JINISME (ou JAÏNISME)


(Une des plus anciennes religions et la seule qui respecte tous les êtres vivants)

Préambule: un petit résumé pour commencer

Le Jaïnisme est une philosophie de non-violence Dans le jaïnisme, cela se nomme AHIMSA, principe de non violence qui est la règle éthique suprême. Exprimé autrement : sans AHISMAil n'y aurait pas de jaïnisme pour lequel L'AHISMA ne signifie pas seulement l'absence de violence, mais aussi la sollicitude et l'amour interprétés et vécus de manière conséquente comme dans aucune autre religion. AHISMA signifie pour les jaïns, la non violence dans la pensée, dans les paroles et dans les actes.

Le principe ne se limite pas à certaines activités, il n'admet aucune incitation active ou passive à la violence. Une attention soutenue dans les relations avec tous les êtres vivants mène à une conception profonde et complète de L'AHISMA.

La plus ancienne des religions de l'Inde Le refondateur de cette antique tradition fut,à l'époque du Bouddha, Jina Mahavira. Religion d'ascètes et de moines, le jaïnisme propose des règles de vie rigoureuses, notamment en ce qui concerne le respect de la vie. Strictement végétariens, moines et moniales ne doivent rien tuer, ni détruire aucun végétal. Le moine jaïn balaie d'un plumeau le sol qu'il doit fouler et porte un voile devant la bouche. Les laïcs observent également un régime très rigoureux. Les jaïns croient que l'âme individuelle ne peut atteindre son but (la divinité) qu'en suivant ces pratiques de purification et de discipline. Les métiers traditionnellement admis sont les affaires publiques,l'écriture, les arts, l'agriculture, l'artisanat et le commerce.

1.Les premières étapes 2.Les origines 3.Les successeurs de Mahavira4.Expansion et rayonnement 5.La doctrine Jina 6.L'âme et lekarman 7.Le chemin de la Délivrance AHISMA ou Non-Violence9.ASCESE et ASCÉTIQUE 10.L'ascétisme en Grèce11.L'ascèse chrétienne 12.L'ascétisme indien13.Les moines Jina : Le vieux gujarati (XIIe-XVe siècle)14.Liens


Le jinisme (ou jaïnismedoit son nom au titre de Jina (le«vainqueur»), donné par ses adeptes à Vardhamana (également appelé Mahavira , «grand héros»), réformateur, au Vie siècle avant J.-C., de la doctrine et de la communauté de Parsva. Selon la tradition (svetambara en particulier), Vardhamana est né dansle Bihar, vers le temps et non loin du lieu où naquit le Buddha.

Princes élevés tous deux dans le faste d'une cour, ils suivent des destins souvent comparables; les similitudes, cependant, résultent de coïncidences et d'affinités qui tiennent à l'influence de la civilisation ambiante et de l'ascétisme brahmanique sur les deux maîtres: par exemple, comme la plupart des Indiens, ils admettent tous deux la vertu des disciplines du yoga.

D'ailleurs, il ne semble pas que le Bouddha et le Jina se soient jamais rencontrés; mais ce dernier passe pour avoir eu des contacts avec Makkhali Gosala, chef de la communauté des Ajivika (que mentionne aussi le canon bouddhique), et pour avoir été gagné par la rigueur de son ascèse. Mahavira n'en est pas moins une des personnalités les plus originales de l'Inde ancienne: ce fut,assurément, un penseur vigoureux, et, en outre, un remarquable organisateur. À sa mort, la communauté modelée par lui et orientée vers une compassion active atteignait une extension telle qu'elle joua rapidement un rôle important.

Au cours des âges,elle a manifesté sa vitalité. Peu nombreuse actuellement, elle est néanmoins respectée: elle dispose en Inde d'une puissance économique enviable, jouit d'un prestige qui tient aussi à son rayonnement intellectuel moral. À la différence du bouddhisme, religion missionnaire, le jinisme n'a guère cherché à s'étendre hors des frontières. Et, s'il comptait en 1981 seulement trois millions deux cent mille fidèles, c'est que les exigences de sa perfection ne lui ont jamais permis d'atteindre qu'un nombre restreint d'adeptes.

1. Les premières étapes

Les origines

Avec la naissance deVardhamana (Vie siècle av. J.-C.) se réalise, selon la tradition, l'incarnation du vingt-quatrième et dernierTirthamkara ou prophète «frayeur de voie».

Car le jinisme semble avoir pris sa source dans un passé lointain, mais si légendaire qu'il ne saurait remonter historiquement au-delà du vingt-deuxième Tirthamkara, Neminathaappelé aussi Aristanemi, peut-être apparenté à Krsna. Au Gujarat, la montagne de Girnar, où Neminatha mourut après y avoir accompli toute sa mission prophétique, conserve encore son souvenir.

Cependant, le véritable précurseur de Vardhamana, son aîné de deux cent cinquante ans, est le vingt-troisième Tirthamkara, Parsva (associé au serpent, il a pour emblème un chaperon de cobra), fils du roi de Bénarès, Asvasena. À l'âge de trente ans, quittant sa ville natale, il se prépara par la méditation et par l'ascèse à la connaissance suprême et proclama la Loi. De nombreux disciples l'entourèrent alors: hommes et femmes,religieux et laïcs, car il était devenu l'«agréé des hommes», s'insinuant dans leurs coeurs, les inspirant. Après soixante-dix ans de dure ascèse, il gravit, dans le Magadha méridional, le mont Samet-Sikhar; et, à la suite d'un jeûne rigoureux d'un mois, il s'y éteignit.

C'est à sa descendance spirituelle, selon les textes Jina, qu'appartiennent les parents de Vardhamana. Par son père, Siddhartha, chef de clan,et par sa mère, Trisala, membre de la famille régnante des Licchavi, il se rattache à la noblesse: il est donc par sa naissance de la caste des Ksatriya. Et la tradition svetambara, pour l'affirmer, sans toutefois contredire les sources selon lesquelles il s'incarne dans le sein de la brahmine De vananda, fait intervenir le transfert de l'embryon, sur l'ordre des dieux, du sein de cette brahmine dans celui de Trisala.

L'augmentation des richesses du royaume au cours des mois précédant sa naissance incita ses parents à lui choisir le nom de Vardhamana«Prosper», dont l'interprétation devint:«dispensateur de prospérité»Obéissant à ses parents, il vécut dans le monde,s'y maria à une Ksatriya, Yasoda; celle-ci lui donna une fille, Anavadya, qui, à son tour, épousa un noble. Mais, à trente ans, à la mort de ses parents,Vardhamana obtint de son frère aîné l'autorisation de renoncer à tout. Il distribua ses biens,s'éloigna de son pays et, pendant treize mois, mena la vie de religieux errant. C'est alors qu'adoptant les pratiques ascétiques les plus rigoureuses (car il croyait en leur efficacité), au plus fort de la saison froide, il se dépouilla de ses vêtements et, dans la solitude,pratiqua des jeûnes sévères, tout en se consacrant à la méditation et à la recherche des principes fondamentaux de la communauté religieuse qu'i lprojetait d'organiser. Au bout de deux ans, il reprit ses pérégrinations, qu'il n'interrompait qu'au temps de la mousson. Ainsi, il parcourut la partie de la zone gangétique qui correspond à l'actuel Bihar, et qui comprenait alors les pays Magadha, Anga et Videha.

Partout, devant lui, se dressent des obstacles: intempéries, hostilité des hommes, des animaux et des végétaux. Il y oppose une permanente indifférence et poursuit ses mortifications: il progresse vers l'omniscience. Elle le pénétrera enfin,«au terme d'une seconde période, par une nuit d'été, sous un arbre sala (teck), sur la rive septentrionale de la Rjuvaliya», près du village de Jrmbhikagrama. Après quarante-deux ans de vie religieuse,à l'âge de soixante-douze ans, à Pava, non loin de l'actuelle Patna, il entra en nirvana. La grandeur du Jina s'était depuis longtemps imposée. Des auditoires énormes s'étaient pressés autour de lui,constitués selon la tradition par toutes les classes de lasociété, ou plutôt, selon la critique moderne,par une majorité de Ksatriya, souvent très cultivés, comme pour le Bouddha. D'ailleurs, sa famille paraît l'avoir soutenu, soit à Vaisali, soit à Rajagrha. Beaucoup plus nombreuses que les hommes, les femmes assistaient à sa prédication et reconvertissaient.

Ainsi, à sa mort, la communauté était évaluée à 14 000 moines pour 36 000 nonnes, et à 55 000 disciples hommes pour 318 000 femmes. L'indication des proportions reste ici un témoignage plus sûr que celui des chiffres mêmes. Les successeurs de Mahavira Parmi les onze disciples choisis par le Jina pour devenir «chefs de groupes» (ganadhara ), assumant chacun la direction de trois à cinq cents moines,émerge GautamaIndrabhuti, son interlocuteur habituel, dont il appréciait l'esprit si prompt à formuler des questions facilitant l'exposé de la doctrine. Mais c'est à u nautre de ses disciples, Sudharman, qu'il appartint de recueillir sesparoles et de les transmettre oralement, avec une infaillible rigueur, à son élève Jambusvamin. Elles deviendront la base des textes qui font autorité.

Quant à ces deux derniers dépositaires de la pensée intégrale du Maître, ils sont considérés comme les ultimes omniscients ou kevalin. Les généalogies des maîtres spirituels établies par les Jina et endash; et dont l'authenticité est vérifiée, au moins pour le II e siècle après J.-C., par les inscriptions de Mathura et endash; mentionnent, à la sixième génération après Mahavira, un patriarche très important, le second de l'Église Jina,Bhadrabahu. Ce serait avec lui que, après avoir renoncé au trône,

Candragupta (IVe-IIIesiècle av. J.-C.), l'illustre empereur Maurya, aurait gagné Sravana Belgola, dans le Maisur, pour s'y retirer et se préparer au suicide religieux par inanition. Grand docteur et organisateur, Bhadrabahu prit des décisions qui eurent sur l'avenir du jinisme une influence capitale. Comme il était réputé être le seul en mesure de se remémorer les textes sacrés, on lui délégua des émissaires pour le prier d'assister au concile de Pataliputra, qui s'était donné pour but de fixer ces traités. Mais, refusant de se détourner de sa route, qui le conduisait alors au Népal en accomplissement d'un voeu, il consentit seulement à les réciter devant les envoyés. Un seul, Sthulabhadra, qui avait été son disciple, se trouva capable de les mémoriser, sans pouvoir, toutefois, les retenir dans leur intégralité, ce qui explique les lacunes de la tradition.

Lors d'une grande famine qui frappa le nord de l'Inde et dont il avait dès le début prévu l'ampleur, Bhadrabahu avait partagé avec Sthulabhadra la responsabilité de la direction de la communauté, lui laissant la charge des moines qui ne souhaiteraient pas le suivre vers le Maisur. Douze ans après,la famine terminée, il revint au Magadha avec ses disciples,pour y constater l'abandon de la stricte observance par les religieux qui y étaient demeurés. Toujours fidèles à la coutume de la nudité, ils s'indignèrent de l'amollissement de ceux qui étaient restés dans le Nord. Les controverses se multiplièrent relativement à des points de doctrine et, aggravées par des querelles religieuses, elles préparèrent le schisme qui, en 79 après J.-C., devait consacrer la scission de la communauté entre digambara , les «nus», etsvetambara , les «blancs».

Cette scission était peut-être déjà en puissance au temps de Mahavira,lorsque les disciples de Parsva se soumirent à sa direction tout en s'imposant moins d'austérité. Après cette séparation, les digambara se sentirent plus libres pour proclamer avec fermeté leurs principes. À la suite du Jina, mais sans témoigner de la même tolérance,ils font de la nudité une condition indispensable de la Délivrance. Cependant, ils refusent aux femmes la possibilité d'atteindre la Perfection, rejettent le mythe du transfert d'embryon, contestent le mariage du Mahavira, affirment que les kevalin n'usent d'aucune nourriture ordinaire et, pour mieux s'opposer à l'authenticité des Écritures constituant le canon des svetambara, concluent à la perte définitive des textes anciens. Ils préfèrent,quant à eux, s'en remettre à l'autorité des«Pères de l'Église».

2. Expansion et rayonnement

Parti du Magadha et de la plaine gangétique, le jinisme, selon une inscription de Sravana Belgola, au Maisur, aurait atteint Ujjaini, au temps de Bhadrabahu. De là, il aurait gagné le Karnatak, puis les territoires andhra et dravida. Au II e siècle avant J.-C.,sa présence en Orissa est attestée par l'inscription duroi du Kalinga, sur les parois de la grotte Hathigumpha, près de Bhubanesvar. Après la scission de 79 après J.-C.,alors que les svetambara se maintiennent dans le Nord, les digambara,rayonnant autour de leur centre spirituel de Sravana Belgola,bénéficient, dans le Dekkan et le sud de l'Inde, de la faveur des princes dont ils réussissent à obtenir la conversion ou tout au moins la protection. Au Vie siècle, le pèlerin chinois Hiuan-tsang les visita à Kancicapitale des Pallava, et s'émerveilla de leur prospérité matérielle.

Au IX e siècle, le roi Amoghavarsa composa un traité Jina, et l'un de ses descendants jeûna jusqu'à la mort (982). Les temples elles monuments consacrés au jinisme restent les témoignages de ces faveurs royales, qui encourageaient aussi les lettrés Jina. À partir du XII e siècle s'affirme le déclin des digambara par suite de l'effacement des anciennes dynasties protectrices, des conversions princières obtenues par Ramanuja, l'apôtre du vishnouisme, et des persécutions sanglantes qui accompagnèrent la propagande des Virasaiva, sous la dynastie des Cola. Les témoignages relatifs aux Jina du Nord,mêlés de merveilleux et discontinus, sont, dans l'ensemble, assez obscurs jusqu'au Vie siècle.

Cependant, les fouilles de Mathura, qui fut le siège d'un concile svetambara, à la fin du V e siècle, ont mis au jour de nombreuses inscriptions qui révèlent l'expansion du jinisme vers l'ouest et aussi la division, dès le II e siècle, des svetambara en plusieurs groupes subdivisés en familles et branches spirituelles. Au pays Malva, autour d'Ujjaini, la capitale des empereurs Gupta, qui avaient marqué leur bienveillance au jinisme, les svetambara poursuivront les conversions princières. Ils auraient obtenu, entre autres, celle du roihephtalite Toramana, au Vie siècle, dont le fils devait pourtant les persécuter. Et, bien après, au XVI e siècle, ils devaient s'assurer la sympathie d'Akbar. De grands sanctuaires, à Khajuraho, à Gvalior, à Jaisalmer, au mont Abu, attestent l'importance de leur rayonnement.

Plus à l'ouest, au Gujarat, dans la seconde moitié du V e siècle, deux conciles se réunirent à Valabhi, dans la presqu'île du Kathiavar, en vue de fixer le texte des traités qui, désormais, allaient constituer le canon svetambara: l'oeuvre de ces diascévastes eut,évidemment, une importance considérable. Entre le VI e et le VIII e siècle, le jinisme bénéficia de la protection des princes de Valabhi et de la générosité des fidèles laïcs, qui lui élevèrent de nombreux temples. Mais c'est avec le roi du Gujarat Kumarapala (1144-1173) qu'il atteignit son apogée.

Converti par le savant Hemacandra, le souverain s'employa à transformer son royaume en un État Jina, incitant ses sujets à pratiquer la non-violence, la compassion et la charité. C'est L'AHISMA qu'enseignera plus tard Gandhi. À cet effet, il fit interdire les combats d'animaux, la consommation de la viande et de l'alcool, les jeux de dés et les paris; et il renonça à la confiscation par l'État des biens des marchands morts sans enfants. Cette dernière mesure, dont bénéficiaient les veuves, était favorable au jinisme. Si le roi ne manqua pas de faire bâtir des temples,son esprit de tolérance le porta à maintenir son appui aux saiva , qui, après son règne, reprirent le pouvoir. Il mourut, à la manière de son maître spirituel,Hemacandra, et peu de temps après ce dernier, en se suicidant religieusement par le jeûne.

Dans les siècles qui suivirent, la protection des rois et des ministres assura l'édification de temples, et l'influence Jina reste actuellement encore profonde au Gujarat. La communauté svetambara s'est trouvée divisée en «ordres»,les gaccha , dirigés par des suri désignant eux-mêmes leurs successeurs. Il y en aurait eu quatre-vingt-quatre, dont quelques-uns seulement serévélèrent durables. Certains ont eu pour tâche «de lutter contre le relâchement des moeurs religieuses de la majorité des moines». Tout au long des âges, le souci de pureté et d'orthodoxie a suscité des sectes se rattachant cependant aux svetambara;ainsi, au XII e siècle, celle des Paurnamiyaka , qui se donna pour objectif principal de mettre en évidence l'importance de la confession au jour de la pleine lune. Au milieu du XVIIIe siècle, celle des Terapanthi , ou adeptes du «chemin des Treize», secte puritaine et iconoclaste, s'orienta vers l'étude des sources de la religion. Son activité s'est maintenue jusqu'à l'époque actuelle.

La communauté Jinad'obédience digambara ou svetambara, a toujours déployé une intense activité intellectuelle .Haribhadra (VIII e siècle) et Hemacandra (1089-1172) sont peut-être les plus connus de ses philosophes et commentateurs de traités canoniques. Mais, en dehors du domaine essentiellement religieux, elle s'est intéressée aux sciences, à la grammaire, à la lexicographie, à la poétique, à la métrique, à la politique, à la médecine. Et, pour s'exprimer, elle a fait appel aux différentes langues littéraires de l'Inde, qui convenaient d'ailleurs au genre narratif qu'elle adoptait volontiers et dans lequel elle excellait. Les digambara se sont plu à employer les langues dravidiennes: tamoul et kannarapeut-être pour se différencier du brahmanisme, qui avait choisi le sanskrit; celui-ci fournira toutefois un mode d'expression aux oeuvres philosophiques et aux commentaires Jina. Les différents prakrits seront largement utilisés, ainsi que, parfois, à partir du bas Moyen Âge, les langues indo-aryennes vernaculaires.

3. La doctrine Jina

Si les digambara nient l'authenticité du corpus canonique fixé par les svetambara, ce corpus n'en contient pas moins l'essentiel de la doctrine. Aussi est-il possible de s'y référer pour les deux groupes. Les enseignements respectifs des digambara et des svetambara, issus d'une tradition rigoureusement transmise et fixée avant le schisme, concordent en effet le plus souvent. Deux exposés systématiques complètent d'ailleurs ce canon:

le Pravacanasara , ou Essence de la doctrine, du digambaraKundakunda, qui contient deux cent soixante-quinze strophes prakrites, et qui est traditionnellement daté du Ier siècle après J.-C.; le Tat tvarthadhigamasutra , ou Sutra de l'accès au sens des principes , d'Umasvati, qui comprend trois cent cinquante sutra ou «aphorismes»Écrit en sanskrit, ce sutra apparaît comme une réponse aux «textes fondamentaux des divers systèmes philosophiques brahmaniques». Ces deux précis dogmatiques ont pour but d'instruire les fidèles et de les guider vers la Délivrance. Logique, physique et cosmologie Le chemin de la Délivrance est constitué par trois joyaux: la droite «connaissance» (jñana ), la droite «vue» ou «foi» (darsana ) et la droite«conduite» (caritra ). C'est dans le canon, divisé en quatre grandes sections constituées chacune par un certain nombre de traités, et dans les commentaires de ce canon que se trouve la base de la dogmatique. La connaissance, attribut essentiel de l'âme, s'acquiert selon deux normes de savoir valide(pramana ): l'une médiate (paroksa ), l'autre immédiate(pratyaksa ). La première repose sur une perception indirecte faisant appel à des instruments sensoriels. Elle peut-être représentative (mati ), dépendante de l'expérience personnelle; mais aussi traditionnelle (sruta acquise ex auditu à l'aide de l'enseignement du Jina et des textes sacrés.

Ces deux degrés de connaissance sont complémentaires et, par suite,indissolublement liés. La connaissance immédiate permet la perception directe, sans intermédiaire sensoriel. Elle comporte trois degrés: l'avadhi-jñana appréhension directe des objets matériels, qui peut-être innée (pour les êtres célestes et les êtres infernaux) ou acquise (chez l'homme); lemanah-paryaya-jñana , atteignant les «modes mentaux», c'est-à-dire les pensées d'autrui; le kevala-jñana ou omniscience, qui est le plus haut degré et qui, comprenant tous les autres, désigne la connaissance absolue et parfaite. Cette logique Jina est complétée par la doctrine du syad-vada ou des différentes«possibilités» et par celle du naya-vada ou des«méthodes». La première est la doctrine du«peut-être», et elle recouvre sept formes d'assertions, selon que l'objet «peut être»: tel, non tel, tel et non tel, «inexprimable» (avaktavya ), etc.;ainsi lorsqu'on cherche à affirmer simultanément ce quine peut l'être que successivement, etc. Il s'agit d'une méthode de connaissance synthétique, s'opposant à celle du naya-vada , qui est analytique:

l'objet, cette fois, n'est plus considéré dans sa totalité, mais d'après l'un de ces sept points de vue principaux: qualités génériques et spécifiques;qualités génériques; qualités spécifiques; qualités présentes; point de vue conforme à l'usage ; point de vue conforme àl 'étymologie; ou point de vue de l'activité du signifié en relation avec le sens étymologique du signifiant. Le jinisme est un substantialisme pluraliste qui insiste sur la réalité du changement (parinama ). «Il admet que la substance (dravya ) est le support de qualités fondamentales (guna ) et se manifeste selon des modes transitoires(paryaya ).» Cinq «masses d'être» (astikaya éternelles constituent le monde (loka ) et le non-monde(a-loka ). Elles peuvent s'adjoindre une sixième substance: le temps. Ainsi se distinguent, d'une part, l'âme (jiva ) et,d'autre part, les substances inanimées (a-jiva ):matière (pudgala ), espace (akasa ), temps (kala ), mouvement(dharma ) et arrêt (a-dharma ). Ces «masses d'être», à l'exception du temps, occupent des«minima spatiaux». Alors que les autres substances sont incorporelles, la matière est corporelle, ce qui lui confère des qualités sensibles: couleur (cinq espèces), saveur (cinq espèces), odeur (deux espèces), tangibilité (sept espèces). Elle fournit aux âmes un corps leur rendant possibles les activités physiques et les affections passives, la vie et la mort.

Elle est composée d'atomes en nombre infini, dont chacun est éternel,indivisible, doué de qualités sensibles, mais redevient perceptible aux sens que réuni à d'autres d'atomes. La réunion de ces atomes en agrégats moléculaires détermine de nouvelles propriétés de la matière, qui se manifestent selon une infinité de modes. Aussi est-ce au niveau moléculaire qu'apparaissent les quatre éléments(dhatu ): terre, eau, air, feu. L'espace, décomposable en une infinité d'unités spatiales (pradesa ), se subdivise end eux régions: l'espace cosmique et l'espace non cosmique,illimité et vide. Le temps, qui n'est pas universel, certaines régions du monde en étant dépourvues, est constitué par des «atomes de temps», appelés instants (samaya ) et correspondant chacun au temps nécessaire à un atome de matière pour traverser un point d'espace.

Le dharma et l'adharma sontl es «supports» de toutes les sortes de mouvement et de leur arrêt. Ils agissent sur les âmes et la matière,«l'un à la façon de l'eau qui permet le mouvement du poisson, l'autre à la façon d'un arbre qui invite le voyageur au repos». Ces deux termes sont aussi utilisés par les Jina pour signifier la loi religieuse et son contraire.

L'âme et le karman

L'âme est«vie» (jiva ), c'est une monade spirituelle ayant pour caractéristique essentielle la conscience (cetana ). Le nombre des âmes est infini et elles sont éternelles, identiques et égales. Mais, soumises à des influences extrinsèques, elles subissent des inégalités de statut. Et tant qu'elles ne sont pas libérées de la matière, elles demeurent unies à un organisme corporel.«Il existe cinq variétés de corps, chacun avec sa fonction propre. Tout organisme corporel en possède deux au moins, quatre au plus. Ce sont, en allant du moins au plus subtil: le corps physique (de chair, d'os, etc.), comme est celui des hommes et des animaux; le corps de transformation (vaikriyika ), qui se métamorphose au gré de son possesseur, et dont les êtres célestes et infernaux sont naturellement doués; le corps de transfert (aharika ), incompatible avec le précédent, qui permet à l'âme de connaître et d'agir loin du lieu où se trouve le corps physique, et qui est propre aux hommes, dans des cas particuliers; le corps ardent (taijasa ), qui, formé de particule signées, permet les fonctions digestives et condense une grande quantité d'énergie et de puissance; le corps karmiqueformé du karman , qui se trouve contenu dans l'âme. Les deux derniers se rencontrent dans tous les êtres» (C.Caillat).

On distingue trois manières différentes de naître pour le corps dans lequel l'âme doit s'incarner: par manifestation soudaine, sans base matérielle (pour les dieux et les êtres infernaux);par coagulation spontanée de matière (pour les êtres inférieurs ayant de un à quatre sens); par constitution d'un embryon (pour les hommes et la plupart des animaux supérieurs). Attaché à l'âme, dont il cause la servitude en entraînant son incarnation et sa migration, le corps karmique détermine la variété des êtres et du monde. Pour la philosophie Jina qui considère sa durée, so nintensité, sa quantité, le karman est constitué de la matière subtile résultant des intentions et évolutions antérieures de l'âme.

On en distingue huit espèces: le karman qui obscurcit la connaissance; celui qui obscurcit la vue; le karman sensible, perçu par les sens,produisant plaisir et douleur; le karman d'égarement,provoquant l'aberration de l'âme et endash; il égare la foi et la conduite; avec l'égarement de la conduite apparaissent les quatre passions fondamentales, colère,orgueil, tromperie, avidité, qui s'accompagnent de dispositions et de traits de caractère de nature non passionnelle: frivolité, plaisir, tristesse, crainte,répugnance, conscience sexuelle; viennent ensuite le karman qui détermine la quantité de vie; le karman qui détermine l'individualité (il en existe quatre-vingt-treize variétés); le karman qui détermine le rang social; le karman d'obstruction, qui fait obstacle au progrès de l'âme.

Cependant, les traités spécialisés, les karma-grantha , en analysant les sous-variétés du karman, n'en dénombrent pas moins de cent quarante-huit. La valeur des actes communique à l'âme une couleur qui traduit son état. Ainsi apparaissent six types d'âmes: trois sombres, représentées par le noir, le bleu foncé, le gris; et trois claires: jaune, rose, blanc. Sous l'effet de son propre karman, l'âme s'élance d'existence en existence. Le corps karmique est le véhicule qui, la quantité de vie du corps où elle logeait étant épuisée, la conduit vers une des quatre voies de destinée: humaine, divine, animale, infernale.

Ce n'est que libérée du flot karmique, dénuée de poids, que l'âme, «parfaite», rejoindra le sommet de l'univers et ses pareilles, les siddha ou «accomplissement"

4. Le chemin de la Délivrance

La vie en religion, la seule où le «dépassionnement» soit totalement possible, conduit à la Délivrance, ou plutôt,selon la terminologie Jina, à «l'Accomplissement»(siddhi ), la «Perfection». S'il est sain de corps et d'esprit, un enfant, à partir de l'âge de sept ans et demi, est admis à quitter le monde en abandonnant ses biens. Après un noviciat de quatre mois environ sous l'autorité absolue d'un maître spirituel, il peut recevoir la consécration, au cours de laquelle, les cheveux rasés (ils le seront par la suite périodiquement), il revêt la robe monastique, reçoit un nom nouveau et prononce les cinq voeux. Il est ainsi devenu moine et membre de la communauté, et il entre dans un de ses groupements, sous la direction de maîtres hiérarchisés et relevant du maître par excellence, le guide des fidèles dans la pratique de la Loi, l'Acarya .

À l'exemple du Mahavira, il sera itinérant, en dehors, cependant, du temps de la mousson. Engagé par le cinquième voeu à ne rien posséder, il reçoit toutefois un équipement monastique: une robe ou plutôt une pièce d'étoffe, qu'il lui est interdit de laver et de raccommoder;une calebasse de bois ou d'argile, qui lui servira de bol à aumône; un court balai destiné à écarter les animalcules devant ses pas, alors qu'une pièce de mousseline placée devant sa bouche les protégera de son souffle.

Ses jours et ses nuits sont divisés en quatre parties égales (paurusi ), dont chacune est réservée à une occupation fixe: étude, méditation, déplacement ou tournée d'aumône, sommeil. Il doit se livrer à l'étude des textes et connaître certaines formules: de confession,d'annonce de recueillement, de refus de nourriture... Il ne doit manger que le jour pour mieux contrôler les aliments et pour éviter ainsi de porter atteinte à des animalcules. Les repas journaliers sont souvent réduits par des prescriptions de jeûne. Religieux, ou même laïcs, peuvent d'ailleurs être autorisés à poursuivre le jeûne jusqu'à ce que la mort s'ensuive.

Le moine est tenu deconfesser ses moindres défaillances à son supérieur et doit se livrer pour les racheter à des pénitences minutieusement prévues. Solidaire de tous les autres membres de la communauté, il lui est enjoint de pratiquer toutes les formes d'entraide. Il doit enfin dispenser son soutien spirituel aux fidèles laïcs, qui, en retour,apportent à la communauté leur contribution en assurant la vie matérielle des religieux, en construisant et en entretenant des temples, et en soutenant généreusement les déshérités, parmi lesquels ils placent les animaux vieux et malades, qu'ils recueillent dans des hôpitaux spéciaux. Les laïcs sont étroitement intégrés à la communauté. Celle-ci, en effet, est quadripartite et comprend non seulement les moines et les nonnes mais les fidèles, hommes et femmes, astreints, eux aussi, à l'observance de voeux.

Tout Jina s'engage à respecter cinq interdits: ne pas nuire aux êtres vivants; ne pas mentir; ne pas s'approprier ce qui n'a pas été donné; ne pas manquer à la chasteté; ne pas s'attacher aux possessions matérielles; en outre, ne pas manger de nuit. Pour les religieux, les cinq premiers interdits atteignent un caractère d'extrême rigueur qui leur confère le titre de voeux majeurs. Le laïc n'est soumis qu'à des voeux mineurs, mais ceux-ci sont complétés par sept règles de moralité: s'interdire toute action inutile qui risque d'être nuisible;borner à un certain périmètre ses activités séculières; s'imposer la modération; méditer plusieurs fois par jour; limiter ses occupations; jeûner et veiller au moins chaque quinzaine;distribuer toutes les sortes d'aumônes. Ainsi la vie du laïc, en s'élevant de perfection en perfection, pourra rejoindre la vie religieuse.

Le moine, pour se libérer de l'esclavage de la transmigration, doit purifier son âme de la matière karmique, en rejetant le karman,précédemment engrangé et non encore mûri,et en empêchant tout nouvel influx. Par une série de pratiques consignées ou esquissées dans le canon, il tend à obtenir l'«arrêt» (samvara ) de ce flot karmique: par la triple surveillance (gupti ) des activités mentales, verbales et corporelles; par le quintuple souci de n'endommager aucun être vivant; par l'observance au plus haut degré des dix règles de la morale monastique: patience,humilité, droiture, pureté, véracité,maîtrise de soi, austérité, continence,pauvreté vo lontaire, obéissance spirituelle; par la pratique des douze réflexions (anupreksa ) sur l'impermanence universelle, la faiblesse humaine, la ronde de la transmigration, la solitude de chacun, la différence essentielle de l'âme et du corps, l'influx du karman, son arrêt, son rejet...; enfin par la tolérance des vingt-deux désagréments physiques et moraux: faim, soif, froid, chaud, morsure des insectes,nudité, répugnance pour les devoirs monastiques,séduction féminine, pérégrination,étude, pauvreté du gîte, insultes, coups,mendicité, refus (de l'aumône), maladie, piqûres des herbes, malpropreté, manifestations honorifiques,insuffisance des connaissances, irritation de ne pas comprendre,orgueil.

Ces observances de caractère ascétique sont complétées par l'ascèse proprement dite, qui doit permettre le rejet (nirjara) du karman. Elle comporte les six espèces de l'ascèse l'externe (spécialement les jeûnes), et l'ascèse interne, également sextuple: confession et pénitence;bonne conduite religieuse; services des membres de la communauté; étude; recueillement; concentration mentale, ou dhyana , mais en exceptant les formes pathologiques et malignes qu'elle peut présenter.

De l'hérésie à l'omniscience, les Jina distinguent quatorze stades de qualification spirituelle, qui ne sauraient être gravis dans l'ordre car l'individu peut s'élever, ou, au contraire,redescendre à un niveau inférieur. En se libérant de la matière, l'âme abandonne son corps ardent et son corps physique en même temps que son corps karmique. Elle monte tout droit jusqu'au sommet du monde, dans la région en forme de coupole où elle rejoint toutes les autres âmes parfaites, qui, en nombre infini,s'interpénètrent. Ainsi s'accomplit pour l'âme prédestinée (à la Délivrance), la plénitude de son être, qui est pure connaissance dans l'infinie béatitude de la Délivrance (mukti ), de la Perfection (siddhi ). L'Occident a souvent reproché à la dogmatique Jina sa rigidité. Il convient de remarquer également que les grands maîtres Jina ont fait preuve de tolérance, qu'ils ont toujours été guidés par un véritable souci d'humanité.


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