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Principes fondamentaux régissant les relations de l'Église orthodoxe

russe avec l'hétérodoxie

Document de l'Assemblée extraordinaire jubilaire de l'Église orthodoxe russe sur le dialogue oecuménique

 

Sur convocation du Patriarche Alexis II, les 148 évêques, avec le responsable de l'Église autonome du Japon, se sont retrouvés à Moscou, du 13 au 16 août 2000, pour un Synode exceptionnel de l'Église orthodoxe russe. Ils représentaient les pasteurs de millions de fidèles, membres des 19 417 paroisses, et les 545 monastères. Constituant l'un des sommets de l'Année jubilaire, cette assemblée épiscopale avait une « signification particulière » pour l'orthodoxie russe qui a « traversé l'une des périodes de persécution les plus dures et les plus terribles de l'histoire du christianisme », reconnaissait le Patriarche.

Le Synode a décidé de la canonisation de 1154 saints dont 1090 martyrs et confesseurs de la foi, morts durant le régime communiste, entre autres le tsar Nicolas II et sa famille, assassinés à Ekaterinbourg, le 17 juillet 1918 (DC 2000, n. 2232, p. 798).

À la suite de cette assemblée, du 16 au 19 août, l'Église orthodoxe russe a célébré solennellement le 2000e anniversaire de la naissance de Jésus-Christ. Le point culminant de ces journées a été la dédicace de la basilique du Christ-Sauveur. L'édifice religieux a été reconstruit à l'identique sur l'emplacement même du bâtiment détruit par les autorités soviétiques en 1931.

Lors du Synode, un très important document a été approuvé et publié pour énoncer « les fondements de la conception sociale de l'Église orthodoxe russe » qui définit ainsi le nouveau statut de l'Église vis-à-vis de l'État (DC 2000, n. 2233, p. 848). La Commission théologique a rédigé un deuxième document sur l'unité des chrétiens et sur les relations que l'Église orthodoxe russe établit et entretient avec les autres Églises et communautés chrétiennes : « Principes fondamentaux régissant les relations de l'Église orthodoxe russe avec l'hétérodoxie »(1). Nous publions ce document

1. L'unité de l'Église et le péché des divisions humaines

1.1. L'Église orthodoxe est la véritable Église du Christ, fondée par notre Seigneur et Sauveur lui-même, l'Église que l'Esprit Saint a établie et qu'il remplit, l'Église dont le Sauveur lui-même a dit : « Je bâtirai mon Église et les portes de l'Enfer ne prévaudront pas contre elle » (Mt 16, 18). Elle est l'Église Une, Sainte, Catholique (2) et Apostolique, gardienne et dispensatrice des Sacrements saints dans le monde entier, « colonne et fondement de la vérité » (1 Tm 3, 15). Elle porte en plénitude la responsabilité de diffuser la Vérité de l'Évangile du Christ, de même que la plénitude du pouvoir de témoigner de la « foi, transmise aux saints une fois pour toutes » (Jd 3).

1.2. L'Église du Christ est une et unique (s. Cyprien de Carthage, De l'unité de l'Église). L'unité de l'Église - corps du Christ - consiste en ceci qu'en elle il y a une seule Tête - le Seigneur Jésus-Christ (Ep 5, 3) et qu'agit un seul Esprit Saint, vivifiant le Corps de l'Église et unissant tous ses membres au Christ comme à sa Tête.

1.3. L'Église est l'unité de « l'homme nouveau dans le Christ ». Par son incarnation, le Fils de Dieu fait homme « a de nouveau ouvert une longue lignée d'êtres humains » (s. Irénée de Lyon), en fondant un peuple nouveau, un peuple comblé de grâce, descendance spirituelle du Second Adam. L'unité de l'Église surpasse toute unité humaine et terrestre, elle est donnée d'en haut, comme un don parfait et divin. Les membres de l'Église sont unis dans le Christ, par Lui-même, unis comme les sarments de la vigne, enracinés en lui et rassemblés dans l'unité de la vie éternelle et spirituelle.

1.4. L'unité de l'Église surmonte les barrières et les frontières, y compris celles que mettent les races, les langues, les classes sociales. La bonne nouvelle du salut doit être annoncée à tous les peuples, afin de les amener en un seul tout, de les unir par la force de la foi, par la grâce du Saint Esprit (Mt 28, 19-20 ; Mc 16, 15 ; Ac 1, 8).

1.5. Dans l'Église l'hostilité et l'ostracisme sont surmontés et l'unité dans l'amour de l'humanité divisée par le péché s'accomplit, à l'image de la Trinité Unisubstantielle.

1.6. L'Église est l'unité de l'Esprit par le lien de la paix (Ep 4, 3), la plénitude et le règne sans fin de la vie de la grâce et de l'expérience spirituelle. « Là où est l'Église, là est l'Esprit de Dieu, et là où est l'Esprit de Dieu, là est l'Église et toute grâce » (s. Irénée de Lyon, Contre les hérésies, L. 3, ch. 24). Dans l'unité de la vie de la grâce réside la base de l'unité et l'invariabilité de la foi ecclésiale. Toujours et invariablement « l'Esprit Saint enseigne l'Église par la médiation des saints Pères et Docteurs. L'Église universelle ne peut pécher, ni errer et confesser le mensonge au lieu de la vérité : car le Saint Esprit, qui agit sans cesse à travers les fidèles Pères et Docteurs de l'Église, la protège de tous errements ( Encyclique des Patriarches Orientaux).

1.7. L'Église a un caractère universel. Elle existe dans le monde sous la forme d'Églises locales distinctes, mais l'unité de l'Église n'en subit aucune diminution ; éclairée par la lumière du Seigneur, elle diffuse ses rayons par le monde entier ; mais la lumière partout répandue est une et l'unité du corps reste indivis. « Par toute la terre elle étend ses branches chargées de fruits, ses eaux abondantes courent vers des espaces lointains, et néanmoins la tête reste unique, unique le principe, unique la mère, riche de la profusion de sa fécondité » (s. Cyprien de Carthage, De l'unité de l'Église).

1.8. L'unité ecclésiale se trouve en lien indissoluble avec le sacrement de l'Eucharistie, dans lequel les fidèles, par la communion à l'unique Corps du Christ, sont rassemblés authentiquement et effectivement en un corps un et universel, dans le sacrement de l'amour du Christ et la force transfigurante de l'Esprit. « Car si "nous avons part à un seul pain", alors tous nous formons un seul corps (1 Co 10, 17), car le Christ ne peut être divisé. C'est pourquoi l'Église est appelée Corps du Christ et nous des membres distincts, selon la conception de l'apôtre Paul (1 Co 12, 27) » (s. Cyrille d'Alexandrie).

1.9. L'Église Une, Sainte et Catholique est l'Église Apostolique. Par le sacerdoce divinement institué les dons du Saint Esprit sont communiqués aux fidèles. La succession Apostolique de la hiérarchie depuis les saints Apôtres est la base de la communion et de l'unité de la vie de grâce. Se séparer de la sainte hiérarchie c'est se séparer du Saint Esprit, du Christ lui-même. « Suivez tous l'évêque comme Jésus-Christ suit son Père et suivez les prêtres comme les Apôtres. Les diacres, honorez-les comme les commandements de Dieu. Sans l'évêque, que personne ne fasse rien touchant l'Église. [...] Où sera l'évêque, là doit être le peuple, de même que là où est le Christ, là aussi est l'Église universelle » (s. Ignace d'Antioche. Smyrn. 8).

1.10. Pour chaque membre de l'Église, la communion avec toute l'Église ne se réalise qu'à travers le lien avec une communauté concrète. S'il détruit les liens canonique avec son Église locale, le chrétien, par le fait même porte atteinte à son unité de grâce avec le corps ecclésial tout entier. Tout péché, à un degré ou un autre éloigne l'homme de l'Église, bien qu'il ne le sépare pas d'elle pleinement. Dans la vision de l'Église Ancienne, l'excommunication était l'exclusion de l'assemblée eucharistique. Mais la réception dans la communion ecclésiale d'un excommunié ne s'effectuait jamais par la réitération du baptême. La foi dans le caractère indélébile du baptême est confessée dans le Symbole de foi de Nicée-Constantinople : « Je confesse un seul baptême pour la r émission des péchés ». La 47e règle des Apôtres déclare : « L'évêque ou le prêtre qui baptise de nouveau quelqu'un qui est vraiment baptisé... qu'il soit destitué ».

1.11. En cela l'Église témoignait que l'excommunié conserve le « sceau » de l'appartenance au peuple de Dieu. Accueillant à nouveau l'excommunié, l'Église rend à la vie celui qui a déjà été baptisé par l'Esprit dans le Corps unique. Excluant de sa communion un de ses membres, marqué par elle du sceau au jour de son baptême, l'Église espère en son retour. Elle considère l'excommunication elle-même comme un moyen de renaissance spirituelle de l'excommunié.

1.12. Dans la suite des temps, le commandement du Christ sur l'Unité a été plus d'une fois enfreint. En dépit du commandement divin d'unité catholique des pensées et des âmes, au sein du christianisme se sont élevées des divergences et des divisions. L'Église a toujours tenu sévèrement aux principes, aussi bien face à ceux qui se prononçaient contre la pureté de la foi salvatrice qu'à l'égard de ceux qui introduisaient dans l'Église les divisions et le trouble. « À quoi servent chez vous les querelles, les indignations, les désaccords, les divisions et les injures ? Est-ce que Dieu chez nous n'est pas un, et un le Christ, et un l'Esprit de grâce, répandu sur nous et une la vocation dans le Christ ? Pourquoi déchirons-nous et écartelons-nous les membres du Christ, nous dressons-nous contre notre propre corps et allons-nous jusqu'à une folie telle que nous oublions que nous sommes membres les uns des autres ? » (s. Clément de Rome, Lettre aux Corinthiens, 1, 46).

1.13. Au long de l'histoire chrétienne se sont séparés de l'Église orthodoxe non seulement des chrétiens individuels, mais des groupes chrétiens entiers. Certains d'entre eux ont disparu au fil de l'histoire, d'autres se sont conservés au long des siècles. Les scissions les plus substantielles du premier millénaire, qui se sont maintenues jusqu'ici, se sont produites par suite du refus d'une partie des communautés chrétiennes de recevoir les décisions des IIIe et IVe Conciles oecuméniques. Il en résulte que se sont trouvées en état de séparations des Églises qui subsistent jusqu'à ce jour : l'Église assyrienne orientale, les Églises préchalcédoniennes copte, arménienne, syro-jacobite, éthiopienne, malabare.

Au second millénaire, à la sécession de l'Église romaine ont fait suite les divisions internes du christianisme occidental liées à la Réforme et aboutissant à un processus incessant de formation d'une multitude de dénominations chrétiennes qui ne sont pas en communion avec le siège de Rome. Sont apparues aussi des ruptures d'unité avec les Églises orthodoxes locales et entre autres avec l'Église orthodoxe russe.

1.14. Les erreurs et les hérésies apparaissent comme la suite d'une auto-affirmation et d'un isolement égoïstes. Toute scission, tout schisme conduisent à un degré ou à un autre à déchoir de la plénitude ecclésiale. La division, même si elle ne provient pas pour des raisons de nature doctrinale, est une atteinte à la doctrine de l'Église et en fin de compte conduit à des altérations dans la foi.

1.15. L'Église orthodoxe affirme par la bouche des saints Pères, que le salut ne peut être atteint que dans l'Église du Christ. Mais en même temps, les communautés déchues de l'unité avec l'Orthodoxie, n'ont jamais été considérées comme totalement privées de la grâce divine. La rupture de la communion ecclésiale conduit inéluctablement à la dégradation de la vie de grâce, mais pas toujours à sa complète disparition dans les communautés séparées. C'est à cela que se rattache la pratique de la réception dans l'Église orthodoxe de personnes venant de communautés hétérodoxes, pas uniquement par le sacrement du baptême. Malgré la rupture de l'unité, il reste une certaine communion incomplète, qui agit comme le gage de la possibilité du retour à l'unité dans l'Église dans la plénitude et l'unité catholique.

1.16. La situation ecclésiale des séparés ne se prête pas à une définition univoque. Dans le monde chrétien divisé, il y a un certain nombre de signes qui l'unissent : ce sont la Parole de Dieu, la foi au Christ comme Dieu et Sauveur venu dans la chair (1 Jn 1, 1-2 ; 4, 2, 9) et une piété sincère.

1.17. L'existence de divers modes de réception (par le Baptême, par la Chrismation, par la Pénitence) montre que l'Église orthodoxe a une approche différenciée des autres confessions. Le critère est la mesure dans laquelle ont été conservées la foi et les institutions ecclésiastiques, ainsi que les normes de la vie spirituelle chrétienne. Mais en établissant divers modes de réception, l'Église orthodoxe ne porte pas de jugement sur le degré de conservation ou d'altération de la vie de grâce dans l'hétérodoxie, estimant que c'est le secret de la Providence et du jugement divin.

1.18. L'Église orthodoxe est la véritable Église, dans laquelle sont conservées inaltérées la Sainte Tradition et la plénitude de la grâce salvatrice de Dieu. Elle a conservé dans leur totalité et dans leur pureté l'héritage des Apôtres et des saints Pères. Elle reconnaît l'identité de sa doctrine, de sa structure liturgique et de sa pratique avec la prédication apostolique et la Tradition de l'Église Ancienne.

1.19. L'Orthodoxie n'est pas un « attribut national et culturel » de l'Église d'Orient. L'Orthodoxie est une qualité interne de l'Église, la conservation de la vérité doctrinale, de la structure liturgique et hiérarchique et des principes de la vie spirituelle demeurant sans interruption ni changement dans l'Église depuis les temps apostoliques. Il ne faut pas céder à la tentation d'idéaliser le passé ou d'ignorer les insuffisances et les échecs tragiques qui ont eu lieu dans l'histoire de l'Église. Le modèle de l'autocritique est donné au premier chef par les plus grands des Pères de l'Église.

L'histoire de l'Église connaît pas mal de cas où est tombé dans l'hérésie une part importante du peuple ecclésial. Mais elle sait également que l'Église a combattu systématiquement l'hérésie, elle connaît aussi l'expérience de la guérison d'hommes un temps égarés dans l'hérésie, l'expérience de la pénitence et du retour dans le sein de l'Église. C'est précisément l'expérience de l'apparition d'aberrations dans le sein même de l'Église et de la lutte menée contre elles qui a initié les enfants de l'Église orthodoxe à la vigilance. L'Église orthodoxe, témoignant humblement qu'elle garde la vérité, se souvient en même temps de toutes les tentations apparues au cours de l'histoire.

1.20. En conséquence de la transgression du commandement de l'unité, source de la tragédie historique du schisme, les chrétiens divisés, au lieu d'être un exemple d'unité dans l'amour à l'image de la Très Sainte Trinité, sont devenus source de scandale. La division des chrétiens est une blessure ouverte et sanglante sur le Corps du Christ. La tragédie des divisions est devenue une altération sérieuse et patente de l'universalisme chrétien, un obstacle dans le témoignage rendu au Christ face au monde. Car l'efficacité de ce témoignage de l'Église du Christ dépend dans une mesure non négligeable de l'incarnation dans la vie et la pratique des communautés chrétiennes des vérités qu'elles confessent.

2. Efforts pour rétablir l'unité

2.1. Le but le plus important des relations que l'Église orthodoxe entretient avec l'hétérodoxie est le rétablissement de l'unité des chrétiens (Jn 17, 21), qui entre dans le dessein divin et appartient à l'essence même du christianisme. C'est une tâche d'importance primordiale pour l'Église orthodoxe à tous les niveaux de son existence.

2.2. L'indifférence face à cette tâche ou son rejet constitue un péché contre le commandement divin de l'unité. Selon les paroles de saint Basile le Grand « ceux qui travaillent en sincérité et vérité pour le Seigneur doivent uniquement appliquer leurs efforts à ramener à l'unité de l'Église ceux qui sont divisés entre eux en tant de fractions ».

2.3. Néanmoins, tout en reconnaissant la nécessité de rétablir l'unité chrétienne détruite, l'Église orthodoxe affirme que l'unité authentique n'est possible que dans le sein de l'Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique. Tous les autres « modèles » de l'unité sont irrecevables.

2.4. L'Église orthodoxe ne peut admettre la thèse selon laquelle, en dépit des divisions historiques, l'unité de principe, l'unité de fond des chrétiens n'aurait soi disant pas été détruite et que l'Église doit être comprise comme coïncidant avec l'ensemble du « monde chrétien », que l'unité chrétienne existerait par dessus les barrières dénominationnelles et que la division des Églises n'affecte que le niveau imparfait des relations humaines. Selon cette conception, l'Église demeure une, mais cette unité se manifeste insuffisamment dans des formes visibles. Dans ce modèle d'unité la tâche des chrétiens est comprise non comme le rétablissement d'une unité perdue, mais comme la manifestation d'une unité subsistant d'une manière inamissible. Dans ce modèle se répète la doctrine apparue dans la Réforme de « l'Église invisible ».

2.5. Absolument inacceptable et liée avec celle qui vient d'être exposée est la théorie dite « des branches », qui affirme comme normale et providentielle l'existence d'un christianisme en forme de « branches » distinctes.

2.6. Pour l'Orthodoxie est inacceptable l'affirmation selon laquelle les divisions des chrétiens sont une imperfection inévitable de l'histoire chrétienne, qu'elles n'existent qu'à la surface de l'histoire et qu'elles peuvent être guéries ou maîtrisées moyennant des accords de compromis entre dénominations.

2.7. L'Église orthodoxe ne peut reconnaître l'« égalité des dénominations ». Ceux qui ont déchu de l'Église ne peuvent lui être à nouveau unis dans l'état où ils se trouvent actuellement ; les divergences dogmatiques existantes doivent être surmontées et pas seulement contournées. Cela signifie que le chemin de l'unité est un chemin de repentance, de conversion et de renouveau.

2.8. Elle est inacceptable, la pensée que toutes les divisions sont des malentendus tragiques, que les désaccords ne paraissent inconciliables que par manque d'amour mutuel, par refus de comprendre, qu'en dépit de toute la différence et de toute la dissemblance il y a une unité et un accord suffisants « dans l'essentiel ». Les séparations ne peuvent pas être ramenées à des passions humaines, à l'égoïsme, ni à plus forte raison aux circonstances culturelles, sociales ou politiques. Est également inacceptable l'affirmation selon laquelle ce qui distingue l'Église orthodoxe des communautés chrétiennes avec lesquelles elle n'est pas en communion sont des questions d'un caractère secondaire. On n'a pas le droit de réduire toutes les divisions et les désaccords à divers facteurs non théologiques.

2.9. L'Église orthodoxe rejette également la thèse selon laquelle l'on ne peut restaurer l'unité du monde chrétien que par la voie d'un service du monde accompli en commun par les chrétiens. L'unité chrétienne ne peut pas être rétablie par une entente sur des questions séculières, grâce à laquelle les chrétiens apparaîtront unis sur le secondaire et continueront comme devant à diverger sur l'essentiel.

2.10. Il est inadmissible de limiter l'accord dans la foi à un cercle étroit de vérités nécessaires, pour concéder au delà la « liberté dans les choses douteuses ». L'attitude de tolérance à l'égard des divergences en matière de foi est de soi inacceptable. Ceci dit, il ne faut pas confondre l'unité de la foi et les modes de l'exprimer.

2.11. La division du monde chrétien est une division dans l'expérience de la foi et pas seulement dans les formules doctrinales. Il faut atteindre l'accord plein et sincère dans l'expérience même de la foi et non seulement dans son expression formelle. L'unité formellement confessée dans le credo n'épuise pas l'unité de l'Église, encore qu'elle en constitue l'une des conditions nécessaires.

2.12. L'unité de l'Église est avant tout unité et communion dans les sacrements. Mais l'authentique communion dans les sacrements n'a rien de commun avec la pratique appelée « intercommunion ». L'unité ne peut se réaliser que dans l'identité de l'expérience et de la vie dans la grâce, dans la foi de l'Église, dans la plénitude de la vie sacramentelle dans l'Esprit Saint.

2.13. La restauration de l'unité chrétienne dans la foi et l'amour ne peut venir que d'en haut, comme un don du Dieu Tout-Puissant. La source de l'unité est en Dieu et pour cette raison les seuls efforts humains en vue de son rétablissement seront vains, car « si le Seigneur ne bâtit la maison, en vain peinent ceux qui la bâtissent » (Ps 126, 1). Seul notre Seigneur Jésus-Christ qui nous a donné le commandement de l'unité est celui qui peut donner la force de l'accomplir, car il est « le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14, 6). Et la tâche des chrétiens orthodoxes est de collaborer avec Dieu dans l'oeuvre du salut dans le Christ.

3. Le témoignage orthodoxe face au monde hétérodoxe

3.1. L'Église orthodoxe est la gardienne de la Tradition et des dons de grâce de l'Église ancienne ; aussi considère-t-elle comme sa tâche principale dans ses relations avec l'hétérodoxie de porter un témoignage permanent et insistant qui amène à découvrir et à accueillir la vérité exprimée dans cette Tradition. Comme il est dit dans la décision de la Troisième Conférence préconciliaire panorthodoxe (1986) : « L'Église orthodoxe dans sa conviction profonde et sa conscience ecclésiale d'être la porteuse et le témoin de la foi et de la Tradition de l'Église une, sainte, catholique et apostolique, croit fermement qu'elle occupe la place centrale dans l'oeuvre de promotion des chrétiens vers l'unité dans le monde contemporain... La mission et le devoir de l'Église orthodoxe est d'enseigner dans toute sa plénitude la vérité contenue dans la Sainte Écriture et la Sainte Tradition, et qui confère à l'Église son caractère universel... Cette responsabilité de l'Église orthodoxe, de même que sa mission oecuménique touchant l'unité de l'Église, ont été exprimées par les Conciles oecuméniques. Ils ont particulièrement souligné le lien entre la droiture de la foi et la communion dans les sacrements. L'Église orthodoxe s'est toujours efforcée d'attirer les diverses Églises et confessions chrétiennes à la recherche en commun de l'unité perdue des chrétiens, afin que tous parviennent à l'union dans la foi... ».

3.2. La charge du témoignage orthodoxe repose sur chaque membre de l'Église. Les chrétiens orthodoxes doivent prendre conscience de ce que la foi conservée et professée par eux a un caractère mondial, universel. L'Église n'est pas appelée seulement à enseigner à ses enfants, mais aussi, devant ceux qui l'ont quittée, à rendre témoignage à la vérité. « Mais comment invoquer Celui en qui on n'a pas cru ? Comment croire à celui dont on n'a pas entendu parler ? Comment entendre sans quelqu'un qui annonce ? » (Rm 10, 14). Le devoir des chrétiens orthodoxes est de témoigner de la vérité qui a été confiée pour toujours à l'Église, car, selon l'expression de l'apôtre Paul « nous sommes les collaborateurs de Dieu » (1 Co 3, 9).

4. Dialogue avec l'hétérodoxie

4.1. L'Église orthodoxe russe mène un dialogue théologique avec l'hétérodoxie depuis plus de deux siècles déjà. Ce qui est caractéristique dans ce dialogue, c'est l'alliance de la fermeté sur les principes dogmatiques avec l'amour fraternel. Le principe ainsi indiqué a été formulé dans la « Lettre de réponse du Saint Synode au patriarcat oecuménique » (1903) visant la méthode de dialogue théologique avec les anglicans et les vieux-catholiques : dans les rapports avec les hétérodoxes « il doit y avoir une disposition fraternelle à les aider par des explications, une attention habituelles à leurs meilleurs désirs, une certaine condescendance vis-à-vis des incompréhensions, bien naturelles quand la division dure depuis des siècles, mais en même temps une ferme confession de la vérité de notre Église OEcuménique en tant que seule gardienne de l'Héritage du Christ et unique arche de salut de la grâce divine... Notre tâche à leur égard doit consister en ceci... : sans placer devant eux d'inutiles obstacles à l'unité par une intolérance et une suspicion déplacées... leur dévoiler notre foi et notre conviction immuable que seule notre Église orthodoxe d'Orient qui a conservé inaltérée la totalité du dépôt chrétien, est aujourd'hui l'Église universelle, et ainsi leur montrer en réalité ce qu'ils doivent avoir en vue et à quoi se décider, s'ils croient véritablement au caractère salvifique de l'appartenance à l'Église et aspirent sincèrement à l'union avec elle... ».

4.2. La particularité caractéristique des dialogues que l'Église orthodoxe russe mène avec l'hétérodoxie est leur caractère théologique. La tâche du dialogue théologique est d'expliquer aux partenaires hétérodoxes la conscience ecclésiologique que l'Église orthodoxe a d'elle-même, les bases de sa doctrine, de sa structure canonique et de sa tradition spirituelle, de dissiper les malentendus et les stéréotypes qui ont cours.

4.3. Les représentants de l'Église orthodoxe russe mènent le dialogue avec les hétérodoxes en s'appuyant sur la fidélité à la tradition apostolique et patristique de l'Église orthodoxe, de l'enseignement des Conciles oecuméniques et locaux. Ce faisant, ils excluent toutes concessions dogmatiques et tout compromis dans le domaine de la foi. Aucun des documents et matériaux des dialogues et conversations n'a de caractère contraignant pour l'Église orthodoxe jusqu'à sa définitive confirmation par tout le Plérôme orthodoxe.

4.4. Du point de vue des orthodoxes, pour l'hétérodoxie le chemin du retour à l'unité est un chemin de guérison et de transfiguration de la conscience dogmatique. Sur ce chemin doivent être de nouveau pris en compte les thèmes qui ont été examinés à l'époque des Conciles oecuméniques. Dans le dialogue avec l'hétérodoxie apparaît comme importante l'étude de l'héritage spirituel et théologique des saints Pères, interprètes de la foi de l'Église.

4.5. Le témoignage ne peut être un monologue, il suppose qu'on écoute, il suppose qu'il y ait échange. Le dialogue sous-entend deux parties, ouvertes à l'échange mutuel, disposées à se comprendre, pas seulement des « oreilles ouvertes », mais aussi « un coeur dilaté » (2 Co 6, 11). C'est précisément la raison pour laquelle l'un des problèmes les plus importants dans le dialogue de la théologie orthodoxe avec l'hétérodoxie doit être celui de la langue théologique, de la compréhension et de l'interprétation.

4.6. Il est très réjouissant et réconfortant le fait que la pensée théologique hétérodoxe dans la personne de ses meilleurs représentants manifeste un intérêt sincère et profond pour l'étude de l'héritage patristique, la doctrine et les institutions de l'Église ancienne. On doit en même temps reconnaître que dans les relations mutuelles entre théologie orthodoxe et théologie hétérodoxe demeurent beaucoup de problèmes et de divergences d'opinions non résolus. En outre même la coïncidence formelle dans de nombreux aspects de la foi ne signifie pas l'unité authentique, dans la mesure où des éléments de doctrine sont interprétés différemment dans la tradition orthodoxe et dans la théologie hétérodoxe.

4.7. Le dialogue avec l'hétérodoxie a fait renaître la perception du fait qu'une vérité et une norme catholique unique pouvait, dans des contextes linguistiques et culturels différents, être exprimée et incarnée dans des formes différentes. Au cours du dialogue il est indispensable de savoir distinguer la particularité du contexte d'avec une déviation effective du Plérôme catholique. Il faudra étudier le thème des limites de la multiformité dans une seule tradition catholique.

4.8. Dans le cadre des dialogues théologiques, il faut recommander la création de centres, de groupes et de programmes de recherches communs. Il faut considérer comme importants la tenue régulière de conférences théologiques mixtes, de séminaires et de rencontres scientifiques, l'échange des publications et l'information mutuelle, le développement de programme éditoriaux communs. L'échange de spécialistes, de professeurs et de théologiens revêt également une grande importance.

4.9. Il est important d'envoyer des théologiens de l'Église orthodoxe russe dans les grands centres de la science théologique hétérodoxe. Il est également indispensable d'inviter des théologiens hétérodoxes dans les séminaires et les établissements d'enseignement de l'Église orthodoxe russe pour y étudier la théologie orthodoxe. Dans les Séminaires de l'Église orthodoxe russe, il convient d'accorder une plus grande attention à l'avancée et aux résultats des dialogues théologiques ainsi qu'à l'étude de l'hétérodoxie.

4.10. Outre les thèmes proprement théologiques, le dialogue doit également être mené sur le large éventail des problèmes d'interaction de l'Église et du monde. Une importante ligne de développement des relations avec l'hétérodoxie est la collaboration dans la sphère du service de la société. Là où cela ne vient pas contredire la doctrine et la pratique spirituelle, il convient de développer des programmes communs de formation religieuse et de catéchèse.

4.11. La particularité des dialogues théologiques bipartites, à la différence des liens multilatéraux et de la participation aux organisations inter-chrétiennes, est que ces dialogues sont mis sur pied par l'Église orthodoxe russe à l'échelle et dans les formes que l'Église considère, à un moment donné, comme les plus adéquates. L'étalon et les critères sont ici les succès du dialogue lui-même, la propension des partenaires du dialogue à considérer la position de l'Église orthodoxe russe dans un large éventail de problèmes de l'Église et de la société (et non seulement sous l'angle théologique).

5. Dialogues multilatéraux et participation au travail des organisations

inter-chrétiennes

5.1. L'Église orthodoxe russe mène des dialogues avec l'hétérodoxie non seulement sur une base bilatérale, mais aussi sur une base multilatérale, notamment dans des participations panorthodoxes, mais participe aussi au travail d'organisation inter-chrétiennes.

5.2. Sur la question d'appartenance aux diverses organisations chrétiennes en qualité de membre, il convient de se tenir aux critères suivants : l'Église orthodoxe russe ne peut prendre part à des organisations chrétiennes internationales (régionales ou nationales) dans lesquelles

a) la charte, les règles ou la procédure exigent que l'on s'écarte de la doctrine ou des traditions de l'Église orthodoxe,

b) l'Église orthodoxe n'a pas la possibilité de témoigner d'elle-même comme de l'Église Une Sainte Catholique et Apostolique,

c) le mode de prise de décision ne prend pas en compte la conscience ecclésiologique que l'Église orthodoxe a d'elle-même,

d) les règles et la procédure présupposent le caractère obligatoire de l'« opinion de la majorité ».

5.3. Le niveau et les formes de participation de l'Église orthodoxe russe aux organisations chrétiennes internationales doivent tenir compte de leur dynamique interne, de l'ordre du jour, des priorités et du caractère de ces organisations dans leur ensemble.

5.4. L'ampleur et la mesure de la participation de l'Église orthodoxe russe aux organisations chrétiennes internationales est déterminée par la Hiérarchie en se basant sur le profit escompté pour l'Église.

5.5. Tout en soulignant la priorité du dialogue théologique, l'étude des normes de la foi, de l'institution ecclésiale et des principes de la vie spirituelle, l'Église orthodoxe russe, de même que d'autres Églises locales orthodoxes, estime possible et utile de prendre part au travail de diverses organisations internationales dans le domaine du service du monde - la diaconie, l'action sociale, l'action en faveur de la paix. L'Église orthodoxe russe collabore avec diverses dénominations chrétiennes et diverses organisations chrétiennes internationales pour la cause d'un témoignage commun face à une société sécularisée.

5.6. L'Église orthodoxe russe maintient des relations de travail comme membre ou en coopération avec les organisations chrétiennes internationales les plus diverses, ainsi qu'avec des conseils d'Églises au plan régional et national et avec des organisations chrétiennes spécialisées dans le domaine de la diaconie, du travail auprès de la jeunesse ou en faveur de la paix.

6. Relations de l'Église orthodoxe russe avec l'hétérodoxie sur son

propre territoire canonique

6.1. Les liens de l'Église orthodoxe russe avec les communautés chrétiennes dans les pays de la Communauté d'États Indépendants (C.E.I.) et des Pays Baltes doivent se concrétiser dans un esprit de collaboration fraternelle de l'Église orthodoxe avec les autres confessions traditionnelles en vue de coordonner l'activité dans la vie sociale, de défendre au plan local les valeurs morales chrétiennes, de contribuer à la concorde sociale, à la cessation du prosélytisme sur le territoire canonique de l'Église orthodoxe russe.

6.2. L'Église orthodoxe russe affirme que la mission des confessions traditionnelles n'est possible que si elle s'exerce sans prosélytisme ni en « alléchant » les fidèles, surtout par le recours aux biens matériels. Les communautés chrétiennes de la C.E.I. et des Pays Baltes ont vocation d'unir leurs efforts dans le domaine de la réconciliation et de la renaissance spirituelle de la société, d'élever leur voix pour défendre la vie humaine et la dignité de l'homme.

6.3. L'Église orthodoxe fait une nette différence entre les confessions hétérodoxes qui reconnaissent la foi en la Sainte Trinité et en la divino-humanité de Jésus-Christ et les sectes qui rejettent les dogmes chrétiens fondamentaux. Reconnaissant aux chrétiens hétérodoxes le droit au témoignage et à la formation religieuse dans les groupes de population qui leur appartiennent traditionnellement, l'Église orthodoxe s'élève contre toute action missionnaire destructive des sectes.

7. Tâches internes liées aux dialogues avec l'hétérodoxie

7.1. Tout en rejetant les conceptions que la doctrine orthodoxe tient pour erronées, les orthodoxes sont appelés à se conduire avec charité chrétienne à l'égard des personnes qui les professent. Dans leurs échanges avec les hétérodoxes, les orthodoxes témoignent de la sainteté de l'Orthodoxie, de l'unité de l'Église. Témoignant de la Vérité, les orthodoxes doivent être dignes de ce dont ils témoignent. Les offenses à l'égard des hétérodoxes ne doivent pas être tolérées.

7.2. Le monde religieux doit disposer d'une information fiable et qualifiée sur le déroulement, les objectifs et les perspectives des contacts et du dialogue de l'Église orthodoxe russe avec l'hétérodoxie.

7.3. L'Église condamne ceux qui, utilisant des informations non fiables, défigurent de parti pris la tâche qu'assume l'Église orthodoxe de porter témoignage face au monde hétérodoxe et calomnient sciemment la Hiérarchie de l'Église, l'accusant de « trahison de l'Orthodoxie ». Envers de telles personnes qui sèment les graines du scandale parmi les simples fidèles, il convient de prendre des sanctions canoniques. Il faut à cet égard se laisser guider par les décisions de la Rencontre panorthodoxe de Salonique (1998) : « Les délégués ont condamné unanimement les groupes de schismatiques et également certains groupes d'extrémistes à l'intérieur des Églises locales orthodoxes, qui exploitent le thème de l'oecuménisme pour critiquer la direction ecclésiastique et saper son autorité, cherchant par là à soulever des dissensions et des schismes dans l'Église. À l'appui de leur critique injuste ils recourent aux matériaux mensongers et à la désinformation.

Les délégués ont également souligné que la participation orthodoxe au m ouvement oecuménique s'est toujours fondée et se fonde toujours sur la Tradition Orthodoxe, sur les décrets des Saints Synodes des Églises Orthodoxes locales et des rencontres panorthodoxes... Les participants sont unanimes dans leur manière de concevoir la nécessité de continuer à participer aux différentes formes d'activités inter-chrétiennes. Nous n'avons pas le droit de nous dérober à la mission qui nous a été conférée par notre Seigneur Jésus-Christ, la mission de témoigner de la vérité devant le monde non orthodoxe. Nous ne devons pas rompre les relations avec les chrétiens des autres confessions qui sont prêts à collaborer avec nous... Au long des nombreuses décennies de participation orthodoxe au mouvement oecuménique, pas un des représentants (officiels) de telle ou telle Église locale orthodoxe n'a trahi l'Orthodoxie. Au contraire, ces représentants se sont toujours gardés fidèles et obéissants envers leurs autorités ecclésiastiques, ont agi en plein accord avec les règles canoniques, avec l'enseignement des Conciles oecuméniques et des Pères de l'Église et avec la Sainte Tradition de l'Église orthodoxe ». Ils représentent aussi un danger pour l'Église ceux qui prennent part à des contacts inter-chrétiens sans la bénédiction de l'autorité ecclésiastique, ainsi que ceux qui causent le scandale dans le milieu orthodoxe en entrant en communion sacramentelle inadmissible avec l'hétérodoxie.

Conclusion

Le millénaire qui s'éloigne a été marqué par la tragédie de la division, de l'hostilité et de l'aliénation mutuelle. Au XXe siècle les chrétiens divisés ont manifesté l'aspiration à retrouver l'unité dans l'Église du Christ. L'Église orthodoxe russe a répondu par son empressement à mener un dialogue de vérité et d'amour avec les chrétiens hétérodoxes, un dialogue inspiré par l'appel du Christ et par le terme voulu par Dieu de l'unité chrétienne. Et aujourd'hui, au seuil du troisième millénaire depuis la Nativité selon la chair de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, l'Église orthodoxe appelle de nouveau avec amour et avec instance tous ceux pour qui le nom de Jésus-Christ est béni au dessus de tout autre nom sous le ciel (Ac 4, 12), à la bienheureuse unité dans l'Église : « Notre bouche s'est ouverte vers vous... notre coeur est grand ouvert » (2 Co 6, 11).

Annexe

Histoire et spécificité des dialogues théologiques avec l'hétérodoxie La première expérience de l'entrée en dialogue de l'Église orthodoxe russe avec le christianisme hétérodoxe remonte au début du XVIIIe siècle. Dans la seconde moitié du XIXe siècle commence le dialogue théologique entre l'Église orthodoxe russe et les chrétiens hétérodoxes, anglicans, vieux-catholiques et préchalcédoniens. Les contacts avec l'Église anglicane se sont intensifiés dans les années 60 du XIXe siècle en Amérique du Nord, quand les paroisses orthodoxes se sont trouvées en relations étroites avec l'Église épiscopalienne des U.S.A.

La question du rapprochement entre anglicans et orthodoxes s'est une nouvelle fois posée au cours des conversations qui se sont tenues en 1895-1897, puis plus tard, au début du XXe siècle, avec la participation de saint Tikh on, futur patriarche de Moscou et de toute la Russie. Dans l'élaboration des bases théologiques pour le dialogue avec les hétérodoxes, les conversations qui se déroulèrent entre l'Église orthodoxe russe et l'Église vieille-catholique, dans le cadre de la Commission St-Petersbourg-Rotterdam, furent importantes (1892-1914). La Première Guerre mondiale qui éclatait alors et la révolution de 1917 qui la suivit rompirent le dialogue officiel de l'Église orthodoxe russe avec les anglicans et les vieux-catholiques. Cependant le dialogue avec l'hétérodoxie se poursuivait par les efforts de la diaspora orthodoxe.

Ainsi l'Église orthodoxe russe entama le dialogue bilatéral avec l'Église d'Angleterre (1956), avec l'Église évangélique d'Allemagne (1959), avec l'Église catholique romaine (1967), avec l'Église luthéro-évangélique de Finlande (1970). L'Église orthodoxe russe participe également au dialogue théologique avec l'hétérodoxie au niveau panorthodoxe : avec l'Église anglicane (1976), l'Église vieille-catholique (1975), l'Église catholique romaine (1979), les Églises orientales orthodoxes (préchalcédoniennes) (1985), la Fédération luthérienne mondiale (1981), l'Alliance mondiale des Églises réformées (1986).

Relations avec les Églises orientales anciennes (préchalcédoniennes) L'Église orthodoxe russe prend part au dialogue avec les églises orientales préchalcédoniennes au niveau panorthodoxe depuis 1961, au début lors de rencontres non officielles et depuis 1985 au dialogue théologique officiel, en la personne de ses représentants qui font partie de la Commission théologique mixte. Les travaux consacrés durant de nombreuses années à l'étude des causes et du caractère de la division existant entre l'Église orthodoxe et les églises qui n'ont pas reçu les définitions du IVe Concile oecuménique (de Chalcédoine) ont abouti à la « Seconde Déclaration et proposition aux Églises » (Chambésy, Suisse, 1990).

Concernant le bilan provisoire du dialogue panorthodoxe avec les églises préchalcédoniennes et le document élaboré au cours de ce dialog ue, c'est la décision de l'Assemblée des évêques de l'Église orthodoxe russe de 1997 qui fait autorité : « Après étude de l'information relative au développement du dialogue entre l'Église orthodoxe et les Églises orientales orthodoxes (préchalcédoniennes), rendre hommage à l'esprit de fraternité, de compréhension mutuelle et d'effort commun pour être fidèles à la Tradition apostolique et patristique qui est exprimée par la Commission théologique mixte pour le dialogue entre l'Église orthodoxe et les Églises orientales orthodoxes dans la "Seconde déclaration commune et propositions aux Églises" (Chambésy, Suisse, 1990).

La "Déclaration" ne doit pas être considérée comme un document définitif, suffisant pour le rétablissement de la pleine communion entre l'Église orthodoxe et les Églises orientales orthodoxes, du fait qu'elle contient des imprécisions dans diverses formulations christologiques. En conséquence, il faut exprimer l'espoir que les formulations christologiques continueront à être précisées au cours de l'étude des questions de caractère liturgique, pastoral et canonique, de même que les questions concernant le rétablissement de la communion ecclésiale entre les deux familles d'Églises de tradition orthodoxe et orientale ». Se basant sur la décision de l'Assemblée des évêques que nous venons de citer, le Saint Synode, dans sa session du 30 mars 1999, a pris la décision de prolonger le dialogue théologique bilatéral de l'Église orthodoxe russe avec les Églises préchalcédoniennes.

Relations avec l'Église catholique romaine

Le dialogue avec l'Église catholique romaine s'est fondé et doit rester fondé à l'avenir en tenant compte du fait qu'elle est une Église dans laquelle s'est maintenue la succession apostolique des ordinations. En même temps il apparaît indispensable de prendre en considération le caractère du développement des bases doctrinales et de l'ethos de l'Église catholique romaine qui va assez souvent à l'encontre de la Tradition et de l'expérience spirituelle de l'Église Ancienne.

La dialogue théologique avec l'Église catholique romaine doit se poursuivre parallèlement avec l'examen des problèmes les plus considérables affectant les relations bilatérales. Le sujet le plus important aujourd'hui demeure celui des Uniates et du prosélytisme. À l'heure actuelle et dans le futur proche, une des formes de collaboration les plus prometteuses avec l'Église catholique romaine est l'affermissement des liens régionaux existants avec les diocèses et les paroisses catholiques. Une autre forme de collaboration pourrait être de créer ou de développer les liens existant déjà avec les Conférences épiscopales catholiques.

Les relations de l'Église orthodoxe russe avec les anglicans revêtent un caractère particulier, conditionné par leur ancienneté et par l'esprit particulier, fait d'intérêt et d'estime réciproques dans lequel elles se sont toujours déroulées. Le dialogue avec les anglicans, interrompu par le changement de régime révolutionnaire en Russie, fut rétabli en 1956 à la conférence théologique de Moscou, lorsque furent étudiés les thèmes « Relations de l'Église orthodoxe russe avec l'Église anglicane », « De l'Écriture Sainte et de la Sainte Tradition », « La doctrine et sa fo rmulation », « Symboles de foi et Conciles », « Les sacrements, leur nature et leur nombre », « Coutumes orthodoxes ». Depuis 1976, l'Église orthodoxe russe participe au dialogue interorthodoxe avec les anglicans.

En 1976 fut adoptée une déclaration négociée en sept sections 1) Connaissance de Dieu, 2) Inspiration et autorité de l'Écriture, 3) Écriture Sainte et Sainte Tradition, 4) Autorité des Conciles oecuméniques, 5) Le Filioque, 6) L'Église comme communauté eucharistique, 7) l'épiclèse du Saint-Esprit dans l'eucharistie. À la suite du dialogue les anglicans ont pris la décision d'utiliser le Symbole de la foi sans le « Filioque ». Dans le dialogue qui s'est poursuivi depuis ont été étudiés des thèmes comme l'Église-sacrement, les notes de l'Église, communion et intercommunion, élargissement du gouvernement de l'Église, témoignage, évangélisation, diaconie,

Triadologie, prière et sainteté, participation à la grâce de la Très Sainte Trinité, prière, prière et Tradition, culte et transmission de la foi, communion des saints, vénération des icônes. Un coup sensible a été porté au développement heureux et croissant du dialogue avec l'apparition, du côté anglican, de la pratique de l'ordination de femmes à la dignité sacerdotale et épiscopale, pratique étrangère à la tradition de l'Église. Mais, en dépit des difficultés survenues, de la baisse de niveau du dialogue et de sa signification ecclésiale, il doit être poursuivi avec une attention plus scrupuleuse à dévoiler les bases spirituelles de la Tradition orthodoxe.

La Troisième Conférence panorthodoxe préconciliaire, dans son Décret, a considéré comme « satisfaisant le travail accompli par la Commission théologique mixte pour le dialogue entre l'Église orthodoxe et l'Église d'Angleterre, malgré les tendances manifestées par les anglicans à diminuer l'importance de ce dialogue. La Commission a élaboré des textes communs sur les sujets de la triadologie et de l'ecclésiologie ainsi que de la vie, du culte et de la Tradition de l'Église.

En outre la Conférence fait remarquer que l'accord signé à Moscou (1976) touchant la suppression du Filioque du Symbole de Foi n'a pas encore rencontré un large écho. Exactement de la même manière que, malgré les études et déclarations qui ont été faites à Athènes en 1978 et en d'autres lieux par des orthodoxes s'élevant contre l'ordination des femmes, quelques Églises de la Communion anglicane ont continué à pratiquer de telles ordinations. Ces tendances peuvent avoir un retentissement négatif sur le cours ultérieur du dialogue. Pour la conduite normale du dialogue, une sérieuse difficulté vient aussi des présupposés ecclésiologiques, vagues et "élastiques", des anglicans, qui enlèvent son caractère concret au contenu des textes théologiques communs, signés conjointement.

C'est une difficulté du même genre qui survient lorsque des personnalités anglicanes marquantes émettent en leur propre nom diverses opinions extrémistes en matière de foi. Touchant la thématique du dialogue, la Conférence recommande en particulier de souligner l'accord qui pourrait se faire sur des questions dogmatiques qui divisent les deux Églises. On pourrait également introduire dans la thématique les questions de spiritualité, de souci pastoral et de prise en charge des besoins du monde actuel ».

« Le dialogue de l'Église orthodoxe russe avec les vieux-catholiques » se signale aussi par sa riche histoire et son importance théologique, de même que par les résultats très sérieux relevés par le Concile Local de l'Église orthodoxe russe de 1917-1918. La Troisième Conférence panorthodoxe préconciliaire (28 novembre - 6 décembre 1986) a pris la résolution suivante sur le résultat du dialogue avec les vieux-catholiques : « Vingt textes ont déjà été rédigés et adoptés conjointement ; autant de thèmes théologiques, ecclésiologiques, sotériologiques, y compris les thèmes de la Mère de Dieu et de certains sacrements. La Commission théologique mixte a maintenant à examiner dans la prochaine session les questions qui touchent à la doctrine des sacrements, de l'eschatologie ainsi que les conditions et les conséquences de la communion ecclésiale.

La Conférence estime que pour évaluer plus pleinement les résultats de ce dialogue il faudrait tenir compte de ce qui suit : a) le maintien par l'Église vieille-catholique de l'antique pratique de la communicatio in sacris avec l'Église d'Angleterre, ainsi que les tendances apparues plus tardivement en Allemagne de communicatio in sacris avec l'Église évangélique, dans la mesure où tout cela réduit l'importance des textes ecclésiologiques communs co-signés dans le dialogue ; b) la difficulté à incarner et à exposer dans toute la vie de l'Église vieille-catholique la théologie des textes communs signés ensemble. Ces deux questions demandent à être évaluées par des théologiens compétents de l'Église orthodoxe sous l'angle des conséquences ecclésiologiques et ecclésiales, en vue d'urger la définition de présupposés ecclésiastiques pour le rétablissement de la communion ecclésiastique avec les vieux-catholiques. L'heureux aboutissement de ce dialogue théologique aura aussi des retentissements favorables sur le résultat des autres dialogues, en affermissant la confiance que ces derniers inspirent ».

L'Église orthodoxe russe mène le dialogue avec les luthériens tant sur le plan bilatéral que sur le plan panorthodoxe. Dans le dialogue avec l'Église évangélique d'Allemagne (RFA) ont été étudiés les thèmes de l'Écriture Sainte et la Tradition, de la Rédemption, de la Pneumatologie, de la paix, des sacrements du Baptême et de l'Eucharistie. Dans le dialogue avec l'Église luthérienne de Finlande les thèmes de discussion sont l'Eucharistie, le salut, la justification, la divinisation. Un dialogue s'est également établi entre l'Église orthodoxe russe et les luthériens de la RDA, au cours duquel ont été étudiés les questions de la compréhension par les deux traditions du Royaume de Dieu, de l'action sanctifiante de la grâce divine. Au plan panorthodoxe, le thème de discussion est « la participation au sacrement de l'Église ».

L'Église orthodoxe russe participe au dialogue panorthodoxe avec les réformés. Les thèmes de ces dialogues ont été la Sainte Tradition, l'Eucharistie, les valeurs spirituelles et l'action sociale. Malgré toutes les difficultés du dialogue en question, il doit aussi être poursuivi en accordant une attention particulière à la thématique ecclésiologique ainsi qu'au thème de la Tradition de l'Église.

Participation aux organisations et aux dialogues chrétiens internationaux dans le cadre du « mouvement oecuménique » Depuis bientôt un siècle l'Église orthodoxe russe est en dialogue avec le mouvement oecuménique. Le concept d'oecuménisme a des facettes multiples. Désignant à l'origine l'effort pour le rapprochement des chrétiens, il est aujourd'hui employé dans les sens les plus divers. Aussi faut-il distinguer nettement ce qu'on entend d'un côté par « oecuménisme », « mouvement oecuménique » et d'un autre côté par « contacts oecuméniques de l'Église orthodoxe » ou « participation des orthodoxes au mouvement oecuménique ». L'objectif majeur de la participation orthodoxe au mouvement oecuménique a toujours été et doit continuer à être à l'avenir de porter témoignage à la doctrine et à la tradition catholique de l'Église et au premier chef, de dire la vérité sur l'unité de l'Église, telle qu'elle se réalise dans la vie des Églises orthodoxes locales.

Le dialogue de l'Église orthodoxe avec le mouvement oecuménique ne signifie pas qu'elle reconnaît une même valeur et une même signification aux autres partenaires du mouvement. L'appartenance au COE ne signifie pas qu'on reconnaisse au COE une réalité ecclésiale d'un ordre plus englobant que l'Église orthodoxe elle-même, dans la mesure où elle est l'Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique, ni même la reconnaissance que le COE et le mouvement oecuménique possèdent en eux-mêmes la moindre réalité ecclésiale. La valeur spirituelle et la signification du COE sont conditionnées par l'empressement et par l'application des membres du COE à entendre le témoignage de la Vérité catholique et à y répondre.

Le mouvement oecuménique est né au sein du Protestantisme aux confins des XIXe et XXe siècles. On fait le lien entre l'apparition du mouvement oecuménique et l'éveil d'une « volonté d'union » dans la société chrétienne désunie. En outre, les motifs et l'impulsion initiaux du mouvement oecuménique furent la nécessité d'une coopération chrétienne internationale ainsi que l'aspiration à maîtriser le « dénominationalisme » fatal au travail missionnaire. Un trait marquant de la fin du XIXe siècle a été l'apparition d'unions, d'associations et d'alliances confessionnelles. Durant le premier tiers de notre siècle, le mouvement oecuménique ne représentait pas quelque chose d'un ; c'était l'ensemble d'une série de mouvements inter-protestants.

Pratiquement dès le début de la genèse du mouvement oecuménique, ses initiateurs visèrent à créer un organisme unique de ce mouvement qui prendrait plus tard la figure du Conseil oecuménique des Églises. Apparurent en outre des organismes nationaux et régionaux d'action oecuménique concertée, les « conseils d'Églises » nationaux et régionaux. À côté du travail missionnaire, c'est la collaboration dans le domaine des actions pratiques qui vint prendre la première place dans l'ensemble des intérêts du mouvement oecuménique. Ce n'est que relativement plus tard que ce mouvement constitué en vue de l'unité entre chrétiens fut guidé par la doctrine précisément protestante sur l'Église, les buts et les objectifs d'une réunification chrétienne. Une des idées-clefs de l'oecuménisme protestant était l'opinion que nulle des confessions existantes ne pouvait prétendre à s'appeler elle-même, au plein sens du mot « Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique ».

Car toutes ne sont rien d'autre que des « dénominations », conséquences de la division que les insuffisances humaines ont introduite dans un christianisme jadis un. Sur la question concernant la nature de l'unité chrétienne et la signification des divisions, les représentants des diverses confessions avaient bien leurs divergences, mais fondamen talement « l'ecclésiologie oecuménique » se ramenait à ceci : l'unité chrétienne est un donné. Tous les chrétiens, dans le mesure où ils croient au Christ, sont un dans le Christ. Il en découlait que la tâche oecuménique se comprenait comme l'obligation d'exprimer de façon visible, de souligner cette unité ontologique obscurcie et affaiblie au cours de l'histoire, de rétablir entre les chrétiens les liens détruits.

En conséquence, au plan pratique la perspective d'une restauration de l'unité se concevait dans le sens d'un accord entre dénominations. Dans la mesure où la thèse courante était que « le dogme désunit tandis que la vie réunit », on proposait pour aboutir au rapprochement des dénominations :

a) de chercher un consensus doctrinal sur les questions divisant les confessions. (Ce consensus, comme tout consensus, supposait des concessions mutuelles, la reconnaissance du caractère des différences, spécialement parce que ces différences doctrinales étaient le fruit de l'intransigeance et de l'arrogance des théologiens et de l'ambition des administrateurs ecclésiastiques) ;

b) sans attendre que soit atteint un consensus doctrinal, réaliser l'unité dans l'ordre pratique : la mission, le service des déshérités, etc.

c) S'efforcer d'établir des contacts entre Églises en tant que moyens dans l'oeuvre de rapprochement spirituel entre dénominations : organiser des prières communes, inviter aux offices dans sa propre communauté les représentants d'une autre, etc. Un peu plus tard, cette idée revêtit le caractère de ce qu'on appelle l'« intercommunion » ou l'« hospitalité eucharistique », lorsqu'on invitait à participer à l'eucharistie les représentants d'une autre confession avec laquelle n'était pas encore rétablie la pleine communion. Le Conseil oecuménique des Églises était considéré par les artisans de sa fondation comme le signe le plus visible de l'unité chrétienne, l'instrument de coordination du rapprochement entre dénominations.

Dans le choix même du terme « oecuménique » pour désigner le mouvement des chrétiens vers l'unité se reflète la conception typiquement occidentale, extrinsèque, des principes de catholicité et d'unité de l'Église. L'Oikoumenè (« le monde ») des premiers siècles du christianisme était le terme désignant la terre habitée, l'ensemble des pays de culture gréco-romaine, des pays du bassin méditerranéen, le territoire de l'empire romain. L'adjectif oikoumenikos (« mondial ») devint la définition de l'Empire byzantin, « empire mondial ».

Comme les frontières de l'empire du temps de Constantin le Grand correspondaient approximativement avec l'extension de l'Église, celle-ci utilisait souvent le terme oikoumenikos. On le donnait comme titre honorifique aux évêques des deux capitales de l'empire, Rome et ensuite Constantinople « la nouvelle Rome ». Mais par ce terme on désignait surtout les réunions des évêques de toutes les Églises de l'empire mondial. Le mot « mondial », « oecuménique », désignait aussi tout ce qui concernait le territoire de l'Église dans sa totalité, par opposition à tout ce qui n'avait qu'un caractère local, provincial (par exemple un concile local, une vénération locale).

C'est pourquoi l'expression « mouvement oecuménique » sous-entendait le dépassement de tout « provincialisme » dénominationnel, de tout enfermement face au reste du monde, une ouverture à toutes les autres communautés chrétiennes. L'Église orthodoxe fait la distinction entre « communion chrétienne », universalisme, mondialisme d'une part et « sobornost » (catholicité), d'autre part. L'oecuménicité est une conséquence découlant nécessairement de la catholicité de l'Église et lié indissolublement à elle, étant donné qu'elle n'est rien d'autre que son expression extérieure, matérielle. L'Église dans sa totalité est nommée « universelle » et cette définition n'est pas applicable à ses parties ; mais chaque partie de l'Église, même la plus petite, même réduite à un seul fidèle, peut être nommée « catholique » (sobornaia).

Pour l'Église, l'universalité, le fait d'être présente en tous lieux est la conséquence de sa catholicité. L'Église ne se manifeste pas comme universelle seulement dans la somme de tous ses membres ou de toutes les Églises locales, mais toujours et partout, dans chaque Église locale, dans chaque paroisse. C'est pourquoi la compréhension orthodoxe ou hétérodoxe de l'« oecuménisme » (de l'universalité) divergeait de façon significative. Pour les orthodoxes, le caractère oecuménique est la conséquence de l'unité interne avec la Vérité ainsi que de l'intégrité et de la continuité internes de l'expérience spirituelle de l'Église tandis que pour les hétérodoxes, l'oecuménisme apparaît comme les prémisses et la condition formelle de l'unité.

Si la nécessité pour l'Église orthodoxe de porter son témoignage devant le monde hétérodoxe ne soulève aucun doute, en revanche la question de savoir quelles formes concrètes doit prendre ce témoignage, en particulier la question du bien-fondé d'une participation de l'Église orthodoxe au mouvement oecuménique et aux organisations chrétiennes internationales, a fait l'objet et continue à faire l'objet d'une réflexion attentive et constante. Tout en reconnaissant et en rappelant constamment aux hétérodoxes que le problème oecuménique premier est bien la division et non pas l'unité, les Églises orthodoxes locales ont pris la décision de prendre part au mouvement et aux organisations oecuméniques pour ainsi dire « de l'intérieur » et d'adopter une position de critique constructive. On ne peut pas dire que cette question aille de soi pour la conscience morale et intellectuelle orthodoxe.

Les orthodoxes voient que dans le mouvement oecuménique cohabitent une aspiration sincère vers l'unité et tout un éventail de divagations et d'erreurs doctrinales qui sont apparues au cours de l'histoire chrétienne. À ce propos la question s'est posée plus d'une fois et se pose encore : le mouvement oecuménique et ses formes institutionnelles, ainsi que le rôle qu'y jouent les orthodoxes sont-ils un moyen adapté et efficace pour le témoignage orthodoxe ? Ne serait-il pas mieux, plus simple et plus raisonnable de garder ses distances, de parler « du dehors » et de souligner d'entrée de jeu les contradictions des prémisses fondamentales ainsi que les divergences substantielles dans la formulation des objectifs et des buts définitifs ?

Tout en participant au mouvement oecuménique, les orthodoxes proclament cependant d'une façon absolument claire et sans ambiguïté qu'ils ne partagent pas la conception hétérodoxe de l'oecuménisme. Pour les orthodoxes, l'important n'est pas ce que le mouvement oecuménique représente aujourd'hui, mais ce que le mouvement oecuménique pourrait être, pourrait devenir, grâce à l'action sage et patiente en lui du » levain » du témoignage orthodoxe.

Sur les principes qui régissent l'attitude de l'Église orthodoxe russe vis à vis de « l'unité oecuménique » et de ses formes institutionnelles, le prêtre martyr Hilarion (Troitzky) s'est exprimé, en réponse à l'un des leaders du mouvement oecuménique, et inspirateur de la fondation du Conseil oecuménique des Églises, Robert Gardiner. Après s'être livré dans sa réponse à une critique impitoyable de « l'ecclésiologie oecuménique » qu'apparemment partageait Gardiner, saint Hilarion dit, pour conclure sa lettre : « Ne croyez pas que mon désaccord catégorique avec votre conception de l'unité de l'Église soit une condamnation de l'idée même d'une conférence mondiale sur l'unité (prototype du COE) ; non, j'ai déjà dit ma pleine bienveillance dans la prière à l'égard de la conférence projetée. Mais je suis fermement convaincu que ce serait un immense pas sur la route de l'union si cette conférence affirmait avant tout la vérité sur l'unité de l'Église et ne considérait pas toutes les confessions et sectes chrétiennes modernes prises ensemble comme l'unique Église du Christ qui n'aurait perdu que son unité visible ».

L'attitude de l'Église orthodoxe envers le Conseil oecuménique des Églises a été nuancée. Parallèlement au désir d'accomplir son devoir de témoignage, l'Église orthodoxe russe, voyant les dangers que comportait la position dominante de l'élément protestant dans le COE. L'Église orthodoxe russe, ainsi qu'une série d'autres Églises orthodoxes locales ont repoussé l'invitation à adhérer au COE en 1948. Pour la conscience orthodoxe, le point le plus sensible s'avéra l'idée d'appartenance au COE en qualité de membre. Le fait pour les Églises orthodoxes d'être, en qualité d'Églises membres, sur le même pied que les autres « Églises » a éveillé de sérieux doutes sur la possibilité de comprendre le COE comme une structure plus universelle que cette Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique, que l'Église orthodoxe a conscience d'être elle-même.

Cette critique, constructive et insistante, de la part des Orthodoxes eut pour résultat que le COE introduisit ce qu'on a appelé la « Déclaration de Toronto ». Celle-ci garantissait aux orthodoxes le droit de témoigner clairement et sans ambiguïté au sein du COE de leur ecclésiologie et de la nature de la division des chrétiens ; elle garantissait aussi que l'on renonçait à exiger la « parité » et à reconnaître la qualité d'Églises aux diverses dénominations ; elle affirmait enfin la neutralité ecclésiologique du COE ; en ce sens que le COE n'est pas considéré comme une « super-Église » et n'aspire en aucun façon à la voir créer.

La Déclaration de Toronto a été la réponse du COE à la critique des « visées du COE » formulée par la Conférence de Moscou de 1948. L'évolution ultérieure du Conseil dans un sens positif aboutit à un effort constructif de sa part pour modifier l'orientation unilatérale et pro-occidentale de son activité et tenter de maintenir une attitude plus équilibrée et plus objective entre l'Ouest et l'Est.

Au plan théologique, le COE s'est mis à accorder plus d'attention aux problèmes de « Foi et Constitution », en particulier à la mise au point d'une nouvelle Base et d'une définition plus précise de l'unité de l'Église dans la foi et les fondements des structures canoniques. Cette évolution s'est développée dans le sens d'un renforcement des éléments de catholicité et d'ecclésialité.

Le [...] juillet 1961, le Concile local de l'Église orthodoxe russe prit la décision de faire admettre l'Église orthodoxe russe au Conseil oecuménique des Églises. L'entrée de l'Église orthodoxe russe au Conseil oecuménique des Églises eut lieu en décembre 1961 à la IIIe Assemblée générale du COE à New Delhi. Que le changement de position de l'Église orthodoxe russe à l'égard du mouvement oecuménique ait été provoqué par les changements positifs survenus dans ce mouvement et que l'entrée de

l'Église russe au COE soit dictée par des considérations touchant le témoignage de l'Orthodoxie, c'est ce que dit en 1961 Sa Sainteté le Patriarche de Moscou et de toute la Russie Alexis Ier : « Nous constatons avec satisfaction que ...[le mouvement oecuménique] en de nombreux points a commencé à aspirer à une structure plus ecclésiale, plus spirituelle de son activité... Et à l'heure présente nous avons changé notre position par rapport au COE. Au reste déjà auparavant nous n'avions pas, nous orthodoxes, une attitude de froideur et encore moins de mépris envers les chrétiens d'Occident. Au contraire, nous sommes toujours allés volontiers au devant de leur quête spirituelle, désirant la réunion de tous sous le Christ qui est la Tête, au sein de son Église.

Et aujourd'hui, alors que ceux qui s'étaient éloignés de l'Église cherchent eux-mêmes à s'unir en elle, nous devons aller à leur rencontre pour faciliter leur quête par le témoignage que nous portons à la vérité de l'orthodoxie. Les relations qui se sont établies dans notre Église avec le Conseil oecuménique des Églises, ont abouti à la décision que l'on sait, prise par le Saint Synode le 30 mars [1961], de faire entrer l'Église orthodoxe russe au Conseil oecuménique des Églises. Dans les circonstances du temps présent nous ne pouvons pas ne pas voir un signe de la nécessité de soutenir les sentiments de la communauté des chrétiens et d'unir par des liens d'amour et de paix les chrétiens d'Orient et d'Occident.

Notre mission dans la situation présente est de manifester aux chrétiens d'Occident la lumière de l'Orthodoxie ». L'entrée de l'Église orthodoxe au Conseil oecuménique des Églises fut marquée par la réception par les participants orthodoxes de la déclaration de la IIIe Assemblée du COE, dans laquelle était formulée de la façon la plus claire l'attitude critique des orthodoxes vis à vis de l'image, prévalente dans le monde protestant, que l'on se faisait des méthodes pour rétablir l'unité chrétienne ; cette déclaration fut un nouvel exemple - et très clair - du témoignage que l'orthodoxie rend par principe face aux membres hétérodoxes du COE : « ...Le mouvement oecuménique, aujourd'hui incarné dans le Conseil oecuménique des Églises, est parti d'une initiative protestante, mais n'était pas destiné originellement à être une affaire protestante et il ne doit pas être considéré comme tel. Il faut le souligner maintenant, alors que presque toutes les Églises de la communauté orthodoxe sont devenues membres du COE.

Le problème oecuménique, tel qu'il est compris dans le mouvement oecuménique d'aujourd'hui, est avant tout un problème du monde protestant. La question fondamentale, dans cette vision réductrice, c'est celle du « dénominationalisme ». C'est pourquoi le problème de l'unité des chrétiens ou de la réunification des chrétiens est habituellement étudié dans le contexte d'un accord ou d'une réconciliation entre dénominations. Dans le monde protestant, une telle approche est normale. Mais pour les orthodoxes elle ne convient pas.

Pour les orthodoxes, le problème oecuménique fondamental réside dans le schisme. Les orthodoxes ne peuvent pas admettre l'idée d'égalité entre dénominations et ne peuvent considérer la réunification des chrétiens uniquement comme un réajustement des rapports entre dénominations différentes. L'unité a été brisée et elle doit être restaurée. L'Église orthodoxe n'est pas une parmi de nombreuses confessions ; pour les orthodoxes, l'Église orthodoxe, c'est l'Église. L'Église orthodoxe identifie sa structure interne et sa doctrine au kérygme apostolique et à la tradition de l'Église ancienne indivise.

Elle demeure dans la succession intacte et constante du ministère sacramentaire, de la vie et de la foi sacramentaires. Pour les orthodoxes, la succession apostolique de l'épiscopat et le sacrement de l'ordre sont d'une importance essentielle et fondamentale. C'est pourquoi ils sont des éléments indispensables de l'existence même de l'Église. L'Église orthodoxe, selon sa conviction et sa conscience intérieures, occupe une place exceptionnelle dans le monde chrétien divisé, en tant que porteuse et témoin de la tradition de l'Église ancienne indivise, d'où procèdent toutes les dénominations existantes, soit par retranchement, soit par séparation. Du point de vue orthodoxe, l'effort oecuménique actuel peut être caractérisé comme un « oecuménisme dans l'espace », qui vise à un accord entre les différentes dénominations actuelles.

Du point de vue orthodoxe, cet effort est incomplet et insuffisant. Il est possible de trouver dans les dénominations existant aujourd'hui des bases communes dans le passé, dans leur histoire commune, dans la tradition commune ancienne et apostolique dont elles sont issues, et il faut les chercher. On peut appeler ce genre d'effort oecuménique " oecuménisme dans le temps "... On ne présuppose pas un rétablissement statique des anciennes formes, mais plutôt une restauration dynamique de l'essence éternelle, qui seule peut assurer un authentique accord " de tous les siècles "... Le but de l'effort oecuménique selon la conception orthodoxe consiste dans le rétablissement de l'intelligence chrétienne, de la tradition apostolique, de la plénitude de la vision et de la foi chrétiennes en conformité avec tous les siècles ».

Les décennies écoulées depuis l'adhésion de l'Église orthodoxe russe au COE, furent des années de dialogue tendu. La participation au COE s'est avérée une tâche difficile, qui a exigé l'apport des forces des meilleurs théologiens de l'Église. L'optimisme orthodoxe de la première période du mouvement oecuménique lié à l'espoir d'un rapprochement rapide et substantiel avec les hétérodoxes s'est avéré prématuré. Les divergences étaient trop profondes, l'objectif d'élaborer une nouvelle langue s'est révélé extraordinairement difficile. Malgré toutes les difficultés, ces années d'un travail minutieux ont porté leurs fruits.

Ainsi apparaissent comme le résultat du témoignage orthodoxe au sein du Conseil : la nouvelle « Base » du COE ; la Déclaration de New Delhi sur l'unité et la Déclaration de Toronto ; les documents du COE à Lima sur Baptême, Eucharistie et Ministère. La Conférence mondiale « Foi et Constitution » réunie en 1993 à Saint-Jacques-de-Compostelle (Espagne) fut sans conteste un succès du témoignage orthodoxe dans le COE par ses décisions sur la nécessité de se concentrer sur les questions d'ecclésiologie, de confession de la foi apostolique, sur le caractère obligatoire pour tous du Symbole de foi de Nicée - Constantinople (sans le Filioque), sur l'unité dans la compréhension de la Tradition apostolique, sur les questions touchant l'autorité de l'Église, de la primauté dans le service de l'unité, dans la nécessité de condamner le prosélytisme.

Au long des nombreuses années de dialogue avec le mouvement oecuménique, les orthodoxes ont souligné le caractère prioritaire des travaux touchant à la restauration de l'unité dans le domaine de la foi, des institutions et des principes de la vie spirituelle de l'Église, au regard d'une collaboration dans les oeuvres pratiques, ce qu'on peut appeler « l'horizontalité ». À cela se rattache l'attention particulière que les orthodoxes ont porté à leur participation à la Commission « Foi et Constitution » du COE. La Commission « Foi et Constitution » est le prolongement institutionnel et, dans une certaine mesure, autonome dans le cadre du COE, du mouvement du même nom qui existait depuis 1910, comme l'une des plus importantes orientations dans le mouvement oecumén ique, avec le mouvement « Vie et Action » et le Conseil missionnaire international.

L'activité de « Foi et Constitution », à la différence des autres courants du mouvement oecuménique (et en cela réside sa valeur particulière et sa signification pour le témoignage orthodoxe), était conçue dès son origine pour la mise en place d'un dialogue théologique multilatéral. C'est dans le cadre du courant « Foi et Constitution » que les participants orthodoxes ont pu présenter à leur partenaires dans le dialogue théologique une vision catholique des thèmes abordés. Celle de l'Église et de son unité, de la conception des sacrements du Baptême, de l'Eucharistie et de l'ordination sacerdotale ; de l'Écriture et de la tradition, du rôle et de la signification des Symboles de foi, de l'incidence des facteurs dits « non théologiques » sur le problème de la division et de l'unité des chrétiens. Dans le cadre de « Foi et Constitution », le dialogue théologique devient plus large et plus significatif grâce à la participation de l'Église catholique romaine qui n'est pas membre du COE. En raison de la pertinence particulière de la Commission « Foi et Constitution » pour le témoignage orthodoxe et aussi par suite de l'autonomie historique et structurelle de la Commission par rapport au COE, on peut estimer possible pour l'Église orthodoxe russe de continuer à en faire partie, même au cas où serait modifié son statut d'appartenance au Conseil oecuménique des Églises.

Dès le début de leur participation au dialogue avec le mouvement oecuménique, les théologiens orthodoxes se heurtèrent à l'inévitable ambiguïté de la langue employée dans le dialogue et de la terminologie qui trahissait le désir des hétérodoxes d'obtenir un compromis doctrinal : « Comme il a été souligné plus d'une fois au cours des pourparlers qui ont déjà eu lieu, en matière de foi et de conscience religieuse, aucun compromis n'est de mise dans l'Église orthodoxe et il n'est pas possible de fonder sur les mêmes mots deux conceptions, deux représentations et deux explications différentes de formulations reçues par tous. Et les orthodoxes ne peuvent espérer qu'une unité fondée ainsi sur des formulations ambiguës puisse être de longue durée... L'Église orthodoxe estime que toute alliance doit se fonder sur une foi commune ...

L'accord sur la nécessité des sacrements dans l'Église, par exemple, n'a aucune valeur pratique s'il existe des différences radicales entre les Églises concernant leur nombre, leur signification et en général l'essence de chacun, leurs effets et leurs résultats... En conséquence de tout cela, nous ne pouvons accepter une idée de la réunification qui se limite seulement à des éléments non signifiants, parce que, selon l'enseignement de l'Église orthodoxe, là où il n'y a pas communauté de foi, il ne peut y avoir communion dans les sacrements. Nous ne pouvons même pas ici appliquer le principe de l'Économie qui pourrait jouer dans d'autres circonstances et que l'Église orthodoxe a souvent adopté à l 'égard de ceux qui se convertissaient à elle » (Déclaration des participants orthodoxes à la Première Conférence mondiale « Foi et Constitution », Lausanne 1927).

La participation des orthodoxes au Conseil oecuménique des Églises n'a jamais été facile. Des siècles de divisions entre chrétiens, de rupture du christianisme occidental d'avec la Plénitude orthodoxe ont abouti à des résultats navrants. Tout d'abord ont été perdus la langue commune, le système commun de signification des concepts, l'espace commun du discours. Même l'emploi de la langue scripturaire est apparu, dans le dialogue oecuménique, ambigu et artificiel. Formellement parlant, les théologiens peuvent communiquer dans la même langue, mais même lorsqu'ils usent des mêmes concepts, ils expriment des expériences spirituelles différentes, celles de leur traditions respectives. C'est cette différence profonde, radicale de l'expérience spirituelle de l'orthodoxie qui fait de son témoignage une tâche extrêmement complexe.

Au fil des années où l'Église orthodoxe a participé au mouvement oecuménique, il est devenu clair que le témoignage orthodoxe ne peut être fécond que s'il s'appuie sur une critique fondée, rigoureuse des postulats, du contenu, de l'éthos, du contexte culturel, historique et social, et des bases spirituelles même de l'hétérodoxie. Pour ce faire, une compréhension plus claire de la problématique même du protestantisme, une étude de ses fondements théologiques et spirituels s'impose. Il est devenu clair également que toute la problématique du dialogue avec l'hétérodoxie, sa dynamique interne exigent en réponse non la présentation de schémas tout prêts et figés, mais une prise de conscience continue et créatrice de sa propre tradition. Il est devenu clair que la participation au mouvement oecuménique est un puissant stimulant pour le développement de la pensée théologique orthodoxe, précisément en tant que réponse aux interrogations de l'hétérodoxie.

À nouveau s'est manifestée dans toute son actualité la pensée que l'Evangile, la Tradition de l'Église, l'enseignement dogmatique doivent à chaque fois s'incarner dans un contexte culturel et historique nouveau. Les dialogues oecuméniques ont révélé une étonnante logique des choses : entrer en discussion avec l'hétérodoxie sur des problèmes d'actualité à première vue éloignés de ceux des Pères de l'Église et sur des thèmes qui agitent les hétérodoxes, exige inexorablement des théologiens qu'ils s'investissent toujours plus dans la tradition et la pensée patristiques. L'aptitude au dialogue avec l'hétérodoxie est conditionnée par le degré d'enracinement créateur dans sa propre tradition.

L'Église orthodoxe russe, tout au long des années de sa participation au Conseil oecuménique des Églises, a gardé une attitude de critique constructive à son égard. Ceci est lié aux particularités, tributaires de l'histoire, de la structure du COE. Dès les origines l'élément protestant a été dominant au COE. Les orthodoxes qui prenaient part au travail du COE ont compris qu'ils devaient témoigner dans des conditions défavorables, lorsque la possibilité même de débattre de tel ou tel thème est fixée moyennant un vote, au terme duquel ils peuvent se retrouver dans la minorité.

La question n'est pas qu'une telle procédure pourrait contraindre les orthodoxes à quoi que ce soit - les décisions prises au COE n'ont aucun caractère obligatoire pour ses membres. Mais la thématique des débats au Conseil oecuménique des Églises était définie et est définie jusqu'à ce jour par la majorité protestante. Même dans ces conditions, les orthodoxes, cela va de soi, exposaient en toute liberté et ouvertement leur opinion en conformité avec la Tradition de l'Église, mais cette opinion apparaissait souvent comme une « réaction », une « position particulière » par rapport à l'opinion de la majorité hétérodoxe. Le Conseil oecuménique des Églises s'est trouvé être une tribune unique, un forum authentiquement mondial, dans lequel les orthodoxes ont la possibilité de présenter aux hétérodoxes la Foi de l'Église. Et ce fait ne peut être sous-estimé, malgré toutes les difficultés auxquelles les orthodoxes ont à faire face au sein du Conseil oecuménique des Églises.

En raison de la structure qui existe au COE, les orthodoxes sont parfois obligés de discuter au sein du Conseil oecuménique des Églises des problèmes qui leur sont imposés pour examen. Mais en même temps des questions qui préoccupent réellement les orthodoxes restent en dehors du champ de vision du COE. Par le fait même on met un obstacle très sérieux au témoignage que les orthodoxes ont à rendre au COE. Les orthodoxes, pour la simple raison de leur minorité dans les structures, ne peuvent pas influencer l'établissement de la thématique du COE. Dans le cadre de la structure actuelle du COE, les orthodoxes sont contraints d'endosser la pleine responsabilité pour un ordre du jour et des décisions qui sont adoptés au COE et qui sont parfois inacceptables pour la doctrine et la tradition orthodoxes. Cet état de choses a pour conséquence que l'appartenance au COE avec un tel niveau d'obligations suscite une critique acerbe de la part du clergé et des laïcs de diverses Églises Orthodoxes

Avec le temps sont apparus dans l'ordre du jour du COE des thèmes qui se sont avérés totalement inacceptables pour la Tradition orthodoxe. Il est devenu parfaitement légitime de parler d'une crise croissante au sein du COE, liée à son tour à la crise que connaît un nombre significatif de dénominations protestantes, membres du COE, et à la crise du mouvement oecuménique dans son ensemble.

Les objectifs proclamés par le COE entrent aujourd'hui en totale contradiction avec la pratique. La rupture entre la majorité protestante qui s'est ralliée sur la base du libéralisme et la minorité orthodoxe est de plus en plus évidente. Au bout du compte, on peut s'attendre à un développement tel dans les Églises protestantes et dans le Conseil oecuménique des Églises, que les orthodoxes ne pourront plus donner leur accord pour des considérations ecclésiologiques, dogmatiques ou morales.

L'Assemblée des évêques de l'Église orthodoxe russe de 1997 a fait le point de l'appartenance de l'Église orthodoxe russe au COE et étudié la question que soulève l'accroissement des tendances négatives au sein du Conseil. Pour trancher la question de participation ou de non participation de l'Église orthodoxe russe au COE, la Sainte Assemblée des évêques a pris la décision de mener un examen du problème au niveau panorthodoxe. Ainsi qu'il est dit dans le décret de l'Assemblée : « En fonction de la décision panorthodoxe, mettre à l'étude à l'Assemblée des évêques la question de la participation ou de la non-participation de l'Église orthodoxe russe aux dialogues interconfessionnels bilatéraux ou multilatéraux, ainsi qu'au travail du COE et des autres organisations chrétiennes internationales. Mais, pour le moment, maintenir la participation des représentants de l'Église orthodoxe russe au travail des organisations chrétiennes internationales, en insistant sur l'importance particulière, dans le temps où nous vivons, du témoignage orthodoxe dans le monde chrétien divisé par ses péchés ».

La Conférence panorthodoxe convoquée à Salonique (29 avril - 1er mai 1998) sur l'initiative de l'Église orthodoxe russe et de l'Église orthodoxe serbe est arrivée à la conclusion que l'actuelle structure du COE est inacceptable pour les orthodoxes et la poursuite de leur participation au Conseil n'est possible qu'à condition d'une « réforme radicale » du Conseil oecuménique des Églises. En lien avec cette déclaration, lors de la VIIIe Assemblée du COE, a été décidée la création d'une Commission spéciale du COE concernant les rapports avec les orthodoxes. Le mandat de cette Commission comporte l'étude de tout l'ensemble des questions et des problèmes que comporte la participation orthodoxe au COE et la proposition de variantes possibles pour la réorganisation du Conseil. Conformément à la décision de la rencontre panorthodoxe de Salonique, pour la durée du travail de cette commission,

l'Église orthodoxe russe participe au travail du COE « avec un mandat limité ». Ainsi, dans les relations entre l'Église orthodoxe russe et le Conseil oecuménique des Églises, tandis qu'on réfléchit à une nouveau modèle pour le COE et aux moyens de le faire évoluer, la période présente revêt un caractère transitoire. À cette étape de transition vers un nouveau modèle pour le COE, l'Église orthodoxe russe doit employer tous les moyens de présence au COE dont elle dispose pour faire connaître le plus largement possible parmi les Églises-membres sa position sur les questions qui soulèvent la critique de la part des orthodoxes.

Les orthodoxes se comportent avec un sens extrême de leur responsabilité dans leur participation au COE et c'est précisément pour cela qu'ils le mettent en garde : le développement actuel du COE est dangereux et va dans une fausse direction. Ils constatent une crise du Conseil oecuménique des Églises et appellent à une révision de l'ethos, des principes actuels du COE. C'est pourquoi une réforme radicale du COE doit supposer non pas un changement de « forme » qui maintiendrait inchangé le contenu, non pas une « ré-formation », mais un changement précisément de l'essence du COE. Tout nouveau pas vers le renforcement de l'ecclésiologie protestante au sein du COE sera un suicide spirituel pour lui.

Les orthodoxes, en réclamant la « réforme » du COE, insistent sur ce point : qu'il y ait au sein du COE la possibilité pour l'orthodoxie de témoigner de tout son poids pour la vérité de l'Église, pour les principes de l'unité. Si un tel témoignage devient impossible, si l'activité du COE s'écarte de plus en plus des buts initiaux du mouvement oecuménique - oeuvrer pour la rétablissement de l'unité chrétienne -, alors le COE perd toute sa signification spirituelle. Le COE est un phénomène dynamique dans lequel le « renforcement » ou l'« affaiblissement » des éléments de catholicité sont possibles.

Aujourd'hui existe dans le COE une tendance à se contenter d'une « koinonia » incomplète, à stabiliser l'état de division existant comme une forme normale et faible de communion, d'avaliser l'actuel état de « communauté » dans des termes de « communion imparfaite (en progression) », de « multiplicité mesurée ». Le mouvement oecuménique d'aujourd'hui est en état de crise. La cause en est l'affaiblissement de l'aspiration à l'unité, la baisse de la détermination et de la volonté nécessaires à la « conversion », au renouvellement catholique. C'est précisément cela qui pousse au premier chef l'Église orthodoxe russe à reconsidérer son attitude à l'égard du Conseil oecuménique des Églises. Les tendances négatives apparues dans le COE ont pour résultat que l'Église orthodoxe russe se trouve dans la nécessité de se tenir prête à changer son statut au regard du COE. Au reste, une telle décision, ne doit pas être prise tant qu'on n'aura pas épuisé tous les moyens pour modifier le caractère du COE. 

(*) Texte original russe du Patriarcat de Moscou. Traduction du Centre d'Études russes de Meudon pour la DC.

Les notes sont du traducteur.

(1) Dans ce document, les termes « hétérodoxe », « hétérodoxie », sont dénués de toute valeur dépréciative. Ils désignent très exactement les « chrétiens non orthodoxes » ou leurs regroupements divers. (2) La 3e « note » de l'Église dans le Symbole de la foi se dit en slavon et en russe « sobornaia », que nous traduisons toujours dans ce document par « catholique ». Ici, l'original emploie d'abord le mot habituel et ajoute entre parenthèses le synonyme « kafolitcheskaia » (avec la prononciation en « f » du thèta grec), qui se réfère au terme grec, tout en évitant le mot « katolitcheskaia », lequel a une acception confessionnelle. Lorsque le document parle de l'Église catholique, il ajoute toujours le mot « romaine ». On trouvera dans l'Annexe un développement important sur cette note de l'Église, ses harmoniques propres dans la conscience dogmatique orthodoxe, ainsi que les concepts voisins en usage chez les « hétérodoxes ».

Cf. La définition classique du Catéchisme chrétien développé de l'Église orthodoxe catholique orientale, Saint Petersbourg 1839, p. 74, publié sous la responsabilité du métropolite de Moscou Philarète (Drozdov). Q. Pourquoi l'Église est-elle appelée Sobornaia ou, ce qui est pareil, Kafolitcheskaia, ou universelle ? R. Parce qu'elle ne se limite ni à un lieu, ni à un temps, ni à un peuple, mais qu'elle comprend en elle [les hommes] de tous les lieux, de tous les temps, de tous les peuples qui croient en vérité.


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