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Que dirait et que ferait Jésus ? 02 avril 2009
SIDA :Témoignage de Joseph Bouchaud
En qualité de Supérieur-Général puis de Délégué International de la Congrégation des Fils de la Charité, j'ai visité à plusieurs reprises tous les pays dAmérique Latine et un bon nombre de pays dAfrique. En fidélité à la mission des Fils de la Charité, J'ai été particulièrement attentif à la vie et aux problèmes des zones urbaines les plus pauvres. Puis, pendant huit ans, j'ai partagé la vie des habitants dun bidonville de Mexico ; pendant trois ans, celle du ghetto de Chicago ; pendant un an, celle dun quartier très populaire de Brazzaville, en Afrique, et, pendant treize ans, celle dun bidonville de Manille, en Asie. Dans un continent ou un autre, J'ai animé plus de cent semaines de retraites de prêtres et recueilli beaucoup de confidences...
« Aujourdhui, jai 86 ans. Que ce que je crois devoir dire napparaisse surtout pas comme un ensemble didées ou de théories, mais comme un devoir de conscience : la description de la réalité, telle quelle sest, peu à peu, imposée à moi.
Cette réalité, cest que les directives actuelles de notre Église, sur le terrain de la procréation, chargent les plus pauvres de notre monde de chaînes qui aggravent leur misère et contribuent à augmenter le nombre des humains vivant de manière inhumaine. Nulle part, dans ces immenses zones pauvres que jai dabord visitées et auxquelles ensuite, jai appartenu, je nai vu les méthodes Billing, préconisées par les responsables de notre Église, faire preuve de quelque efficacité. Elles sont trop compliquées. Elles supposent une possibilité dorganiser la vie totalement inaccessible à la culture des pauvres. Elles sont pensées et expérimentées dans un monde qui nest pas celui des pauvres. En imposant, comme seules solutions permises, des solutions qui leur sont inaccessibles et en interdisant les autres, lÉglise contribue à enfermer les pauvres dans le cycle de la surnatalité.
Pendant les douze ans au cours desquels jai vécu dans le bidonville de Laura à Manille , jai vu la population de cette ville passer de 7 millions à plus de 13 millions et le nombre des habitants vivant en bidonville passer de 4 à 7 millions. Jai vu un petit village de quelques centaines dhabitants, Bagong Silang , près de Manille , devenir une zone de 350.000 pauvres. Jai vu plus de 7 millions dhommes, et de femmes partir travailler à létranger et donc abandonner leurs familles pour les sauver de lextrême pauvreté. Jai vu des millions denfants sentasser dans des taudis, assurés, presque tous, dun avenir de misère. Jai vu à Manille , comme à Mexico , comme à Brazzaville et ailleurs, des masses de jeunes, généreux et ouverts dans leur enfance, devenir, peu à peu, des membres de " gangs ", parce quils vivent sans espace, sans travail et sans espérance.
Bien souvent, dans divers pays, jai senti la révolte gronder en moi, quand des parents de 8 ou 10 enfants, vivant dans laffreuse misère de leur taudis, parfois avec un seul repas par jour (et quel repas !), me disaient en parlant du nombre de leurs enfants : " Nous sommes catholiques. Cest lÉglise qui le veut " Quand ces enfants seront adultes, comment nauront-ils pas le désir de rejeter cette Église coupable, à leurs yeux, de la misère de leur enfance ?
Comment peut-on présenter linterdiction du préservatif au nom de la dignité de la vie ?... alors que des millions de ftus sen vont, chaque jour, aux poubelles dans tous les coins du monde ou sont enterrés comme des petits animaux, dans un quelconque recoin de terrain, par des parents qui aiment leurs enfants mais qui sont écrasés par limpossibilité déduquer et même de nourrir leurs trop nombreux autres enfants déjà nés. Les vies de ces enfants, victimes de limpossibilité dans laquelle se trouvent leurs parents de les faire vivre, sont-elles donc moins sacrées que celles des enfants possibles des gens « cultivés", capables de déchiffrer les messages des méthodes Billings, pour choisir, librement, de les faire naître ? Quand on vit au milieu des pauvres, comment leur expliquer ce qui apparaît comme les choix de notre Église à ce sujet ?... Moi, je nai pas pu ... Je ne peux pas ... Jaurais limpression de trahir un message essentiel de Jésus.
Jai découvert aussi une autre réalité dramatique : les malades du sida. Ils sont des millions dans le monde. La plupart dentre eux sont jeunes, mariés, avec des enfants en bas âge. De toute évidence, la grande force pour ne pas être détruit par cette affreuse maladie, cest un redoublement damour et de foi. Mais les risques de contagion leur interdisent les rapports conjugaux normaux. Or certains responsables dans lÉglise affirment quen conséquence ils doivent vivre " comme frère et sur " avec leur conjoint. Pourtant, dans ces moments de grande souffrance morale, le couple a particulièrement besoin de partage sexuel pour fortifier son amour. Le malade a besoin de ne pas se sentir rejeté comme un pestiféré... privé jusquà la mort de cette manifestation primordiale damour par celui ou celle qui laime... et qui aura, de surcroit, à prendre la responsabilité de se refuser à lui ou à elle. Je ne peux pas dire, au nom de Jésus, à ceux qui vivent ce drame, que linterdiction du préservatif doit passer avant un amour à sauver pour un " condamné à mort ". Non ! je ne le peux pas parce que je suis sûr quaujourdhui, Jésus ne dirait pas cela.
Je suis navré de constater que, dans ce domaine de la morale sexuelle, nous navons pas avancé depuis le Concile, et que nous avons même reculé. En effet, quand, jeune prêtre, je continuais mes études en Théologie à lUniversité Catholique de Paris, on ma enseigné que chaque famille devait avoir le nombre denfants quelle estimait, en conscience, pouvoir élever et éduquer dignement. Je retrouvais là une fidélité à lesprit de Jésus, que je ne retrouve plus dans labondance et la surabondance des barrières et des mises en garde actuelles.
Notre Morale, spécialement en ce domaine de la Morale Sexuelle, ne sest-elle pas égarée en se basant sur certaines conceptions philosophiques discutables, beaucoup plus que sur lagir et lenseignement de Jésus ? Je crois, pour ma part, cette question capitale. La préoccupation essentielle de Jésus face aux personnes en situation difficile sur le plan sexuel, nest pas de les obliger à prendre tel ou tel chemin. Non ! cest de les aider à retrouver leur responsabilité personnelle, dans la situation où ils sont. Face à la Samaritaine aux cinq maris successifs, face à la femme adultère, condamnée à mort par les autorités religieuses, face à Marie-Madeleine écrasée par son passé, Jésus ne condamne pas. Il ne brandit aucune obligation. Il leur prouve son amour : il les invite à se relever... Il ne leur donne même pas de conseils ... Il leur donne de chercher et de choisir, par elles-mêmes, les chemins pour changer leurs vies... Il les fait renaître à la liberté... Il leur fait retrouver leur dignité dêtres responsables ...Il les remet dans le face à face avec Dieu, au cur de leur vraie vie.
Ne sommes-nous pas, aujourdhui, en train doublier ou de travestir ce message fondamental de Jésus ? ...et de perdre, en conséquence, la confiance des jeunes ?
Chaque foyer devrait se poser librement des questions de cet ordre :
En conscience, tels que nous sommes tous les deux, avec notre santé, notre situation, notre assurance pour lavenir et pour les croyants, notre foi en laide de Dieu, combien denfants pouvons-nous éduquer dignement ? Comment organiser notre vie affective et sexuelle et comment y limiter les naissances, pour réaliser au mieux cette mission que Dieu confie à notre foyer ? Cette responsabilité vécue apporterait, en elle-même, son cachet divin.
Ce serait, enfin, sur le terrain de la sexualité et de la procréation, une Bonne Nouvelle accessible à tous. Car, si les pauvres sont dans lincapacité de comprendre et dobéir aux méthodes Billings et autres, ils savent aussi bien et souvent mieux que les nantis décider par amour, vivre pour lamour, et partager un magnifique amour.
Et à vous, frères spécialistes de la planification des naissances et de la morale conjugale dans notre Église, jose vous proposer ceci : " Venez partager, pendant quelques mois, la vie des pauvres dans lun des innombrables bidonvilles de notre monde. Oubliez votre passé, votre culture, vos idées. Venez-y seulement avec votre Évangile. Et regardez, écoutez, dialoguez, méditez, priez. Cherchez loyalement et librement à découvrir ce que Jésus dirait et ferait, sil était à notre place...
...en répétant sans cesse.les paroles lumineuses quil continue de nous adresser : ."Tout ce que vous faites aux plus petits des miens, cest à moi que vous le faites". ...et en nous interrogeant tous, le chrétien de base comme le pape, sur cette question fondamentale de notre Foi : "Que dirait et que ferait Jésus sil vivait aujourdhui ? " »
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