la cabale

ou tradition, interprétation de la loi.


Le texte kabbalistique fondamental, le Zohar (de sefer ha-Zohar "livre de la splendeur", oeuvre de Moïse de Leon de Grenade, 1250-1305), est le troisième grand livre sacré du judaïsme.

L'idée centrale de la Kabbale est que Dieu ne peut être connu que par ses attributs, les dix séphirots: couronne, sagesse, intelligence, amour, justice, beauté, fermeté, splendeur, fondement, royaume. Réunis, ces éléments de la Création forment l'homme primordial, modèle de l'homme d'en bas qui est un microcosme de l'univers


Extraits

CONNAISANCE DES MONDES SUPERIEURS ( Mikhael Laitman )

Chapitre 6

A l'heure actuelle la barrière qui sépare la Cabale des masses a pratiquement disparu, et il n'y a pour ainsi dire pas d'opposition à son égard, ou si peu. Dans la génération future, des centaines de personnes se fixeront pour but de ressentir le Créateur. De plus, si auparavant, seuls des gens particulièrement forts psychologiquement pouvaient établir un lien avec le Créateur, à notre époque même les débutants, sans avoir étudié au préalable le Talmud (et dans le courant de la génération future, même les enfants) pourront parvenir à une relation avec le Créateur sans préparation, en étudiant la Cabale sous une direction adéquate.

Dans la bénédiction de la fin de Shabbath, nous disons " Béni sois-Tu, Toi qui sépare le sacré du profane ". L'homme n'a pas la capacité de différencier le bien du mal, ce qui est bon pour lui, ce qui lui est nocif. Seul le Créateur peut l'aider en lui dessillant les yeux. L'homme peut alors voir tout ce qui est exprimé par la phrase " Choisis la vie ". Tant que l'homme ne sera pas convaincu de la nécessité vitale d'une relation constante avec le Créateur, le Créateur ne lui ouvrira pas les yeux pour qu'il lui demande miséricorde.

Parmi les sensations spirituelles d'un Cabaliste, une partie (AHA'P ) appartient au du degré inférieur de son état futur. L'homme perçoit davantage son état spirituel élevé comme vide, non attrayant, et non comme de la lumière, car il ne reçoit rien du degré supérieur. Bien que ce degré supérieur soit empli de lumière, le degré inférieur perçoit ce qui émane du degré supérieur d'après ses propres attributs, et comme ceux-ci ne lui permettent pas d'être prêt à recevoir cette lumière, il ne la perçoit pas.

Le Créateur étant caché, chacun de nous fait des efforts incroyables pour parvenir à un niveau de vie acceptable dans notre société en se conformant aveuglément aux réprimandes intérieures, aux chuchotements constants de son égoïsme. Cependant, nous sommes Ses instruments et nous nous empressons de suivre Ses indications pour ne pas q'Il nous inflige des souffrances pour nous stimuler. Nous nous résignons de force et ensuite nous conformons de gré à Sa volonté.

Notre égoïsme est en nous, il a tellement d'emprise sur nous que nous le considérons comme une seconde nature, comme notre désir. Il imprègne toutes les cellules de notre corps, nous obligeant à apprécier toutes nos sensations en fonction de ses désirs, à compter avec ses impératifs.

L'homme n'a même pas idée qu'il peut se défaire de l'influence de l'égoïsme, se purifier, se débarrasser de cette forme égoïste, semblable à son corps qui le pénètre, est habillée de sa chair. Le Créateur permet à l'homme d'éprouver des désirs altruistes après que celui-ci se soit purifié de ses désirs égoïstes. En attendant, il se trouve à l'intérieur de nous un être égoïste, et nous n'imaginons pas quel bienfait ce serait pour nous de l'éliminer. Au contraire, les pensées et les désirs altruistes nous semblent inacceptables, naïves, peu sérieuses, inapplicables dans le cadre de notre société, sans parler de l'univers.

Ce n'est que parce que nos pensées et nos désirs sont sous l'empire de l'égoïsme. Pour avoir une idée objective de ce qui lui arrive, l'homme doit s'efforcer de ressentir son égoïsme comme quelque chose d'étranger, comme son ennemi qui se fait passer pour son ami et pour lui-même (nous nous identifions même à ses désirs), il doit aspirer à le ressentir comme quelque chose d'étranger qui est en lui selon la volonté du Créateur. Les actions de l'homme correspondent à la prise de conscience du mal (akarat ra ).

Cette prise de conscience n'est cependant possible que dans la mesure où l'homme a foi en l'existence du Créateur, de la lumière du Créateur car il comprend tout par comparaison, en ressentant les contraires. C'est pourquoi au lieu de s'adonner à la recherche de ce serpent malfaisant qui est en nous, il faut faire tous ses efforts pour essayer de ressentir la lumière du Créateur.

Toute la création, sauf nous, est régie par les règles de l'altruisme. Seul l'homme et le monde environnant (notre monde olam haze ) ont été créés avec des attributs opposés, égoïstes. Si nous voyions le Créateur et tous les mondes spirituels, nous découvririons aussitôt combien notre monde est microscopiquement petit en comparaison des autres mondes et que ce n'est que dans le petit pois qu'est notre monde qu'agissent les lois de l'égoïsme.

Pourquoi le Créateur s'est-Il dissimulé après nous avoir placés dans ce monde empli de ténèbres, d'incertitude et de malheurs ? En nous créant, le Créateur s'est posé pour but que nous existions éternellement avec Lui, mais nous devons y parvenir par nos propres efforts pour ne pas éprouver de honte de recevoir un plaisir absolu éternel non mérité.

Le Créateur a donc créé un monde opposé au sien en le dotant d'attributs opposés aux siens, l'aspiration au plaisir pour soi-même, l'égoïsme, et nous l'a donné. Dès que l'homme ressent en lui ces attributs, il apparaît dans ce monde, il cesse immédiatement de ressentir le Créateur.

Cette dissimulation du Créateur est notamment faite pour provoquer en nous l'illusion du libre arbitre pour choisir soit notre monde soit celui du Créateur . Si malgré cet égoïsme, nous percevions le Créateur, nous préférerions naturellement sans aucun doute le monde du Créateur, celui qui nous procure du plaisir sans les souffrances.

Le libre arbitre n'existe que si l'homme ne ressent pas le Créateur. Si dès sa naissance, l'homme expérimente l'action absolue et étouffante de l'égoïsme à tel point qu'il l'associe à lui-même, comment peut-il décider en toute liberté, indépendamment de l'égoïsme, de ce qu'il préfère ? Comment le Créateur crée-t-il des circonstances neutres pour que l'homme puisse choisir ? Et, en général, en quoi avons-nous la possibilité de choisir si notre monde n'est que souffrances et mort et que le monde du Créateur est empli de plaisirs et d'éternité, qu'est-ce qu'il reste à l'homme ?

Afin de créer pour nous les conditions de la liberté de choix, le Créateur : se révèle épisodiquement à l'homme pour lui permettre d'avoir conscience de la sensation de grandeur et d'apaisement que procure la perception des forces supérieures ; nous a donné la Torah dont l'étude, si l'homme désire vraiment sortir de son état et percevoir le Créateur, provoque une luminescence spirituelle latente (or makif ).

Toutes les parties de la Torah n'ont pas la même force pour faire scintiller la subtile lumière environnante (or makif ). L'excitation la plus forte est induite par l'étude de la Cabale car la Cabale étudie les structures spirituelles qui irradient cette lumière sur l'homme. L'homme est donc ainsi placé devant le choix : étudier ou non la Cabale et faire des efforts pour cela.

Le lien de l'homme avec le Créateur, à commencer par notre niveau, du plus bas jusqu'au plus élevé où se situe le Créateur lui-même, peut être comparé aux degrés d'une échelle. Tous les degrés de l'échelle spirituelle se situent dans les mondes spirituels. Le Créateur se situe sur le degré le plus élevé et notre monde se situe sur le degré le plus bas.

L'homme se trouve sous le degré le plus bas de l'échelle spirituelle carson niveau originel fait d'égoïsme n'est pas lié au dernier degré de l'échelle qui n'est pourtant pas complètement altruiste. La sensation de l'existence d'un degré plus élevé est possible si les attributs de l'homme coïncident avec ce degré, et la force de cette sensation sera proportionnelle à la coïncidence entre les attributs de l'homme et ceux du degré.

La possibilité d'avoir la sensation du degré supérieur est conditionnée par le fait que tous les degrés spirituels ne sont pas disposés de manière successive du bas vers le haut, ils sont imbriqués : la moitié inférieure de la partie supérieure se trouve dans la partie supérieure du degré inférieur (les "AHA'P de elion " tombent dans le " G 'E de tahton "). C'est pourquoi il y a en nous une partie de la partie inférieure du dernier degré, mais ordinairement nous ne la percevons pas.

Le degré le plus élevé au-dessus de nous est appelé le Créateur car il est justement pour nous le Créateur, nous donne naissance, nous anime et nous guide. Comme nous ne percevons pas ce degré, nous affirmons que le Créateur n'existe pas. Si l'homme se trouve à un niveau tel qu'il perçoit la toute-puissance du Créateur sur toutes les créations de notre monde, il n'a plus de libre-arbitre, de foi car il voit clairement une seule vérité, une seule force, un seul désir qui régit tout et tous. Le désir du Créateur consistant à donner à l'homme le libre arbitre, il est nécessaire qu'Il se dissimule.

Ce n'est que si le Créateur est dissimulé que l'on peut affirmer que l'homme aspire de manière désintéressée à se fondre en Lui, à agir pour faire plaisir au Créateur " li shema ". Notre travail sur nous-mêmes n'est possible que si le Créateur s'est dissimulé car, dès que le Créateur se révèle à nous, nous devenons automatiquement ses esclaves, nous sommes totalement sous l'emprise de Sa magnificence et de Sa force, et il n'est pas possible de distinguer les authentiques desseins de l'homme.

Pour donner à l'homme la liberté d'agir, le Créateur doit se dissimuler. Pour lui donner la possibilité de s'arracher à l 'esclavage qu'est sa soumission aveugle à l'égoïsme, le Créateur doit de dévoiler car l'homme ne se soumet qu'à deux forces dans ce monde : au pouvoir de l'égoïsme, du corps, ou au pouvoir du Créateur, de l'altruisme.

Une succession des processus est par conséquent nécessaire : la dissimulation du Créateur par rapport à l'homme, l'homme ne perçoit que lui-même et les forces égoïstes qui le dominent, et le dévoilement du Créateur, l'homme perçoit le pouvoir des forces spirituelles.

Pour que l'homme qui est sous l'empire de l'égoïsme puisse avoir la sensation de l'élément supérieur le plus proche, son Créateur, Celui-ci autorise la comparaison d'une partie de ses attributs, c'est-à-dire qu'Il confère de l'égoïsme à une partie de Ses attributs altruistes. (Il élève la " malkhout, midat din " jusqu'à son " G 'E ", et son " AKHA'P " acquiert des attributs égoïstes. Son " AKHA'P "  " descend " jusqu'au niveau spirituel de l'homme, ce qui permet la comparaison des attributs).

Si jusqu'alors l'homme n'avait pas la sensation de l'existence du degré supérieur, du fait que le degré supérieur avait dissimulé son altruisme sous de l'égoïsme, du fait que ce degré s'est abaissé au niveau de l'homme, celui-ci peut le percevoir. Les attributs du degré supérieur étant perçus par l'homme comme égoïstes, il a le sentiment que le spirituel n'est pas attrayant, inspirant, apaisant.

L'homme a alors la possibilité de faire preuve de libre arbitre et de se dire, au mépris de ces impressions, que le manque de plaisir, de goût qu'il ressent dans le spirituel, dans la Torah est la conséquence de ce que le monde supérieur lui est dissimulé pour son bien car il n'est pas encore doté des attributs spirituels nécessaires qui permettraient d'éprouver des plaisirs spirituels, l'égoïsme ayant emprise sur ses désirs.

C'est plus particulièrement dans les phases de chute et de sensation de vide que l'on trouve des forces en soi (par des prières adressées au Créateur, par l'étude, par les bonnes actions), et il est alors essentiel pour le débutant de se conforter dans l'affirmation que cette phase lui est spécialement occasionnée pour qu'il la surmonte. Le fait qu'il ne perçoive ni plaisir ni vie dans ses aspirations spirituelles est délibérément provoqué pour qu'il puisse se dire qu'il n'éprouve pas de plaisir dans le spirituel parce qu'il ne possède pas de qualités altruistes adéquates et que les véritables qualités des mondes spirituels lui sont donc cachées.

L'homme doit donc toujours garder à l'esprit qu'au début de son chemin, avoir une perception des mondes spirituels a pour corollaire un sentiment de vide spirituel. Si l'homme est en mesure d'affirmer que les mondes spirituels lui sont dissimulés du fait de l'antagonisme de leurs attributs respectifs, et qu'il demande à être aidé pour réparer son égoïsme en élevant sa prière " MA 'H ", les mondes spirituels se dévoilent à lui partiellement (il élève son " AHA'P ") en montrant ses véritables attributs qu'il dissimulait sous l'égoïsme et le plaisir en découlant. Ses attributs se caractérisant dès lors par l'altruisme, l'homme a la capacité de percevoir la grandeur et le plaisir inhérents aux mondes spirituels.

En élevant aux yeux de l'homme ses attributs altruistes, les mondes spirituels élèvent l'homme jusqu'à la moitié du degré immédiatement supérieur (il a élevé le " G 'E " de l'homme avec son " AHA 'P "). Cette phase spirituelle de l'homme s'appelle petit niveau spirituel , " katnout ".

Les mondes spirituels élèvent l'homme à eux, à leur niveau, en lui permettant de voir sa grandeur, la grandeur des attributs altruistes. L'homme, en voyant la grandeur du spirituel par rapport à celle du matériel, s'élève spirituellement au-dessus de notre monde. Indépendamment de sa volonté de l'homme, la sensation du spirituel transforme les attributs égoïstes de celui-ci en altruistes, en attributs spirituels.

Pour que l'homme puisse posséder totalement le premier degré supérieur, les mondes spirituels s'ouvrent à lui totalement, dévoile tous ses attributs spirituels, font le " gadlout ". L'homme perçoit alors les mondes spirituels comme un guide unique et parfait et parvient à la connaissance du but de la création et de son organisation, il voit clairement qu'il lui faut agir selon ce qu'énonce la Torah et dés lors sa raison l'y oblige.

Connaître le Créateur implique pour l'homme une contradiction entre la foi et la connaissance, entre les lignes droite et gauche : doté d'attributs altruistes, ( qui correspondent aux " kilim DE ASHPAA ", en phase de " katnout ", l'homme souhaiterait cheminer uniquement au moyen de la foi en la toute-puissance du Créateur car c'est un signe de désintéressement mais le fait que le Créateur a dévoilé Sa grandeur, la " gadlout " du monde supérieur, l'en empêche. L'homme est alors prêt à mépriser les connaissances reçues.

La prière de l'homme pour progresser à l'aveuglette en ayant foi en la grandeur du Créateur et non en ayant conscience de Sa force et de Sa grandeur et en utilisant sa raison en proportion de sa foi oblige le Créateur à réduire son dévoilement.

L'action de l'homme qui oblige l'En-haut à moins dévoiler Sa Toute-puissance, Sa lumière (" or khokhma ") est désignée par le terme écran (" dekhirik ") : l'homme diminue l'intensité du dévoilement de l'Intelligence supérieure, de la ligne gauche jusqu'au niveau qui lui permet de l'équilibrer avec sa foi, sa ligne droite.

La juste proportion obtenue entre la foi et la connaissance s'appelle l'équilibre spirituel, la ligne médiane. L'homme définit lui-même cet état qu'il souhaite obtenir. Dans ce cas, l'homme peut déjà exister comme élément spirituel car il est constitué de la juste proportion de foi et de raison, la ligne médiane qui lui permet de parvenir à la perfection.

Cette partie de connaissance, de dévoilement, de ligne gauche que l'homme peut utiliser en fonction de l'intensité de sa foi, en fonction de sa ligne droite, en plaçant sa foi au-dessus de sa raison au moyen de la ligne médiane vient s'ajouter aux attributs spirituels qu'il a déjà acquis en phase de " katnout  ". Le niveau spirituel atteint s'appelle " Gadlout ", Niveau complet, niveau haut.

Quand l'homme sera parvenu au niveau spirituel complet, il se trouvera, grâce à ses attributs, en état d'égalité par rapport au premier degré, le plus bas de l'échelle spirituelle. Comme nous l'avons déjà mentionné, tous les degrés de l'échelle sont imbriqués l'un dans l'autre, ils sont mutuellement empreints de leurs attributs respectifs. En parvenant au premier degré complet, l'homme peut par conséquent trouver en lui une partie du degré supérieur et selon le même principe progresser vers le but de la création, pour se fondre totalement dans le Créateur au degré le plus élevé.

La progression spirituelle consiste à ce que chaque homme, dès qu'il décèle un accroissement du mal en lui, demande au Créateur de lui donner des forces pour le maîtriser. Il reçoit des forces sous la forme d'une lumière spirituelle plus intense jusqu'à ce qu'il atteigne le véritable niveau originel de son âme après la réparation de tout son égoïsme devenu complètement empli de lumière.

Quand des pensées étrangères viennent à l'esprit de l'homme, celui-ci considère qu'elles le gênent dans sa progression vers le spirituel car elles l'affaiblissent, accaparent son intelligence et remplissent son cÏur de mesquins désirs, il cesse croire que la vraie vie est contenue dans la Torah. Après avoir surmonté cet état malgré tout, il parvient à la lumière supérieure qui l'aide à s'élever encore plus. Les pensées étrangères sont un moyen pour l'homme de progresser.

Il n'est possible de surmonter les pensées parasites qu'avec l'aide du Créateur car l'homme ne peut travailler sur lui-même que s'il y voit un avantage personnel, quelle qu'en soit la forme.

Notre corps, notre cÏur, notre raison ne comprenant pas quel avantage peut leur apporter l'altruisme, dès que l'homme veut faire le moindre geste altruiste, il n'a pas la force d'agir ni par la raison, ni par le cÏur, ni par le corps. Il ne lui reste plus qu'une seule chose, demander de l'aide au Créateur. Il est alors contraint de s'approcher du Créateur jusqu'à ce qu'il se fonde en Lui totalement.

L'homme n'a pas le droit de se plaindre de n'avoir pas été doté de suffisamment d'intelligence, de force ou de courage à la naissance ou bien de ce qu'il est dépourvu d'attributs que possèdent d'autres personnes car, s'il ne suit pas le bon chemin, ce sont des attributs qui ne serviront à rien. Il est possible qu'il devienne un grand savant, même un érudit en matière talmudique, s'il ne parvient pas à la relation avec le Créateur, il ne remplira pas sa fonction à l'instar de nombreuses personnes. L'essentiel est de parvenir au niveau de juste, car ce n'est qu'à ce moment que l'homme peut utiliser toutes ses aptitudes à bon escient et ne pas dépenser en vain ses forces. Au contraire même, les forces les plus infimes, les facultés qui lui sont données par le Créateur, l'homme peut les mettre en valeur en les dédiant au but suprême.

Si l'homme connaît une période d'abattement spirituel, il est inutile de le persuader de prendre courage, de lui dire des paroles pleines de sagesse, rien de ce qu'il entendra ne lui sera d'aucune aide. Les récits de ce que d'autres ont pu endurer, ressentir, leurs conseils, rien ne le relèvera car, tout simplement, il n'a plus la foi en quoi que ce soit, encore moins en ce à quoi sont arrivés d'autres !

Si l'homme se souvient de ses dialogues intérieurs quand il était dans une période de progression spirituelle, quand il était plein de vie et non spirituellement mort comme au moment présent, s'il se souvient de ses aspirations, de ses acquis spirituels, il pourra alors reprendre des forces. Le souvenir qu'il avait la foi, qu'il plaçait cette foi au-dessus de sa raison et s'il se concentre sur ses souvenirs personnels, il pourra sortir de son état de mort spirituelle. L'homme doit s'appuyer sur ses propres souvenirs, sa propre expérience, c'est la seule chose qui peut l'aider à sortir de la torpeur spirituelle.

Le travail de l'homme qui s'est élevé à un certain degré spirituel consiste à procéder à une sélection dans ses sensations de plaisir et à faire en sorte que la partie de ces plaisirs qui ne peut pas être équilibrée par la foi soit jetée au loin. En Cabale, cette partie de plaisir procuré à l'homme reçoit pour faire le délice de son Créateur aux fins de renforcer sa foi ne s'appelle pas autrement que "nourriture ". Si l'homme n'est pas en mesure de se contrôler et désire avaler toute la nourriture, il est ce que la Cabale qualifie de " ivre " (d'un excédent de plaisir), il perd tout et se retrouve sans rien, ce que la Cabale qualifie de " pauvre ".

Dans la vie, l'homme se voit expliquer ce qu'il a le droit et ce qu'il n'a pas le droit de faire, et s'il n'applique pas les instructions, il reçoit une punition. Si l'homme ne prévoit pas la douleur et la souffrance qui le menacent s'il enfreint la loi, il enfreindra celle-ci si, bien entendu, il éprouve du plaisir à cette enfreinte. Il sera ensuite puni pour qu'il sache qu'il ne faut pas agir ainsi à l'avenir.

Par exemple, il existe une loi qui interdit de voler de l'argent. Si un homme aspire à l'argent et qu'il sait qu'il peut en voler, même s'il sait qu'il peut être puni pour vol, il n'est pas en mesure d'évaluer toutes les souffrances dues à la punition. Il décidera donc que le plaisir de posséder l'argent est bien plus grand que les souffrances dues au châtiment. Quand il connaîtra les souffrances dues au châtiment, il verra qu'elles sont bien plus grandes qu'il le supposait et bien plus grandes même que le plaisir procuré par le vol. Il observera alors la loi.

A sa libération, on lui dira que le châtiment sera bien plus grand s'il recommence, car l'homme oublie les souffrances qu'il a endurées. Quand il voudra voler à nouveau, il se rappellera que les souffrances seront bien plus élevées pour ce second vol, le choix lui est ainsi offert de s'empêcher de voler ou non. Cet exemple sommaire parmi d'autres de la vie quotidienne que le lecteur pourra lui-même trouver dans son entourage montre que les souffrances conduisent l'homme à emprunter un chemin que les désirs de son égoïsme lui auraient interdit de choisir car il est bien plus facile de voler que de peiner pour gagner sa vie, plus facile de se reposer que de penser et de travailler, il est plus agréable de prendre du plaisir que de souffrir.

Si l'homme a choisi d'étudier la Torah et d'observer les commandements, il doit savoir que ces initiatives sont créées pour son bien. Autrement dit, il doit comprendre que son égoïsme est gagnant. Personne dans ce monde n'est capable de s'engager dans un travail absolument altruiste, non rémunéré par de l'argent, par des honneurs, par des plaisirs, par des promesses pour le futur. L'homme est encore moins capable de travailler sans voir les conséquences de son travail, ses résultats, sans surveiller ce qu'il produit, ce qu'il donne à quelqu'un, ce que reçoit quelqu'un, sans voir pour qui il travaille, autrement dit, de faire des efforts dans le vide. Naturellement, notre raison et notre corps égoïstes opposent de la résistance à cet état de fait car ils ont été créés par le Créateur pour se délecter.

Seules les souffrances perçues par l'homme dans son environnement, induites par la perte complète du goût et du plus petit infime plaisir qu'elle peut procurer, par la totale conviction qu'il n'est pas en état de tirer de plaisir de quoi que ce soit (sous n'importe quelle forme : tranquillité, joies, etc.), obligent l'homme à désirer et agir avec altruisme dans l'espoir de trouver son salut en empruntant ce nouveau chemin. Bien qu'il ne s'agisse pas d'altruisme car le but de ses actes réside dans son bien-être et son salut, l'homme s'est néanmoins rapproché de l'altruisme auquel il viendra progressivement sous l'action de la lumière contenue dans ses actes.

En agissant avec altruisme pour soi-même, en donnant pour recevoir, l'homme commence à percevoir la lumière dissimulée dans ses actes, le plaisir, et cette lumière est de nature à réparer l'homme.

Dans la nature, nous pouvons observer la chose suivante : des pluies torrentielles se déversent sur la terre mais pas dans les endroits où il faut, par exemple au lieu des champs, dans le désert, ce qui sera parfaitement inutile ; par contre de petites précipitations par place permettront des récoltes de fruits abondantes. A cette image, l'homme peut étudier la Torah sans s'arrêter, ne jamais voir les fruits de son étude, c'est-à-dire la connaissance du Créateur, et au contraire, loin de faire autant d'efforts il fera une récolte extraordinaire en étudiant juste ce qui est nécessaire au moyen de la Cabale.

Il en est de même avec l'étude de la Cabale, si elle est dédiée à la recherche du Créateur et non à l'acquisition de connaissances, les bienfaits vivifiants de la Torah se déverseront là où il faut car ils ont été donnés à cette fin. Si l'homme étudie pour accumuler des connaissances ou bien, ce qui est encore pire, pour montrer son intelligence et s'en enorgueillir, même la Cabale ne donnera aucun fruit, elle pourra seulement montrer à l'homme le but à se fixer pour étudier, celui-ci fera ensuite des efforts personnels pour continuer.

L'homme qui étudie la Cabale concentre en permanence sa pensée car l'ensemble de son travail consiste justement à imposer une bonne orientation à ses pensées et à ses actes pour qu'ils forment un seul et même tout avec le but suprême de la création, d'autant plus qu'il n'existe pas de moyen plus fort pour se rapprocher du spirituel que la Cabale.

" L'Egypte " dans la Torah est la personnification de l'empire de notre égoïsme (c'est pourquoi " Mitsraïm " provient des mots " mits -ra " - concentration du mal), " Amalek " est une tribu qui a combattu Israël (des mots "isr-iashar "-droit et "el "-le Créateur, autrement dit ceux qui veulent se tourner vers le Créateur), et la personnification de notre égoïsme qui en aucun cas ne souhaite que nous lui échappions.

L'égoïsme se manifeste dans les sensations (il les assaille) de l'homme qui souhaite sortir de l'exil qu'est son égoïsme "égyptien". Amalek survient dès le début de son chemin.

C'est à certains élus que le Créateur fait ressentir un accroissement de leur égoïsme et leur donne le désir de Le connaître, Il envoie Amalek à Israël pour que celui-ci éprouve le besoin de se rapprocher du Créateur et non pas seulement celui de s'améliorer, par exemple de faire preuve tout simplement de "bonté". Ces élus commencent alors à éprouver de grandes difficultés pour s'améliorer, leur désir d'étudier, d'une très grande force naguère, disparaît, leurs corps s'alourdissent au moment d'accomplir le moindre geste.

La lutte avec le corps correspond en principe au fait que le corps (la raison, notre "moi ") souhaite comprendre qui est le Créateur, où aller et dans quel but, et savoir si chacun de ses efforts sera récompensé. Ni notre raison, ni notre corps ne fournissent sans fondement ni l'énergie ni la motivation pour faire quoi que ce soit, et c'est à juste titre car n'est-il pas stupide de faire quelque chose sans rien savoir d'avance.

Il n'y a pas d'autre moyen de sortir de notre nature, pour pénétrer dans l'anti-monde spirituel, que d'acquérir une autre raison et d'autres désirs correspondant à cet anti-monde. Ceux-ci sont opposés aux nôtres, car tout ce que nous connaissons, tout ce que nous ressentons, tout ce qui constitue le tableau de ce que nous appelons notre monde, correspond à des notions dictées par notre raison et notre cÏur égoïste.

Ce n'est qu'après les avoir transformés en leur contraire, après avoir transformé la raison en foi et le prendre en donner que nous pouvons pénétrer le monde spirituel. Comme nous ne sommes dotés que des instruments avec lesquels nous avons été créés, notre raison et notre égoïsme, notre raison étant au service de notre égoïsme, ce n'est que de l'extérieur, que du Créateur, que nous pouvons recevoir d'autres instruments pour notre raison et nos sens. C'est pourquoi Il nous "attire" vers Lui tout en nous montrant que nous ne sommes pas en mesure de nous refaire par nous-mêmes. Bon gré mal gré, nous devons chercher le lien avec notre Créateur, c'est le gage de notre salut spirituel.

L'homme ne doit pas demander au Créateur d'avoir la possibilité de Le ressentir, d'assister à des miracles, ce qui lui permettrait de lutter contre son propre moi, pour que cela lui donne des forces au lieu d'éprouver une foi aveugle en la grandeur du spirituel. La Torah l'avertit par l'exemple suivant : aussitôt après la sortie d'Egypte, Amalek assaille l'homme, et c'est seulement en levant les bras et en demandant la force de la foi que Moïse en est vainqueur.

Notre progression spirituelle nous permet de recevoir en permanence une part de raison supérieure allant grandissant à chaque degré gravi. Nous devons sans cesse accroître la force de notre foi pour qu'elle soit supérieure à notre raison sinon nous retombons sous l'emprise de notre égoïsme, et il en est ainsi tant que nous ne nous faisons pas un seul et même tout avec le Créateur.

C'est alors que nous parvenons à la connaissance absolue, à la perception maximale de la lumière (or hohma ) sans gradation aucune, ainsi qu'il est dit dans la Torah " que la lumière soit et la lumière fut " ou bien comme le formule la cabale " au commencement de la création, tout n'était que lumière ". Cela signifie que lorsque la lumière brille pour tous sans distinction de niveau, tout est absolument clair, il n'y a ni commencement, ni fin, aucune nuance, tout est parfaitement compréhensible.

Il y a le chemin de la Torah et la Torah elle-même. Le chemin de la Torah est une période difficile, un changement radical de l'approche de la vie, une recherche de soi, de sa nature, une définition précise de l'orientation à donner à ses désirs, une perception juste de la motivation à l'origine des actions, des efforts faits pour surmonter les désirs du corps et les exigences de la raison, une parfaite conscience de son égoïsme, une longue période de souffrances dans la recherche de l'assouvissement des désirs, de déception devant l'impossibilité de trouver une "substance pour remplir " ses aspirations, la conscience que la véritable fuite pour s'éloigner de la source des souffrances, de l'égoïsme, réside dans l'altruisme des pensées, une sensation de douceur à la pensée du Créateur au point de ne plus désirer que penser à Lui.

Ce n'est qu'après avoir traversé toutes ces périodes préliminaires de développement spirituel qui correspondent au chemin de la Torah, que l'homme comprend la Torah, cette lumière supérieure qui brille pour lui de plus en plus à mesure de sa progression sur les degrés de l'échelle spirituelle qui le mènent à l'union totale avec le Créateur.

Notre chemin est composé de deux parties : le chemin de la Torah et la Torah proprement dite. Le chemin de la Torah correspond à la période de la préparation de nouvelles pensées et de nouveaux désirs au cours de laquelle l'homme éprouve des souffrances. Après ce passage, après ce couloir qui mène au Créateur, l'homme pénètre les mondes spirituels, le royaume de la lumière, il atteint le but de la création, la Torah, il a la perception complète du Créateur.

Par génération du déluge, on entend la période de travail qui se fait dans le cÏur, par "génération des bâtisseurs de la tour de Babel ", celle du travail effectué au moyen de la raison. Nous désirons tous éprouver du plaisir dès le premier instant de sa vie jusqu'au dernier. La différence entre chacun de nous réside en fait dans la forme sous laquelle l'homme désire recevoir le plaisir, celui-ci étant spirituel dans son essence même. Ce n'est que notre écorce externe qui nous donne l'illusion de sa matérialité.

Nous aspirons inconsciemment à changer l'écorce externe (le vêtement) de notre plaisir en espérant le percevoir dans la lumière pure du Créateur. Les écorces du plaisir auquel aspirent les hommes étant différentes, nous leur attribuons des dénominations différentes. Certaines formes de plaisir sont considérées comme normales, acceptables, par exemple, l'amour pour les enfants, la nourriture, la chaleur, etc., certaines ne sont pas acceptées par la société, par exemple la drogue, et obligent le plus souvent l'homme à cacher qu'il s'y adonne.

L'humanité tout entière accepte tacitement l'utilisation de son égoïsme sans gêne aucune dans les limites conventionnelles. Il est à noter que les limites de l'utilisation par chacun de son égoïsme et la mode des meilleures écorces changent à mesure que la société se développe. Et chacun de nous, sous l'action de son âge, c'est-à-dire sous l'action "naturelle " du Créateur change ses écorces au moyen desquelles il satisfait ses besoins en plaisir.

La mue, le changement d'écorce est parfois visible chez un individu. Par exemple, une petite fille a du plaisir à jouer avec sa poupée, mais elle n'aimera pas s'occuper d'un vrai bébé ; sa mère, elle, n'éprouvera aucun plaisir à jouer à la poupée, elle pourra cependant convaincre sa fille à aimer s'occuper d'un bébé. Du point de vue de la petite fille, pour autant que son appréhension du monde le lui permette, il n'est pas facile pour sa mère de s'occuper de son enfant, elle n'en retire aucun plaisir.

On comprend le raisonnement de l'enfant car elle n'est pas encore en âge où elle peut trouver du plaisir dans de vrais objets, elle le trouve dans des jouets, autrement dit dans le factice. Nous aspirons tous au plaisir que nous donne le Créateur. Nous ne pouvons que Le désirer et percevoir la vie à travers notre désir. Nous ne sommes pas différents en cela de nos âmes avant leur descente dans notre monde et leur incarnation, non plus qu'après toutes leurs migrations une fois revenues au Créateur. Nous sommes ainsi faits que nous aspirons au plaisir de recevoir la lumière qui émane de Lui, c'est immuable. Tout ce qui nous est demandé, ce pour quoi nous a créés le Créateur, c'est pour que nous changions l'écorce externe de nos plaisirs, que la poupée devienne un véritable enfant et que nous en éprouvions du plaisir.

Comme un enfant pendant la tétée, l'homme souhaite, ne souhaite recevoir que ce qu'il veut. Il accepte de faire des efforts s'il est sûr qu'au bout du compte, il éprouvera du plaisir. Si l'homme souhaite travailler sur lui-même, en étudiant la Torah, son corps aussitôt demande : pour quelle raison fais-tu cela ?

Il peut être fait quatre réponses à ce discours : pour agacer autrui, le plus mauvais but car il signifie aspirer à causer des souffrances à autrui.

Pour devenir un grand érudit, avoir des fonctions importantes, les honneurs, de l'argent, faire un mariage réussi, ce but est meilleur que le précédent car des gens peuvent en bénéficier, c'est ce cas de figure qui correspond au travail pour les autres car ceux-ci le payent.

Pour que seul le Créateur ait connaissance de son étude et de son travail sur lui-même, non pour que les hommes le sachent, non pour recevoir les honneurs des hommes mais pour que le Créateur l'élève. Cela s'appelle travailler pour le Créateur car une récompense est attendue du Créateur.

Pour que les fruits du travail accompli soient dédiés au Créateur sans retour aucun. L'égoïsme demande alors : quel profit vas-tu en tirer ? L'homme n'a rien à répondre, il va à l'encontre de sa raison et de ses sentiments, autrement dit, il est au-dessus de sa raison et de ses sentiments (lemala mi daat ).

Le travail de l'homme consiste à écarter sa raison et ses sentiments de la critique et de la vérification du degré où il se trouve pour faire confiance totalement au Créateur et concentrer tous ses efforts pour que ses pensées et ses sentiments soient en permanence orientés vers le Créateur et la grandeur spirituelle. En réponse à toutes les sollicitations de la voix de sa raison avec ses arguments qu'elle avance sur la nécessité de s'occuper de toutes sortes de problèmes de la vie quotidienne, l'homme accomplit tout ce qui lui est demandé mais toutes ses pensées et tous ses désirs sont orientés vers le bien du Créateur. Cet homme ne désire pas entendre les critiques de sa voix intérieure. Il est comme suspendu en l'air sans point d'appui raisonnable, cette sit uation s'appelle être au-dessus de sa raison et de ses sentiments " lemala mi daat ".

Plus l'homme éprouve de plaisir à posséder quelque chose, plus ce quelque chose lui est cher, et plus ce quelque chose lui est cher, plus grande est la peur de le perdre.

Comment l'homme peut-il parvenir à la prise de conscience et au sentiment de l'importance du spirituel s'il ne les a jamais éprouvés? Il peut y arriver en faisant des efforts justement pendant ses moments de vide spirituel, quand il s'inquiète de n'éprouver aucune émotion vis à vis de la magnificence spirituelle, d'être très éloigné du Créateur, de ne pas pouvoir changer.

Les efforts que fait l'homme dans ce cas, efforts désignés travail quotidien, font naître en lui l'impression d'essentiel liée aux sensations spirituelles, ce qui correspond au shabat , période où il n'a pas besoin (où le cinquième des Dix Commandements le lui interdit) de travailler sur lui-même, mais où il doit seulement observer (leshabat ) pour ne pas perdre ce cadeau du Créateur.

On sait que si l'homme est personnellement impliqué dans quelque chose, il ne peut plus en juger objectivement, quoi qu'il arrive. C'est pourquoi si on dit franchement à un homme qu'il ne se conduit pas bien, il ne sera jamais d'accord car cela lui est plus facile que de le reconnaître, et parce qu'il est sûr qu'il agit bien.

Si l'homme s'engage donc à agir comme il lui est demandé, il découvre peu à peu que la Vérité n'est pas dans ses actes et ses pensées passées mais dans ce qui lui est conseillé. Ce principe est désigné dans la Torah par la phrase " naassé ve nishma ".

Le but du Créateur étant de procurer du plaisir aux créations (telles que nous sommes, toutes les autres n'ont été créées par Lui que dans un but auxiliaire), tant que l'homme ne ressent pas la perfection dans la délectation et peut trouver en elle une insuffisance (en qualité, en intensité, dans sa durée, etc.), cela signifie qu'il n'a pas atteint le but de la création.

Pour se délecter, se conformer au but de la création, il faut auparavant réparer le désir d'éprouver du plaisir, et ceci parce que le Créateur le souhaite. L'homme ne doit pas se concentrer sur la recherche du plaisir, dès qu'il aura effectué sa réparation, il aura immédiatement la sensation de celui-ci, il doit simplement procéder à sa réparation.

Cette situation est pareille à l'homme qui souhaite acheter un appartement, il ne doit pas penser à la manière dont il va emménager, mais comment il va le payer, comment il va gagner l'argent car c'est uniquement quand il aura l'argent qu'il pourra acheter l'appartement. Tous les efforts doivent donc être faits dans le but d'obtenir de l'argent et non un appartement.

Il en est de même pour la connaissance des mondes spirituels, tous les efforts doivent être concentrés sur la création des conditions pour recevoir la lumière, non pas pour bénéficier de la lumière elle-même, autrement dit pour créer des pensées et des désirs altruistes, c'est alors que le plaisir spirituel se fera sentir.

L'humanité est constamment dans l'erreur et n'en tire guère de leçons. L'accumulation des souffrances se fait néanmoins dans l'âme éternelle et non dans les corps périssables, ceci est un aspect positif du progrès qu'elle connaît.

Par conséquent, aucune souffrance ne disparaît, au cours d'une migration ultérieure dans ce monde, elle amène le corps humain à créer les conditions pour chercher un moyen de se débarrasser des souffrances en s'élevant spirituellement.

Par rapport à nous, les mondes spirituels peuvent être à juste titre nommés anti-mondes car dans notre monde toutes les lois de la nature sont construites sur l'égoïsme, l'aspiration à saisir et à comprendre, les mondes spirituels se caractérisent par leur altruisme absolu, par l'aspiration à donner et à croire.

Ces deux pôles sont tellement opposés qu'il n'y a aucune similitude entre les deux et que toutes nos tentatives de se représenter ce qui s'y passe ne nous en donnera aucune idée, la plus petite soit-elle. Ce n'est qu'en transformant les désirs de nos cÏurs, le "prendre" en "donner" et celui de "comprendre" en "croire" au mépris de l'intelligence, que nous pourrons percevoir les mondes spirituels.

Ces deux désirs sont liés bien que le désir de saisir se trouve dans le cÏur et que le désir de comprendre dans le cerveau, ils ont tous deux l'égoïsme pour base. Il est dit en Cabale que la naissance d'un élément spirituel se fait dans l'ordre suivant : "le père fait sortir la mère" pour mettre au monde un fils : la perfection "fait sortir" la raison hors de son analyse du monde environnant pour la remplacer par une nouvelle, spirituelle, indépendante des désirs et, par conséquent, authentiquement objective.

La foi en le Créateur est simplement insuffisante. Mais ce n'est pas tout, notre foi doit être dédiée au Créateur et non à notre propre bien-être. N'est digne du nom de prière que la demande formulée au Créateur dans le but de susciter en Lui le désir d'aider celui qui prie à ressentir la grandeur et la magnificence du Créateur. Ce n'est qu'à l'appel de ce désir que réagit le Créateur en élevant l'homme dans les mondes spirituels et en lui dévoilant toute Sa grandeur ; c'est alors que des forces sont données à l'homme pour l'élever au-dessus de sa nature.

Une fois rempli de la lumière du Créateur qui donne la force de s'opposer à sa nature égoïste, l'homme a la sensation qu'il est parvenu à l'éternité car rien ne peut plus changer en lui et jamais il ne revient à l'égoïsme, il vit hors de la dimension du temps dans le monde spirituel. Il y a équilibre dans perception du présent et du futur, l'homme a le sentiment d'être parvenu à l'éternité.

Notre Créateur est absolument immuable, nous, ses créations, aspirons à la sérénité, à recevoir ce que nous désirons. Le Créateur a créé deux forces pour notre développement : l'une qui nous fait reculer, autrement dit les souffrances qui nous obligent à fuir notre état, une deuxième qui nous attire, qui nous fait aller de l'avant vers le plaisir. Ces deux forces simultanément, pas séparément, peuvent nous faire bouger, nous obliger à agir.

En aucun cas l'homme ne doit se plaindre que le Créateur l'a créé paresseux, qu'Il l'a doté d'une nature qui fait qu'il lui est difficile de bouger. Au contraire, un paresseux n'aspire pas sans raison et de manière impulsive aux petites choses de la vie, il évalue longuement les situations, se demande s'il faut faire des efforts pour obtenir ce qui l'attire.

L'homme ne fuit pas immédiatement les souffrances, il évalue pour quelle raison et dans quel but il souffre, il en tire des leçons pour éviter que dans le futur elles l'obligent à agir et à bouger, ce qui lui est pénible.

L'homme aimerait utiliser son égoïsme dans toutes les circonstances de la vie, son entourage ne le lui permet pas. Toutes nos lois sociales sont construites aux fins de trouver un terrain d'entente mutuel permettant l'utilisation de l'égoïsme de chacun en portant le moins de préjudice à autrui. Dans tous les cas de figure, nous souhaitons toujours tirer le maximum : le vendeur aimerait être payé sans remettre la marchandise pour autant, l'acheteur aimerait avoir la marchandise gratuitement. Les patrons rêvent d'employer de la main d'Ïuvre à titre gracieux, les employés voudraient percevoir un salaire sans travailler.

Nos désirs peuvent se mesurer à l'intensité des souffrances dues à l'absence de ce que nous souhaitons : plus grande est la souffrance provoquée par le manque de l'objet souhaité, plus grand est par conséquent le désir de le posséder.

Il est dit que " C'est le désir du Créateur de vivre dans les créatures d'En-bas ", créer ces conditions est le but de la création et notre rôle.

L'idolâtrie (" avoda zara ") est une inclination à suivre les désirs égoïstes du corps, à l'opposé du travail spirituel, " avodat hashem ", "avodat hakodesh ", qui correspond à la poursuite de désirs ou d'objectifs altruistes.

L'union spirituelle consiste à comparer les attributs de deux éléments spirituels.

L'amour spirituel signifie la recherche de l'union complète. Comme il s'agit de l'union de deux attributs opposés, de l'homme et du Créateur, pour contrôler s'il s'agit d'amour ou de soumission, l'homme doit se demander s'il a en lui le désir de revenir à l'emprise de ses désirs. Cette question est naturellement un signe, qu'il aime véritablement le Créateur.

Si les attributs sont en harmonie, cela témoigne de la joie du Créateur d'être uni à la créature, et l'homme éprouve de la joie à donner au Créateur.

Le retour " teshouva " signifie que l'homme dans ce monde et au cours de son existence reviendra au degré spirituel auquel se situait son âme au moment de sa création (l'état du premier homme avant le pécher originel).

Il y a deux organes qui permettent d'agir, deux principes d'action dans l'homme, l'intelligence et le cÏur, la pensée et le désir. Il doit travailler à transformer leurs principes égoïstes pour les faire devenir altruistes.

Nous ressentons tous nos plaisirs dans le cÏur. Si l'homme sent qu'il peut rejeter tout plaisir terrestre, si un plaisir lui est réservé à lui personnellement, il mérite de se délecter véritablement car, dans ce cas, il n'utilise plus son égoïsme.

L'intelligence n'éprouve pas de plaisir à comprendre ce qu'elle fait. Si l'homme peut réaliser quelque chose sans comprendre, et avoir la foi pour lutter contre ce que lui dicte sa raison, il avance donc en plaçant sa foi au-dessus de sa raison, cela signifie qu'il a éliminé son égoïsme et peut agir selon la raison du Créateur, non selon sa propre intelligence.

La lumière du Créateur pénètre l'ensemble de la création notamment notre monde bien que nous ne la percevions aucunement. Cette lumière est nommée lumière qui anime la création. Grâce à cette lumière, la création, les mondes existent sinon la vie s'arrêterait mais aussi la matière dont ils sont constitués. Cette lumière transparaît dans l'action de toutes sortes d'éléments matériels et des phénomènes de notre monde.

Tout ce qui nous entoure et nous-mêmes, nous ne sommes rien d'autre que la lumière du Créateur, elle est présente dans la Torah et dans la matière et dans la créature la plus grossière. La différence n'est perceptible que de nous qui ne voyons que les écorces externes, le vêtement de la lumière. En fait, une force agit dans toutes les créations, la lumière du Créateur.

La plupart des hommes n'ont la perception que du vêtement externe de la lumière du Créateur. Il y a des hommes qui ne ressentent la lumière du Créateur que dans la Torah. Il y a des hommes qui ressentent la lumière du Créateur dans tout ce qui les entoure, qui ont le sentiment que tout est lumière émanant du Créateur et emplissant le moindre espace.

Le Créateur a décidé de créer l'homme dans notre monde pour que des profondeurs de son état originel, il puisse s'élever spirituellement jusqu'au niveau du Créateur, devenir identique au Créateur. Le Créateur a par conséquent créé l'égoïsme, le désir de se délecter. Cette sensation d'égoïsme est appelée la création originelle.

Le Créateur étant lumière, naturellement, la création originelle fut emplie de lumière-délectation. Cela signifie qu'au commencement de la création, la lumière-délectation emplissait l'espace-égoïsme créé, elle l'emplissait complètement jusqu'à satiété.

Le Créateur a restreint ensuite la diffusion de la lumière, Il l'a dissimulée, et, à sa place, dans la création, dans le désir de se délecter, dans l'égoïsme est apparue la douleur, le vide, les ténèbres, la tristesse, tout ce que l'on peut imaginer quand on ressent l'absence de quelque chose.

Pour maintenir en l'homme une aspiration minimale à la vie, pour qu'il ne mette pas un terme à sa vie en raison du manque éprouvé, le Créateur lui donne le désir de se délecter d'une petite part de lumière, " ner dakik ", habillée des divers éléments de notre monde auxquels nous aspirons par conséquent. Inconsciemment et automatiquement nous sommes en permanence à la recherche de la lumière du Créateur. Nous sommes les esclaves de cette aspiration naturelle.

L'homme doit croire que le fait que le Créateur se dissimule, que la sensation de désolation en l'absence de plaisir sont spécialement créés par le Créateur pour le bien de l'homme car si la lumière emplit l'égoïsme, l'homme n'a pas de libre-arbitre pour agir indépendamment car il devient l'esclave du plaisir qui l'emplit.

C'est seulement éloigné de la lumière du Créateur, en ayant la sensation qu'Il se dissimule, quand l'homme se sent un être absolument indépendant qu'il a la possibilité de prendre des décisions et d'agir en toute autonomie. Cette autonomie, elle aussi, se manifeste uniquement quand : l'homme n'a plus l'impression de faire l'objet de l'influence du Créateur et peut agir indépendamment des désirs de son corps.

Cette possibilité nous est offerte dans nos conditions terrestres, celles dans lesquelles nous vivons. L'homme doit croire qu'il n'y a rien et personne au monde à l'exception du Créateur.

L'homme est fait de la sensation personnelle de son " moi " justement en raison de l'égoïsme de ses sensations, et s'il se débarrassait de cette caractéristique, il redeviendrait une partie du Créateur.

L'homme doit croire que la dissimulation du Créateur n'est ressentie que par lui, dans sa perception personnelle, que la dissimulation du Créateur n'a pour but que son bien. C'est pourquoi, tant que l'homme ne sera pas prêt à connaître la Vérité, il devra croire que celle-ci n'est pas telle qu'il la ressent dans sa perception. Cette vérité ne peut être comprise que progressivement par l'homme à mesure qu'il parvient à la perfection.

Tout le travail que l'homme effectue n'est possible que si le plaisir procuré par le spirituel lui est dissimulé pour que, malgré la dissimulation du Créateur, il puisse se dire qu'il ressent du dégoût pour le spirituel parce que le Créateur le souhaite ainsi, mais , qu'en fait, il n'existe rien de plus parfait.

Si l'homme, malgré la sensation de ténèbres, d'abattement et de vide, malgré les arguments de sa raison, peut aspirer à la recherche de la perception du Créateur, au rapprochement spirituel, cela signifie qu'il avance en plaçant sa foi au-dessus de sa raison et de ses sentiments selon le principe " emouna lemala mi daat ", le Créateur se révèle alors à lui car l'homme ne recherche et n'attend que cela dans tous les états qu'il expérimente. Au moyen du Crescendo midi plug-in vous pourrez écouter une version midi réduite et simplifiée d'une mélodie cabalistique composée en harmonie avec les lois des mondes supérieurs par les Cabalistes Y. Ashlag et B. Ashlag d'après leurs impressions des mondes spirituels supérieurs. 


Les Grands Textes de la cabale

Les rites qui font Dieu 672 pages, 198 F 30,46 euros ISBN : 2-86432-161-0

     Pratiques religieuses et efficacité théurgique dans la cabale, des origines jusqu'au milieu du XVIIIe siècle, tel est le sujet d'étude de cet ouvrage. Première monographie entièrement consacrée à la signification et à la fonction des observances religieuses (ta'amé ha-mitsvot), ce livre rassemble en traduction française les écrits d'une centaine de cabalistes, présentés et expliqués dans l'ordre chronologique, école par école, auteur par auteur.      Un des apports les plus originaux des cabalistes a été le développement d'une pensée de la pratique et des Ïuvres qui attribue à celles-ci un pouvoir sur la création et sur le monde divin, pouvoir si extraordinaire qu'il est même capable de « faire Dieu ». Les systèmes de pensée élaborés par les cabalistes pour rendre compte de cette puissance des actes des hommes se sont déployés en mêlant certains concepts issus du néoplatonisme tardif et de sa théurgie aux croyances bibliques et aux exégèses rabbiniques anciennes. Cette fusion entre certains aspects de la pensée des derniers philosophes de la fin de l'Antiquité et de la tradition juive a été d'une très grande fécondité puisqu'elle a suscité une immense littérature qui s'est proposé d'élucider les « secrets de la Torah ». Cette part essentielle de la pensée juive, très souvent ignorée et parfois même rejetée comme intrusion étrangère et inauthentique, se trouve au cÏur de la conception théologique et anthropologique de quelques maîtres parmi les plus éminents de l'histoire du judaïsme.

 Extraits de presse

     Le Monde, 6 août 1993     par Nicolas Weill

     La cabale réhabilitée      Déviance messianique, tradition noire, science occulte ? Contre Gershom Scholem, Charles Mopsik réévalue une philosophie juive du Moyen Âge qui ne cesse de fasciner.      Plus que jamais la tradition théosophique juive née en Provence il y a environ sept siècles, connue sous le nom de cabale, attire philosophes et savants. Certains épistémologues veulent même y déceler une source du formalisme scientifique moderne comme Henri Atlan, récemment encore, dans sa préface au Golem de Moshé Idel (Cerf). Pourtant, si la cabale fascine, à l'heure où les religions institutionnelles affrontent en Occident la crise de désaffection la plus grave de leur histoire, évoquée dans la dernière livraison de la revue le Débat, n'est-ce pas plutôt parce qu'on la compte au nombre des sciences occultes ? Paradoxalement, l'Ïuvre considérable de l'érudit israélien d'origine allemande Gershom Scholem (disparu à Jérusalem il y a une dizaine d'années), à qui le « public cultivé » doit de connaître l'étendue et la complexité du corpus cabalistique, n'a pas peu contribué à entretenir l'image d'une doctrine confinée dans les marges de la foi officielle, tradition noire, voire matrice des hérésies qui émaillent l'histoire juive...

     Le livre de Charles Mopsik représente de ce point de vue la première lecture « post-scholemienne » d'importance de la cabale, en français. Son auteur met entre les mains du lecteur des textes dont certains sont imprimés pour la première fois (les manuscrits de Yohanan Alemanno, le maître et ami de Pic de la Mirandole, conservés à la Bibliothèque nationale, attendent encore leur édition...). Ceux qui ont pratiqué ce genre de littérature ne pourront que saluer la prouesse d'un spécialiste qui a su non seulement traduire mais aussi rendre lisibles des écrits rédigés en araméen ou en hébreu médiéval, à l'ésotérisme souvent déroutant.

     Il ne s'agit pas pour autant d'une simple anthologie comme le titre le laisse trop modestement penser. Ces « grands textes de la cabale » sont insérés dans la trame d'un discours qui les rassemble, les analyse et les commente autour d'une thèse : celle d'une cabale conçue d'abord comme une réflexion moins mystique que philosophique sur le sens et l'efficacité des pratiques religieuses.

     Un des principaux objets de la cabale, pour Charles Mopsik, est en effet de montrer comment, par le rituel, l'homme est capable d'agir sur Dieu lui-même. Dieu, dans la cabale, n'est plus le Dieu impersonnel et tout-puissant des théologies classiques. L'homme a sur Lui une efficace. La créature est même investie d'une responsabilité cosmique qui consiste à « réparer » le dommage provoqué chez le Créateur par l'irruption du mal. En somme il appartient à l'homme de « faire Dieu ». C'est ce que Charles Mopsik, à la suite d'autres spécialistes, appelle la fonction « théurgique » de la cabale.

     Empressons-nous de dire que cette croyance en une efficace de la prière humaine sur le plérome divin n'a pas fait, loin s'en faut, l'unanimité dans le judaïsme. Dès les premiers temps, ces théories furent vivement combattues, dans la ville même d'un des premiers cabalistes, Isaac l'Aveugle, par le rabbin Meir Ben Siméon de Narbonne, pour qui le culte ne pouvait avoir d'autre rôle qu'éducatif.     L'utilisation par Charles Mopsik du terme « théurgie » puisé au vocabulaire de la dernière philosophie antique, le néoplatonisme, représente plus qu'un simple emprunt terminologique. La parenté entre le néoplatonisme (de Proclus et de Jamblique) et la cabale est pour lui de l'ordre du fait. Comme si, au-delà de la traditionnelle rupture entre philosophie et mystique, il était possible d'établir l'existence d'une source platonicienne cachée de la pensée religieuse persistance d'une « spiritualité platonisante » dont Charles Mopsik suggère, trop rapidement, qu'elle n'est pas le fait du seul judaïsme, puisqu'il la retrouve aussi bien chez le chrétien Jean Scot Erigène (vers 810-880) qu'en islam avec le théosophe Mohyyidin ibn Arabi (1165-1240)...

     Attribuer une origine néoplatonicienne à la cabale ne signifie cependant pas la rapprocher du paganisme, mais bien de la rationalité philosophique. L'opposition traditionnelle entre la philosophie juive, symbolisée par l'aristotélicien Maïmonide (XIIe siècle), et la cabale, entendue comme un mysticisme irrationnel dans son principe, doit être dépassée. Si la cabale s'oppose à Maïmonide, c'est comme une philosophie à une autre (philosophie tout de même profondément travaillée par la pensée religieuse). L'une s'inspire d'Aristote, l'autre de Platon. On est donc loin de Scholem, accusé par Charles Mopsik dans un numéro récent de la revue Pardès (« Loi et Liberté ») d'avoir commis « un grave contresens à l'origine du dédain que les chercheurs ont généralement manifesté à l'encontre de l'étude des théories cabalistiques ».

Aujourd'hui, un certain nombre d'hypothèses émises par Scholem sont en cours de révision. Scholem avait par exemple cru repérer dans l'enseignement du cabaliste Isaac Louria (1534-1572) le ferment idéologique d'une des plus graves crises internes du judaïsme historique : l'équipée du faux messie Sabbataï Tsevi.      Confusion sur les rites magiques

     Ce curieux personnage de l'Empire ottoman du XVIIe siècle s'était proclamé roi-messie, avant de se convertir à l'islam en 1666. Le destin de ce genre d'hérésiarque occupa Scholem, qui lui consacra une longue étude (traduite également chez Verdier). À sa suite, les historiens prirent l'habitude d'associer systématiquement cabale et déviance messianisante, oubliant parfois que comme le montre Charles Mopsik certains cabalistes, disciples d'lsaac Louria, comme Moïse Hayim Louzzatto, comptèrent parmi les critiques les plus véhéments des apostats sabbatéens. L'inconsistance historique du lien entre lourianisme et hérésie sabbatéenne a récemment été établie par le successeur même de Gershom Scholem à l'université hébraïque de Jérusalem, Moshé Idel. Désormais, les études cabalistiques savantes tendent plutôt à « désenclaver » la cabale des marges de la religion, où la recherche érudite l'avait confinée jusque-là.

     Autre confusion entretenue par Gershom Scholem : celle des pratiques cabalistiques et des rites magiques. La magie, précise Charles Mopsik, est un ensemble d'actes ayant une visée surnaturelle sans lien avec les valeurs ni les préoccupations de la religion instituée et marginale par essence. La théurgie cabalistique vise au contraire, en l'animant, à jouer un rôle central dans le système religieux.      Au vu de l'importance des réévaluations auxquelles Charles Mopsik se livre, le lecteur ne peut qu'être frustré face aux dérobades de l'auteur devant l'établissement historique de cette parenté entre philosophie néoplatonicienne et théurgie cabalistique. Il est vrai que celui-ci se situe dans une perspective délibérément philosophique et se borne à constater la coïncidence entre les deux systèmes de pensée.

     Tout au plus indique-t-il quelques directions. Par exemple, la possibilité d'un « héritage commun » en amont de Proclus et de Plotin, dans une rencontre « orientale » entre le « moyen platonisme » et la tradition biblique (chez le contemporain syrien de Marc Aurèle Numénius d'Apamée). Les circulations complexes entre les derniers philosophes du paganisme et la théosophie juive restent donc à être mises en lumière.

Outre l'édition de textes, c'est l'immense tâche qui attend les chercheurs. En attendant que les bibliothèques qui s'ouvrent peu à peu en Russie, où resurgissent des écoles cabalistiques dont l'existence n'avait pas même été soupçonnée, aient achevé de livrer leurs mystères.      Les problématiques de la cabale n'en paraissent pas moins bien éloignées de l'homme moderne (et ainsi sont-elles apparues au fondateur de l'historiographie juive contemporaine, au XIXe siècle : Henrich Gratz). On peut néanmoins se demander si cette prise au sérieux extrême de la relation entre l'homme et Dieu, caractéristique de la théurgie cabalistique, n'offre pas une autre voie au juridisme, moraliste ou politique, des religions institutionnelles, travaillées par l'intégrisme ou par la simple indifférence. Tel serait alors un autre secret de l'attrait qu'exerce, encore à la fin du XXe siècle, cette philosophie juive du Moyen Âge.

     La voix de la victoire, mai 1993,    par Maurice-Ruben Hayoun

     C'est incontestablement une somme, inédite à ce jour, que le traducteur de cet imposant volume nous offre : pour la première fois, apparaît en langue française, une véritable anthologie des grandes Ïuvres kabbalistiques depuis le XIIe jusqu'au XVIIe siècle. On pourrait, assurément, discuter telle ou telle traduction, une interprétation par-ci ou par-là, mais l'impression d'ensemble qui prévaut est bonne. Il faut le signaler d'emblée car depuis la mort de Georges Vajda on pouvait se poser quelques questions sur l'avenir des études kabbalistiques en France. Aujourd'hui, les chercheurs non hébraïsants, les spécialistes des religions ou mystiques comparées, sans oublier le grand public cultivé, sont dotés d'un bel instrument de travail qui se veut, en même temps, une sorte de status quaestionis, tant les références bibliographiques, parfois un peu orientées tout de même, sont copieuses.

Mais venons-en au contenu et à la philosophie générale de l'ouvrage.      L'auteur a voulu cerner l'intention même des kabbalistes depuis l'origine et définir, par-delà la diversité des écoles et des sensibilités, ce qui les a incités, depuis les temps de la réaction aux Ïuvres de Maïmonide jusqu'à l'aube de l'Aufklärung avec Mendelssohn et

la Haskala, à élever une digue sur la voie de l'abstraction intellectuelle et de la conceptualisation du judaïsme rabbinique. Il faut cependant ajouter, comme le remarque l'auteur de manière un peu fugitive, peut-être, que les kabbalistes étaient loin de faire preuve d'anti-intellectualisme : un Moshé Cordovéro avec son Pardès rimmonim (Le verger de grenades), ou même un Moïse de Léon avec la partie principale du Zohar, sans oublier ses Ïuvres hébraïques et publiées sous son vrai nom, sont des chefs-d'Ïuvre d'intellectualisme mystique ; leurs auteurs furent de grands intellectuels qui déplacèrent le centre de gravité du discours intelligible vers un autre domaine, c'est-à-dire au-delà des limites un peu étroites d'une ratio parfois bornée. Il faut aussi savoir que par un subtil mouvement de balancier, dont l'histoire juive a si souvent le secret, le maïmonidisme triomphant suscita une kabbale qui puisa sans vergogne dans un exubérant symbolisme sexuel parce que les racines de la vie lui semblèrent difficiles à évacuer, tandis que, beaucoup plus tard, au cÏur du XVIIIe siècle, la Haskala et Moïse Mendelssohn provoquèrent l'émergence du hassidisme dont le but déclaré était de tempérer l'activité de ce même rationalisme perçu comme étant froid et délétère. Cette brève comparaison montre combien la kabbale, expression absolument légitime d'une certaine sensibilité juive à travers les âges, mérite d'être étudiée sans a priori ni préjugés, qu'ils soient favorables ou défavorables.

     Ce qui intéresse l'auteur de cet ouvrage, c'est d'analyser comment les kabbalistes ont cru pouvoir exercer une influence sur les entités supérieures, c'est-à-dire sur les sefirot, et par-delà le monde séfirotique, sur Dieu lui-même. Comment ? Principalement par la récitation pensée des prières, c'est-à-dire animée de la kawwana (intention profonde). Mais il y a aussi toutes les autres mitswot qui constituent l'épine dorsale du judaïsme rabbinique, et sur lesquelles les textes retenus ici donnent des éclairages excellents. Là encore, ce qui se profile à l'arrière-plan, c'est la crainte de voir le concept divin de Maïmonide, relayé après la mort de l'auteur du Guide des égarés par des commentateurs averroïstes, encore plus enclins à faire du Seigneur d'Israël une essence divine abstraite, éloignée de l'univers des hommes et désintéressée de leur destin. En somme, une divinité et non plus un Dieu personnel auquel on ne saurait adresser ni prières ni suppliques ! Une sorte de Premier Moteur d'Aristote, ou pire, un Dieu de Plotin, plongé, comme on dit, dans une sorte de narcissisme éternel. En somme, Spinoza percerait sous Maïmonide !

     [...] Les textes kabbalistiques, plutôt bien traduits et richement annotés, constituent l'incontestable richesse du livre de M. Mopsik : on est ébloui par ce défilé d'auteurs, grands et moins grands, qui contribuèrent peu ou prou à donner au courant ésotérique juif ses lettres de noblesse. S'il est un commandement qui a tant ému les kabbalistes, c'est celui du repos et de la solennité chabbatiques : on y mange mieux qu'à l'ordinaire, ce qui, dans ce contexte, permet de sanctifier la création divine encore plus que d'habitude, on y prie avec une dévotion plus fervente et on y aime sa chaste épouse, car la joie du chabbat doit être complète. On assiste donc à la réunion de tous les idéaux kabbalistiques : la glorification de Dieu mais aussi la procréation, perçue ici comme une Ïuvre sacrée parce que située dans le droit fil du créer divin.

     [...] Enfin, l'auteur n'a pas oublié d'évoquer les résistances juives à la kabbale. Il n'est pas inintéressant d'y revenir, car ceci montre combien la pensée juive a toujours refusé de porter un uniforme et combien elle a trouvé dans une opposition pacifique l'une des sources de sa fécondité. M. Mopsik a été conduit à s'intéresser aux résistances juives à la kabbale, c'est-à-dire à des Ïuvres émanant de personnalités pour qui la kabbale et sa Bible, le Zohar, n'ont jamais été entourés de cette aura de sainteté dont ils ne jouissent pas plus qu'ils ne portent l'estampille de l'authenticité.

     Ceci est un chapitre fort délicat de l'histoire intellectuelle juive. La kabbale en général et le Zohar en particulier ont eu bien des détracteurs mais aussi d'innombrables défenseurs et on peut dire que le rapport de forces, au sein de l'histoire intellectuelle juive, leur est plutôt favorable...

     Toutes les recherches portant sur l'authenticité réelle ou supposée du Zohar et sur la personnalité de son principal auteur, Moïse de Léon, remontent nécessairement au témoignage de première main d'lsaac d'Acco que certains critiques ou défenseurs ultérieurs ont parfois mis en doute. Isaac avait parlé avec l'épouse de Moïse de Léon ; il a ainsi appris le contenu de certaines conversations confidentielles entre les époux : Moïse aurait dit à sa compagne que si l'on apprenait l'origine réelle de l'ouvrage, on ne débourserait plus un seul liard pour l'acquérir, ce qui n'aurait pas manqué d'entraîner des suites fâcheuses pour l'économie du ménage... Mais ne nous attardons pas sur un contemporain de Moïse de Léon, même si son témoignage est capital et tournons-nous plutôt vers la première Ïuvre à articuler contre l'authenticité du Zohar et l'Antiquité de la kabbale des critiques systématiques.

     Je pense à la Behinat ha-Dat d'Eliya Delmédigo (1460-1493), le grand philosophe averroïste de Padoue, le maître mais aussi le protégé de Pic de la Mirandole. Certes, il y eut avant lui, notamment chez les philosophes juifs contemporains de la propagation de la kabbale, une série de déclarations d'où le scepticisme n'est pas absent. Toutefois, dans l'histoire de la contestation du Zohar et de la kabbale, c'est cet Examen de la religion de Delmédigo qui se situe à l'origine. Il faut dire seulement que la critique majeure porte sur les prétentions des kabbalistes d'agir par leurs oraisons orientées (kawwana) sur les niveaux supérieurs (sefirot). De la part d'un philosophe averroïste qui traduisit pour son disciple, Pic, des traités et des commentaires d'Averroës de l'hébreu en latin, ce phénomène n'est pas singulier ; il est même un peu cocasse, quand on sait que le disciple inclinait sérieusement vers la kabbale et qu'il parvint même à se trouver un autre maître es kabbale en la personne de Johanan Alemano lorsque Delmédigo aborda franchement la question du mysticisme. Pic ne pouvait décemment pas se détourner de la kabbale, puisqu'il prétendait dans ses fameuses Thèses que cette science (et la magie) étaient les plus indiquées pour prouver la messianité et la divinité de Jésus. Il faut ici encore rappeler les pénétrantes analyses de M. Mopsik qui met en garde contre une assimilation de la kabbale à la magie.

     Le destin du traité de Delmédigo fut assez étrange : achevé le 31 décembre 1490, il ne fut publié que 139 ans plus tard à Bâle, dans un recueil d'écrits de son propre arrière-petit-neveu, le célèbre Joseph Salomon Delmédigo (YASHAR mi-Kandia, Crète) (1591-1657), intitulé Ta'alumot hokhma (Profondeurs de la sagesse), ouvrage qui figurera dans la bibliothèque de Spinoza. Le plus intéressant est que l'arrière-petit-neveu a rédigé une épître où il prend (apparemment) le contre-pied des thèses anti-kabbalistiques de son grand-oncle. Ce qui frappe encore davantage le lecteur attentif, c'est que YASHAR donne largement la parole aux adversaires du Zohar et de la kabbale, alors qu'il aurait pu s'en dispenser. Notre perplexité atteint son point culminant lorsque nous découvrons une autre épître de l'auteur, inédite jusqu'en 1840, date à laquelle elle fut imprimée par Abraham Geiger, grand pourfendeur de la kabbale au XIXe siècle. Et que fait le petit-neveu dans cette épître ? Il dit pis que pendre de la kabbale, reprend les arguments de son grand-oncle contre elle, et dissuade fortement son disciple, rabbi Zérah de Troki, de l'étudier.

     Le pire pour le courant ésotérique juif était encore à venir ; en effet, en 1639 le rabbin vénitien bien connu, Léon de Modène, qui nous a laissé une autobiographie, Hayvé Yehuda pleine de candeur et où il avoue sans détours sa passion pour le jeu, publia un véritable brûlot contre la kabbale sous le titre Ari nohém (Lion rugissant). Il fait son profit des critiques d'Eliya Delmédigo mais en ajoute de beaucoup plus fortes ; évoluant dans un milieu chrétien à l'époque de la Renaissance, le rabbin vénitien déplore que la kabbale et surtout le Zohar soient (selon lui) responsables de tant d'apostasies chez les juifs. C'est qu'entre-temps les kabbalistes chrétiens (Pic, Reuchlin, Guillaume Postel etc.) s'étaient réappropriés les écrits kabbalistiques qu'ils transformaient en arsenal d'idées à l'encontre du judaïsme. Puisque les kabbalistes statuaient l'existence de dix sefirot dans leur conception dynamique de la divinité et que les juifs n'y trouvaient rien à redire, la trinité chrétienne ne devrait pas leur poser de gros problèmes ! Modène déplore par ailleurs que même les jeunes gens étudient le Zohar et négligent de ce fait le Talmud et la littérature des décisionnaires.

     En 1768 Jacob Emden, l'ennemi juré de Jonathan Eibeschutz, l'auteur de la Megillat sefer, publie sa Mitpahat sefarim où il « démystifie » le Zohar. Tishby note dans l'ouvrage cité plus haut que le reclus d'Altona avait passé au crible chaque page du Zohar, répertoriant sans pitié les redites, les anachronismes, les invraisemblances, etc. Mais dans sa préface, Emden qui était pourtant un esprit fort, nous livre ses scrupules à porter atteinte à un livre si précieux et quasi sacré aux yeux des juifs. Il identifie la partie principale du Zohar comme étant l'Ïuvre de Moïse de Léon mais ne peut s'empêcher d'écrire, en guise de conclusion, que 1'auteur du Zohar a reçu « des étincelles de l'âme de rabbi Siméon ben Yohaï ». Cette référence à peine cachée à la migration des âmes voulait exprimer quelque chose qui gênait l'auteur ; on dirait aujourd'hui que « l'auteur s'est tellement identifié à son héros que le lecteur ne sait plus qui est qui ! » Il faut signaler qu'Emden ne contestait pas l'authenticité de la kabbale en tant que telle, il établissait cependant un subtil distinguo entre la falsification pure d'une part et la pseudépigraphie d'autre part...

     Même au début du XIXe siècle les adversaires de la kabbale ne désarmèrent pas : on peut voir comment Isaac Samuel Reggio, l'éditeur de la Behinat ha-Dat (Vienne, 1833) parle du Zohar et de la kabbale en reprenant les arguments d'Emden. Et en 1852 un autre érudit, Samuel David Luzatto écrivit un livre contre la kabbale et le Zohar. Il est vrai que précédemment, un autre Luzzato, Moshé Hayyim, richement repr ésenté dans le présent volume, avait rédigé un plaidoyer en faveur de la littérature kabbalistique...

     Abraham Geiger disait de la mystique juive qu'elle était une supercherie (Betrug) ; mais l'ennemi le plus acharné, parce que le plus érudit, de la kabbale fut Heinrich Gratz, le père de l'historiographie juive moderne, mort il y a cent ans (1891). Je préfère ne pas lui donner ici la parole tant il s'est fait l'implacable censeur du Zohar et de son auteur...

     Depuis l'arrivée salutaire de Gershom Scholem et de son Ïuvre, la kabbale a été admise comme un rameau légitime de la croyance juive ; elle est aussi devenue un objet d'étude loin des préjugés et des complaisances.      Soyons assurés que le beau volume dont M. Mopsik nous fait l'aubaine contribuera à ouvrir la voie à des recherches toujours plus fines sur la kabbale, sa symbolique et sa théurgie.

 

      Libération, 22 avril 1993

     propos recueillis par Édouard Waintrop,

     Un dévot de la cabale      « Occultés comme "scandaleux et irrationnels", les textes cabalistiques ont pourtant profondément modelé la mystique juive. Entretien avec le chercheur Charles Mopsik. »

     Cet ouvrage est la première monographie consacrée à l'étude de cette composante singulière de la religion juive : « la croyance dans le pouvoir d'action sur Dieu des Ïuvres humaines », écrit Charles Mopsik en avant-propos de son recueil de Grands Textes de la Cabale. Autant dire qu'en reprenant l'histoire de ce courant de pensée par le biais fondamental de ses conceptions « théurgiques » (1) et de l'influence du rite sur Dieu, l'auteur rompt avec le silence (complet ou partiel) instauré sur ce sujet par nombre de spécialistes. Le « caractère théologiquement scandaleux et irrationnel » de ces théories et pratiques religieuses les ayant rejetées dans le « domaine ténébreux de la magie et du mythe ».

     C'est avec la même volonté de ne pas sacrifier sans examen aux théories communément admises que l'Israélien Moshe Idel, autre iconoclaste de la recherche sur la « mystique juive », analyse l'apparition et l'épanouissement du thème du Golem « être humain fabriqué artificiellement grâce à un procédé magique faisant appel aux saints noms de Dieu » (Gershom Scholem). Moshe Idel, professeur de l'Université hébraïque de Jérusalem, et Charles Mopsik, chercheur français au CNRS sont de ceux qui ont le plus innové dans l'aire défrichée par Gershom Scholem. Et qui ont le plus remis en cause les conceptions de leur glorieux ancien. Entretien autour de la Cabale et de la mystique juive avec Charles Mopsik, directeur chez Verdier de la collection « Les Dix Paroles ».      Libération. Quelle est la place de la Cabale dans la tradition juive ?

     Charles Mopsik. Son importance a fluctué selon les époques. Au XIIe  siècle, elle a d'abord touché, vers Narbonne, un petit nombre de cercles autour de quelques maîtres qui voulaient réaffirmer l'ésotérisme juif traditionnel contre l'ésotérisme de Maïmonide. Ensuite, l'activité se déplace vers la Catalogne : Gérone devient le grand centre où la Cabale s'épanouit. Avec les deux disciples d'lsaac l'Aveugle cabaliste languedocien que sont Azriel et Ezra de Gérone.

     Puis le centre émigre vers la Castille. C'est là que le Zohar, le livre le plus célèbre de la Cabale, a été écrit. C'est aussi là que naît Abraham Aboulafia, le plus grand représentant de la Cabale extatique, conception plus mystique que celle du Zohar. Alors que le Zohar (Cabale théosophique) spécule sur le monde divin, Aboulafia cherche un contact extatique avec lui.

     Au XIVe siècle, la Cabale théosophique arrive en Italie avec Menahem Recanati. Après l'expulsion des juifs d'Espagne en 1492, répandue de Constantinople à l'Italie en passant par Safed en Galilée ou le Maroc, elle est devenue un mouvement majeur, un phénomène religieux qui traverse la quasi-totalité du judaïsme. Elle est considérée par les autorités rabbiniques comme une sorte de théologie officielle, fondamentale, du judaïsme.

     Au XVIIIe siècle, alors que la Cabale conserve son rôle dans les pays du Maghreb, en Palestine ottomane, en Égypte, en Irak, elle reflue en Europe occidentale. On commence à l'y considérer de façon critique. Le mouvement s'accentue durant le XIXe siècle.      Tout ceci est schématique. Par exemple, il faudrait revenir sur le cas particulier de l'Italie et de l'influence de la Cabale sur l'humanisme de la Renaissance.

     Libération. Y a-t-il aujourd'hui en France un retour à la Cabale ?      Charles Mopsik. Je pense qu'il y a en effet, depuis une quinzaine d'années, un regain d'intérêt. L'arrivée des juifs d'Afrique du Nord, de rabbins d'origine marocaine, tunisienne, avec leur culture, a contrecarré la tendance anticabaliste assez forte dans le judaïsme autochtone ashkenaze. La Cabale recommence à être regardée comme une composante centrale de la théologie juive.

     Le mouvement est amplifié par l'effort de propagande déployé par les hassidim de Loubavitch, peu nombreux mais très visibles.     Aux États-Unis, il y a aussi un regain d'intérêt. Notamment dans les départements d'étude des religions des grandes universités comme Berkeley ou New York. Je crois qu'il y a là le désir d'un grand nombre de juifs assimilés de retrouver un contact individuel avec le judaïsme traditionnel. Le caractère individualiste (par rapport au Talmud, forme de pensée plus communautaire) de la Cabale favorise son intégration dans le « Nouvel Âge » mystique très en vogue aux États-Unis.

     Libération. Vous parlez de mystique, mais dans l'introduction des Grands Textes de la Cabale, vous définissez la Cabale comme une « mystagogie ».

     Charles Mopsik. La mystique est une expérience d'union avec le divin. C'est cet aspect d'expérience qui est important. Alors qu'il n'est qu'un aspect de la Cabale. Dans de nombreux ouvrages, la mystique est de peu d'importance par rapport à la spéculation, la théologie. Je préfère donc employer le mot de mystagogie, qui signifie initiation aux secrets, aux mystères, et qui est ce que la Cabale veut être, puisqu'elle s'intitule elle-même sagesse des secrets, exégèse des mystères de la Torah. Le mot de théosophie la qualifierait tout autant.

     Libération. Quels rapports entre le Golem et la Cabale ?

     Charles Mopsik. Dans son livre, Moshe Idel montre que les cabalistes de l'école du Zohar se sont très peu intéressés au Golem. Contrairement aux piétistes allemands des XIIe et XIIIe siècles, qui en ont fait une pratique. Les cabalistes proprement dits ont sublimé le thème du Golem. Ce n'était plus une statue d'argile que les hommes animaient par des formules, mais la vision d'un double angélique de soi-même.

     Libération. Pourquoi des auteurs juifs comme Levinas ou Leibovitz dénigrent-ils la Cabale ?

     Charles Mopsik. Certains se méfient de la Cabale parce qu'ils pensent que c'est trop profond pour être mis à la portée de tout le monde. Cette sagesse secrète ne pourrait être approchée que par une élite restreinte. En fait, c'est une manière de l'écarter sans la condamner de façon frontale.     Pour Leibovitz, c'est plus clair : la Cabale est une forme juive de l'idolâtrie. Déjà au XVIe siècle, le talmudiste italien Elie Del Medigo émettait cet avis. Le fond de l'affaire, c'est qu'avec sa pluralité de puissances divines, elle semble à certains trop proche du christianisme. Et Leibovitz est très violemment non pas antichrétien, mais antichristologique. Il refuse d'admettre que le christianisme provient, par un biais ou un autre, du judaïsme. Le paradoxe, c'est que Leibovitz a la plus grande estime pour Rabbi Joseph Caro, auteur du Shulhan Arukh, la plus grande compilation de la loi juive. Il oublie que c'était un grand cabaliste.

     Libération. Moshe Idel et vous-même remettez en cause nombre de conceptions de Gershom Scholem.

     Charles Mopsik. Schématiquement, on pourrait dire que Scholem a bâti une sorte d'historiosophie à partir de ses travaux sur la Cabale. Avec un découpage historique du judaïsme dont Moshe Idel a montré l'inanité. Scholem considérait que la Cabale était née de la rencontre du gnosticisme juif et du néoplatonisme. Or il apparaît qu'elle n'est absolument pas née du gnosticisme. Et si le néoplatonisme tardif, celui de Jamblique et Proclus, a joué un rôle très important dans sa formation et sa conceptualisation, elle procède d'abord de l'ésotérisme juif traditionnel. La Cabale commence à exister en Languedoc juste après et contre Maïmonide qui voulait imposer un nouvel ésotérisme, philosophique comme façon d'affirmer que l'ésotérisme juif traditionnel existait toujours.      D'autre part, Scholem a beaucoup insisté sur le caractère presque hérétique de la Cabale. Alors que les plus grands décisionnaires rabbiniques, talmudiques, des gens comme Nahmanide, par exemple, ont été cabalistes. Loin d'être un mouvement hétérodoxe, elle s'inscrit au cÏur de la tradition juive. Et Scholem a minimisé son conservatisme.      Mais son aura a été telle qu'il fut difficile de remettre en cause ses théories. Quand Idel a commencé à les contredire, le dernier carré des disciples de Scholem l'a accusé de toutes les impostures.

     Libération. Les recherches dans ce domaine promettent-elles encore des révélations ?

     Charles Mopsik. La bibliothèque de la Cabale classique, zoharique, compte de 5 000 à 6 000 titres, dont moins d'un tiers ont été publiés. L'ouverture des bibliothèques des pays de l'Est a rendu accessibles des manuscrits qui ne l'étaient pas. Ce qui reste à étudier est beaucoup plus important que ce qui a été étudié. Je ne serais pas surpris que, dans dix ans, la vision que nous avons de la Cabale soit encore transformée.

     (1) Le mot de théurgie désigne les opérations visant à influencer la Divinité, principalement dans son propre état ou sa propre dynamique intérieurs, mais parfois aussi dans sa relation avec l'homme. À l'opposition du magicien, le théurge juif ancien et médiéval concentrait son activité sur des valeurs religieuses acceptées.

    Information juive, avril 1993,     par Catherine Chalier,

     Voyage dans les textes de la Cabale

     Les philosophes comme les cabalistes juifs ont souvent eu le souci de trouver les raisons des commandements (mitsvot). Cependant alors que les premiers, tel Maïmonide, cherchaient leur justification dans les effets positifs que leur observance exerçait sur l'homme, les seconds s'intéressaient bien davantage à l'action des Ïuvres humaines que sur la divinité elle-même. C'est cette perspective que Charles Mopsik examine dans ce livre en proposant au lecteur un ensemble remarquable de textes cabalistes, pour la plupart inédits, destiné à montrer combien la pensée d'une possibilité pour le juif d'agir sur Dieu, par le rite et les Ïuvres, c'est-à-dire la théurgie, a marqué le judaïsme.

     La limite entre théurgie et magie n'est pas toujours claire ; toutefois, contrairement à la magie, la théurgie n'exerce pas de contrainte sur Dieu, elle se soumet à sa volonté en accomplissant les actes qu'il demande. Déjà, dans la Bible, la pratique des sacrifices relève, selon certains rabbins, d'une telle interprétation. Depuis la destruction du Temple, prières et rites d'une façon générale viseraient à attirer la puissance divine sur le monde et à rétablir dans l'histoire la plénitude du Nom. L'action théurgique, comme l'enseigne l'école de Rabbi Isaac l'Aveugle, s'inscrit dans le dynamisme du don et du contre-don qui assure la permanence d'un échange entre Dieu et la société, échange nécessaire à l'un et à l'autre. Accomplir une mitsva équivaut donc à assurer à Dieu une demeure ici-bas, voire à « produire » sur terre un aspect divin. Cette attitude vise à lutter contre le retrait d'un Dieu qui, sans les hommes, s'éloigne toujours davantage.

C'est désormais le rôle de chaque individu, par son observance des mitsvot, d'accomplir la mission historique attribuée par les prophètes au peuple d'Israël : « L'histoire sainte et son eschatologie se jouent au quotidien. » Respecter la Loi dans le moindre de ses détails, équivaut, pour le juif, à rendre à la Chekhina, à la présence divine, une dignité qu'elle a perdue depuis qu'elle a suivi Israël en exil.

     L'idée de théurgie suppose une divinité sensible aux Ïuvres des hommes et subissant les aléas de leur conduite. Comment alors concilier cette passivité avec l'idée de perfection, d'immuabilité et de toute-puissance divine ? Telle est la difficulté majeure à laquelle se heurtent les Cabalistes. La ligne de force de leur réponse s'inscrit dans l'idée que l'action humaine ne touche, négativement ou positivement, que le plérome divin le monde des dix Sefirot ou des dix émanations mais non la déité mystérieuse, l'Infini ou En Sof, source impassible et intarissable, d'où toute réalité procède. Ainsi le leitmotiv cabaliste de l'éveil des puissances d'En Haut par l'action des hommes, En Bas, comme l'idée de l'attirance ici-bas de la présence divine grâce à l'accomplissement des mitsvot, doivent-ils se comprendre dans cette perspective : cette action porte sur le plérome, sur le monde des Sefirot, mais non sur l'En Sof. La plupart des Cabalistes expliquent la possibilité de cette action par une homologie de structure entre l'homme fait à l'image de Dieu et ce plérome, en soulignant également la continuité dynamique qui relie entre eux tous les niveaux de l'être. À un Dieu qui pouvait sembler lointain, voire inaccessible, au cours de l'histoire, cette conception substitue donc un Dieu qui se laisse attirer sur la terre par les rites et par les actions humaines.

Du même coup, comme l'enseigne par exemple Rabbi Moïse Cordovero, une immense responsabilité pèse sur le juif et particulièrement sur le dévot : responsabilité pour le monde et pour Dieu lui-même. Il existe en effet une conception encore plus radicale de la théurgie : celle qui vise à « faire Dieu ». La divinité aurait besoin des hommes pour exister, c'est pourquoi, ultime passivité, elle se laisserait faire par eux.

     Le discours théurgique, remarque Charles Mopsik, « est le fruit de la rencontre entre la magie populaire, l'exégèse rabbinique et la philosophie néo-platonicienne ». Le très riche parcours qu'il propose dans ce livre à travers les textes des cabalistes vérifie cette proposition ; il permet de découvrir comment, selon eux, les Ïuvres peuvent seules apporter le salut, aux hommes et à Dieu même. Certains, animés d'une autre vision du judaïsme, peuvent être heurtés par les audaces des cabalistes et l'imagination étonnante dont ils font preuve pour penser les relations entre le divin et l'humain. Mais, selon l'auteur, « la religion juive est constituée de la totalité des phénomènes religieux qui appartiennent à son histoire, c'est-à-dire à sa réalité temporelle et sociale ». Les textes présentés font partie à coup sûr de cette réalité ; on peut toutefois se demander si la critique faite par Charles Mopsik des conceptions « plus raisonnables » de la religion est pertinente dès lors qu'elles appartiennent, elles aussi, à l'histoire du judaïsme.

 

      Tribune juive, 1er avril 1993,      propos recueillis par Laurent Cohen,

     Dire que la Kabbale est une idolâtrie, c'est remettre en question

le judaïsme.

     Charles Mopsik est à ce jour le plus grand historien français de la Kabbale, dont il a traduit, présenté et publié certains des principaux textes dans la prestigieuse collection « les Dix Paroles ». Il nous propose aujourd'hui un ouvrage appelé à faire autorité. Recueil de fragments kabbalistiques les plus divers s'échelonnant jusqu'au XVIe  siècle commentés par l'auteur avec un constant souci de rigueur scientifique, Les Grands Textes de la Kabbale vient enfin combler des lacunes sur des points doctrinaux jusque-là inexplorés.

     Tribune juive : Quelles sont les raisons initiales qui vous ont poussé à traduire, et commenter, dans votre dernier ouvrage, les principaux textes de la Kabbale ?

     Charles Mopsik : À l'origine, j'ai voulu explorer le thème du rite et de son efficacité chez les kabbalistes. J'ai alors pensé que la meilleure façon de traiter cette question était de permettre au public de découvrir des auteurs parfois peu connus en dépit de la puissance de leurs écrits. Les traduire signifiait donc pour moi éviter toute paraphrase. Et simultanément, ne pas me contenter de discourir sur la pensée kabbalistique. Ce fut donc tout d'abord un long travail de décryptage.

     Tribune juive : Parmi les multiples auteurs que vous nous présentez, quel est celui avec lequel vous vous sentez la plus grande affinité intellectuelle ?

     Charles Mopsik : Il n'est pas aisé de répondre à une telle question. En fait, il y a plusieurs kabbalistes que je considère comme majeurs, des hommes qui ont exprimé des concepts sublimes d'une manière tout à fait originale. Mais je citerai quand même rabbi Moïse Cordovéro dont l'Ïuvre considérable n'a pas encore été entièrement explorée.

     Tribune juive : Certains prétendent que l'on retrouve l'empreinte de Platon sur le discours kabbalistique. Une question que vous abordez sans détour...

     Charles Mopsik : Un des éléments les plus remarquables de la doctrine des kabbalistes concernant la pratique des commandements, c'est qu'ils ont fait beaucoup d'emprunts au néo-platonisme tardif. À Proclus en particulier. Ces hommes étaient en fait les derniers philosophes païens. On peut donc relire l'histoire de la théorie kabbalistique sur les rites comme un développement tout à fait singulier de la doctrine théurgique des derniers penseurs païens.      C'est une chose particulièrement curieuse que de constater que c'est au sein du judaïsme qu'a été maintenue vivante et féconde une pensée persécutée dès la fin de l'Antiquité par le christianisme. Cela prouve parfaitement que la religion juive s'est montrée productive lorsqu'elle a su accueillir et recevoir certains éléments étrangers à sa tradition pour les reformuler d'après ses propres prémices. Dans mon ouvrage, je consacre un chapitre entier aux antécédents bibliques et rabbiniques de la doctrine des kabbalistes. Leur source principale demeure toutefois bien évidemment la Thora.

     Tribune juive : Quel regard le chercheur que vous êtes pose-t-il sur Scholem ?

     Charles Mopsik : Il est un fait indéniable : Gershom Scholem a négligé la pratique et le rite dans le discours des kabbalistes. Mieux : comme je l'explique dans mon ouvrage, il a toujours tenu pour « magiques » ces dimensions incontournables de la Kabbale. C'est ce que je conteste et critique vivement dans ce livre. Mais à la limite, je dirais que Gershom Scholem ne m'intéresse pas outre mesure...

     Tribune juive : C'est assez incroyable !

     Charles Mopsik : Non. Je suis toujours étonné de voir l'admiration sans bornes que l'on voue à cet homme. Aujourd'hui, quand on parle de Kabbale, on parle de Scholem. Je ne peux nier qu'il a accompli une Ïuvre immense de pionnier, de bibliographe... Mais il a tenté de donner une version politico-historique de la Kabbale. Tout ce qui lui paraissait « antinomiste », déviant, ou lié à des événements de rupture, fut ainsi mis en avant. Il a par exemple tenu la kabbale lurianique pour une sorte d'explosion du mythe de l'Exil de Dieu explosion qui, toujours selon lui, survint au lendemain de l'expulsion d'Espagne. Or, c'est une théorie aberrante, historiquement infondée, comme Moshe Idel l'a démontré dans un article récemment publié. Il y a chez Scholem une absence totale d'argumentation, de justification, de preuves. Son Ïuvre de penseur n'est pas, ainsi que l'on s'opiniâtre à l'affirmer, historique mais historiosophique.

     Tribune juive : Aujourd'hui, il est de très bon ton de descendre Scholem en flammes. Comment expliquez-vous que de son vivant nul contradicteur ne se soit levé ?

     Charles Mopsik : Il y en a eu. Mais les contradictions furent bien vite étouffées. Scholem exerçait une grande autorité sur les chercheurs. Et puis sa connaissance des textes était telle qu'il était difficile de le contester sur son propre terrain. Il n'admettait pas facilement la critique. Et ceci a profondément perturbé la construction de l'histoire du judaïsme : on a porté une confiance aveugle à un seul auteur aussi grand et important soit-il. On l'a pris comme une référence idéologique, c'est-à-dire qu'en se proclamant scholémien, on défendait une vision politico-historicométaphysique de l'histoire juive. Si l'on refusait cette vision, on se trouvait relégué dans les ténèbres de l'ignorance.

Ainsi, Scholem demeure pour moi une véritable énigme : je ne parviens pas à comprendre comment un auteur peut avoir une influence si massive, dans un domaine aussi vaste que celui de la kabbale, au point que ses confrères se voient contraints de pratiquer l'autocensure.

     Tribune juive : Vous nous livrez, dans votre dernier ouvrage, quelques fragments de l'Ïuvre de rabbi Moïse Hayim Luzzato. Beaucoup le considèrent comme un auteur kabbalistique à part tant sa production est riche et variée. Qu'en pensez-vous ?

     Charles Mopsik : L'ensemble de son Ïuvre est balayé par un souffle messianique très puissant. Par rapport à ses prédécesseurs ou à ses contemporains, rabbi Luzzato se distingue sur plus d'un point : théâtre, poésie, traités d'éthique son Ïuvre littéraire se déploie en de multiples domaines. Comme vous le savez, il fut inspiré par un Maguid une entité céleste lui révélant les secrets de la kabbale. C'est sous son influence qu'il composa d'ailleurs deux de ses ouvrages, qui se voulaient être de « nouveaux Zohar ».

     Tribune juive : Quelle est votre opinion quant à l'accusation de sabbatianisme qui fut lancée contre lui ?

     Charles Mopsik : Ceux qui aujourd'hui se demandent s'il fut oui ou non séduit par l'hérésie sabbatéenne trahissent une approche grossière des questions essentielles de l'histoire du judaïsme ; la problématique est en réalité la suivante : que signifie être sabbatianiste ? On colle à rabbi Luzzato une étiquette de ce type parce qu'on suppose qu'il aurait été influencé par les idées de certains prophètes du faux messie ; or les kabbalistes sabbatéens ou crypto-sabbatéens furent en réalité des penseurs comme les autres qui avaient simplement une conception particulière d'un personnage particulier en l'occurrence, Sabbatai Tsvi. De toute façon, Luzzato a écrit un livre très important qui est une critique de la théorie des tenants tardifs du sabbatianisme. Il ne s'agit pas de l'oublier.

     C'est peut-être toute l'histoire de ce mouvement qui a été déformée par Gershom Scholem. Il a voulu voir en Sabbatai Tsvi une espèce de super kabbaliste, de « Messie mystique » comme en témoigne le sous-titre de son ouvrage. Pour lui, le lurianisme aurait fait le lit du sabbatianisme ! Ce qui est tout simplement faux. Il faut lire les articles de Moshe Idel sur ce thème : il a montré comment Scholem a, pour confirmer cette assertion, tronqué des textes. Il est donc temps de le dire : Scholem n'était pas quelqu'un d'une parfaite honnêteté intellectuelle. C'était un penseur trop créatif pour se contenter de regarder l'histoire telle qu'elle est. Il lui fallait la réinventer pour qu'elle soit plus signifiante, plus passionnante, riche d'un sens qui transcende son déroulement objectif. Il a construit une sorte d'histoire sainte à partir d'une approche profane.

     Tribune juive : Sur le rapport lurianisme-sabbatianisme, Yeshayahou Leibovitz ne nous dit pourtant pas autre chose !

     Charles Mopsik : Écoutez, il se peut que Leibovitz soit un grand penseur mais n'étant pas un historien du judaïsme, il n'a rien à faire dans ce débat. Tout ce qu'il connaît, il l'a glané dans les livres de Scholem. Je dirais même que son savoir en matière d'histoire juive est extrêmement superficiel. Il suffit de lire ce qu'il écrit pour s'en rendre compte. Ce sont des choses risibles.

     Tribune juive : Ce qui vous rebute peut-être, c'est qu'il évacue la Kabbale de la pensée juive et la considère comme une forme d'idolâtrie...

     Charles Mopsik : Leibovitz est tout, sauf une référence scientifique dans le domaine de la Kabbale. Ses propos n'ont aucune consistance. C'est certainement un idéologue, peut-être un philosophe  mais pas un historien des religions ! Dire que la Kabbale est une idolâtrie comme il le fait, c'est traiter tous les grands auteurs de halacka dont il se réclame !!! d'idolâtres. Ce qui est en fait une remise en question du judaïsme lui-même. Mais peut-être que le professeur Yeshayahou Leibovitz est le premier juif non idolâtre de l'histoire juive ! Plus sérieusement, je dirais qu'il n'est tout simplement pas compétent. Son livre sur Maïmonide laisse franchement à désirer...

     Tribune juive : Vous enseignez la Kabbale. Or, d'après la tradition, c'est un domaine sinon interdit, du moins réservé. Croyez-vous que l'on puisse ainsi répandre sans risques cette doctrine dans la Cité ?

     Charles Mopsik : Par définition, la kabbale ne peut « être répandue ». C'est un discours métaphysique extrêmement ardu. Il s'adresse à ceux qui manifestent un intérêt pour la pensée, pour les concepts et les abstractions. Ou alors, ce que l'on peut répandre, c'est une pseudo-kabbale : astrologie, numérologie et toutes ces choses que l'on rencontre dans les revues légères. Mais tout cela n'est vraiment pas sérieux.

 


retour accueil : 1030_juive.html

 

index.html
Autres sites:

biblethora
civisme.politique
Coran Islams
La fin du monde