Paul, le
mot prêtre n'apparaît jamais dans ses
épîtres, comme s'il l'évitait
intentionnellement. Enfin, l'Apocalypse et les
épîtres apostoliques n'appellent jamais
Jésus prêtre, en quelque sens que ce
soit. Alors pourquoi donner ce titre à
Jésus?
Un culte ennuyeux
De fait, un seul livre du Nouveau Testament
soutient que Jésus était prêtre.
C'est l'épître aux Hébreux. Pourquoi
cette affirmation? Parce qu'à l'époque,
l'auteur devait résoudre deux graves
problèmes qui agitaient la communauté dont
il avait la responsabilité.
D'abord, ses lecteurs étaient
déçus par l'austérité et la
simplicité de la liturgie chrétienne. Les
premiers chrétiens étaient tous des Juifs
convertis, habitués aux splendeurs des
célébrations du Temple de Jérusalem.
Il suffit d'évoquer les imposantes
assemblées où des dizaines de prêtres
et de lévites en ornements officiaient au son des
cantiques et de musiques tonitruantes, ou encore les
nuages d'encens, les multiples purifications d'eau et les
rites impressionnants des sacrifices d'animaux dont les
chairs étaient consumées par le feu. Les
grands pèlerinages nationaux lors des principales
fêtes étaient particulièrement
solennels, avec leurs foules de paysans pleins de
spontanéité, chantant avec
enthousiasme.
Tout cela avait été
liquidé par le christianisme qui n'obligeait plus
personne à fréquenter un quelconque temple:
on ne rencontre pas Dieu dans un temple mais dans le
coeur de l'homme. Jésus l'avait dit à une
femme de Samarie (Jn 4,21-23) et il n'enseignait pas que
les sacrifices d'animaux étaient agréables
à Dieu; au contraire, il mettait l'accent sur la
vie fraternelle, l'aide mutuelle et le service du
prochain. Le culte et le sacrifice des chrétiens
consistaient presque exclusivement en la foi, l'abandon
à Dieu et l'amour de l'autre. Même
l'eucharistie, célébrée chaque
dimanche dans les familles, ne se distinguait pas
beaucoup des repas ordinaires en famille.
Cette sobriété de la foi
chrétienne a dû décevoir les premiers
croyants et réveiller la nostalgie de l'ancien
culte. Comparée à la religiosité
juive, à son goût pour le faste et la pompe
des cérémonies, le christianisme donnait
l'impression d'être une foi sans culte, pauvre et
déconcertante,
Jésus, un laïc
Le deuxième problème à
résoudre pour l'auteur de l'épître
aux Hébreux concernait la rumeur qui circulait au
sujet de Jésus: il ne pouvait pas être le
messie, puisqu'il n'était pas prêtre. Les
Juifs contemporains de Jésus attendaient en effet
l'apparition de trois grands personnages promis par Dieu
pour la fin des temps: un prêtre, un
prophète et un roi. L'apparition du futur
prophète était annoncée dans le
livre du Deutéronome, lorsque Dieu dit à
Moïse : " C'est un
prophète comme toi que je leur susciterai du
milieu de leurs frères» (18,18). De
fait, ces paroles étaient la promesse qu'il ne
manquerait jamais de prophètes en Israël.
Mais peu à peu, l'imaginaire populaire les
interpréta comme l'annonce de l'apparition d'un
grand prophète, à l'instar de Moïse,
à la fin des temps.
La promesse d'un futur roi se trouvait dans
le 2" livre de Samuel, où Dieu déclara
à David: " Lorsque tes jours
seront accomplis et que tu seras couché avec tes
pères, j'élèverai ta descendance
après toi, celui qui sera issu de toi-même,
et j'établirai fermement ta royauté"
(7,12). Ce qui faisait espérer aux Juifs
l'apparition d'un roi puissant envoyé par Dieu
à son peuple.
Quant au prêtre des derniers temps,
Dieu l'avait promis à Elie: "
Je me susciterai un prêtre
sûr. Il agira selon mon coeur et mon
désir" (1 S 2,35).
Lorsque Jésus se manifesta, on
chercha en lui les diverses caractéristiques de
l'envoyé de Dieu. On vit en lui un
" prophète " (Mc
9,8), un " grand
prophète" (Lc 7,16), et
même" le
prophète" (Jn 6, 14). On le reconnut
comme" roi" (Mt 21, 9), le "
roi qui vient au nom du
Seigneur" (Lc 19,38), le "
roi d'Israël" (Jn
12,13). Mais, sa vie durant, personne ne le dit jamais
prêtre ni ne mentionna à son propos un lien
quelconque avec les ministres du Temple.
La raison en est simple: un prêtre
devait être membre de la tribu de Lévi, or
Jésus appartenait à la tribu de Judas. Pour
son peuple, Jésus était donc un
laïc. C'est pour cette raison que les
Apôtres n'ont jamais prêché sur le
sacerdoce du Christ Pierre lui-même reconnaît
en Jésus le prophète promis (Ac 3, 22), le
roi attendu (Ac 2,36) mais jamais le prêtre
annoncé.
Les premiers chrétiens,
destinataires de l'épître aux
Hébreux, étaient déconcertés.
Qu'en était-il du sacerdoce, des rites, des
sacrifices, du culte de l'Ancien Testament qui, des
siècles durant, avaient occupé une place
centrale dans la spiritualité d'Israël? Tout
cela pouvait-il être biffé d'un simple coup
de plume? N'avaient-ils plus de place ni de sens dans le
christianisme?
Un étrange prêtre
La réponse à ce
problème théologique, qui
préoccupait les Juifs convertis, exigeait un
esprit fort, bien au fait des anciennes institutions et
ayant une profonde connaissance de la personne du Christ
C'est alors qu'apparut à Rome, aux environs des
années 80, un personnage de vaste culture, bon
connaisseur du grec. Il étudia le problème
et trouva la solution. Cet auteur (un anonyme)
inspiré par l'Esprit saint a composé
l'épître aux Hébreux,
l'écrit le plus finement élaboré et
le plus élégant de tout le Nouveau
Testament.
Le coeur de son enseignement se trouve dans
les chapitres 7 à 10 de l'épître. Son
rédacteur commence par déclarer que
Jésus était prêtre. Mais comment
pouvait-il l'être s'i! n'appartenait pas à
la tribu de Lévi? Voici la solution, L'auteur
affirme que Jésus appartenait à un autre
ordre que celui des lévites, à " l'ordre"
de Melchisédech. Il fonde sa réponse sur un
psaume qui déclame: " Le
Seigneur l'a juré, il ne s'en repentira pas: tu es
prêtre à jamais selon l'ordre de
Melchisédech " (Ps 110,4). Pour notre
auteur, ce psaume annonçait la future apparition
d'un nouvel "ordre " de prêtres qui remplacerait
celui des lévites. Car si Dieu avait voulu que le
sacerdoce lévitique soit définitif, quel
besoin aurait-il eu d'annoncer un nouveau sacerdoce
" selon l'ordre de
Melchisédech " ? Par conséquent, le
sacerdoce lévitique, celui de l'Ancien Testament,
avec ses règlements, ses lois et ses rites,
n'avait plus de raison d'être après le
Christ.
Mais qu'est-ce que le sacerdoce"
selon l'ordre de
Melchisédech" ? L'auteur
l'explique en recourant au livre de la Genèse (Gn
14) où il est dit que Melchisédech
était un prêtre de Jérusalem qui, un
beau jour, a rencontré Abraham dans les environs
de la ville et l'a béni, Ce Melchisédech,
continue l'auteur, est un personnage étrange. On
ne dit rien de son père ou de sa mère, ni
de ses ancêtres, alors que d'ordinaire la Bible
mentionne toujours la généalogie des
ministres pour bien montrer qu'ils font partie de la
lignée de Lévi. Le fait que rien ne soit
dit des origines familiales de Melchisédech montre
bien que son sacerdoce n'était pas
lévitique.
Rien non plus au sujet de sa naissance ou
de sa mort, ce qui, pour le rédacteur, ne peut
signifier qu'une chose :
Melchisédech n'est pas mort, il
demeure pour toujours, il est éternel en tant que
prêtre.
Alors, se demande notre écrivain,
quel est le seul qui puisse être prêtre
à la manière de Melchisédech,
réunissant en lui les deux traits qui le
caractérisent, l'absence d'une
généalogie humaine et de limites
temporelles? La réponse est:
Jésus-Christ ressuscité. Sa
sortie du tombeau équivaut à une nouvelle
naissance, sans intervention de parents humains
(c'est-à-dire sans ancêtres), et
désormais il ne peut plus mourir (en d'autres
termes, il demeure pour toujours). Par conséquent,
Jésus-Christ, qui n'a pas été
prêtre durant sa vie, est devenu, par sa
résurrection, prêtre d'un nouvel " ordre ",
d'un nouveau style, comme l'avait annoncé la
prophétie: " Tu es
prêtre à jamais selon l'ordre de
Melchisédech. "
Rupture avec le passé
L'auteur de l'épître aux
Hébreux continue d'argumenter génialement
en démontrant, à l'aide d'une série
de comparaisons, la supériorité du
sacerdoce du Christ sur le sacerdoce des lévites.
Les prêtres lévites étaient
temporels, parce que mortels. Ils devaient donc
forcément être nombreux. A l'époque
de Jésus, ils étaient plus de 8000 à
officier à tour de rôle dans le Temple. Par
contre, le Christ en tant que prêtre ne meurt plus;
il vit à jamais, il est éternel, c'est
pourquoi son sacerdoce est éternel. Avant d'offrir
des sacrifices pour les péchés du peuple,
les prêtres lévites, qui étaient des
hommes avec leurs défauts et leurs erreurs,
devaient offrir des sacrifices pour leurs propres
péchés. Jésus, par contre, du moment
qu'il est parfaitement pur, saint et sans tache, n'a pas
besoin d'offrir des sacrifices à Dieu pour ses
propres péchés.
Ou encore, les prêtres lévites
offraient chaque jour des animaux à Dieu. Cette
répétition montrait bien que leurs
sacrifices étaient peu efficaces et ne servaient
pas au pardon des péchés. Jésus,
au contraire, par le seul sacrifice de sa personne
livrée par amour, a obtenu le pardon de tous les
péchés, au point qu'il n'y a plus besoin
d'autres sacrifices. Les prêtres lévites
officiaient dans un temple terrestre, construit par la
main des hommes; pour offrir son sacrifice, Jésus
est entré dans le Temple du ciel, dans le
sanctuaire éternel où Dieu habite. Alors
que les lévites entraient souvent dans le Temple,
Jésus n'y est entré qu'une seule fois, pour
toujours. Finalement, les prêtres anciens
utilisaient du sang de taureaux, de brebis et de
chèvres, du sang étranger donc, pour
concrétiser leurs offrandes, alors que
Jésus a offert à Dieu son propre sang, pur
et sans tache, pour purifier toute l'humanité et
lui rendre sa sainteté perdue. Dans un style
brillant, l'auteur de l'épître aux
Hébreux démontre que Jésus non
seulement est devenu prêtre au moment de sa
résurrection, mais qu'il a inauguré un
sacerdoce supérieur, plus ample que celui des
Juifs. Pourquoi? Parce que le sacerdoce des Juifs
provoquait une triple séparation d'avec le reste
du peuple.
Tout d'abord, le prêtre juif
appartenait à une caste sociale
supérieure et exclusive : la tribu de Lévi.
Eux seuls pouvaient devenir prêtres. Ensuite, le
prêtre juif recevait une consécration
spéciale que le peuple ne pouvait recevoir,
une exclusion signifiée par un rituel minutieux,
un habillement spécial et des ornements de pierres
précieuses. Enfin, le prêtre juif
était plus du côté de Dieu que
du peuple; il s'occupait plus du culte et des droits de
Dieu que des droits des personnes.
Jésus-Christ a détruit
cette triple séparation par son sacerdoce
nouveau. En ne naissant pas dans la tribu
de Lévi, il a aboli l'exclusivité et a
ouvert le sacerdoce à tous; tous les
baptisés participent du sacerdoce du Christ. Puis,
en n'ayant pas été " ordonné"
prêtre par un rite spécial mais en le
devenant simplement en accomplissant fidèlement la
volonté de Dieu, il a montré que tous
les chrétiens sont prêtres comme lui
lorsqu'ils pratiquent l'amour du prochain et qu'ils
obéissent au Père du ciel. Finalement, en
se mettant du côté du peuple, en s'asseyant
à la table des larrons et des prostituées,
en fréquentant les pécheurs, en ne
condamnant jamais ceux qui menaient une vie
équivoque, il a montré que ce sacerdoce
n'était pas destiné à " sauver" les
droits de Dieu mais à sauver la vie des
hommes.
Sacerdoce pour tous
Le sacerdoce des lévites consistait
à sacrifier des animaux à Dieu, à
lui offrir du sang, le symbole de la vie, pour signifier
que l'on donnait à Dieu la vie et qu'on le
reconnaissait comme le maître de la vie. Tout cela
n'était qu'une symbolique imparfaite, l'ombre d'un
autre sacerdoce, celui du Christ. Actuellement, tous les
chrétiens exercent ce nouveau sacerdoce. Le"
sacerdoce commun des fidèles" ne consiste plus
à offrir à Dieu la vie des animaux, ni leur
sang, mais sa propre vie. Chacun est prêtre de sa
propre vie, de sa propre existence et il doit l'offrir
librement à Dieu, en vivant en accord avec sa
volonté. Telle est la manière de pratiquer
le sacerdoce nouveau, pour que l'humanité tout
entière se remplisse un jour de Dieu, de sa
justice et de sa paix. Tout chrétien donc est
prêtre de sa propre vie et est l'unique "
victime" qu'il doit sacrifier à Dieu, à
travers le sacrifice de l'amour du prochain et de la
fidélité à Dieu. Telle fut
l'intuition géniale de l'auteur de
l'épître aux Hébreux.
Ainsi, même s'il ne le savent pas,
tous les chrétiens sont prêtres par le seul
fait d'être baptisés. Plus tard, pour mieux
organiser les tâches dans l'Église,
quelques-uns deviendront ministres (les prêtres),
d'autres travailleront plus directement dans le monde
(les laïcs). Mais tous sont prêtres de
Jésus-Christ et participent de son sacerdoce.
La mission de ce nouveau sacerdoce ne
consiste pas à s'enfermer dans un temple, à
jours fixes, à pratiquer des rites, mais à
transformer la terre, la société,
l'histoire de chaque jour, pour lui transmettre une vie
nouvelle faite de fraternité, de solidarité
et d'amour, et l'acheminer vers Dieu. En un mot,
consacrer toute l'humanité à Dieu.
Si tous les chrétiens pratiquaient
ce sacerdoce en vivant dans la foi et en se mettant au
service des autres, comme Jésus a pratiqué
son sacerdoce, ils exerceraient le seul culte
agréable à Dieu, le seul capable de
bâtir un monde meilleur sur terre.
Ariel Alvarez Valdès
(traduction P. Emonet s.j.)
Texte diffusé par la Revue CHOISIR
Choisir fait partie d’un réseau de revues
culturelles publiées par la Compagnie de
Jésus en Europe. Vous pouvez consulter ces revues
à travers nos liens .
REVUE CHOISIR Rue Jacques-Dalphin 18 1227
Carouge (Genève) Suisse http://www.choisir.ch/spip.php?article8
Voir aussi http://civisme.politique.free.fr/12-sesouvenir-avenir/12122-personnes-sacrees.html