INTRODUCTION
1. « La
parole du Seigneur demeure pour toujours. Cette Parole, c'est
l'Évangile qui vous a été
annoncé » (1 P 1, 25 ; cf. Is 40, 8). Avec cette
expression de la première Lettre de saint Pierre, qui reprend
les paroles du prophète Isaïe, nous sommes placés
face au mystère de Dieu qui se fait lui-même
connaître par le don de sa Parole. Cette Parole, qui demeure pour
toujours, est entrée dans le temps. Dieu a prononcé sa
Parole éternelle de façon humaine ; son Verbe
« s'est fait chair » (Jn 1, 14). C'est cela
la Bonne Nouvelle. C'est l'annonce qui traverse les siècles,
pour arriver jusqu'à nous aujourd'hui. La XIIe Assemblée
générale ordinaire du Synode des évêques,
célébrée au Vatican du 5 au 26 octobre 2008, a eu
pour thème La Parole de Dieu dans la vie et dans la mission de l'Église.
Ce fut une profonde expérience de rencontre avec le Christ,
Verbe du Père, qui est présent là où deux
ou trois sont réunis en son nom (cf. Mt 18, 20). Par cette
Exhortation apostolique post-synodale, j'accueille volontiers la
demande des Pères de faire connaître au Peuple de Dieu
tout entier la richesse ressortie des assises synodales et les
recommandations exprimées dans le travail commun (1). Dans cette
perspective, j'entends reprendre tout ce qui a été
élaboré par le Synode, à la lumière des
documents présentés : les Lineamenta, l'Instrumentum laboris, les Rapports ante et post disceptationem et le texte des interventions, lues en séance et in scriptis, les comptes rendus des groupes de travail et de leurs échanges, le Message de conclusion adressé au Peuple de Dieu et surtout certaines propositions spécifiques (Propositiones)
que les Pères ont retenues comme étant d'un
intérêt particulier. Ainsi, je désire donner
quelques orientations fondamentales pour une redécouverte, dans
la vie de l'Église, de la Parole divine, source de constant
renouvellement. En même temps, je souhaite qu'elle soit toujours
plus au cœur de toute activité ecclésiale.
Pour que notre joie soit parfaite
2. Je
voudrais avant tout évoquer la beauté et le plaisir de la
rencontre renouvelée avec le Seigneur Jésus dont nous
avons fait l'expérience au cours de cette Assemblée
synodale. C'est pourquoi, faisant écho à la voix des
Pères, je m'adresse à tous les fidèles avec les
paroles de saint Jean dans sa première Lettre :
« Nous vous annonçons cette vie éternelle qui
était auprès du Père et qui s'est
manifestée à nous. Ce que nous avons contemplé, ce
que nous avons entendu, nous vous l'annonçons à vous
aussi, pour que, vous aussi, vous soyez en communion avec nous. Et
nous, nous sommes en communion avec le Père et avec son Fils,
Jésus-Christ » (1 Jn 1, 2-3).
L'Apôtre utilise les verbes « entendre »,
« voir », « toucher » et
« contempler » (cf. 1 Jn 1, 1) le Verbe de Vie,
puisque la Vie elle-même s'est manifestée dans le Christ.
Et nous qui sommes appelés à la communion avec Dieu et
entre nous, nous devons être les messagers de ce don. Dans cette
perspective kérygmatique, l'Assemblée synodale a
été pour l'Église et pour le monde un
témoignage de la beauté de la rencontre avec la Parole de
Dieu dans la communion ecclésiale. C'est pourquoi, j'exhorte
tous les fidèles à renouveler leur expérience de
la rencontre personnelle et communautaire avec le Christ, Verbe de Vie
qui s'est rendu visible, et à s'en faire les messagers pour que
le don de la vie divine (la communion) se répande toujours
davantage dans le monde entier. En effet, participer à la vie de
Dieu, Trinité d'Amour, est plénitude de joie (cf. 1
Jn 1, 4). Et c'est un don et une tâche incontournable de
l'Église de communiquer la joie qui vient de la rencontre avec
la Personne du Christ, Parole de Dieu présente au milieu de
nous. Dans un monde qui souvent considère Dieu comme superflu ou
lointain, nous confessons comme Pierre que lui seul a « les
paroles de la vie éternelle » (Jn 6, 68). Il n'existe
pas de priorité plus grande que celle-ci : ouvrir à
nouveau à l'homme d'aujourd'hui l'accès à Dieu, au
Dieu qui parle et qui nous communique son amour pour que nous ayons la
vie en abondance (cf. Jn 10, 10).
De Dei Verbum au Synode sur la Parole de Dieu
3. Avec
la XIIe Assemblée générale ordinaire du Synode des
évêques sur la Parole de Dieu, nous sommes conscients
d'avoir, en un certain sens, pris pour thème le cœur
même de la vie chrétienne, en continuité avec la
précédente Assemblée synodale sur
« l'Eucharistie source et sommet de la vie et de la mission
de l'Église ». En effet, l'Église est
fondée sur la Parole de Dieu, elle en naît et en vit (2).
Tout au long de son histoire, le Peuple de Dieu a toujours
trouvé en elle sa force, et aujourd'hui encore la
communauté ecclésiale grandit dans l'écoute, dans
la célébration et dans l'étude de la Parole de
Dieu. On doit reconnaître qu'au cours des dernières
décennies la sensibilité ecclésiale sur ce
thème s'est accrue, en référence
particulièrement à la Révélation
chrétienne, à la Tradition vivante et à la Sainte
Écriture. Depuis le pontificat du Pape Léon XIII, il y a
eu un crescendo d'interventions
destinées à faire prendre une plus grande conscience de
l'importance de la Parole de Dieu et des études bibliques dans
la vie de l'Église (3), et qui a culminé au concile
Vatican II, et plus particulièrement avec la promulgation
de la constitution dogmatique sur la Révélation divine Dei Verbum.
Elle représente un point de référence dans
l'histoire de l'Église : « Les Pères
synodaux reconnaissent avec gratitude les grands
bénéfices apportés par ce document à la vie
de l'Église, au point de vue exégétique,
théologique, spirituel, pastoral et
œcuménique » (4). Au cours de ces
années, la conscience de « l'horizon trinitaire,
historique et salvifique de la Révélation »
(5) et la reconnaissance de Jésus-Christ, comme « le
médiateur et la plénitude de toute la
Révélation » (6) se sont
particulièrement développées. L'Église
proclame sans cesse à toutes les générations que
le Christ, « par toute sa présence et par toute la
manifestation de lui-même, par ses paroles et ses œuvres,
par ses signes et ses miracles, mais surtout par sa mort et sa
Résurrection glorieuse d'entre les morts, enfin par l'envoi de
l'Esprit de vérité, achève la
Révélation en l'accomplissant » (7).
La grande impulsion que la constitution dogmatique Dei Verbum a
donnée à la redécouverte de la Parole de Dieu dans
la vie de l'Église, à la réflexion
théologique sur la Révélation divine et à
l'étude de la Sainte Écriture, est connue de tous.
Nombreuses ont aussi été les documents et les
déclarations du Magistère ecclésial en ces
matières au cours des quarante dernières années
(8). Avec la célébration de ce Synode, l'Église,
conscience de la consciente de poursuivre son propre parcours sous la
conduite de l'Esprit Saint, s'est sentie appelée à
approfondir davantage le thème de la Parole divine, à la
fois pour vérifier la mise en œuvre des orientations
conciliaires, et pour faire face aux nouveaux défis que le temps
présent lance à ceux qui croient dans le Christ.
Le Synode des évêques sur la Parole de Dieu
4. Durant
la XIIe Assemblée synodale, des évêques venant du
monde entier se sont réunis autour de la Parole de Dieu et ont
symboliquement placé au centre de leur Assemblée le texte
de la Bible pour redécouvrir ce que dans le quotidien nous
risquons de considérer comme allant de soi : le fait que
Dieu nous parle et répond à nos demandes (9). Ensemble,
nous avons écouté et célébré la
Parole du Seigneur. Nous nous sommes dit les uns aux autres ce que le
Seigneur accomplit au sein du Peuple de Dieu, nous avons partagé
nos espérances et nos préoccupations. Tout cela nous a
rendus conscients que nous ne pouvons approfondir notre relation avec
la Parole de Dieu qu'à partir du « nous »
de l'Église, dans l'écoute et dans l'accueil
réciproque. D'où notre gratitude pour les
témoignages de vie ecclésiale dans les diverses
régions du monde, qui ressortent des différentes
interventions dans l'aula. De même, il fut émouvant
d'écouter les Délégués fraternels, qui ont
accepté notre invitation à participer à cette
rencontre synodale. Je pense en particulier à la
méditation que nous a donnée Sa Sainteté
Bartholoméos Ier, Patriarche œcuménique de
Constantinople, que les Pères synodaux ont
particulièrement appréciée (10). En outre, pour la
première fois, le Synode des évêques a voulu
inviter un rabbin pour qu'il nous donne son précieux
témoignage sur les Saintes Écritures juives, qui font
partie de nos propres Saintes Écritures (11).
Nous
avons ainsi pu constater avec joie et gratitude que « dans
l'Église, c'est aussi une Pentecôte aujourd'hui –
c'est-à-dire que l'Église parle en plusieurs langues. Non
seulement extérieurement toutes les grandes langues du monde
sont représentées en son sein, mais il y existe un sens
plus profond encore : en elle, sont présents les multiples
modes de l'expérience de Dieu et du monde, la richesse des
cultures. Ce n'est qu'ainsi qu'apparaît toute l'étendue de
l'existence humaine et, à partir d'elle, l'étendue de la
Parole de Dieu » (12). Nous avons pu voir aussi que la
Pentecôte est encore « en cours » ; de
nombreux peuples attendent encore que la Parole de Dieu soit
annoncée dans leur langue et dans leur culture.
Comment
aussi ne pas mentionner que, durant tout le Synode, nous avons
été accompagnés par le témoignage de
l'Apôtre Paul ! Il a été providentiel, en
effet, que la XIIe Assemblée générale ordinaire se
soit tenue durant l'année consacrée à la figure du
grand apôtre des Gentils, à l'occasion du
bimillénaire de sa naissance. Sa vie a été
totalement marquée par le zèle pour la diffusion de la
Parole de Dieu. Comment ne pas entendre dans notre cœur
l'écho de ses paroles vibrantes se référant
à sa mission de messager de la Parole divine :
« tout cela, je le fais à cause de
l'Évangile » (1 Co 9, 23) ; « Je n'ai
pas honte d'être au service de l'Évangile –
écrit-il dans la Lettre aux Romains – car il est la
puissance de Dieu pour le salut de tout homme qui est devenu
croyant » (1, 16). Quand nous réfléchissons
sur la Parole de Dieu dans la vie et dans la mission de
l'Église, nous ne pouvons pas ne pas penser à saint Paul
et à sa vie donnée pour annoncer le message du salut du
Christ à tous les peuples.
Le prologue de l'Évangile de Jean comme guide
5. Par
cette Exhortation apostolique, je voudrais que les travaux du Synode
ait une réelle influence sur la vie de l'Église :
dans notre relation personnelle avec les Saintes Écritures, dans
leur interprétation au cours de la liturgie et dans la
catéchèse, de même que dans la recherche
scientifique, afin que la Bible ne soit pas une Parole du passé,
mais une Parole vivante et actuelle. Dans ce but, j'entends
présenter et développer les travaux du Synode en me
référant constamment au Prologue de l'Évangile de
Jean (Jn 1, 1-18), dans lequel nous est communiqué le fondement
de notre vie : le Verbe, qui depuis le commencement est
auprès de Dieu, qui s'est fait chair et a habité parmi
nous (cf. Jn 1, 14). Il s'agit d'un texte admirable, qui offre une
synthèse de toute la foi chrétienne. De cette
expérience personnelle que fut pour lui la rencontre du Christ
et son engagement à sa suite, Jean, que la Tradition identifie
au « disciple que Jésus aimait » (Jn 13,
23 ; 20, 2 ; 21, 7.20), « a tiré une
certitude intime : Jésus est la Sagesse de Dieu
incarnée, il est sa Parole éternelle qui s'est faite
homme sujet à la mort » (13). Que Jean qui
« vit et crut » (Jn 20, 8) nous aide nous aussi
à pencher notre tête sur la poitrine du Christ
(cf. Jn 13, 25), d'où ont jailli du sang et de l'eau
(cf. Jn 19, 34), symboles des sacrements de l'Église. Suivant
l'exemple de l'apôtre Jean et des autres auteurs inspirés,
laissons-nous guider par l'Esprit Saint afin de pouvoir aimer toujours
plus la Parole de Dieu.
PREMIÈRE PARTIE
LE DIEU QUI PARLE
« Au
commencement était le Verbe, et le Verbe était
auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. […] Et le
Verbe s'est fait chair » (Jn 1, 1. 14)
Dieu en dialogue
6. La
nouveauté de la Révélation biblique vient du fait
que Dieu se fait connaître dans le dialogue qu'il désire
instaurer avec nous (14). La constitution dogmatique Dei Verbum avait
exposé cette réalité en reconnaissant que
« Dieu invisible dans l'immensité de sa
charité, […] s'adresse aux hommes comme à des
amis, et converse avec eux pour les inviter à entrer en
communion avec lui et les recevoir en cette communion »
(15). Mais nous ne comprendrions pas encore pleinement le message du
Prologue de saint Jean si nous nous arrêtions au constat que Dieu
se communique à nous avec amour. En fait, le Verbe de Dieu, par
lequel « tout s'est fait » (Jn 1, 3) et qui
« s'est fait chair » (Jn 1, 14), est le
même Dieu qui est « au commencement » (Jn
1, 1). Si nous reconnaissons ici une allusion au début du Livre
de la Genèse (cf. Gn 1, 1), nous nous trouvons, en
réalité, face à un commencement qui est un absolu
et qui nous dévoile la vie intime de Dieu. Le prologue
johannique nous met en face du fait que le Logos est
vraiment depuis toujours, et que depuis toujours il est Dieu
lui-même. Donc, il n'y a jamais eu en Dieu un temps où le Logos n'était
pas. Le Verbe préexiste à la création. C'est
pourquoi, au cœur de la vie divine existe la communion, le don
absolu. « Dieu est amour » (1 Jn 4, 16) dit
à un autre endroit le même Apôtre, en indiquant par
là « l'image chrétienne de Dieu ainsi que
l'image de l'homme qui en découle et de sa
destinée » (16). Dieu se fait connaître
à nous comme un mystère d'amour infini dans lequel le
Père depuis l'éternité exprime sa Parole dans
l'Esprit Saint. Par conséquent le Verbe, qui depuis le
commencement est auprès de Dieu et est Dieu, nous
révèle Dieu lui-même dans le dialogue d'amour des
Personnes divines et il nous invite à y participer. C'est
pourquoi, créés à l'image et à la
ressemblance de Dieu amour, nous ne pouvons nous comprendre
nous-mêmes que dans l'accueil du Verbe et dans la docilité
à l'œuvre de l'Esprit Saint. C'est à la
lumière de la Révélation opérée par
le Verbe divin que s'éclaire définitivement
l'énigme de la condition humaine.
Analogie de la Parole de Dieu
7. À
partir de ces considérations qui, nées de la
méditation du mystère chrétien tel qu'il est
exprimé dans le prologue de Jean, il faut à
présent considérer ce qu'ont déclaré les
Pères synodaux concernant les différentes manières
d'utiliser l'expression « Parole de Dieu ». On a,
à juste titre, parlé d'une symphonie de la Parole, d'une
Parole unique qui s'exprime de différentes façons :
« comme une hymne polyphonique » (17). Les
Pères synodaux ont parlé à ce propos, en
référence à la Parole de Dieu, d'un usage
analogique du langage humain. En effet, si, d'un côté,
cette expression concerne la communication que Dieu fait de
lui-même, de l'autre, elle a différentes significations
qui doivent être considérées attentivement et mises
en relation, aussi bien dans le domaine théologique que
pastoral. Comme nous le montre clairement le prologue de Jean, le Logos désigne
à l'origine le Verbe éternel, c'est-à-dire, le
Fils unique engendré par le Père avant tous les
siècles et qui lui est consubstantiel : le Verbe
était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Mais
ce même Verbe, affirme saint Jean, « s'est fait
chair » (Jn 1, 14) ; c'est pourquoi
Jésus-Christ, né de la Vierge Marie, est
réellement le Verbe de Dieu qui s'est fait consubstantiel
à nous. Par conséquent, l'expression « Parole
de Dieu » indique ici la Personne de Jésus-Christ, le
Fils éternel du Père, fait homme.
Si,
au cœur de la Révélation divine, se situe
l'événement du Christ, on doit aussi reconnaître
que la création elle-même, le liber naturae,
fait aussi essentiellement partie de cette symphonie à plusieurs
voix dans laquelle le Verbe unique s'exprime. En même temps, nous
affirmons que Dieu a communiqué sa Parole dans l'histoire du
salut, qu'il a fait entendre sa voix ; par la puissance de son
Esprit, « il a parlé par les
prophètes » (18). La Parole divine se
révèle donc au cours de l'histoire du salut et elle
parvient à sa plénitude dans le mystère de
l'Incarnation, de la mort et de la résurrection du Fils de Dieu.
La Parole de Dieu est aussi celle qui est prêchée par les
apôtres, dans l'obéissance au commandement de Jésus
ressuscité : « Allez dans le monde entier.
Proclamez la Bonne Nouvelle à toute la
création » (Mc 16, 15). La Parole de Dieu est donc
transmise dans la Tradition vivante de l'Église. Enfin, la
Parole divine, attestée et divinement inspirée, c'est
l'Écriture Sainte, l'Ancien et le Nouveau Testament. Tout cela
nous fait comprendre pourquoi, dans l'Église, nous
vénérons beaucoup les Saintes Écritures, bien que
la foi chrétienne ne soit pas une « religion du
Livre » : le christianisme est la « religion
de la Parole de Dieu », non d'« une parole
écrite et muette, mais du Verbe incarné et
vivant » (19). L'Écriture doit donc être
proclamée, écoutée, lue, accueillie et
vécue comme la Parole de Dieu, dans le sillage de la Tradition
apostolique dont elle est inséparable (20).
Comme
l'ont dit les Pères synodaux, nous nous sommes face à une
utilisation analogique de l'expression « Parole de
Dieu », et nous devons en être conscients. Il faut
donc que les fidèles soient davantage préparés
à en saisir les différents sens et à en comprendre
l'unité. De même, du point de vue théologique, il
est nécessaire d'approfondir l'articulation des
différentes significations de cette expression pour que
resplendissent davantage l'unité et la centralité du
dessein divin : la Personne du Christ (21).
Dimension cosmique de la Parole
8. Conscients
de la signification essentielle de la Parole de Dieu en
référence au Verbe éternel de Dieu fait chair,
unique sauveur et médiateur entre Dieu et l'homme (22), et en
écoutant cette Parole, nous sommes conduits par la
Révélation biblique à reconnaître qu'elle
est le fondement de toute la réalité. Le prologue de
saint Jean affirme, en référence au Logos divin,
que « par lui tout s'est fait et rien de ce qui s'est fait
ne s'est fait sans lui » (Jn 1, 3) ; de même,
dans la Lettre aux Colossiens, il est affirmé au sujet du
Christ, « premier-né par rapport à toute
créature » (1, 15), que « tout est
créé par lui et pour lui » (1, 16). Et
l'auteur de la Lettre aux Hébreux affirme également que
« grâce à la foi, nous comprenons que les
mondes ont été organisés par la Parole de Dieu, si
bien que l'univers visible provient de ce qui n'apparaît pas au
regard » (11, 3).
Pour
nous, cette déclaration est une parole de liberté. En
effet, l'Écriture nous dit que tout ce qui existe n'est pas le
fruit du hasard, mais a été voulu par Dieu, et fait
partie de son dessein, dans lequel nous est donné de participer,
par le Christ, à la vie divine. La création naît duLogos et
porte de façon indélébile la marque de la Raison
créatrice qui ordonne et guide. Les Psaumes chantent cette
joyeuse certitude : « Le Seigneur a fait les cieux par
sa parole, l'univers, par le souffle de sa bouche » (Ps 33,
6) ; et encore : « il parla, et ce qu'il dit
exista ; il commanda, et ce qu'il dit survint »
(Ps 33, 9). Toute la réalité dit ce
mystère : « Les cieux proclament la gloire de
Dieu, le firmament raconte l'ouvrage de ses mains » (Ps 19,
2). Par conséquent, c'est l'Écriture sainte
elle-même qui nous invite à connaître le
Créateur en contemplant sa création (cf. Ps 13, 5 ;
Rm 1, 19-20). La tradition de la pensée chrétienne a su
approfondir cet élément clé de la symphonie de la
Parole, quand, par exemple, saint Bonaventure qui, avec la grande
tradition des Pères grecs, a vu toutes les possibilités
de la création dans le Logos (23),
affirme que « toute créature est Parole de Dieu,
puisqu'elle proclame Dieu » (24). La Constitution dogmatique Dei Verbum avait
résumé cet élément en déclarant
qu'« en créant (cf. Jn 1, 3) et en conservant toutes
choses par le Verbe, Dieu offre aux hommes dans les choses
créées un témoignage durable de
lui-même » (25).
La création de l'homme
9. La réalité naît donc de la Parole, comme creatura Verbi et
tout est appelé à servir la Parole. La création,
en effet, est le lieu où se développe toute l'histoire
d'amour entre Dieu et sa créature. Par conséquent, le
salut de l'homme est la raison de toute chose. En contemplant le cosmos
du point de vue de l'histoire du salut, nous sommes amenés
à prendre conscience de la position unique et singulière
qu'occupe l'homme dans la création : « Dieu
créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le
créa, il les créa homme et femme » (Gn 1, 27).
Cela nous permet de reconnaître pleinement les dons
précieux reçus du Créateur : la valeur de
notre propre corps, le don de la raison, de la liberté et de la
conscience. En cela, nous trouvons aussi tout ce que la tradition
philosophique appelle la « loi naturelle » (26).
En effet, « tout être humain qui accède
à la conscience et à la responsabilité fait
l'expérience d'un appel intérieur à accomplir le
bien » (27) et, donc, à éviter le mal. Comme
le dit saint Thomas d'Aquin, tous les autres préceptes de la loi
naturelle sont aussi fondés sur ce principe (28).
L'écoute de la Parole de Dieu nous porte avant tout à
apprécier l'exigence de vivre selon cette loi
« écrite dans notre cœur » (cf. Rm
2, 15 ; 7, 23) (29). De plus, Jésus-Christ donne aux hommes
la nouvelle Loi, la Loi de l'Évangile, qui assume et
réalise de manière éminente la loi naturelle, en
nous affranchissant de la loi du péché qui fait que,
comme le dit saint Paul, « ce qui est à ma
portée, c'est d'avoir envie de faire le bien, mais pas de
l'accomplir » (Rm 7, 18) et, par la grâce, il permet
aux hommes de participer à la vie divine et il leur donne la
capacité de vaincre leur égoïsme (30).
Le réalisme de la Parole
10. Celui
qui connaît la Parole divine connaît aussi pleinement la
signification de toute créature. Si toutes les choses, en effet,
« subsistent » en Celui qui est
« avant toutes choses » (cf. Col 1, 17), alors
celui qui construit sa propre vie sur sa Parole bâtit vraiment de
manière solide et durable. La Parole de Dieu nous pousse
à changer notre concept de réalisme : la personne
réaliste est celle qui reconnaît dans le Verbe de Dieu, le
fondement de tout (31). Nous en avons particulièrement besoin
à notre époque, où de nombreuses choses sur
lesquelles nous nous appuyons pour construire notre vie, sur lesquelles
nous sommes tentés de mettre notre espérance, se
révèlent éphémères. La possession,
le plaisir et le pouvoir se révèlent tôt ou tard
incapables de satisfaire les aspirations les plus profondes du
cœur de l'homme. En effet, pour construire sa vie, celui-ci a
besoin de bases solides, qui demeurent même lorsque les
certitudes humaines s'estompent. En réalité, puisque
« pour toujours, ta parole, Seigneur, se dresse dans les
cieux » et que la fidélité du Seigneur dure
« d'âge en âge » (cf. Ps 119, 89-90),
celui qui bâtit sur cette Parole construit la maison de sa vie
sur le roc (cf. Mt 7, 24). Que notre cœur puisse dire tous les
jours à Dieu : « Toi mon abri, mon bouclier,
j'espère en ta parole » (Ps 119, 114) et, comme saint
Pierre, que nous puissions agir tous les jours dans une totale
confiance au Seigneur Jésus : « Sur ton ordre,
je vais jeter les filets » (Lc 5, 5) !
Christologie de la Parole
11. À
partir de ce regard sur la réalité comme œuvre de
la Sainte Trinité, à travers le Verbe divin, nous pouvons
maintenant comprendre les paroles de l'auteur de la Lettre aux
Hébreux : « Souvent, dans le passé, Dieu
a parlé à nos pères par les prophètes sous
des formes fragmentaires et variées ; mais, dans les
derniers temps, dans ces jours où nous sommes, il nous a
parlé par ce Fils qu'il a établi héritier de
toutes choses et par qui il a créé les
mondes » (1, 1-2). Il est beau de voir comment tout l'Ancien
Testament se présente déjà à nous comme une
histoire dans laquelle Dieu communique sa Parole : « En
effet, après avoir conclu une alliance avec Abraham (cf. Gn 15,
18) et, par Moïse, avec le Peuple d'Israël (cf. Ex 24, 8), il
se révéla au Peuple qu'il s'était acquis, par des
paroles et par des actions, comme le Dieu unique, vivant et vrai, de
sorte qu'Israël fit l'expérience des voies de Dieu avec les
hommes, qu'il en acquit une intelligence de jour en jour plus profonde
et plus claire grâce à Dieu parlant lui-même par la
bouche des prophètes, et qu'il manifesta toujours plus largement
parmi les nations (cf. Ps 21, 28-29 ; 95, 1-3 ; Is 2,
1-4 ; Jr 3, 17) » (32).
Cette
complaisance de Dieu se réalise de manière incomparable
au moment de l'Incarnation du Verbe. La Parole éternelle qui
s'exprime dans la création et qui se communique dans l'histoire
du salut est devenue dans le Christ un homme, « né
d'une femme » (Ga 4, 4). La Parole ne s'exprime plus ici
d'abord à travers un discours des concepts ou des règles.
Ici, nous sommes devant la Personne même de Jésus. Son
histoire unique et singulière est la Parole définitive
que Dieu dit à l'humanité. On comprend alors pourquoi
« à l'origine du fait d'être chrétien,
il n'y a pas une décision éthique ou une grande
idée, mais la rencontre avec un événement, avec
une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par
là son orientation décisive » (33). Le
renouvellement constant de cette rencontre et de cette conscience
génère dans le cœur des croyants un
émerveillement devant l'initiative divine que l'homme, avec ses
seules facultés rationnelles et avec son imagination, n'aurait
jamais pu concevoir. Il s'agit d'une nouveauté incroyable et
humainement inconcevable : « Le Verbe s'est fait chair,
il a habité parmi nous » (Jn 1, 14a). Ces expressions
ne sont pas des figures de style mais une expérience
vécue ! C'est saint Jean, témoin oculaire, qui la
rapporte : « Nous avons vu sa gloire, la gloire qu'il
tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de
vérité » (Jn 1, 14b). La foi des Apôtres
atteste que la Parole éternelle s'est faite l'Un de nous. La
Parole divine s'exprime vraiment à travers des paroles humaines.
12. En
contemplant cette « Christologie de la Parole »,
la tradition patristique et médiévale a utilisé
une expression très suggestive : le Verbe s'est
« abrégé » (34). Dans la traduction
grecque de l'Ancien Testament, les Pères de l'Église ont
trouvé un passage du prophète Isaïe – que
saint Paul cite aussi – pour indiquer que les voies nouvelles de
Dieu étaient déjà annoncées dans l'Ancien
Testament. On peut y lire : « Dieu a rendu brève
sa Parole, il l'a abrégée » (Is 10, 23 ;
Rm 9, 28). Le Fils, lui-même, est la Parole de Dieu, il est le
« Logos : la Parole éternelle s'est faite
petite – si petite qu'elle peut entrer dans une mangeoire. Elle
s'est faite enfant, afin que la Parole devienne pour nous
saisissable » (35). À présent, la Parole n'est
pas seulement audible, elle ne possède pas seulement une voix,
maintenant la Parole a un visage que nous pouvons voir :
Jésus de Nazareth (36).
En
lisant le récit des Évangiles, nous voyons que
l'humanité même de Jésus apparaît dans toute
son originalité en référence à la Parole de
Dieu. En effet, il réalise à tout moment, dans son
humanité parfaite, la volonté du Père.
Jésus écoute sa voix et il lui obéit de tout son
cœur. Il connaît le Père et il observe sa Parole
(cf. Jn 8, 55). Il nous raconte ce que le Père lui a dit (cf. Jn
12, 50). « Je leur ai donné les paroles que tu m'as
données » (Jn 17, 8). Jésus montre ainsi
qu'il est le Logos divin
qui se donne à nous, mais aussi le nouvel Adam, l'homme
véritable, celui qui accomplit à chaque instant non sa
propre volonté mais celle du Père. Il
« grandissait en sagesse, en taille et en grâce sous
le regard de Dieu et des hommes » (Lc 2, 52). De
manière parfaite, il écoute la Parole divine, il la
réalise en lui-même et il nous la communique (cf. Lc
5, 1).
Enfin,
la mission de Jésus trouve son accomplissement dans le
Mystère pascal : nous nous trouvons ici devant le
« langage de la croix » (1 Co 1, 18). Le Verbe se
tait, il devient silence de mort, car il s'est
« dit » jusqu'à se taire, ne conservant
rien de ce qu'il devait communiquer. De manière suggestive, les
Pères de l'Église, en contemplant ce mystère, ont
mis sur les lèvres de la Mère de Dieu cette
expression : « Sans parole est la parole du
Père, laquelle a créé toute la nature parlante,
sans mouvement sont les yeux éteints de celui par la parole et
le geste de qui est mû tout ce qui se meut » (37).
Ici, nous est vraiment révélé l'amour le
« plus grand », celui qui donne sa vie pour ses
amis (cf. Jn 15, 13).
Dans
ce grand mystère, Jésus se révèle comme la
Parole de l'Alliance nouvelle et éternelle : la
liberté de Dieu et la liberté de l'homme se sont
définitivement rencontrées dans sa chair
crucifiée, en un pacte indissoluble et éternel. Au cours
de l'institution de l'Eucharistie, Jésus lui-même –
à la dernière Cène – avait parlé de
« la Nouvelle et Éternelle Alliance »,
scellée dans son Sang versé (cf. Mt 26, 28 ; Mc 14,
24 ; Lc 22, 20), se montrant comme le véritable Agneau
immolé, en qui s'accomplit la libération
définitive de l'esclavage (38).
Dans
le mystère lumineux de la Résurrection, ce silence de la
Parole se manifeste dans sa signification authentique et
définitive. Le Christ, Parole de Dieu incarnée,
crucifiée et ressuscitée, est le Seigneur de toutes
choses ; il est le vainqueur, le Pantokrátor,
et tout est récapitulé pour toujours en lui (cf. Ep 1,
10). Le Christ est donc « la lumière du
monde » (Jn 8, 12), cette lumière qui
« brille dans les ténèbres » (Jn 1,
5) et que les ténèbres n'ont pas arrêtée
(cf. Jn 1, 5). Nous comprenons pleinement ici le sens du Psaume
119 : « ta parole est la lumière de mes pas, la
lampe de ma route » (v. 105) ; la Parole qui ressuscite
est cette lumière définitive sur notre route. Depuis le
début, les chrétiens ont eu conscience que, dans le
Christ, la Parole de Dieu est présente en tant que Personne. La
Parole de Dieu est la véritable lumière dont l'homme a
besoin. Oui, au moment de la Résurrection, le Fils de Dieu s'est
manifesté comme lumière du monde. À
présent, en vivant avec lui et par lui, nous pouvons vivre dans
la lumière.
13. Parvenus,
pour ainsi dire, au cœur de la « Christologie de la
Parole », il est important de souligner l'unité du
dessein divin dans le Verbe incarné : c'est pour cela que
le Nouveau Testament nous présente le mystère pascal en
accord avec les Saintes Écritures, comme leur accomplissement
parfait. Saint Paul, dans la première Lettre aux Corinthiens,
affirme que Jésus-Christ est mort pour nos péchés
« conformément aux Écritures » (15,
3) et qu'il est ressuscité le troisième jour
« conformément aux Écritures » (15,
4). De cette manière, l'Apôtre place
l'événement de la mort et de la résurrection du
Seigneur en relation avec l'histoire de l'antique Alliance de Dieu avec
son Peuple. Mieux, il nous fait comprendre que c'est de cet
événement que cette histoire tire sa logique et sa
véritable signification. Dans le mystère pascal
s'accomplissent « les paroles de l'Écriture ;
c'est-à-dire que – cette mort réalisée
« conformément aux Écritures »
– est un événement qui porte en soi un Logos,
une logique : la mort du Christ témoigne que la Parole de
Dieu s'est faite pleinement « chair »,
« histoire » humaine » (39). De
même, la résurrection de Jésus se produit
« le troisième jour conformément aux
Écritures » : puisque, suivant une croyance
juive, la décomposition commençait après le
troisième jour, la Parole de l'Écriture s'accomplit en
Jésus qui ressuscite avant que ne commence la
décomposition. Ainsi, en transmettant fidèlement
l'enseignement des apôtres (cf. 1 Co 15, 3), saint Paul souligne
que la victoire du Christ sur la mort advient par la puissance
créatrice de la Parole de Dieu. Cette puissance divine apporte
l'espérance et la joie : c'est là, en
définitive, le contenu libérateur de la
Révélation pascale. À Pâques, Dieu se
révèle lui-même ainsi que la puissance de l'Amour
trinitaire qui anéantit les forces destructrices du mal et de la
mort.
En
rappelant ces éléments essentiels de notre foi, nous
pouvons contempler la profonde unité entre la création,
la nouvelle création et celle de toute l'histoire du salut dans
le Christ. En recourant à une image, nous pouvons comparer
l'univers à un « livre » – comme le
disait également Galilée – le considérant
comme « l'œuvre d'un Auteur qui s'exprime à
travers la « symphonie » de la création.
Au sein de cette symphonie, on trouve, à un certain moment, ce
que l'on appellerait en langage musical un
« solo », un thème confié à
un seul instrument ou à une voix unique ; et celui-ci est
tellement important que la signification de toute l'œuvre
dépend de lui. Ce « solo », c'est
Jésus… Le Fils de l'homme résume en lui la terre
et le ciel, la création et le Créateur, la chair et
l'Esprit. Il est le centre de l'univers et de l'histoire, parce qu'en
lui s'unissent sans se confondre l'auteur et son
œuvre » (40).
Dimension eschatologique de la Parole de Dieu
14. À
travers tout cela, l'Église veut dire qu'elle a conscience de se
trouver, avec Jésus-Christ, face à la Parole
définitive de Dieu ; il est « le Premier et le
Dernier » (Ap 1, 17). Il a donné à la
création et à l'histoire son sens définitif ;
c'est pourquoi nous sommes appelés à vivre dans le temps,
à habiter la création de Dieu selon le rythme
eschatologique de la Parole ; « l'économie
chrétienne, du fait qu'elle est l'Alliance nouvelle et
définitive, ne passera jamais et aucune nouvelle
révélation publique ne doit plus être attendue
avant la glorieuse manifestation de notre Seigneur Jésus-Christ
(cf. 1 Tm 6, 14 et Tt 2, 13) » (41). Vraiment, comme l'ont
rappelé les Pères durant le Synode, « la
spécificité du christianisme se manifeste dans
l'événement Jésus-Christ, sommet de la
Révélation, accomplissement des promesses de Dieu et
médiateur de la rencontre entre l'homme et Dieu. Lui
« qui nous a révélé Dieu »
(cf. Jn 1, 18) est la Parole unique et définitive donnée
à l'humanité » (42). Saint Jean de la Croix a
admirablement exprimé cette vérité :
« Dès lors qu'il nous a donné son Fils, qui
est sa Parole – unique et définitive –, il nous a
tout dit à la fois et d'un seul coup en cette seule Parole et il
n'a rien de plus à dire. […] Car ce qu'il disait par
parties aux prophètes, il l'a dit tout entier dans son Fils, en
nous donnant ce tout qu'est son Fils. Voilà pourquoi celui qui
voudrait maintenant interroger le Seigneur et lui demander des visions
ou des révélations, non seulement ferait une folie, mais
il ferait injure à Dieu, en ne jetant pas les yeux uniquement
sur le Christ et en cherchant autre chose ou quelque autre
nouveauté » (43).
C'est
pourquoi, le Synode a recommandé d'« aider les
fidèles à bien distinguer la Parole de Dieu des
révélations privées » (44), dont le
rôle « n'est pas de […]
« compléter » la Révélation
définitive du Christ, mais d'aider à en vivre plus
pleinement à une certaine époque de
l'histoire ». (45) La valeur des révélations
privées est foncièrement différente de l'unique
Révélation publique : celle-ci exige notre
foi ; en effet, en elle, au moyen de paroles humaines et par la
médiation de la communauté vivante de l'Église,
Dieu lui-même nous parle. Le critère pour établir
la vérité d'une révélation privée
est son orientation vers le Christ lui-même. Quand celle-ci nous
éloigne de lui, alors elle ne vient certainement pas de l'Esprit
Saint, qui nous conduit au cœur de l'Évangile et non en
dehors de lui. La révélation privée est une aide
pour la foi, et elle devient crédible précisément
parce qu'elle renvoie à l'unique Révélation
publique. L'approbation ecclésiastique d'une
révélation privée indique que son message ne
contient rien qui s'oppose à la foi et aux bonnes mœurs.
Il est permis de le rendre public, et les fidèles sont
autorisés à y adhérer avec prudence. Une
révélation privée peut accentuer et faire
émerger de nouvelles formes de piété ou en
approfondir d'anciennes. Elle peut avoir un certain caractère
prophétique (cf. 1 Th 5, 19-21) et être une aide valable
pour comprendre et pour mieux vivre l'Évangile dans les temps
actuels. Elle ne doit donc pas être négligée. C'est
une aide, qui nous est offerte, mais il n'est pas obligatoire de s'en
servir. Dans tous les cas, il doit s'agir de quelque chose qui nourrit
la foi, l'espérance et la charité, qui sont pour tous le
chemin permanent du salut (46).
La Parole de Dieu et l'Esprit Saint
15. Après
nous être arrêtés sur la Parole dernière et
définitive de Dieu au monde, nous devons à présent
parler de la mission de l'Esprit Saint en lien avec la Parole divine.
En effet, aucune compréhension authentique de la
Révélation chrétienne ne peut être atteinte
en dehors de l'action du Paraclet. Et ce, parce que la communication
que Dieu fait de lui-même implique toujours la relation entre le
Fils et l'Esprit Saint, qu'Irénée de Lyon appelle
« les deux mains du Père » (47). De plus,
c'est l'Écriture Sainte qui nous parle de la présence de
l'Esprit Saint dans l'histoire du salut et en particulier dans la vie
de Jésus, conçu de la Vierge Marie par l'action de
l'Esprit Saint (cf. Mt 1, 18 ; Lc 1, 35) ; au début de
son ministère public, sur les rives du Jourdain, Jésus le
voit descendre sur lui sous la forme d'une colombe (cf. Mt 3, 16 et
par.) ; par ce même Esprit, il agit, il parle et il exulte
(cf. Lc 10, 21) ; et c'est en lui qu'il peut s'offrir
lui-même (cf. He 9, 14). Alors que sa mission s'achève,
suivant le récit de l'évangéliste Jean, c'est
Jésus lui-même qui met clairement en rapport le don de sa
vie avec l'envoi de l'Esprit aux siens (cf. Jn 16, 7). Ensuite,
Jésus ressuscité, portant dans sa chair les signes de sa
passion, répand l'Esprit (cf. Jn 20, 22), rendant ses disciples
participant à sa propre mission (cf. Jn 20, 21). Ce sera
alors l'Esprit Saint qui enseignera toutes choses aux disciples et qui
leur rappellera tout ce que le Christ leur a dit (cf. Jn 14, 26), parce
qu'il lui revient, en tant qu'Esprit de vérité
(cf. Jn 15, 26), de guider les disciples dans la
vérité tout entière (cf. Jn 16, 13). Enfin, comme
on lit dans les Actes des Apôtres, l'Esprit descend sur les Douze
réunis en prière avec Marie, au jour de la
Pentecôte (cf. 2, 1-4), et il les remplit de force en vue de leur
mission d'annoncer la Bonne Nouvelle à tous les peuples (48).
La
Parole de Dieu s'exprime donc en paroles humaines grâce à
l'action de l'Esprit Saint. La mission du Fils et celle de l'Esprit
Saint sont inséparables et constituent une unique
économie du salut. L'Esprit, qui agit au moment de l'Incarnation
du verbe dans le sein de la Vierge Marie, est le même Esprit qui
guide Jésus au cours de sa mission et qui est promis aux
disciples. Le même Esprit, qui a parlé par les
prophètes, soutient et inspire l'Église dans sa
tâche d'annoncer la Parole de Dieu et dans la prédication
des Apôtres. Enfin, c'est cet Esprit qui inspire les auteurs des
Saintes Écritures.
16. Attentifs
à cet horizon pneumatologique, les Pères synodaux ont
voulu rappeler l'importance de l'action de l'Esprit Saint dans la vie
de l'Église et dans le cœur des croyants par rapport
à l'Écriture Sainte (49). En effet, sans l'action
efficace de « l'Esprit de vérité »
(Jn 14, 16) on ne peut pas comprendre les paroles du Seigneur. Comme le
déclare saint Irénée : « Ceux qui
ne participent pas à l'Esprit ne puisent pas au sein de leur
Mère (l'Église) la nourriture de Vie, ils ne
reçoivent rien de la source très pure qui coule du Corps
du Christ » (50). Comme la Parole de Dieu vient à
nous dans le Corps du Christ, dans le Corps eucharistique et dans le
Corps des Écritures par l'action de l'Esprit Saint, de
même elle ne peut être accueillie et comprise pleinement
que grâce à ce même Esprit.
Les
grands écrivains de la Tradition chrétienne parlent tous
et de manière unanime du rôle de l'Esprit Saint dans le
rapport que les croyants doivent avoir avec les Écritures. Saint
Jean Chrysostome affirme que l'Écriture « a besoin de
la Révélation de l'Esprit, afin qu'en découvrant
le véritable sens des choses qui s'y trouvent, nous en tirions
abondamment profit » (51). Saint Jérôme est lui
aussi fermement convaincu que « nous ne pouvons arriver
à comprendre l'Écriture sans l'aide de l'Esprit Saint qui
l'a inspirée » (52). Saint Grégoire le Grand
met à son tour l'accent sur l'action de l'Esprit dans la
formation et l'interprétation de la Bible : « Il
a lui-même créé les paroles des Saints Testaments,
c'est lui-même qui révèle leur sens »
(53). Richard de Saint-Victor signale qu'il faut des « yeux
de colombe », illuminés et instruits par l'Esprit,
pour comprendre le texte sacré (54).
Je
voudrais insister encore sur l'importance du témoignage que nous
trouvons, à propos de la relation entre l'Esprit Saint et
l'Écriture, dans les textes liturgiques, où la Parole de
Dieu est proclamée, écoutée et expliquée
aux fidèles. C'est le cas d'anciennes prières qui, sous
forme d'épiclèses, invoquent l'Esprit avant la
proclamation des lectures : « Envoie ton Esprit Saint
Paraclet dans nos âmes et fais-nous comprendre les
Écritures qu'il a inspirées ; et donne-moi de les
interpréter de manière digne, pour que les fidèles
ici réunis en tirent avantage ». De même, nous
trouvons des prières qui, à la fin de l'homélie,
invoquent à nouveau Dieu pour le don de l'Esprit sur les
fidèles : « Dieu sauveur […] nous
t'implorons pour ce peuple : envoie sur lui l'Esprit Saint ;
que le Seigneur Jésus vienne le visiter, qu'il parle aux
consciences de tous et qu'il prépare les cœurs à la
foi et conduise à toi nos âmes, Dieu des
miséricordes » (55). Tout cela nous permet de
comprendre pourquoi l'on ne peut pas saisir le sens de la Parole si
l'action du Paraclet n'est pas accueillie dans l'Église et dans
le cœur des croyants.
Tradition et Écriture
17. En
réaffirmant le lien profond entre l'Esprit Saint et la Parole de
Dieu, nous avons aussi posé les fondations pour comprendre le
sens et la valeur déterminante de la Tradition vivante et des
Écritures saintes dans l'Église. En effet, puisque
« Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son
Fils unique » (Jn 3, 16), la Parole divine, prononcée
dans le temps, s'est donnée et
« livrée » à l'Église de
manière définitive, afin que l'annonce du salut puisse
être communiquée de manière efficace à
toutes les époques et en tous lieux. Comme nous le rappelle la
Constitution dogmatique Dei Verbum,
Jésus-Christ « ayant accompli lui-même et
proclamé de sa propre bouche l'Évangile d'abord promis
par les prophètes, ordonna à ses apôtres de le
prêcher à tous comme la source de toute
vérité salutaire et de toute règle morale, en leur
communiquant les dons divins. Ce qui fut fidèlement accompli
tantôt par les apôtres, qui, dans la prédication
orale, dans les exemples et les institutions transmirent, soit ce
qu'ils avaient appris de la bouche du Christ en vivant avec lui et en
le voyant agir, soit ce qu'ils tenaient des suggestions du
Saint-Esprit, tantôt par ces apôtres et des hommes de leur
entourage, qui, sous l'inspiration du même Esprit-Saint,
consignèrent par écrit le message de salut »
(56).
Le
concile Vatican II rappelle, par ailleurs, que cette Tradition
d'origine apostolique est une réalité vivante et
dynamique : elle progresse dans l'Église avec l'assistance
du Saint-Esprit, non parce qu'elle change dans sa vérité,
qui est éternelle, mais plutôt parce que « la
perception des réalités aussi bien que des paroles
transmises s'accroît », par la contemplation et par
l'étude, avec l'intelligence que donne une expérience
spirituelle plus profonde, et par « la prédication de
ceux qui, avec la succession dans l'épiscopat, ont reçu
un charisme certain de vérité » (57).
La
Tradition vivante est essentielle afin que l'Église puisse
grandir au fil du temps dans la compréhension de la
vérité révélée dans les
Écritures ; en effet, « par cette même
Tradition, le Canon intégral des Livres saints se fait
connaître à l'Église, et en elle aussi les Saintes
Écritures elles-mêmes sont comprises plus en profondeur et
sans cesse rendues agissantes » (58). En fin de compte,
c'est la Tradition vivante de l'Église qui nous fait comprendre
de manière adéquate la Sainte Écriture comme
Parole de Dieu. Même si le Verbe de Dieu précède et
transcende la Sainte Écriture, toutefois, dans la mesure
où elle est inspirée par Dieu, toute Écriture
contient la Parole divine (cf. 2 Tm 3, 16) « d'une
manière tout à fait particulière » (59).
18. D'où
l'importance d'éduquer et de former le Peuple de Dieu à
s'approcher des Saintes Écritures en lien avec la Tradition
vivante de l'Église, pour qu'il reconnaisse en elles la Parole
même de Dieu. Faire grandir cette attitude chez les
fidèles est très important du point de vue de la vie
spirituelle. Il peut être utile de rappeler à ce propos
une analogie développée par les Pères de
l'Église entre le Verbe de Dieu qui se fait
« chair » et la Parole qui se fait
« Livre » (60). La constitution dogmatique Dei Verbum,
recueillant cette ancienne tradition selon laquelle « son
Corps (celui du Fils), ce sont les enseignements des
Écritures » – comme le disait saint Ambroise
(61), – affirme : « les paroles de Dieu,
exprimées en langues humaines, sont devenues semblables au
langage humain, de même que jadis le Verbe du Père
éternel, ayant assumé la chair humaine avec ses
faiblesses, est devenu semblable aux hommes » (62). Ainsi
comprise, l'Écriture Sainte se présente à nous,
bien que dans la multiplicité de ses formes et de ses contenus,
comme une réalité unifiée. En effet,
« à travers toutes les paroles de l'Écriture
sainte, Dieu ne dit qu'une seule Parole, son Verbe unique en qui il se
dit tout entier (cf. He 1, 1-3) » (63). Saint Augustin
affirmait clairement : « Rappelez-vous que le discours
de Dieu, qui est développé dans toute la Sainte
Écriture, est un seul et qu'un seul est le Verbe qui
résonne sur la bouche de tous les auteurs
sacrés » (64).
En
fin de compte, à travers l'action de l'Esprit Saint et sous la
conduite du Magistère, l'Église transmet à toutes
les générations tout ce qui a été
révélé dans le Christ. L'Église vit dans la
certitude que son Seigneur, qui a parlé dans le passé, ne
cesse de communiquer sa Parole, aujourd'hui, dans la Tradition vivante
de l'Église et dans l'Écriture Sainte. En effet, la
Parole de Dieu se donne à nous dans l'Écriture Sainte
comme témoignage inspiré de la Révélation
qui, avec la Tradition vivante de l'Église, constitue la
règle suprême de la foi (65).
Écriture Sainte, inspiration et vérité
19. Un
concept clé pour accueillir le texte sacré, en tant que
Parole de Dieu faite paroles humaines, est indubitablement celui de
l'inspiration. Ici aussi, nous pouvons suggérer une
analogie : comme le Verbe de Dieu s'est fait chair par l'action de
l'Esprit Saint dans le sein de la Vierge Marie, de même
l'Écriture Sainte naît du sein de l'Église par
l'action du même Esprit. L'Écriture Sainte est
« Parole de Dieu en tant que, sous le souffle de l'Esprit
divin, elle est consignée par écrit » (66). On
reconnaît ainsi toute l'importance de l'auteur qui a écrit
les textes inspirés et, en même temps, de Dieu reconnu
comme son auteur véritable.
Comme
les Pères synodaux l'ont affirmé, il apparaît avec
force combien le thème de l'inspiration est décisif pour
appréhender de façon juste les Écritures et pour
en donner une interprétation correcte (67), qui, à son
tour, doit se faire dans l'Esprit même dans lequel elles ont
été écrites (68). Lorsque s'affaiblit en nous la
conscience de l'inspiration, on risque de lire l'Écriture comme
un objet de curiosité historique et non plus comme l'œuvre
de l'Esprit Saint, par laquelle nous pouvons entendre la voix du
Seigneur lui-même et reconnaître sa présence dans
l'histoire.
Les
Pères synodaux ont également souligné que le
thème de l'inspiration est aussi lié au thème de
la vérité des Écritures (69). C'est pourquoi, un
approfondissement de ce qu'est l'inspiration conduira sans aucun doute
aussi à une meilleure intelligence de la vérité
contenue dans les Livres saints. Comme l'affirmait l'enseignement
conciliaire sur ce sujet, les Livres inspirés disent la
vérité : « Dès lors, puisque tout
ce que les auteurs inspirés affirment doit être tenu pour
une affirmation de l'Esprit Saint, il faut par conséquent
professer que les Livres de l'Écriture enseignent fermement,
fidèlement et sans erreur la vérité que Dieu a
voulu voir consignée dans les saintes Lettres en vue de notre
salut. C'est pourquoi « toute Écriture
inspirée de Dieu est utile pour enseigner, réfuter,
redresser, former à la justice afin que l'homme de Dieu se
trouve accompli, équipé pour toute œuvre bonne (2
Tm 3, 16-17, gr.) » (70).
La
réflexion théologique a toujours considéré
l'inspiration et la vérité comme deux concepts
clés d'une herméneutique ecclésiale des Saintes
Écritures. Toutefois, nous devons reconnaître le besoin
aujourd'hui d'approfondir de façon appropriée ces
questions, afin de pouvoir mieux répondre aux exigences de
l'interprétation des textes sacrés selon leur nature.
C'est pourquoi, je souhaite ardemment que la recherche dans ce domaine
puisse progresser et porter du fruit pour la science biblique et pour
la vie spirituelle des fidèles.
Dieu Père, source et origine de la Parole
20. L'économie
de la Révélation a donc son commencement et son origine
en Dieu le Père. Par sa Parole « il a fait les cieux,
l'univers par le souffle de sa bouche » (Ps 33, 6). C'est
lui qui fait « resplendir la connaissance de la gloire de
Dieu qui rayonne sur le visage du Christ » (cf. 2 Co 4,
6 ; cf. Mt 16, 17 ; Lc 9, 29).
Dans le Fils, Logos fait
chair (cf. Jn 1, 14), venu accomplir la volonté de Celui qui l'a
envoyé (cf. Jn 4, 34), Dieu, source de la
Révélation, se révèle en tant que
Père et porte à sa pleine réalisation la
divinisation de l'homme, déjà annoncée auparavant
par les paroles des prophètes et par les merveilles qu'il a
réalisées dans la création et dans l'histoire de
son Peuple et de toute l'humanité. Le sommet de la
Révélation de Dieu le Père est offert par le Fils
à travers le don du Paraclet (cf. Jn 14, 16), Esprit du
Père et de son Fils, qui nous « guide vers la
vérité tout entière » (cf. Jn 16, 13).
21. C'est
ainsi que toutes les promesses de Dieu deviennent
« oui » en Jésus-Christ
(cf. 2 Co 1, 20). S'ouvre ainsi à l'homme la
possibilité de parcourir le chemin qui le conduit au Père
(cf. Jn 14, 6), pour qu'à la fin « Dieu soit tout en
tous » (1 Co 15, 28).
Comme
le montre la croix du Christ, Dieu parle aussi à travers son
silence. Le silence de Dieu, l'expérience de
l'éloignement du Tout-Puissant et du Père est une
étape décisive du parcours terrestre du Fils de Dieu,
Parole incarnée. Pendu au bois de la croix, il a crié la
douleur qu'un tel silence lui causait : « Mon Dieu, mon
Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? »
(Mc 15, 34 ; Mt 27, 46). Persévérant dans
l'obéissance jusqu'à son dernier souffle, dans
l'obscurité de la mort, Jésus a invoqué le
Père. C'est à lui qu'il s'en remet au moment du passage,
à travers la mort, à la vie éternelle :
« Père, entre tes mains je remets mon
esprit » (Lc 23, 46).
Cette
expérience de Jésus est semblable à la situation
de l'homme qui, après avoir écouté et reconnu la
Parole de Dieu, doit aussi faire face à son silence. Bien des
saints et des mystiques ont vécu une telle expérience qui
aujourd'hui encore fait partie du cheminement de nombreux
chrétiens. Le silence de Dieu prolonge ses paroles
précédemment énoncées. Dans ces moments
d'obscurité, il parle dans le mystère de son silence.
C'est pourquoi, dans la dynamique de la Révélation
chrétienne, le silence apparaît comme une expression
importante de la Parole de Dieu.
La réponse de l'homme à Dieu qui parle
Appelés à entrer dans l'Alliance avec Dieu
22. Soulignant
la diversité des formes de la Parole, nous avons pu contempler,
à travers toutes ces modalités, Dieu qui parle et qui
vient à la rencontre de l'homme, en se faisant connaître
dans un dialogue. Bien sûr, comme l'ont affirmé les
Pères synodaux, « quand il se réfère
à la Révélation, le dialogue comporte le primat de
la Parole de Dieu adressée à l'homme » (71).
Le mystère de l'Alliance exprime cette relation entre Dieu qui
appelle par sa Parole et l'homme qui répond, dans la claire
conscience qu'il ne s'agit pas d'une rencontre entre deux pairs ;
ce que nous appelons l'Ancienne et la Nouvelle Alliance n'est pas un
contrat entre deux parties égales, mais un pur don de Dieu. Par
le don de son amour, abolissant toute distance, Dieu fait vraiment de
nous ses « partenaires », réalisant ainsi
le mystère nuptial de l'amour entre le Christ et
l'Église. Dans cette perspective, chaque homme apparaît
comme destinataire de la Parole, interpellé et appelé
à entrer dans ce dialogue d'amour par une réponse libre.
Chacun de nous est ainsi rendu par Dieu capable d'écouter et de
répondre à la Parole divine. L'homme est
créé par la Parole et il vit par elle ; il ne peut
se comprendre lui-même s'il ne s'ouvre à ce dialogue. La
Parole de Dieu révèle la nature filiale et relationnelle
de notre existence. Nous sommes vraiment appelés par grâce
à nous conformer au Christ, le Fils du Père, et à
être transformés en lui.
Dieu écoute l'homme et répond à ses demandes
23. Dans
ce dialogue avec Dieu, nous nous comprenons nous-mêmes et nous
trouvons des réponses aux questions les plus profondes qui
habitent notre cœur. Car la Parole de Dieu ne s'oppose pas
à l'homme, ne mortifie pas ses désirs authentiques, bien
au contraire, elle les illumine, les purifie et les mène
à leur accomplissement. Comme il est important pour notre temps
de découvrir que seul Dieu répond à la soif qui
est dans le cœur de tout homme ! À notre
époque et surtout en Occident, s'est malheureusement
répandue l'idée que Dieu est étranger à la
vie et aux problèmes des hommes et, plus encore, que sa
présence peut être une menace pour son autonomie. En
réalité, toute l'économie du salut nous montre que
Dieu parle et intervient dans l'histoire en faveur de l'homme et de son
salut intégral. Il est donc important, d'un point de vue
pastoral, de présenter la Parole de Dieu dans sa capacité
à répondre aux problèmes que l'homme doit
affronter dans la vie quotidienne. Jésus se présente
précisément à nous comme celui qui est venu pour
que nous puissions avoir la vie en abondance (cf. Jn 10, 10). C'est
pourquoi, nous devons déployer tous nos efforts pour que la
Parole de Dieu apparaisse à chacun comme une ouverture à
ses problèmes, une réponse à ses questions, un
élargissement de ses valeurs et en même temps comme une
satisfaction apportée à ses aspirations. La pastorale de
l'Église doit être attentive à montrer clairement
comment Dieu écoute les besoins de l'homme et son cri. Saint
Bonaventure affirme dans leBreviloquium : « Le
fruit de l'Écriture sainte n'est pas quelconque, c'est la
plénitude de l'éternelle félicité. Car elle
est l'Écriture sainte dans laquelle sont les paroles de la vie
éternelle ; elle est donc écrite, non seulement pour
que nous croyions, mais aussi pour que nous possédions la vie
éternelle dans laquelle nous verrons, nous aimerons et où
nos désirs seront universellement comblés »
(72).
Dialoguer avec Dieu à travers ses paroles
24. La
Parole divine introduit chacun de nous dans un dialogue avec le
Seigneur. Le Dieu qui parle nous apprend comment nous pouvons lui
parler. Nous vient pontanément à l'esprit le Livre des
Psaumes, dans lequel Dieu nous donne les paroles avec lesquelles nous
pouvons nous adresser à lui, lui présenter notre vie,
faisant de la vie elle-même un chemin vers Dieu (73). Dans les
Psaumes, en effet, nous trouvons toute la gamme des sentiments que
l'homme peut éprouver dans son existence et qui sont
présentés à la vue de Dieu : la joie et la
douleur, la détresse et l'espérance, la peur et
l'angoisse trouvent ici leur expression. Avec les Psaumes, nous pensons
aussi aux nombreux autres passages de la Sainte Écriture qui
expriment les différentes façons par lesquelles l'homme
s'adresse à Dieu : sous la forme d'une prière
d'intercession (cf. Is 33, 12-16), d'un chant de joie pour la victoire
(cf. Is 15), ou d'une lamentation (cf. Jr 20, 7-18). C'est
ainsi que la parole que l'homme adresse à Dieu devient à
son tour Parole de Dieu, confirmant le caractère dialogual de
toute la révélation chrétienne (74). Toute
l'existence de l'homme devient, dans cette perspective, un dialogue
avec Dieu qui parle et écoute, qui appelle et engage notre vie.
La Parole de Dieu révèle que toute l'existence de l'homme
se situe dans le champ de l'appel divin (75).
La Parole de Dieu et la foi
25. « À
Dieu qui révèle il faut apporter
“l'obéissance de la foi” (Rm 16, 26 ; cf. Rm 1,
5 ; 2 Co 10, 5-6), par laquelle l'homme s'en remet tout
entier librement à Dieu, en présentant “à
Dieu qui révèle la pleine soumission de l'intelligence et
de la volonté” et en donnant de plein gré son
assentiment à la Révélation qu'il a
faite » (76). Avec ces mots, la constitution dogmatique Dei Verbum a
exprimé, de manière précise, l'attitude de l'homme
devant Dieu. La réponse propre de l'homme à Dieu qui
parle est la foi. Il est clair que « pour accueillir la
Révélation, l'homme doit ouvrir sa conscience et son
cœur à l'action de l'Esprit Saint qui lui fait comprendre
la Parole de Dieu présente dans les Écritures
saintes » (77). En effet, c'est précisément la
prédication de la Parole divine qui fait surgir la foi, par
laquelle nous adhérons de tout notre cœur à la
vérité révélée et nous confions
totalement au Christ : « La foi naît de ce qu'on
entend, et ce qu'on entend, c'est l'annonce de la parole du
Christ » (Rm 10, 17). C'est toute l'histoire du salut qui,
peu à peu, nous montre le lien intime entre la Parole de Dieu et
la foi qui s'accomplit dans la rencontre avec le Christ. La foi prend
alors la forme d'une rencontre avec une personne à laquelle on
confie toute son existence. Le Christ Jésus demeure encore
aujourd'hui dans l'histoire par son Corps qui est
l'Église ; ainsi, notre acte de foi est tout à la
fois un acte personnel et un acte ecclésial.
Le péché comme non-écoute de la Parole de Dieu
26. La
Parole de Dieu révèle inévitablement aussi la
tragique possibilité, pour la liberté de l'homme, de se
soustraire à ce dialogue d'alliance avec Dieu pour lequel nous
avons été créés. La Parole divine, en
effet, dévoile aussi le péché qui habite le
cœur de l'homme. Nous trouvons très souvent, aussi bien
dans l'Ancien que dans le Nouveau Testament, la description du
péché comme une non-écoute de la Parole, comme une
rupture de l'Alliance et donc comme une fermeture à
l'égard de Dieu qui appelle à la communion avec lui (78).
En effet, l'Écriture sainte nous montre combien le
péché de l'homme est essentiellement
désobéissance et
« non-écoute ». C'est vraiment
l'obéissance radicale de Jésus jusqu'à la mort de
la croix (cf. Ph 2, 8) qui démasquera totalement le
péché. Par son obéissance s'accomplit la Nouvelle
Alliance entre Dieu et l'homme et nous est donnée la
possibilité de la réconciliation. Jésus, en effet,
a été envoyé par le Père comme victime
d'expiation pour nos péchés et pour ceux du monde entier
(cf. 1 Jn 2, 2 ; 4, 10 ; Hb 7, 27). Ainsi, la
possibilité miséricordieuse de la Rédemption nous
est offerte avec le début d'une vie nouvelle dans le Christ.
C'est pourquoi, il est important que les fidèles soient
formés à reconnaître la racine du
péché dans la non-écoute de la parole du Seigneur
et à accueillir en Jésus, le Verbe de Dieu, le pardon qui
nous ouvre au salut.
Marie, « Mère du Verbe de Dieu » et « Mère de la foi »
27. Les
Pères synodaux ont déclaré que l'objectif
principal de la XIIe Assemblée était avant tout de
« renouveler la foi de l'Église dans la Parole de
Dieu » ; c'est pourquoi, il est bon de regarder
là où l'échange entre la Parole de Dieu et la foi
s'est accomplie parfaitement, c'est-à-dire en la Vierge Marie,
« qui par son “oui” à la Parole de
l'Alliance et à sa mission, accomplit parfaitement la vocation
divine de l'humanité » (79). La réalité
humaine, créée par le Verbe, trouve vraiment son plein
accomplissement dans la foi obéissante de Marie. De
l'Annonciation à la Pentecôte, elle nous apparaît
comme une femme totalement disponible à la volonté de
Dieu. Elle est l'Immaculée Conception, celle qui est
« pleine de la grâce » de Dieu (cf. Lc
1, 28), docile à la Parole divine de façon
inconditionnelle (cf. Lc 1, 38). Sa foi obéissante place son
existence à chaque instant face au plan de Dieu. Vierge à
l'écoute, elle vit en pleine syntonie avec la volonté
divine ; elle garde dans son cœur les
événements de la vie de son Fils, en les organisant en
une seule mosaïque (cf. Lc 2, 19. 51) (80).
De
nos jours, il est nécessaire que les fidèles soient
initiés à mieux découvrir le lien entre Marie de
Nazareth et l'écoute croyante de la Parole divine. J'invite les
chercheurs à approfondir le plus possible les rapports entre
« la Mariologie et la théologie de la
Parole ». On pourra en tirer un profit autant pour la vie
spirituelle que pour les études théologiques et
bibliques. En effet, ce que l'intelligence de la foi a saisi à
propos de Marie est au cœur de la vérité
chrétienne. En effet, l'Incarnation du Verbe ne peut pas
être pensée en faisant abstraction de la liberté de
cette jeune fille qui, par son assentiment, a coopéré de
façon décisive à l'entrée de
l'Éternel dans le temps. Elle est la figure de l'Église
à l'écoute de la Parole de Dieu qui, en elle, s'est faite
chair. Marie est aussi le symbole de l'ouverture à Dieu et aux
autres ; de l'écoute active qui intériorise, qui
assimile celle en qui la Parole divine devient la matrice de la vie.
28. À
ce point, je désire attirer l'attention sur la
familiarité de Marie avec la Parole de Dieu. Cela apparaît
avec évidence dans le Magnificat.
Ici, en un certain sens, on voit comment elle s'identifie à la
Parole, comment elle entre en elle ; dans ce merveilleux cantique
de foi, la Vierge exalte le Seigneur avec sa propre parole :
« Le Magnificat, – un portrait, pour ainsi
dire, de son âme – est entièrement tissé de
fils de l'Écriture sainte, de fils extraits de la Parole de
Dieu. On voit ainsi combien, dans la Parole de Dieu, Marie est vraiment
chez elle, comment elle s'y meut à son aise. Elle parle et pense
au moyen de la Parole de Dieu ; la Parole de Dieu devient sa
parole, et sa parole naît de la Parole de Dieu. On voit que ses
pensées sont au diapason des pensées de Dieu, que sa
volonté consiste à vouloir avec Dieu. Étant
intimement pénétrée par la Parole de Dieu, elle
peut devenir la mère de la Parole incarnée »
(81).
De
plus, la référence à la Mère de Dieu nous
montre combien l'action de Dieu dans le monde implique toujours notre
liberté parce que, dans la foi, la Parole divine nous
transforme. Notre action apostolique et pastorale ne pourra jamais
être efficace si nous n'apprenons pas de Marie à nous
laisser façonner par l'action de Dieu en nous :
« l'attention pleine d'amour et de dévotion à
la figure de Marie comme modèle et archétype de la foi de
l'Église, est d'une importance capitale pour opérer
aujourd'hui aussi un changement concret de paradigme dans la relation
de l'Église avec la Parole, aussi bien dans l'attitude
d'écoute orante qu'à travers la
générosité de l'engagement pour la mission et
l'annonce » (82).
Contemplant
en la Mère de Dieu une existence totalement
façonnée par la Parole, nous découvrons que nous
sommes, nous aussi, appelés à entrer dans le
mystère de la foi par laquelle le Christ vient demeurer dans nos
vies. Chaque chrétien qui croit, nous rappelle saint Ambroise,
conçoit et engendre en un certain sens, le Verbe de Dieu :
s'il n'y a qu'une seule Mère du Christ selon la chair, en
revanche, selon la foi, le Christ est le fruit de tous (83). Donc ce
qui est arrivé à Marie peut arriver, chaque jour, en
chacun de nous dans l'écoute de la Parole et dans la
célébration des sacrements.
L'herméneutique de l'Écriture sainte dans l'Église
L'Église, lieu originaire de l'herméneutique de la Bible
29. Un
autre grand sujet s'est imposé durant le Synode, sur lequel
j'entends maintenant attirer l'attention, c'est l'interprétation
de l'Écriture sainte dans l'Église. Le lien
intrinsèque entre la Parole et la foi met bien en
évidence que l'authentique herméneutique de la Bible ne
peut se situer que dans la foi de l'Église qui a, dans le
« oui » de Marie, son paradigme. Saint
Bonaventure affirme à ce sujet que, sans la foi, on n'a pas de
clé d'accès au texte sacré :
« C'est de cette connaissance de Jésus-Christ que
découle, telle une source, la certitude et l'intelligence
contenue dans toute l'Écriture sainte. En conséquence, il
est impossible d'entrer dans la connaissance de l'Écriture
sainte sans cette foi venant du Christ. Cette foi est lumière,
porte et aussi fondement de toute l'Écriture » (84).
Et saint Thomas d'Aquin, citant saint Augustin, insiste avec
force : « Même la lettre de l'Évangile tue
s'il manque, à l'intérieur de l'homme, la grâce de
la foi qui guérit » (85).
Ceci
nous permet de rappeler un critère fondamental de
l'herméneutique biblique : le lieu originaire de
l'interprétation scripturaire est la vie de l'Église.
Cette affirmation n'indique pas la référence
ecclésiale comme un critère extrinsèque auquel les
exégètes doivent se plier, mais elle est demandée
par la nature même des Écritures et par la manière
dont elles se sont formées dans le temps. En effet,
« les traditions de la foi formaient le milieu vital dans
lequel s'est insérée l'activité littéraire
des auteurs de l'Écriture sainte. Cette insertion comprenait
aussi la participation à la vie liturgique et à
l'activité extérieure des communautés, à
leur monde spirituel, à leur culture et aux
péripéties de leur destinée historique.
L'interprétation de l'Écriture Sainte exige donc, de
manière semblable, la participation des exégètes
à toute la vie et à toute la foi de la communauté
croyante de leur temps » (86). Par conséquent,
« puisque la Sainte Écriture doit aussi être
lue et interprétée à la lumière du
même Esprit que celui qui la fit rédiger »
(87), il convient que les exégètes, les
théologiens et tout le Peuple de Dieu la considèrent pour
ce qu'elle est réellement, la Parole de Dieu qui se communique
à nous à travers une parole humaine (cf. 1 Th 2,
13). Ceci est une donnée constante contenue implicitement dans
la Bible même : « aucune prophétie de
l'Écriture ne vient d'une intuition personnelle. En effet, ce
n'est jamais la volonté d'un homme qui a porté une
prophétie : c'est portés par l'Esprit Saint que des
hommes ont parlé de la part de Dieu » (2 P 1, 20-21).
Du reste, c'est le propre de la foi de l'Église de
reconnaître dans la Bible la Parole de Dieu ; comme le dit
admirablement saint Augustin, « je ne croirais pas en
l'Évangile si l'autorité de l'Église ne m'y
entraînait pas » (88). C'est l'Esprit Saint qui anime
la vie de l'Église et qui la rend capable d'interpréter
authentiquement les Écritures. La Bible est le Livre de
l'Église et, de son immanence dans la vie ecclésiale,
jaillit aussi sa véritable herméneutique.
30. Saint
Jérôme rappelle que nous ne pouvons jamais lire seuls
l'Écriture. Nous nous heurtons trop souvent à des portes
fermées et nous glissons facilement dans l'erreur. La Bible a
été écrite par le Peuple de Dieu et pour le Peuple
de Dieu, sous l'inspiration de l'Esprit Saint. C'est seulement dans
cette communion avec le Peuple de Dieu, dans ce
« nous » que nous pouvons réellement
entrer au cœur de la vérité que Dieu lui-même
veut nous dire (89). Jérôme, pour qui
« l'ignorance des Écritures est l'ignorance du
Christ » (90), affirme que l'ecclésialité de
l'interprétation biblique n'est pas une exigence imposée
de l'extérieur ; le Livre est vraiment la voix du Peuple de
Dieu pèlerin, et c'est seulement dans la foi de ce Peuple que
nous sommes, pour ainsi dire, dans la tonalité juste pour
comprendre la Sainte Écriture. Une interprétation
authentique de la Bible doit toujours être en harmonie avec la
foi de l'Église catholique. Saint Jérôme
s'adressait ainsi à un prêtre : « Reste
fermement attaché à la doctrine traditionnelle qui t'a
été enseignée, afin que tu puisses exhorter selon
la saine doctrine et réfuter ceux qui la
contredisent » (91).
Les
approches du texte sacré qui font abstraction de la foi peuvent
suggérer des éléments intéressants, en
s'arrêtant sur les structures et les formes du texte, cependant,
une telle tentative ne pourrait être qu'un préliminaire,
structurellement incomplet. En effet, comme l'a affirmé la
Commission biblique pontificale, faisant écho à un
principe partagé par l'herméneutique moderne,
« la connaissance juste du texte biblique n'est accessible
qu'à celui qui a une affinité vécue avec ce dont
parle le texte » (92). Tout cela met en relief la relation
entre la vie spirituelle et l'herméneutique de
l'Écriture. En effet, « avec la croissance de la vie
dans l'Esprit grandit, chez le lecteur, la compréhension des
réalités dont parle le texte biblique » (93).
L'intensité d'une expérience ecclésiale
authentique ne peut que développer une intelligence de la foi
authentique à l'égard de la Parole de Dieu ;
réciproquement, on doit dire que lire les Écritures dans
la foi fait grandir la vie ecclésiale elle-même. À
partir de là, nous pouvons comprendre d'une façon
nouvelle l'affirmation bien connue de saint Grégoire le
Grand : « Les paroles divines grandissent avec celui
qui les lit » (94). C'est ainsi que l'écoute de la
Parole de Dieu introduit et accroît la communion
ecclésiale entre tous ceux qui cheminent dans la foi.
« L'âme de la théologie sacrée »
31. « Que
l'étude de la Sainte Écriture soit comme l'âme de
la théologie sacrée » (95) : cette
citation de la constitution dogmatique Dei Verbum nous
est devenue au fil des ans toujours plus familière. On peut dire
qu'en ce qui concerne les études théologiques et
exégétiques, l'époque qui a suivi le concile
Vatican II a fréquemment fait référence à
cette expression comme un signe de l'intérêt
renouvelé pour la Sainte Écriture. La XIIe
Assemblée du Synode des évêques a souvent fait
allusion à cette affirmation pour indiquer la relation entre la
recherche historique et l'herméneutique de la foi en
référence au texte sacré. À ce propos, les
Pères ont constaté avec joie que l'étude de la
Parole de Dieu s'était développée dans
l'Église dans les dernières décennies, et ont
témoigné leur vive reconnaissance aux nombreux
exégètes et théologiens qui, avec
dévouement, engagement et compétence, ont
contribué et contribuent de manière importante à
l'approfondissement du sens de l'Écriture, en affrontant les
problèmes complexes que notre temps pose à la recherche
biblique (96). Ils ont également manifesté leur
sincère gratitude à l'égard des membres de la
Commission biblique pontificale qui se sont succédé au
cours de ces années et qui, en lien étroit avec la
Congrégation pour la Doctrine de la Foi, continuent à
apporter leur expertise pour aborder les questions particulières
inhérentes à l'étude de la Sainte Écriture.
Le Synode a voulu, en outre, s'interroger sur le statut actuel des
études bibliques et sur leur importance dans le domaine
théologique. En effet, du rapport fécond entre
exégèse et théologie dépend pour une large
part l'efficacité pastorale de l'action de l'Église et la
vie spirituelle des fidèles. C'est pourquoi, je crois important
de reprendre certaines réflexions qui ont émergé
dans les échanges sur ce thème au cours des travaux du
Synode.
Développement de la recherche biblique et Magistère ecclésial
32. Avant
tout, il est nécessaire de reconnaître pour la vie de
l'Église les bénéfices de l'exégèse
historico-critique et des autres méthodes récentes
d'analyse du texte (97). Dans l'approche catholique de la Sainte
Écriture, il est indispensable de porter attention à ces
méthodes, il en va du réalisme de l'Incarnation :
« Cette nécessité est la conséquence du
principe chrétien formulé dans l'Évangile selon
saint Jean 1,14 : le Verbe s'est fait chair. Le fait historique
est une dimension constitutive de la foi chrétienne. L'histoire
du salut n'est pas une mythologie, mais une véritable histoire
et pour cela elle est à étudier avec les méthodes
de la recherche historique sérieuse » (98).
L'étude de la Bible exige la connaissance et l'utilisation
appropriée de ces méthodes de recherche. S'il est vrai
que cette sensibilité pour les études s'est
développée plus fortement à l'époque
moderne, bien que de façon inégale suivant les lieux, il
y a toujours eu dans une saine tradition ecclésiale un amour
pour les études « littéraires ». Il
suffit ici de rappeler la culture monastique qui est le
véritable fondement de la culture européenne et dont on
trouve à la racine l'intérêt pour la parole. Le
désir de Dieu comprend l'amour pour la parole dans toutes ses
dimensions : « puisque dans la parole biblique, Dieu
est en chemin vers nous et nous vers lui, il faut apprendre à
pénétrer le secret de la langue, à la comprendre
dans sa structure et dans ses usages. Ainsi, en raison même de la
recherche de Dieu, les sciences profanes, qui nous indiquent les
chemins vers la langue, deviennent importantes » (99).
33. Le
Magistère vivant de l'Église, auquel il appartient
« d'interpréter de façon authentique la Parole
de Dieu, écrite ou transmise » (100), est intervenu
avec un sage équilibre pour définir la juste position
face à l'introduction des nouvelles méthodes d'analyse
historique. Je pense plus particulièrement aux encycliques Providentissimus Deus du Pape Léon XIII et Divino afflante Spiritu du
Pape Pie XII. Ce fut mon vénérable
prédécesseur Jean-Paul II qui rappela l'importance de ces
documents pour l'exégèse et la théologie à
l'occasion des célébrations du centenaire et du
cinquantenaire de leur promulgation (101). L'intervention du Pape
Léon XIII eut le mérite de protéger
l'interprétation catholique de la Bible des attaques du
rationalisme, mais sans chercher refuge dans un sens spirituel
détaché de l'histoire. Loin de reculer devant la critique
scientifique, il se méfiait surtout « des
idées préconçues qui prétendent se fonder
sur la science mais qui, en réalité, font subrepticement
sortir la science de son domaine » (102). Le Pape Pie XII,
quant à lui, eut à faire face aux attaques des partisans
d'une exégèse soi-disant mystique qui refusait toute
approche scientifique. L'encyclique Divino afflante Spiritu,
avec une grande finesse, a évité toute trace de
dichotomie entre l'« exégèse
scientifique » pour l'usage apologétique et
l'« interprétation spirituelle réservée
à l'usage interne », rappelant au contraire aussi
bien la « portée théologique du sens
littéral méthodiquement défini », que
l'appartenance de la « détermination du sens
spirituel… au domaine de la science
exégétique » (103). Les deux documents
refusaient ainsi « la rupture entre l'humain et le divin,
entre la recherche scientifique et le regard de la foi, entre le sens
littéral et le sens spirituel » (104). Cet
équilibre a ensuite été maintenu dans le document
de la Commission biblique pontificale de 1993 : « Dans
leur travail d'interprétation, les exégètes
catholiques ne doivent jamais oublier que ce qu'ils interprètent
est la Parole de Dieu. Leur tâche commune n'est pas
terminée lorsqu'ils ont distingué les sources,
défini les formes ou expliqué les procédés
littéraires. Le but de leur travail n'est atteint que lorsqu'ils
ont éclairé le sens du texte biblique comme Parole
actuelle de Dieu » (105).
L'herméneutique biblique conciliaire : une indication à recevoir
34. Avec
cet arrière-plan, il est possible de mieux apprécier les
grands principes d'interprétation propre à
l'exégèse catholique exprimés au concile Vatican
II, spécialement dans la constitution dogmatique Dei Verbum :
« Puisque Dieu, dans la Sainte Écriture, a
parlé par des hommes à la manière des hommes,
l'interprète de la Sainte Écriture, pour percevoir ce que
Dieu lui-même a voulu nous communiquer, doit chercher
attentivement ce que les hagiographes ont réellement eu
l'intention de dire et ce qu'il a plu à Dieu de faire savoir par
leurs paroles » (106). D'une part, le Concile indique
l'étude des genres littéraires et du contexte, comme des
éléments essentiels pour saisir le sens voulu par
l'auteur sacré. D'autre part, la Sainte Écriture devant
être interprétée dans le même Esprit que
celui dans lequel elle a été écrite, la
Constitution dogmatique indique trois critères de base pour
appréhender la dimension divine de la Bible :
1)
interpréter le texte en tenant compte de l'unité de
l'ensemble de l'Écriture – on parle aujourd'hui
d'exégèse canonique ;
2) tenir compte ensuite de la Tradition vivante de toute l'Église, et
3) respecter enfin l'analogie de la foi.
« Seulement
dans le cas où les deux niveaux méthodologiques, celui de
nature historique et critique et celui de nature théologique,
sont observés, on peut alors parler d'une exégèse
théologique, d'une exégèse adaptée à
ce Livre » (107).
Les
Père synodaux ont affirmé avec raison que le fruit
positif apporté par l'usage de la recherche historico-critique
moderne est incontestable. Toutefois, alors que l'exégèse
académique actuelle, y compris catholique, travaille à un
haut niveau sur le plan de la méthodologie historico-critique en
intégrant les apports les plus récents, il convient
d'exiger une étude comparable de la dimension théologique
des textes bibliques afin que progresse l'approfondissement selon les
trois éléments indiqués par la Constitution
dogmatique Dei Verbum (108).
Le danger du dualisme et d'une herméneutique sécularisée
35. À
ce propos, il convient de signaler le risque grave d'un dualisme qui
apparaît aujourd'hui dans l'approche des Saintes
Écritures. En effet, en distinguant les deux niveaux d'approche,
il ne s'agit pas de les séparer, ni de les opposer, ni
même de les juxtaposer. Ils sont liés l'un à
l'autre. Malheureusement, il arrive qu'une séparation
stérile entre les deux crée une barrière entre
exégèse et théologie, et ceci « touche
aussi les niveaux académiques les plus
élevés » (109). Je voudrais ici rappeler les
conséquences les plus préoccupantes qu'il convient
d'éviter.
a)
D'abord et avant tout, si le travail exégétique se
réduit seulement au premier niveau, cela a pour
conséquence de réduire l'Écriture elle-même
à un texte du passé : « On peut en tirer
des conséquences morales, on peut en apprendre l'histoire, mais
le livre en tant que tel, parle seulement du passé et
l'exégèse n'est plus véritablement
théologique, mais devient une pure historiographie, une histoire
de la littérature » (110). Il est clair qu'avec une
telle approche réductive, on ne peut en aucune façon
comprendre l'événement de la Révélation de
Dieu par sa Parole qui se transmet à nous par la Tradition
vivante et dans l'Écriture.
b)
La déficience d'une herméneutique de la foi par rapport
à l'Écriture ne se résume pas seulement en termes
d'absence ; à sa place s'inscrit inévitablement une
autre herméneutique, une herméneutique
sécularisée, positiviste, qui a pour conviction
fondamentale que le divin n'intervient pas dans l'histoire humaine.
Selon cette herméneutique, lorsqu'il semble qu'existe un
élément divin, on doit l'expliquer d'une autre
façon et tout ramener à la dimension humaine. Il en
résulte des interprétations qui nient
l'historicité des éléments divins (111).
c)
Une telle position ne peut que produire des problèmes dans la
vie de l'Église, en répandant un doute sur les
mystères fondamentaux du christianisme et sur leur
historicité, comme par exemple l'institution de l'Eucharistie et
la Résurrection du Christ. On impose alors une
herméneutique philosophique, qui nie la possibilité de
l'entrée et de la présence du divin dans l'histoire.
L'acceptation d'une telle herméneutique dans les études
théologiques introduit inévitablement un dualisme pesant
entre une exégèse qui se limite au premier niveau et une
théologie qui tend à une spiritualisation du sens des
Écritures au détriment du caractère historique de
la Révélation.
Cette
position ne peut qu'avoir des résultats négatifs tant sur
la vie spirituelle que sur l'activité pastorale ;
« la conséquence de l'absence du second niveau
méthodologique est qu'il s'est créé un profond
fossé entre exégèse scientifique et Lectio
divina ; il en ressort parfois une forme de perplexité
également dans la préparation des
homélies » (112). Il faut aussi signaler qu'une telle
dichotomie produit parfois de la confusion et un manque de
solidité dans la formation intellectuelle de certains candidats
aux ministères ordonnés (113). En définitive,
« là où l'exégèse n'est pas
théologie, l'Écriture ne peut être l'âme de
la théologie, et vice versa, là où la
théologie n'est pas essentiellement interprétation de
l'Écriture dans l'Église, cette théologie n'a plus
de fondement » (114). Il est donc nécessaire de
considérer avec davantage d'attention les indications
données par la constitution dogmatique Dei Verbum sur ce point.
Foi et raison dans l'approche de l'Écriture
36. Je crois que ce qu'a écrit le Pape Jean-Paul II à ce sujet dans l'encyclique Fides et ratiopeut
aider à une meilleure compréhension de
l'exégèse et, donc, de son rapport avec toute la
théologie. Il affirmait qu'il ne faut pas sous-estimer
« le danger inhérent à la volonté de
faire découler la vérité de l'Écriture
Sainte de l'application d'une méthodologie unique, oubliant la
nécessité d'une exégèse plus large qui
permet d'accéder, avec toute l'Église, au sens
plénier des textes. Ceux qui se consacrent à
l'étude des Saintes Écritures doivent toujours avoir
présent à l'esprit que les diverses méthodologies
herméneutiques ont, elles aussi, à leur base une
conception philosophique : il convient de l'examiner avec
discernement avant de l'appliquer aux textes sacrés »
(115).
Cette
réflexion lucide nous aide à voir comment, dans
l'approche herméneutique de la Sainte Écriture, se joue
la relation spécifique entre foi et raison. En effet,
l'herméneutique sécularisée de la Sainte
Écriture se place comme l'acte d'une raison qui veut
fondamentalement exclure la possibilité que Dieu entre dans la
vie des hommes et qu'il parle aux hommes avec des paroles humaines. Il
est donc urgent d'élargir l'horizon de la rationalité
elle-même (116). C'est pourquoi dans l'utilisation des
méthodes d'analyse historique, on devra éviter de faire
siens, là où ils se présentent, des
critères qui, au préalable, se refusent à la
Révélation de Dieu dans la vie des hommes. L'unité
des deux niveaux du travail d'interprétation de la Sainte
Écriture présuppose, en définitive, une harmonie
entre la foi et la raison. D'une part, elle suppose une foi qui,
maintenant une relation adéquate avec la droite raison, ne
dégénère jamais en un fidéisme, qui peut
aboutir à une lecture fondamentaliste de l'Écriture.
D'autre part, elle suppose une raison qui, en recherchant les
éléments historiques présents dans la Bible, se
montre ouverte et ne refuse pas a priori tout ce qui se situe en dehors
de son domaine. Quoi qu'il en soit, la religion du Verbe incarné
ne pourra que se montrer raisonnable à l'homme qui cherche
sincèrement la vérité et le sens ultime de sa vie
et de l'histoire.
Sens littéral et sens spirituel
37. Une
attention renouvelée aux Pères de l'Église et
à leur approche exégétique contribuera de
façon significative à revaloriser une
herméneutique appropriée de l'Écriture, comme
l'Assemblée synodale l'a affirmé (117). En effet, les
Pères de l'Église nous donnent encore aujourd'hui une
théologie de grande valeur parce qu'elle est centrée sur
l'étude de l'Écriture sainte dans son
intégralité ; ils sont d'abord et avant tout des
« commentateurs de la Sainte Écriture »
(118). Leur exemple peut « enseigner aux
exégètes modernes une approche vraiment religieuse de la
Sainte Écriture, ainsi qu'une interprétation qui s'en
tienne constamment au critère de communion avec
l'expérience de l'Église, qui chemine dans l'histoire
sous la conduite de l'Esprit Saint » (119).
Ignorant,
bien sûr, les ressources philologiques et historiques qui sont
à la disposition de l'exégèse moderne, la
Tradition patristique et médiévale savait
reconnaître les divers sens de l'Écriture en
commençant par le sens littéral, celui qui est
« signifié par les paroles de l'Écriture et
découvert par l'exégèse qui suit les règles
de la juste interprétation » (120). Ainsi, saint
Thomas d'Aquin affirme : « Tous les sens de la Sainte
Écriture se basent sur le sens littéral »
(121). Il est pourtant nécessaire de rappeler qu'au temps
patristique et médiéval, toute forme
d'exégèse, y compris l'exégèse
littérale, était faite sur la base de la foi, et ne
faisait pas nécessairement la distinction entre sens
littéral et sens spirituel. Rappelons ici la distinction
médiévale entre les divers sens de
l'Écriture : « Littera gesta docet, quid credas allegoria, Moralis quid agas, quo tendas anagogia.
Le sens littéral enseigne les événements,
l'allégorie ce qu'il faut croire, le sens moral ce qu'il faut
faire, l'anagogie vers quoi il faut tendre » (122).
Notons
ici l'unité et l'articulation entre sens littéral et sens
spirituel, lequel se subdivise en trois sens, avec lesquels sont
décrits les contenus de la foi, de la morale et de l'aspiration
eschatologique.
En
définitive, en reconnaissant la valeur et la
nécessité, même avec ses limites, de la
méthode historico-critique, nous apprenons de
l'exégèse patristique que « on n'est
fidèle à l'intentionnalité des textes bibliques
que dans la mesure où l'on essaie de retrouver, au cœur de
leur formulation, la réalité de foi qu'ils expriment et
où l'on relie cette réalité à
l'expérience croyante de notre monde » (123). C'est
seulement dans cette perspective que l'on peut reconnaître que la
Parole de Dieu est vivante et s'adresse à chacun dans l'ici et
maintenant de sa vie. En ce sens, l'affirmation de la Commission
biblique pontificale, qui définit le sens spirituel selon la foi
chrétienne, demeure pleinement valable, « il est le
sens exprimé par les textes bibliques lorsqu'on les lit sous
l'influence de l'Esprit Saint dans le contexte du mystère pascal
du Christ et de la vie nouvelle qui en résulte. Ce contexte
existe effectivement. Le Nouveau Testament y reconnaît
l'accomplissement des Écritures. Il est donc normal de relire
les Écritures à la lumière de ce nouveau contexte,
qui est celui de la vie dans l'Esprit » (124).
Le nécessaire dépassement de la lettre
38. En
redécouvrant l'articulation entre les différents sens de
l'Écriture, il est essentiel de saisir le passage de la lettre
à l'esprit. Il ne s'agit pas d'un passage automatique et
spontané ; il faut dépasser la lettre :
« La Parole de Dieu, en effet, n'est jamais simplement
présente dans la seule littéralité du texte. Pour
l'atteindre, il faut un dépassement et un processus de
compréhension qui se laisse guider par le mouvement
intérieur de l'ensemble des textes et, à partir de
là, doit également devenir un processus
vital » (125). Nous voyons ainsi comment un processus
authentique d'interprétation n'est jamais simplement
intellectuel mais procède aussi de la vie et exige donc un
engagement dans la vie ecclésiale, en tant que vie
« sous la conduite de l'Esprit de Dieu » (Ga 5,
16). Dès lors, les critères évoqués dans le
numéro 12 de la constitution dogmatique Dei Verbum deviennent
plus clairs : un tel dépassement ne peut se faire à
partir d'un seul fragment littéraire mais en lien avec la
totalité de l'Écriture. C'est en effet en direction d'une
parole unique que nous sommes appelés à opérer ce
dépassement. Un tel processus comporte un caractère
dramatique profond puisque, dans ce processus de dépassement, le
passage qui s'accomplit dans l'Esprit rencontre inévitablement
la liberté de chacun. Saint Paul a pleinement vécu ce
passage dans sa propre existence. Ce dépassement de la lettre et
cette volonté de comprendre à partir du tout, il les a
exprimés de façon radicale dans ces mots :
« La lettre tue, mais l'Esprit donne la vie »
(2 Co 3, 6). Saint Paul se rend compte que « l'Esprit
qui rend libre possède un nom et donc que la liberté a
une mesure intérieure : “Le Seigneur, c'est l'Esprit,
et là où l'Esprit du Seigneur est présent,
là est la liberté” (2 Co 3, 6). L'Esprit qui rend
libre ne se réduit pas à l'idée ou à la
vision personnelle de celui qui interprète. L'Esprit, c'est le
Christ et le Christ est le Seigneur qui nous indique le
chemin » (126). Nous savons aussi combien, pour saint
Augustin, ce passage fut à la fois dramatique et
libérateur ; il crut aux Écritures qui, au premier
abord, lui apparurent si particulières et en même temps si
grossières, uniquement grâce à ce
dépassement de la lettre qu'il apprit de saint Ambroise à
travers l'interprétation typologique, selon laquelle tout
l'Ancien Testament est un chemin vers Jésus-Christ. Pour saint
Augustin, le dépassement de la lettre lui a rendu
crédible la lettre elle-même et lui a permis de trouver
enfin la réponse aux profondes inquiétudes de son
âme, assoiffée de la vérité (127).
L'unité intrinsèque de la Bible
39. À
l'école de la grande Tradition de l'Église, nous avons
appris à saisir dans le passage de la lettre à l'esprit
l'unité de toute l'Écriture, puisque unique est la Parole
de Dieu qui interpelle notre vie en l'appelant constamment à la
conversion (128). Les réflexions d'Hugues de Saint-Victor
demeurent pour nous un guide sûr : « Toute
l'Écriture divine constitue un Livre unique et ce Livre unique,
c'est le Christ, il parle du Christ et trouve dans le Christ son
accomplissement » (129). Envisagé sous l'aspect
purement historique ou littéraire, la Bible n'est pas un seul
livre, mais un recueil de textes littéraires, dont la
composition s'étend sur plus d'un millénaire et dont il
n'est pas facile pour chaque livre de voir l'unité
interne ; il existe au contraire entre ces textes des
incohérences. C'est déjà le cas pour la Bible
d'Israël que nous, chrétiens, appelons l'Ancien Testament.
Et ce l'est encore plus lorsque nous, chrétiens, mettons en
relation le Nouveau Testament et ces écrits comme une clé
herméneutique de la Bible d'Israël, en
l'interprétant comme un chemin du Christ. Dans le Nouveau
Testament, en général, le terme
« l'Écriture » (cf. Rm 4, 3 ; 1
P 2, 6) n'est pas utilisé, mais plutôt « les
Écritures » (cf. Mt 21, 43 ; Jn 5, 39 ; Rm
1, 2 ; 2 P 3, 16), qui, néanmoins, sont ensuite
considérées dans leur ensemble comme l'unique Parole de
Dieu qui nous est adressée (130). Il est donc clair que la
personne du Christ donne son unité aux
« Écritures » en référence
à l'unique « Parole ». Ainsi, on comprend
ce qu'affirme le numéro 12 de la Constitution dogmatique Dei Verbum,
en indiquant l'unité interne de la Bible comme le critère
décisif pour une herméneutique correcte de la foi.
Le rapport entre l'Ancien et le Nouveau Testament
40. Avec
cette assurance de l'unité des Écritures dans le Christ,
il est nécessaire pour les théologiens comme pour les
pasteurs d'avoir conscience des rapports entre l'Ancien et le Nouveau
Testament. Avant tout, il est évident que le Nouveau Testament
lui-même reconnaît l'Ancien Testament comme Parole de Dieu
et c'est pourquoi il accueille l'autorité des Saintes
Écritures du peuple juif (131). Il le reconnaît
implicitement en ayant recours au même langage et en faisant
fréquemment allusion à des passages de ces
Écritures. Il le reconnaît explicitement lorsqu'il en cite
de nombreux extraits et qu'il s'en sert pour argumenter. Une
argumentation fondée sur des textes de l'Ancien Testament
possède ainsi dans le Nouveau Testament une valeur nettement
supérieure à celle des raisonnements purement humains.
Dans le quatrième Évangile, Jésus affirme que
« l'Écriture ne peut être abolie »
(Jn 10, 35) et saint Paul précise en particulier que la
Révélation de l'Ancien Testament demeure valable pour
nous chrétiens (cf. Rm 15, 4 ; 1 Co 10, 11) (132). Nous
affirmons aussi que « Jésus de Nazareth était
un Juif et que la Terre Sainte est la terre-mère de
l'Église » (133). Les racines du christianisme se
trouvent dans l'Ancien Testament et le christianisme se nourrit
toujours de ces racines. C'est pourquoi la saine doctrine
chrétienne a toujours refusé les nouvelles formes de
marcionisme qui tendent, d'une manière ou d'une autre, à
opposer l'Ancien et le Nouveau Testament (134).
Par
ailleurs, le Nouveau Testament lui-même s'affirme conforme
à l'Ancien et proclame que dans le mystère de la vie, de
la mort et de la Résurrection du Christ, les Saintes
Écritures du Peuple juif ont trouvé leur parfait
accomplissement. Il faut cependant observer que le concept
d'accomplissement des Écritures est complexe, qu'il
possède une triple dimension : un aspect fondamental de
continuité avec la Révélation de l'Ancien
Testament, un aspect de rupture et un aspect d'accomplissement et de
dépassement. Le mystère du Christ est en
continuité d'intention avec le culte sacrificiel de l'Ancien
Testament ; mais il s'est réalisé d'une
manière tout à fait différente, qui correspond
à plusieurs oracles des prophètes, et il a atteint ainsi
une perfection jamais obtenue auparavant. L'Ancien Testament, en effet,
est plein de tensions entre ses aspects institutionnels et ses aspects
prophétiques. Le mystère pascal du Christ est pleinement
conforme – d'une façon toutefois imprévisible
– aux prophéties et à l'aspect anticipateur des
Écritures ; néanmoins, il présente des
aspects évidents de discontinuité par rapport aux
institutions de l'Ancien Testament.
41. Ces
considérations montrent ainsi l'importance incontournable de
l'Ancien Testament pour les chrétiens, et en même temps,
mettent bien en évidence l'originalité de
l'interprétation christologique. Depuis les temps apostoliques
et ensuite dans la Tradition vivante, l'Église a mis en
lumière l'unité du plan divin dans les deux Testaments
grâce à une lecture typologique, qui n'est pas arbitraire
mais intrinsèque aux événements racontés
par le texte sacré et qui ainsi concerne toute
l'Écriture. La typologie « discerne dans les
œuvres de Dieu sous l'Ancienne Alliance des préfigurations
de ce que Dieu a accompli dans la plénitude des temps, en la
personne de son Fils incarné » (135). Les
chrétiens lisent donc l'Ancien Testament à la
lumière du Christ mort et ressuscité. Si la lecture
typologique révèle l'inépuisable contenu de
l'Ancien Testament en relation avec le Nouveau, cela ne doit toutefois
pas conduire à oublier que l'Ancien Testament conserve sa valeur
propre de Révélation que Notre Seigneur lui-même a
réaffirmée (cf. Mc 12, 29-31). C'est pourquoi
« le Nouveau Testament demande aussi d'être lu
à la lumière de l'Ancien. La catéchèse
chrétienne primitive y a constamment eu recours (1 Co 5,
6-8 ; 1 Co 10, 1-11) » (136). Les Pères synodaux
ont pour cette raison affirmé que « la
compréhension juive de la Bible peut aider les chrétiens
dans l'intelligence et l'étude des Écritures »
(137).
« Le
Nouveau Testament est caché dans l'Ancien et l'Ancien est
révélé dans le Nouveau » (138), c'est
ainsi qu'avec une profonde sagesse, saint Augustin s'est exprimé
sur ce thème. Il est donc important qu'aussi bien dans la
pastorale que dans le milieu universitaire, soit bien mise en
évidence la relation intime entre les deux Testaments, en
redisant avec saint Grégoire le Grand que ce que
« l'Ancien Testament a promis, le Nouveau Testament l'a fait
voir ; ce que celui-là annonçait de façon
cachée, celui-ci le proclame ouvertement comme présent.
C'est pourquoi l'Ancien Testament est prophétie du Nouveau
Testament ; et le meilleur commentaire de l'Ancien Testament est
le Nouveau Testament » (139).
Les passages « obscurs » de la Bible
42. À
propos des relations entre l'Ancien et le Nouveau Testament, le Synode
a aussi abordé la question des passages de la Bible qui se
révèlent obscurs et difficiles en raison de la violence
et de l'immoralité qu'ils contiennent parfois. À ce
sujet, rappelons que la Révélation biblique est
profondément enracinée dans l'histoire. Le dessein de
Dieu s'y manifeste progressivement et se réalise lentement
à travers des étapes successives, malgré la
résistance des hommes. Dieu a choisi un peuple et
l'éduque avec patience. La Révélation s'adapte au
niveau culturel et moral d'époques lointaines et raconte par
conséquent des faits et des coutumes, par exemple des
manœuvres frauduleuses, des actes de violence et des massacres,
sans en dénoncer explicitement l'immoralité. Cela
s'explique par le contexte historique, mais peut surprendre le lecteur
moderne, surtout lorsqu'on oublie les nombreux comportements
« sombres » que les hommes ont toujours eus au
long des siècles, et cela jusqu'à nos jours. Dans
l'Ancien Testament, la prédication des prophètes
s'élève vigoureusement contre tout type d'injustice et de
violence, collective ou individuelle, et elle est ainsi un instrument
d'éducation donné par Dieu à son Peuple pour le
préparer à l'Évangile. Ce serait donc une erreur
de négliger ces passages de l'Écriture qui nous
apparaissent problématiques. Admettons plutôt que la
lecture de ces pages requière une compétence
spécifique, à travers une formation à la lecture
des textes dans leur contexte historico-littéraire et à
l'intérieur de la perspective chrétienne qui a pour
ultime clé herméneutique « l'Évangile
et le Commandement nouveau de Jésus-Christ accompli dans le
mystère pascal » (140). J'exhorte donc les chercheurs
et les pasteurs à aider tous les fidèles à
s'approcher aussi de ces pages à travers une lecture qui leur en
fasse découvrir la signification à la lumière du
mystère du Christ.
Chrétiens et juifs face aux Écritures
43. Après
avoir considéré les étroites relations qui lient
le Nouveau Testament à l'Ancien, notre attention se porte
naturellement sur le lien particulier qui en résulte entre
chrétiens et juifs, un lien qui ne devrait jamais être
oublié. Aux Juifs, le Pape Jean-Paul II a
déclaré : vous êtes « “nos
frères préférés” dans la foi
d'Abraham, notre patriarche » (141). Certes, cette
déclaration ne signifie pas une méconnaissance des
ruptures affirmées dans le Nouveau Testament à
l'égard des institutions de l'Ancien Testament et encore moins,
de l'accomplissement des Écritures dans le mystère de
Jésus-Christ, reconnu Messie et Fils de Dieu. Cependant, cette
profonde et radicale différence n'implique aucunement une
hostilité réciproque. L'exemple de saint Paul (cf. Rm
9-11) démontre, au contraire, qu'« une attitude de
respect, d'estime et d'amour pour le peuple juif est la seule attitude
véritablement chrétienne dans cette situation qui fait
mystérieusement partie du dessein, totalement positif, de
Dieu » (142). Saint Paul, en effet, affirme à propos
des juifs que « le choix de Dieu en a fait des
bien-aimés, et c'est à cause de leurs pères. Les
dons de Dieu et son appel sont irrévocables »
(Rm 11, 28-29).
En
outre, saint Paul utilise la belle image de l'olivier pour
décrire les relations très étroites entre
chrétiens et juifs : l'Église des Gentils est comme
un rameau d'olivier sauvage, greffé sur l'olivier franc qui est
le Peuple de l'Alliance (cf. Rm 11, 17-24). Nous tirons donc notre
nourriture des mêmes racines spirituelles. Nous nous rencontrons
comme des frères, des frères qui à certains
moments de leur histoire ont eu des relations tendues, mais qui sont
maintenant fermement engagés dans la construction de ponts sur
la base d'une amitié durable (143). C'est encore le Pape
Jean-Paul II qui disait : « Nous avons beaucoup en
commun. Ensemble, nous pouvons faire beaucoup pour la paix, pour la
justice et pour un monde plus fraternel et plus humain »
(144).
Une
fois de plus, je désire réaffirmer combien le dialogue
avec les juifs est précieux pour l'Église. Il est bon
que, là où on en voit l'opportunité, se
créent des occasions de rencontre et d'échange, y compris
publiques, qui permettent de grandir dans la connaissance mutuelle,
l'estime réciproque et la collaboration, et aussi dans
l'étude des Saintes Écritures.
L'interprétation fondamentaliste de la Sainte Écriture
44. L'attention
que nous avons voulu donner jusqu'à présent au
problème de l'herméneutique biblique sous ses
différents aspects nous permet maintenant d'aborder celui de
l'interprétation fondamentaliste de la Sainte Écriture,
qui a surgi plusieurs fois au cours du débat synodal, (145).
À ce propos, la Commission biblique pontificale, dans le
document sur L'interprétation de la Bible dans l'Église,
a formulé quelques orientations importantes. Ici, je voudrais
attirer l'attention surtout sur ces lectures qui ne respectent pas
l'authenticité du texte sacré et favorisent des
interprétations subjectives et arbitraires. En effet, le
« littéralisme » mis en avant par la
lecture fondamentaliste représente de fait une trahison aussi
bien du sens littéral que du sens spirituel, ouvrant la voie
à toutes sortes de manipulations, diffusant par exemple des
interprétations anti-ecclésiales des Écritures
elles-mêmes. L'aspect problématique de la
« lecture fondamentaliste est que, en refusant de tenir
compte du caractère historique de la Révélation
biblique, on se rend incapable d'accepter pleinement la
vérité de l'Incarnation elle-même. Le
fondamentalisme fuit l'étroite relation du divin et de l'humain
dans les rapports avec Dieu […] Pour cette raison, il tend
à traiter le texte biblique comme s'il avait été
dicté mot à mot par l'Esprit et n'arrive pas à
reconnaître que la Parole de Dieu a été
formulée dans un langage et une phraséologie
conditionnés par telle ou telle époque »
(146). Au contraire, le christianisme voit dans les paroles la Parole,
le Logos lui-même,
qui fait rayonner son mystère à travers la
complexité et la réalité de l'histoire humaine
(147). La véritable réponse à une lecture
fondamentaliste est « la lecture croyante de
l'Écriture Sainte, pratiquée depuis l'Antiquité
dans la Tradition de l'Église, (celle-ci) cherche la
vérité qui sauve pour la vie de chaque fidèle et
pour l'Église. Cette lecture reconnaît la valeur
historique de la Tradition biblique. C'est précisément
à cause de cette valeur de témoignage historique que
celle-ci veut redécouvrir la signification vivante des
Écritures Saintes destinées aussi à la vie du
croyant d'aujourd'hui » (148), sans ignorer, donc, la
médiation humaine du texte inspiré et ses genres
littéraires.
Le dialogue entre pasteurs, théologiens et exégètes
45. L'herméneutique
authentique de la foi entraîne avec elle certaines
conséquences importantes dans le domaine de l'activité
pastorale de l'Église. Précisément à ce
propos, les Pères synodaux ont recommandé, par exemple,
des relations plus étroites entre pasteurs,
exégètes et théologiens. Il est bon que les
Conférences épiscopales favorisent ce type de rencontre
« en vue de promouvoir une plus grande communion au service
de la Parole de Dieu » (149). Une telle coopération
aidera chacun à mieux remplir sa tâche propre au
bénéfice de toute l'Église. En effet, s'inscrire
sur l'horizon du travail pastoral signifie, également pour les
chercheurs, se mettre face au texte sacré sachant qu'il s'agit
d'un message que le Seigneur adresse aux hommes pour leur salut. C'est
pourquoi, comme l'a déclaré la constitution dogmatique Dei Verbum,
il est recommandé que « les exégètes
catholiques et ceux qui s'adonnent à la théologie
sacrée, unissant avec zèle leurs forces, s'appliquent,
sous la vigilance du Magistère sacré, et par le recours
aux moyens appropriés, à scruter les divines lettres et
à les présenter si bien que le plus grand nombre possible
des serviteurs de la Parole divine puissent fournir au Peuple de Dieu,
de façon fructueuse, l'aliment des Écritures, qui
éclaire les esprits, affermit les volontés, enflamme le
cœur des hommes pour l'amour de Dieu » (150).
Bible et œcuménisme
46. Conscient
que l'Église est fondée sur le Christ, Verbe de Dieu fait
chair, le Synode a voulu souligner le caractère central des
études bibliques dans le dialogue œcuménique en vue
de la pleine expression de l'unité de tous les croyants dans le
Christ (151). Dans l'Écriture elle-même, en effet, nous
trouvons la prière vibrante de Jésus au Père pour
que ses disciples soient un afin que le monde croie (cf. Jn 17, 21).
Tout cela nous renforce dans la conviction qu'écouter et
méditer ensemble les Écritures nous fait vivre une
communion réelle même si elle n'est pas encore pleine
(152) ; « l'écoute commune des Écritures
nous pousse ainsi au dialogue de la charité et fait grandir
celui de la vérité » (153). En effet,
écouter ensemble la Parole de Dieu, pratiquer la Lectio divina de
la Bible, se laisser surprendre par la nouveauté, qui jamais ne
vieillit ou ne s'épuise, de la Parole de Dieu, dépasser
notre surdité sur ces paroles qui ne s'accordent pas avec nos
opinions et nos préjugés, écouter et
étudier dans la communion avec les croyants de tous les
temps : tout cela représente un chemin à parcourir
vers l'unité de la foi, en tant que réponse à
l'écoute de la Parole (154). Le concile Vatican II est
à cet égard très clair : « Les
Écritures Saintes sont, dans le dialogue
(œcuménique) lui-même, des instruments insignes
entre les mains puissantes de Dieu pour obtenir cette unité que
le Sauveur offre à tous les hommes » (155). C'est
pourquoi il est bon de développer les études, les
débats et les célébrations
œcuméniques de la Parole de Dieu, dans le respect des
règles en vigueur et des diverses traditions (156). Ces
célébrations font avancer la cause de
l'œcuménisme et, quand elles sont vécues dans leur
sens véritable, elles constituent des moments intenses d'une
authentique prière pour demander à Dieu de hâter le
jour tant désiré où nous pourrons tous nous
approcher de la même table et boire à l'unique calice.
Cependant, tout en louant et en encourageant ces moments, il faut faire
en sorte qu'ils ne soient pas proposés aux fidèles en
remplacement de la sainte messe prévue les dimanches et les
jours d'obligation.
Dans
ce travail d'étude et de prière, nous reconnaissons avec
sérénité qu'il y a des aspects qui demandent
à êtres approfondis et sur lesquels nous sommes encore
d'avis différents, comme par exemple sur ce qui, dans
l'Église, fait autorité pour l'interprétation et
sur le rôle décisif du Magistère (157).
Enfin,
je voudrais insister par ailleurs sur ce qu'ont dit les Pères
synodaux au sujet de l'importance, dans ce travail
œcuménique, des traductions de la Bible dans les
différentes langues. Nous savons en effet que traduire un texte
n'est pas une tâche simplement mécanique mais fait partie
en un certain sens du travail d'interprétation. À ce
sujet, le vénérable Jean-Paul II a affirmé :
« Ceux qui se rappellent quelle influence les débats
autour de l'Écriture ont eue sur les divisions, surtout en
Occident, peuvent comprendre l'avancée notable que
représentent ces traductions communes » (158). En ce
sens, la promotion des traductions communes de la Bible participe
à l'effort œcuménique. Je désire remercier
ici tous ceux qui portent cette grande responsabilité et les
encourager à poursuivre leur tâche.
Conséquences sur l'organisation des études théologiques
47. Une
autre conséquence qui dérive d'une herméneutique
correcte de la foi concerne la nécessité d'en montrer les
implications pour la formation exégétique et
théologique, en particulier des candidats au sacerdoce. On doit
faire en sorte que l'étude de la Sainte Écriture soit
véritablement l'âme de la théologie dans la mesure
où l'on reconnaît en elle la Parole de Dieu, qui s'adresse
aujourd'hui au monde, à l'Église et à chacun
personnellement. Il est important que les critères
indiqués par le numéro 12 de la Constitution dogmatique Dei Verbum soient
effectivement pris en considération et fassent l'objet d'un
approfondissement. Évitons de cultiver un concept de recherche
scientifique, que l'on voudrait neutre face à l'Écriture.
C'est pourquoi, en même temps que l'étude des langues dans
lesquelles la Bible a été écrite et des
méthodes d'interprétation qui conviennent, il est
nécessaire que les étudiants aient une profonde vie
spirituelle, de façon à saisir qu'on ne peut comprendre
l'Écriture que si on la vit.
Dans
cette perspective, je recommande que l'étude de la Parole de
Dieu, transmise et écrite, ait lieu dans un esprit
profondément ecclésial. Dans ce but, qu'on tienne compte,
dans la formation académique, des interventions du
Magistère qui « n'est pas au-dessus de la Parole de
Dieu, mais est à son service, n'enseignant que ce qui a
été transmis, pour autant que, par mandat divin et avec
l'assistance du Saint-Esprit, il écoute cette Parole pieusement,
la garde saintement et l'expose fidèlement » (159).
Il convient donc de veiller à ce que les études se
déroulent dans la conviction que « selon le
très sage dessein de Dieu, la sainte Tradition, la Sainte
Écriture et le Magistère de l'Église sont
reliés et associés entre eux de telle façon
qu'aucun d'entre eux ne subsiste sans les autres » (160). Je
souhaite donc que, selon l'enseignement du concile Vatican II,
l'étude de l'Écriture Sainte, lue dans la communion de
l'Église universelle, soit réellement comme l'âme
des études théologiques (161).
Les saints et l'interprétation de l'Écriture
48. L'interprétation
de la Sainte Écriture demeurerait incomplète si on ne se
mettait pas à l'écoute de qui a véritablement
vécu la Parole de Dieu, c'est-à-dire les saints (162). De
fait, « viva lectio est vita bonorum »
(163). En effet, l'interprétation la plus profonde de
l'Écriture vient précisément de ceux qui se sont
laissés modeler par la Parole de Dieu, à travers
l'écoute, la lecture et la méditation assidue.
Ce
n'est certainement pas un hasard si les grandes spiritualités
qui ont marqué l'histoire de l'Église ont leur origine
dans une référence explicite à l'Écriture.
Je pense par exemple à saint Antoine abbé,
bouleversé par les paroles du Christ : « Si tu
veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le
aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux. Puis viens,
suis-moi » (Mt 19, 21) (164). Le cas de saint Basile le
Grand est tout aussi frappant, lui qui, dans les Moralia s'interroge :
« Qu'est-ce qui est le propre de la foi ? C'est la
pleine et indubitable certitude de la vérité des paroles
inspirées par Dieu. […] Qu'est-ce qui est le propre du
fidèle ? De se conformer avec cette totale certitude
à ce qu'expriment les paroles de l'Écriture, et ne pas
oser en retrancher ou en ajouter une seule » (165). Saint
Benoît, dans sa Règle, renvoie à l'Écriture
en tant que « norme parfaitement droite pour la vie
humaine » (166). Saint François d'Assise –
écrit Tommaso de Celano – « en entendant que
les disciples du Christ ne devaient posséder ni or, ni argent,
ni monnaie, ni prendre de besace, ni pain, ni bâton pour la
route, ni avoir de sandales, ni deux tuniques… aussitôt,
exultant dans l'Esprit Saint, s'exclama : “cela je le veux,
cela je le demande, cela je désire le faire de tout mon
cœur !”» (167). Sainte Claire d'Assise reprend
tout à fait à son compte l'expérience de saint
François : « La forme de vie de l'Ordre des
Sœurs pauvres […] est celle-ci : observer le saint
Évangile de notre Seigneur Jésus-Christ »
(168). Saint Dominique de Guzman aussi, « partout, se
présentait comme un homme évangélique, dans ses
paroles comme dans ses œuvres » (169) et il voulait
que tels soient ses frères prêcheurs :
« des hommes évangéliques » (170).
Sainte Thérèse d'Avila, carmélite, qui dans ses
écrits recourt continuellement à des images bibliques
pour expliquer son expérience mystique, rappelle que
Jésus lui-même lui a révélé que
« tout le mal du monde provient de l'absence de connaissance
claire des vérités de l'Écriture
Sainte » (171). Sainte Thérèse de l'Enfant
Jésus découvre que l'Amour est sa vocation personnelle en
scrutant les Écritures, en particulier les chapitres 12 et 13 de
la première Lettre aux Corinthiens (172) ; c'est la
même sainte qui décrit la fascination qu'exercent les
Écritures : « Je n'ai qu'à jeter les yeux
dans le saint Évangile, aussitôt je respire les parfums de
la vie de Jésus et je sais de quel côté
courir » (173). Chaque saint est comme un rayon de
lumière qui jaillit de la Parole de Dieu : pensons à
saint Ignace de Loyola dans sa recherche de la vérité et
dans le discernement spirituel ; à saint Jean Bosco dans sa
passion pour l'éducation des jeunes ; à saint
Jean-Marie Vianney dans sa conscience de la grandeur du sacerdoce comme
un don et un devoir ; à saint Pio de Pietrelcina au service
de la miséricorde divine ; à saint Josemaría
Escrivá dans sa prédication sur l'appel universel
à la sainteté ; à la bienheureuse Teresa de
Calcutta, missionnaire de la charité de Dieu pour les plus
délaissés, et jusqu'aux martyrs du nazisme et du
communisme, représentés, d'une part, par sainte
Bénédicte de la Croix (Édith Stein), moniale
carmélite, et, d'autre part, par le bienheureux Aloys Stepinac,
cardinal archevêque de Zagreb.
49. La
sainteté dans son rapport à la Parole de Dieu s'inscrit
ainsi d'une certaine façon dans la tradition prophétique,
où la Parole de Dieu prend la vie même du prophète
à son service. En ce sens, la sainteté dans
l'Église constitue une herméneutique de l'Écriture
dont personne ne peut faire abstraction. L'Esprit Saint qui a
inspiré les auteurs sacrés est le même qui pousse
les saints à donner leur vie pour l'Évangile. Se mettre
à leur école représente un chemin sûr pour
entreprendre une interprétation vivante et efficace de la Parole
de Dieu.
De
ce lien entre Parole de Dieu et sainteté, nous avons eu un
témoignage direct pendant la XIIe Assemblée du Synode,
lorsque le 12 octobre, sur la place saint Pierre, s'est
déroulée la canonisation de quatre nouveaux saints :
le prêtre Gaetano Errico, fondateur de la Congrégation des
Missionnaires des Sacrés Cœurs de Jésus et
Marie ; Mère Maria Bernarda Bütler, née en
Suisse et missionnaire en Équateur et en Colombie ;
Sœur Alphonsine de l'Immaculée Conception, première
sainte canonisée née en Inde ; la jeune laïque
équatorienne Narcisa de Jésus Martillo Morán. Par
leur vie, ils ont rendu témoignage pour le monde et pour
l'Église à la fécondité éternelle de
l'Évangile du Christ. Demandons au Seigneur que, par
l'intercession de ces saints, canonisés au cours de
l'Assemblée synodale sur la Parole de Dieu, notre vie soit cette
« bonne terre » sur laquelle le divin Semeur
puisse semer la Parole afin qu'elle porte en nous des fruits de
sainteté, « trente, soixante, cent pour
un » (Mc 4, 20).
DEUXIÈME PARTIE
VERBUM IN ECCLESIA
« Mais
à tous ceux qui l'ont accueilli, il a donné pouvoir de
devenir enfants de Dieu » (Jn 1,12)
La Parole de Dieu et l'Église
L'Église accueille la Parole
50. Le
Seigneur énonce sa Parole afin qu'elle soit accueillie par ceux
qui ont été créés
« par » le Verbe lui-même. « Il
est venu chez les siens » (Jn 1, 11) : la Parole ne
nous est pas fondamentalement étrangère et la
création a été voulue dans un rapport
d'intimité avec la vie divine. Le prologue du quatrième
Évangile nous place devant le refus opposé à la
Parole divine par les « siens », qui
« ne l'ont pas accueilli » (Jn 1, 11). Ne pas
l'accueillir veut dire, ne pas écouter sa voix, ne pas se
conformer au Logos.
En revanche, là où l'homme, même fragile et
pécheur, s'ouvre sincèrement à la rencontre avec
le Christ, là commence une transformation radicale :
« mais à tous ceux qui l'ont accueilli, il a
donné pouvoir de devenir enfants de Dieu » (Jn 1,
12). Accueillir le Verbe signifie se laisser modeler par lui afin
d'être conforme au Christ, au « Fils unique qui vient
du Père » (Jn 1, 13) par la puissance de l'Esprit
Saint. Cela marque le début d'une nouvelle création.
Naît alors la créature nouvelle, ainsi qu'un peuple
nouveau. Ceux qui croient, ou mieux ceux qui vivent dans
l'obéissance de la foi, « sont nés de
Dieu » (Jn 1, 13), et sont rendus participants de la vie
divine : ils sont fils dans le Fils (cf. Ga 4, 5-6 ; Rm 8,
14-17). En commentant ce passage de l'Évangile de Jean, saint
Augustin dit joliment : « Par le Verbe tu as
été créé, mais il est nécessaire que
tu sois recréé par le Verbe » (174). Ici, nous
voyons prendre forme le visage de l'Église comme une
réalité déterminée par l'accueil du Verbe
de Dieu qui, en se faisant chair, est venu établir sa tente au
milieu de nous (Jn 1, 14). Cette demeure de Dieu parmi les hommes, cette shekinah (cf. Ex 26,
1), préfigurée dans l'Ancien Testament, se réalise
maintenant dans la présence définitive de Dieu au milieu
des hommes dans le Christ.
La Présence permanente du Christ dans la vie de l'Église
51. Le
rapport entre le Christ, Parole du Père, et l'Église ne
peut être compris comme un simple événement
passé ; il s'agit plutôt d'une relation vitale dans
laquelle chaque fidèle est appelé à entrer
personnellement. En effet, nous parlons de la présence de la
Parole de Dieu qui demeure avec nous aujourd'hui : « Et
moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du
monde » (Mt 28, 20). Comme le Pape Jean-Paul II l'a
affirmé : « La présence du Christ aux
hommes de tous les temps se réalise dans son Corps qui est
l'Église. Pour cela, le Seigneur a promis à ses disciples
l'Esprit Saint, qui leur “rappellerait” et ferait
comprendre ses commandements (cf. Jn 14, 26) et serait le principe et
la source d'une vie nouvelle dans le monde (cf. Jn 3, 5-8 ;
Rm 8, 1-13) ». (175) La Constitution dogmatique Dei Verbum exprime
ce mystère avec la terminologie biblique du dialogue
nuptial : « Dieu, qui a parlé autrefois,
converse sans cesse avec l'Épouse de son Fils bien-aimé,
et l'Esprit-Saint, par qui la voix vivante de l'Évangile
retentit dans l'Église et par l'Église dans le monde,
introduit les croyants dans la vérité tout entière
et fait habiter en eux la parole du Christ en abondance (cf.
Col 3, 16) » (176).
L'Épouse
du Christ, maîtresse de l'écoute, dit encore aujourd'hui
avec foi : « Parle, Seigneur, que ton Église
t'écoute » (177). C'est pourquoi la Constitution
dogmatique Dei Verbumcommence
ainsi : « En se mettant religieusement à
l'écoute de la Parole de Dieu et en la proclamant avec
assurance, le saint Concile… » (178). Il s'agit en
effet d'une définition dynamique de la vie de
l'Église : « Ce sont là des mots par
lesquels le Concile indique un aspect qui qualifie
l'Église : elle est une communauté qui écoute
et annonce la Parole de Dieu. L'Église ne vit pas
d'elle-même mais de l'Évangile et, de cet Évangile,
elle tire toujours à nouveau une orientation pour son chemin.
C'est une remarque que tout chrétien doit recevoir et appliquer
à lui-même : seul celui qui se met à
l'écoute de la Parole peut ensuite en devenir
l'annonciateur » (179). Dans la Parole de Dieu
proclamée et écoutée, dans les sacrements,
Jésus dit aujourd'hui, ici et maintenant, à chacun :
« Je suis tien, je me donne à toi » pour
que l'homme puisse répondre et dire à son tour :
« Je suis tien » (180). L'Église se
manifeste ainsi comme le lieu où, par la grâce, nous
pouvons expérimenter ce que dit le prologue de Saint Jean :
« Mais tous ceux qui l'ont reçu, il leur a
donné de pouvoir devenir enfants de Dieu » (Jn 1, 12).
La liturgie, lieu privilégié de la Parole de Dieu
La Parole de Dieu dans la sainte liturgie
52. En
considérant l'Église comme « la demeure de la
Parole » (181), on doit d'abord prêter attention
à la sainte liturgie, car elle est vraiment le lieu
privilégié où Dieu nous parle au cœur de
notre vie, où il parle aujourd'hui à son Peuple qui
écoute et qui répond. Chaque action liturgique est par
nature nourrie par les Saintes Écritures. Comme l'affirme la
ConstitutionSacrosanctum Concilium, « dans la
célébration de la liturgie, la Sainte Écriture est
de la plus grande importance. C'est d'elle que sont tirés les
textes qui sont lus et qui sont expliqués dans l'homélie,
ainsi que les Psaumes qui sont chantés ; et c'est sous son
inspiration et sous son impulsion que les prières, les oraisons
et les hymnes liturgiques ont pris naissance et c'est d'elle que les
actions et les symboles reçoivent leur
signification » (182). Mieux encore, on doit dire que c'est
le Christ lui-même qui « est là présent
dans sa Parole, puisque lui-même parle pendant que sont lues dans
l'Église les Saintes Écritures » (183). En
effet, « la célébration liturgique devient
elle-même une proclamation continue, pleine et efficace de la
Parole de Dieu. C'est pourquoi, la Parole de Dieu, assidûment
proclamée dans la liturgie est toujours vivante et efficace par
la puissance de l'Esprit Saint, et manifeste l'amour agissant du
Père qui ne cesse jamais d'agir pour tous les
hommes » (184). L'Église a toujours été
consciente que durant l'action liturgique, la Parole de Dieu est
accompagnée par l'action intérieure de l'Esprit Saint qui
la rend efficace dans le cœur des fidèles. En fait, c'est
grâce au Paraclet que « la Parole de Dieu devient le
fondement de l'action liturgique, la règle et le support de
toute la vie. L'œuvre de l'Esprit Saint […] suggère
au cœur de chacun tout ce qui, dans la proclamation de la Parole
de Dieu, est prononcé pour l'assemblée des fidèles
dans son ensemble ; et tandis qu'elle renforce l'unité de
tous, elle ravive aussi la diversité des charismes et pousse
à l'action sous des formes multiples » (185).
Par
conséquent, pour vraiment comprendre la Parole de Dieu, il faut
apprécier et vivre la valeur de l'action liturgique. En un
certain sens, l'herméneutique de la foi sur la base des Saintes
Écritures, doit toujours avoir comme point de
référence la liturgie, où la Parole de Dieu est
célébrée comme une parole actuelle et
vivante : « Ainsi, dans la liturgie, l'Église
suit-elle fidèlement la manière de lire et
d'interpréter l'Écriture qui fut celle du Christ, lui
qui, depuis l'“aujourd'hui” de sa venue, exhorte à
scruter attentivement toutes les Écritures » (186).
Ici,
se manifeste la sage pédagogie de l'Église qui proclame
et écoute la Sainte Écriture au rythme de l'année
liturgique. Cette dilatation de la Parole de Dieu dans le temps se
manifeste particulièrement dans la célébration
eucharistique et dans la Liturgie des Heures. Au centre de tout,
resplendit le mystère pascal auquel sont reliés tous les
mystères du Christ et de l'histoire du salut, qui s'actualisent
sacramentalement : « Tout en célébrant
ainsi les mystères de la Rédemption, elle
(l'Église) ouvre aux fidèles les richesses de la
puissance et des mérites de son Seigneur de telle sorte que ces
mystères sont en quelque sorte rendus présents tout le
temps et que les fidèles sont mis en contact avec eux et remplis
de la grâce du salut » (187). J'exhorte les pasteurs
de l'Église et les assistants pastoraux à faire en sorte
que tous les fidèles soient formés de manière
à goûter le sens profond de la Parole de Dieu qui se
déploie dans la liturgie tout au long de l'année, en
révélant les mystères fondamentaux de notre foi.
La juste approche de la Sainte Écriture en dépend aussi.
La Sainte Écriture et les Sacrements
53. En
abordant le thème de la valeur de la liturgie pour la
compréhension de la Parole de Dieu, le Synode des
évêques a voulu souligner aussi les relations entre la
Sainte Écriture et l'action sacramentelle. On a besoin
d'approfondir le lien entre parole et sacrement, aussi bien dans
l'action pastorale de l'Église que dans la réflexion
théologique (188). Il est certain que « la liturgie
de la Parole est un élément décisif dans la
célébration de chacun des sacrements de
l'Église » (189) ; mais, dans l'action
pastorale, les fidèles n'en ont pas toujours conscience et ne
perçoivent pas toujours l'unité entre le geste et la
parole. « Il appartient aux prêtres et aux diacres,
surtout lorsqu'ils administrent les Sacrements, de mettre en
lumière l'unité que Parole et Sacrement forment dans le
ministère de l'Église ». (190) En effet, dans
le rapport entre la Parole et le geste sacramentel, l'action même
de Dieu dans l'histoire est manifestée sous la forme liturgique
à travers le caractère performatif de la Parole. Dans
l'histoire du salut en effet, il n'existe pas de séparation
entre ce que Dieu dit et ce qu'il fait ; sa Parole même est
vivante et efficace (cf. He 4, 12), comme le dit clairement le mot
hébreu « dabar ». De même dans
l'action liturgique, nous sommes mis en présence de sa Parole
qui réalise ce qu'elle dit. En initiant le Peuple de Dieu
à découvrir le caractère performatif de la Parole
de Dieu dans la liturgie, on l'aide aussi à percevoir l'action
de Dieu dans l'histoire du salut et dans l'histoire personnelle de
chacun de ses membres.
La Parole de Dieu et l'Eucharistie
54. Ce
qui vient d'être affirmé de façon
générale sur les relations entre la Parole et les
Sacrements, a un sens encore plus profond quand nous parlons de la
célébration eucharistique. D'ailleurs, l'unité
intime entre la Parole et l'Eucharistie se fonde sur le
témoignage scripturaire (cf. Jn 6 ; Lc 24), attesté
par les Pères de l'Église et réaffirmé par
le concile Vatican II (191). À ce sujet, nous pensons au grand
discours de Jésus sur le pain de vie dans la synagogue de
Capharnaüm (cf. Jn 6, 22-69), avec sous-jacente la comparaison
entre Moïse et Jésus, entre celui qui s'est entretenu avec
Dieu face à face (cf. Ex 33, 11) et celui qui a
révélé Dieu (cf. Jn 1, 18). Le discours sur le
pain renvoie au don de Dieu, que Moïse a obtenu pour son Peuple
avec la manne dans le désert et qui est en réalité
la Torah, la Parole de Dieu qui fait vivre (cf. Ps 119 ; Pr
9, 5). Jésus accomplit en sa personne l'ancienne figure :
« Le pain de Dieu, c'est celui qui descend du ciel et qui
donne la vie au monde… Moi, je suis le pain de vie »
(Jn 6, 33.35). Ici, « la Loi est devenue une personne. Dans
la rencontre avec Jésus, nous nous nourrissons pour ainsi dire
du Dieu vivant lui-même, nous mangeons vraiment “le pain
venu du ciel” » (192). Le prologue de Jean trouve un
approfondissement dans le discours de Capharnaüm : là
le Logos de
Dieu devient chair, ici cette chair devient
« pain » donné pour la vie du monde (cf.
Jn 6, 51), faisant ainsi allusion au don que Jésus fera de
lui-même dans le mystère de la Croix, qui est
confirmé par l'affirmation sur son Sang donné
« pour être bu » (cf. Jn 6, 53). Ainsi le
mystère de l'Eucharistie révèle quelle est la
vraie manne, le vrai pain du ciel : c'est le Logos de Dieu qui s'est fait chair, et qui s'est offert lui-même pour nous dans le mystère pascal.
Le
récit de Luc sur les disciples d'Emmaüs nous permet
d'avancer dans la réflexion sur les liens entre l'écoute
de la Parole et la fraction du pain (cf. Lc 24, 13-35). Jésus
s'approcha d'eux le jour après le sabbat, les écouta
raconter leur espérance déçue, et, se faisant leur
compagnon de route, « il leur expliqua, dans toute
l'Écriture, ce qui le concernait » (24, 27). Les deux
disciples commencent à regarder autrement les Écritures
en compagnie de ce voyageur qui, de façon inattendue, se montre
si familier de leur vie. Les événements de ces
jours-là n'apparaissent plus comme un échec, mais comme
un accomplissement et un nouveau départ. Pourtant, ces paroles
ne semblent pas encore satisfaire les deux disciples. L'Évangile
de Luc nous dit que « leurs yeux s'ouvrirent, et ils le
reconnurent » (24, 31), seulement quand Jésus prit le
pain, dit la bénédiction, le rompit et le leur donna,
alors qu'auparavant, « leurs yeux étaient
aveuglés, et ils ne le reconnaissaient pas » (24,
16). La présence de Jésus, d'abord par ses paroles, puis
par la fraction du pain, a permis aux disciples de le
reconnaître ; ils purent éprouver d'une
manière nouvelle ce qu'ils avaient auparavant vécu avec
lui : « Notre cœur n'était-il pas
brûlant en nous, tandis qu'il nous parlait sur la route, et qu'il
nous faisait comprendre les Écritures ? » (24,
32).
55. Ces
récits montrent comment l'Écriture elle-même
conduit à appréhender son lien indissoluble avec
l'Eucharistie. « C'est pourquoi il faut toujours avoir
présent à l'esprit que la Parole de Dieu, lue et
annoncée par l'Église dans la liturgie, conduit au
sacrifice de l'Alliance et au banquet de la grâce,
c'est-à-dire à l'Eucharistie » (193). La
Parole et l'Eucharistie sont intimement corrélées au
point de ne pas pouvoir être comprises l'une sans l'autre :
la Parole de Dieu se fait chair sacramentelle dans
l'événement eucharistique. L'Eucharistie nous ouvre
à l'intelligence de la Sainte Écriture, comme de son
côté la Sainte Écriture illumine et explique le
mystère eucharistique. En effet, sans la reconnaissance de la
présence réelle du Seigneur dans l'Eucharistie,
l'intelligence de l'Écriture demeure incomplète. C'est
pourquoi, « la Parole de Dieu et le mystère
eucharistique ont toujours et partout reçu de l'Église
non pas le même culte mais la même
vénération. C'est ce qu'elle a établi,
poussée par l'exemple de son fondateur, en ne cessant jamais de
célébrer son mystère pascal, en se
réunissant pour “lire dans toute l'Écriture, ce qui
le concernait” (Lc 24, 27), et pour réaliser l'œuvre
du salut par le mémorial du Seigneur et les
sacrements » (194).
La sacramentalité de la Parole
56. En
rappelant le caractère performatif de la Parole de Dieu dans
l'action sacramentelle et l'approfondissement de la relation entre la
Parole et l'Eucharistie, nous sommes conduits à poursuivre avec
un thème important, qui est aussi apparu durant
l'Assemblée du Synode, concernant la sacramentalité de la
Parole (195). À ce propos, il est utile de rappeler que le Pape
Jean-Paul II avait fait référence à
« la perspective sacramentelle de la
Révélation et, en particulier, au signe eucharistique
dans lequel l'unité indivisible entre la réalité
et sa signification permet de saisir la profondeur du
mystère » (196). De là, nous comprenons que le
Mystère de l'Incarnation est vraiment à l'origine de la
sacramentalité de la Parole de Dieu : « le Verbe
s'est fait chair » (Jn 1, 14), la réalité du
Mystère révélé nous est offerte dans la
« chair » du Fils. La Parole de Dieu se rend
perceptible à la foi par le « signe » des
paroles et des gestes humains. La foi, donc, reconnaît le Verbe
de Dieu, en accueillant les gestes et les paroles par lesquels il s'est
lui-même fait connaître à nous. La perspective
sacramentelle de la Révélation indique, par
conséquent, la modalité historico-salvifique par laquelle
le Verbe de Dieu entre dans le temps et l'espace, devenant
l'interlocuteur de l'homme, qui est appelé à accueillir
dans la foi le don qui lui est fait.
La
sacramentalité de la Parole se comprend alors par analogie
à la présence réelle du Christ sous les
espèces du pain et du vin consacrés (197). En nous
approchant de l'autel et en prenant part au banquet eucharistique, nous
communions réellement au Corps et au Sang du Christ. La
proclamation de la Parole de Dieu dans la célébration
implique, pour être écoutée, la reconnaissance que
le Christ lui-même est présent et s'adresse à nous
(198). Sur l'attitude à avoir aussi bien envers l'Eucharistie
qu'envers la Parole de Dieu, saint Jérôme affirme :
« Nous lisons les Saintes Écritures. Je pense que
l'Évangile est le Corps du Christ ; je pense que les
Saintes Écritures sont son enseignement. Et quand il dit :
si vous ne mangez pas la chair du Fils de l'homme, et si vous ne buvez
pas son sang (Jn 6, 53), ses paroles se réfèrent au
mystère (eucharistique), toutefois, le Corps et le Sang du
Christ sont vraiment la Parole de l'Écriture, c'est
l'enseignement de Dieu. Quand nous nous référons au
mystère (eucharistique) et qu'une miette de pain tombe, nous
nous sentons perdus. Et quand nous écoutons la Parole de Dieu,
c'est la Parole de Dieu et le Corps et le Sang du Christ qui tombent
dans nos oreilles et nous, nous pensons à autre chose.
Pouvons-nous imaginer le grand danger que nous
courons ? » (199). Le Christ, réellement
présent dans les espèces du pain et du vin, est
présent analogiquement dans la Parole proclamée dans la
liturgie. Approfondir le sens de la sacramentalité de la Parole
de Dieu, peut donc favoriser une compréhension plus
unifiée du mystère de la Révélation se
réalisant « par des actions et des paroles
intrinsèquement liées entre elles » (200), qui
profitera à la vie spirituelle des fidèles et à
l'action pastorale de l'Église.
La Sainte Écriture et le lectionnaire
57. En
soulignant le rapport entre la Parole et l'Eucharistie, le Synode a
voulu attirer l'attention sur certains aspects de la
célébration, qui sont inhérents au service de la
Parole. Je voudrais mentionner tout particulièrement
l'importance du lectionnaire. La réforme voulue par le concile
Vatican II (201) a montré ses fruits en donnant un plus large
accès à la Sainte Écriture qui est maintenant
abondamment proposée, surtout dans la liturgie dominicale. La
structure actuelle du lectionnaire, en plus de présenter
régulièrement les textes les plus importants de
l'Écriture, permet de saisir l'unité du dessein divin,
à travers la corrélation entre les lectures de l'Ancien
et du Nouveau Testament, « dont le centre est le Christ
célébré dans son mystère
pascal » (202). Les quelques difficultés qui
persistent dans la compréhension des relations entre les
lectures des deux Testaments, doivent être
considérées à la lumière de
l'interprétation canonique, c'est-à-dire à la
lumière de l'unité intrinsèque de toute la Bible.
Là où le besoin s'en fait sentir, les services
compétents peuvent pourvoir à la publication de
matériel didactique qui facilitera la compréhension du
lien entre les lectures proposées par le lectionnaire, qui
doivent être toutes proclamées lors de la
célébration liturgique, comme le prévoit la
liturgie du jour. Les autres problèmes éventuels et les
difficultés doivent être signalés à la
Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements.
En
outre, nous ne devons pas oublier que le lectionnaire actuel du rite
latin a aussi un sens œcuménique ; il est en effet
utilisé et apprécié par des confessions qui ne
sont pas encore en pleine communion avec l'Église catholique. Le
problème du lectionnaire dans les liturgies des Églises
catholiques orientales se pose différemment ; le Synode
demande qu'il « soit analysé de manière
autorisée » (203) selon les traditions propres et les
compétences des Églises sui iuris en tenant compte, là aussi, du contexte œcuménique.
Proclamation de la Parole et ministère du lectorat
58. Durant
l'Assemblée synodale sur l'Eucharistie, il avait
déjà été demandé qu'un plus grand
soin soit apporté dans la proclamation de la Parole de Dieu
(204). Comme on le sait, tandis que l'Évangile est
proclamé par le prêtre ou le diacre, la première et
la seconde lectures, dans la tradition latine, sont proclamées
par le lecteur choisi, homme ou femme. Je voudrais ici faire
écho aux Pères synodaux qui, une nouvelle fois, ont
insisté sur une nécessaire formation appropriée
(205) de ceux qui ont le munus du
lecteur dans la célébration liturgique (206) et, tout
particulièrement, le ministère du lectorat qui, comme tel
dans le rite latin, est un ministère laïc. Il est
nécessaire que les lecteurs chargés d'un tel service,
même s'ils n'ont pas été institués, soient
vraiment aptes et préparés avec soin. Une telle
préparation doit être aussi bien biblique et liturgique
que technique : « La formation biblique doit permettre
aux lecteurs de situer les lectures dans leur contexte propre et de
comprendre, à la lumière de la foi, le point central du
message révélé. La formation liturgique doit
fournir aux lecteurs la possibilité de saisir le sens et la
structure de la liturgie de la Parole et de comprendre les liens entre
celle-ci et la liturgie eucharistique. La préparation technique
doit rendre les lecteurs toujours plus compétents dans l'art de
lire devant le peuple, soit directement, soit en utilisant les moyens
modernes qui amplifient la voix » (207).
L'importance de l'homélie
59. « Les
fonctions et les charges qui reviennent à chacun par rapport
à la Parole de Dieu sont également variées :
ainsi, les fidèles écoutent et méditent cette
Parole, tandis que, seuls, la présentent ceux qui ont
reçu, par l'Ordination, la charge du Magistère, ou ceux
à qui l'exercice de ce même ministère a
été confié » (208), à savoir les
évêques, les prêtres et les diacres. À partir
de là, on comprend l'attention que le Synode a donnée au
thème de l'homélie. Déjà dans l'Exhortation
apostolique post-synodale Sacramentum caritatis,
je rappelais qu'« en relation avec l'importance de la Parole
de Dieu, il est nécessaire d'améliorer la qualité
de l'homélie. Elle “fait partie de l'action”
liturgique ; elle a pour fonction de favoriser une
compréhension plus large et plus efficace de la Parole de Dieu
dans la vie des fidèles » (209). L'homélie est
en effet une actualisation du message scripturaire pour aider les
fidèles à découvrir la présence et l'action
de la Parole de Dieu dans l'aujourd'hui de leur vie. Elle doit aussi
conduire à la compréhension du mystère qui est
célébré, inviter à la mission,
préparer l'assemblée à la profession de foi,
à la prière universelle et à la liturgie
eucharistique. Par conséquent, que ceux qui, en vertu de leur
ministère spécial, sont chargés de la
prédication, prennent à cœur cette tâche. On
doit éviter les homélies vagues et abstraites, qui
occultent la simplicité de la Parole de Dieu, comme aussi les
digressions inutiles qui risquent d'attirer l'attention plus sur le
prédicateur que sur le contenu du message
évangélique. Il doit être clair pour les
fidèles que ce qui tient vraiment au cœur du
prédicateur, c'est de montrer le Christ qui doit être le
centre de toute l'homélie. Pour ce faire, il convient que les
prédicateurs aient une familiarité et un contact assidu
avec le texte sacré (210) ; qu'ils se préparent
à l'homélie dans la méditation et la prière
afin de pouvoir prêcher avec conviction et passion.
L'Assemblée synodale a demandé à se poser ces
quelques questions : « Que disent les lectures
proclamées ? Que me disent-elles à moi
personnellement ? Que dois-je dire à la communauté,
en tenant compte de sa situation concrète ? »
(211). Le prédicateur doit « être le premier
à être interpellé par la Parole de Dieu qu'il
annonce » (212), car, comme le dit Saint Augustin :
« qui prêche extérieurement la Parole de Dieu
et ne l'écoute pas intérieurement ne peut pas porter du
fruit » (213). Qu'on prenne particulièrement soin de
l'homélie du dimanche et des solennités ; mais qu'on
n'omette pas pour autant durant les messes de semaine cum populo,
si possible, d'offrir de brèves réflexions
appropriées à la situation, pour aider les fidèles
à accueillir et à faire fructifier la Parole qu'ils ont
écoutée.
L'opportunité d'un Directoire homilétique
60. Prêcher
d'une manière juste en s'appuyant sur le lectionnaire est
vraiment un art qui doit être cultivé. C'est pourquoi, en
continuité avec ce qui a été demandé par le
précédent Synode (214), je prie les autorités
compétentes, conformément au Compendium eucharistique
(215), de publier des outils pratiques pour aider les ministres
à assurer le mieux possible leur ministère, en
réalisant par exemple un directoire sur l'homélie
où les prédicateurs pourraient trouver une aide
précieuse pour se préparer à l'exercice de leur
ministère. Comme nous le rappelle saint Jérôme, la
prédication doit enfin être accompagnée par le
témoignage d'une bonne vie : « Que tes actions
ne trahissent pas tes paroles, pour qu'il n'advienne pas que, quand tu
prêches dans l'église, quelqu'un commente
intérieurement : “Pourquoi donc n'agis-tu pas
toi-même ainsi ?” […]. L'esprit et la parole
doivent s'accorder dans le prêtre du Christ » (216).
Parole de Dieu, réconciliation et onction des malades
61. Certes
l'Eucharistie se trouve sans aucun doute au centre de la relation entre
la Parole de Dieu et les Sacrements, mais il est bon d'insister aussi
sur l'importance de la Sainte Écriture dans les autres
sacrements, en particulier les sacrements de guérison, le
sacrement de réconciliation ou de pénitence, et le
sacrement de l'onction des malades. La référence à
la Sainte Écriture y est souvent négligée, alors
qu'il faut lui donner la place qui lui revient. En effet, on ne doit
jamais oublier que « la Parole de Dieu est parole de
réconciliation parce qu'en elle Dieu réconcilie en lui
toute chose (cf. 2 Co 5, 18-20 ; Ep 1, 10). Le pardon
miséricordieux de Dieu, incarné en Jésus,
relève le pécheur » (217). La Parole de Dieu
« éclaire le croyant pour lui faire discerner ses
péchés, l'invite à la conversion et à la
confiance en la miséricorde de Dieu » (218). Pour
l'aider à mieux voir la puissance de réconciliation que
possède la Parole de Dieu, on recommande à chaque
pénitent de se préparer à la confession en
méditant un passage approprié de la Sainte
Écriture et de commencer sa confession par la lecture ou
l'écoute d'une des exhortations bibliques proposées par
le rituel. Puis au moment de la contrition, il est bon que le
pénitent prenne « une prière formée de
paroles tirées de la Sainte Écriture » (219)
prévue par le rite. Quand cela est possible, il est bon
qu'à certains moments de l'année ou quand l'occasion s'en
présente, la confession individuelle des pénitents se
fasse dans le cadre de célébrations
pénitentielles, selon ce que prévoit le rituel, dans le
respect des différentes traditions liturgiques, pour pouvoir
donner toute sa place à la célébration de la
Parole par l'usage de lectures appropriées.
En
ce qui concerne le sacrement de l'onction des malades, qu'on n'oublie
pas que « la force de guérison de la Parole de Dieu
est un appel puissant à une continuelle conversion personnelle
de celui qui l'écoute » (220). La Sainte
Écriture contient un grand nombre de pages qui montrent le
réconfort, le soutien et la guérison donnés par
l'intervention de Dieu. Qu'on se souvienne en particulier de la
proximité de Jésus à l'égard de ceux qui
souffrent : lui-même, le Verbe de Dieu incarné, s'est
chargé de nos douleurs et il a souffert par amour pour l'homme,
en donnant ainsi un sens à la maladie et à la mort. Il
est bon que, dans les paroisses et dans les hôpitaux, on
célèbre en communauté, en fonction des
circonstances, le sacrement des malades. Qu'on donne en ces occasions
une large place à la célébration de la Parole et
qu'on aide les fidèles malades à vivre dans la foi leur
état de souffrance, en union avec le sacrifice rédempteur
du Christ qui nous délivre du mal.
Parole de Dieu et liturgie des heures
62. Parmi
les formes de prière qui exaltent la Sainte Écriture, il
y a sans aucun doute la liturgie des heures. Les Pères synodaux
ont affirmé qu'elle constitue « une forme
privilégiée d'écoute de la Parole de Dieu parce
qu'elle met en contact les fidèles avec l'Écriture sainte
et avec la Tradition vivante de l'Église » (221). On
doit avant tout rappeler la dignité théologique et
ecclésiale de cette prière. En effet, « dans
la liturgie des heures, l'Église, exerçant la fonction
sacerdotale de son Chef, offre à Dieu “incessamment”
(1 Th 5, 17) le sacrifice de louange, c'est-à-dire le fruit des
lèvres qui confessent son nom (cf. He 13, 15). Cette
prière est “la voix de l'Épouse elle-même qui
s'adresse à son Époux ; et mieux encore, c'est la
prière du Christ que celui-ci, avec son Corps, présente
au Père” » (222). À ce sujet, le concile
Vatican II avait affirmé : « Tous ceux qui
assurent cette charge accomplissent l'office de l'Église et, en
même temps, participent de l'honneur suprême de
l'Épouse du Christ, parce qu'en s'acquittant des louanges
divines, ils se tiennent devant le trône de Dieu au nom de la
Mère Église » (223). Dans la liturgie des
heures, prière publique de l'Église, apparaît
l'idéal chrétien de sanctification de toute la
journée, rythmée par l'écoute de la Parole de Dieu
et par la prière des psaumes, si bien que toute activité
trouve son point de référence dans la louange offerte
à Dieu.
Ceux
qui, par leur état de vie, sont tenus à la
récitation de la liturgie des heures doivent accomplir
fidèlement cet engagement pour le bien de toute l'Église.
Les évêques, les prêtres et les diacres
ordonnés en vue du sacerdoce, qui ont reçu de
l'Église la mission de célébrer cette liturgie,
ont l'obligation d'acquitter chaque jour toutes les heures (224). Dans
les Églises catholiques orientales sui iuris,
cette obligation sera respectée en fonction des indications
données par leur droit propre (225). En outre, j'encourage les
communautés de Vie consacrée à être
exemplaires dans la célébration de la liturgie des
heures, au point de devenir une référence et une source
d'inspiration pour la vie spirituelle et pastorale de toute
l'Église.
Le
Synode a exprimé le désir de voir se diffuser plus
largement dans le Peuple de Dieu ce genre de prière, surtout la
récitation des laudes et des vêpres. Un tel
développement ne pourra que faire grandir parmi les
fidèles la familiarité avec la Parole de Dieu. On doit
aussi souligner la valeur de la liturgie des heures pour les
premières vêpres du dimanche et des solennités,
notamment dans les Églises catholiques orientales. C'est
pourquoi je recommande que, là où c'est possible, les
paroisses et les communautés religieuses favorisent cette
prière en y associant les fidèles.
La Parole de Dieu et le livre des bénédictions
63. Pour
le livre des bénédictions, on fera attention à la
place prévue pour la proclamation, l'écoute et
l'explication de la Parole de Dieu, grâce à de
brèves monitions. En effet, dans les cas prévus par
l'Église et à la demande des fidèles, le geste de
la bénédiction n'est pas à isoler, mais à
relier à son niveau à la vie liturgique du Peuple de
Dieu. En ce sens, la bénédiction, véritable signe
sacré, « puise son sens et son efficacité de
la proclamation de la Parole de Dieu » (226). Il est donc
important de profiter aussi de ces occasions pour raviver chez les
fidèles la faim et la soif de toute parole qui sort de la bouche
de Dieu (cf. Mt 4, 4).
Suggestions et propositions concrètes pour l'animation liturgique
64. Après
avoir rappelé quelques éléments essentiels des
rapports entre liturgie et Parole de Dieu, je désire maintenant
reprendre et mettre en valeur quelques propositions et suggestions
faites par les Pères synodaux pour rendre le Peuple de Dieu
toujours plus familier avec la Parole de Dieu dans le cadre des actions
liturgiques ou du moins de ce qui s'y rapporte.
a) Célébrations de la Parole de Dieu
65. Les
Pères synodaux ont exhorté tous les pasteurs à
encourager dans les communautés qui leur sont confiées
les temps de célébration de la Parole (227). Ce sont des
occasions privilégiées de rencontre avec le Seigneur. De
telles pratiques ne peuvent qu'apporter une grande aide aux
fidèles et être considérées comme des
éléments importants de formation liturgique. Ces
célébrations ont une importance particulière pour
la préparation de l'Eucharistie dominicale, afin de donner aux
fidèles la possibilité de pénétrer
davantage dans la richesse du lectionnaire pour méditer et prier
la Sainte Écriture, surtout dans les temps forts de la liturgie,
l'Avent et Noël, le Carême et Pâques. La
célébration de la Parole de Dieu est fortement
recommandée plus particulièrement dans les
communautés qui, par manque de prêtres, ne peuvent pas
célébrer le sacrifice eucharistique aux fêtes
d'obligation. En tenant compte des indications déjà
exprimées dans l'Exhortation apostolique post-synodale Sacramentum caritatis sur
les assemblées dominicales en l'absence de prêtre (228),
je recommande que les autorités compétentes
élaborent des rituels, en tenant compte de l'expérience
des Églises particulières. Ainsi seront
favorisées, dans de telles circonstances, des
célébrations de la Parole pouvant nourrir la foi des
croyants, tout en évitant de les confondre avec les
célébrations eucharistiques ; « Elles
devraient plutôt être des occasions
privilégiées de prière adressée à
Dieu pour qu'il envoie de saints prêtres selon son
cœur » (229).
Les
Pères synodaux ont recommander de célébrer la
Parole de Dieu à l'occasion des pèlerinages, des
fêtes particulières, des missions populaires, des
retraites spirituelles et des jours spéciaux de
pénitence, de réparation et de pardon. À propos
des différentes formes de piété populaire, bien
qu'il ne s'agisse pas d'actes liturgiques et qu'il faille éviter
toute confusion, il est néanmoins bon qu'elles s'en inspirent et
que, surtout, elles donnent une juste place à la proclamation et
à l'écoute de la Parole de Dieu ; en effet,
« la piété populaire trouvera dans la Sainte
Écriture une source inépuisable d'inspiration, des
modèles de prière inégalables et des propositions
particulièrement fécondes de thèmes »
(230).
b) La Parole et le silence
66. De
nombreuses interventions des Pères synodaux ont insisté
sur la valeur du silence en lien avec la Parole de Dieu et sa
réception dans la vie des fidèles (231). En effet, la
Parole ne peut être prononcée et entendue que dans le
silence, extérieur et intérieur. Notre époque ne
favorise pas le recueillement et, parfois, on a l'impression que les
gens ont peur de se détacher, même provisoirement, des
moyens de communication de masse. C'est pourquoi il est
nécessaire aujourd'hui d'éduquer le Peuple de Dieu
à la valeur du silence. Redécouvrir le caractère
central de la Parole de Dieu dans la vie de l'Église veut dire
redécouvrir le sens du recueillement et de la paix
intérieure. La grande Tradition patristique nous enseigne que
les mystères du Christ sont tous liés au silence
(232) ; par le silence seul, la Parole peut faire en nous sa
demeure, comme chez Marie, qui est tout à la fois la femme de la
Parole et du silence. Nos liturgies doivent faciliter cette attitude
d'écoute authentique : Verbo crescente, verba deficiunt (233).
L'importance
est particulièrement dans la liturgie de la Parole, qui
« doit se célébrer de manière à
favoriser la méditation » (234). Le silence, quand il
est prévu, doit être considéré
« comme une partie de la
célébration » (235). C'est pourquoi j'exhorte
les pasteurs à encourager les moments de recueillement,
grâce auxquels, avec l'aide de l'Esprit Saint, la Parole de Dieu
est reçue dans les cœurs.
c) Proclamation solennelle de la Parole de Dieu
67. Le
Synode a fait aussi une autre suggestion : solenniser, surtout
dans les fêtes liturgiques importantes, la proclamation de la
Parole, spécialement de l'Évangile, en utilisant
l'évangéliaire porté en procession pendant le rite
d'entrée, puis placé sur l'ambon par le diacre ou par un
prêtre pour être proclamé. Ceci peut aider le Peuple
de Dieu à prendre conscience que « la lecture de
l'Évangile constitue le sommet de cette liturgie de la
Parole » (236). En suivant les indications de la
présentation générale du lectionnaire de la messe,
il est bon que la proclamation de la Parole de Dieu, notamment de
l'Évangile, soit mise en valeur par le chant surtout en
certaines solennités. Il serait bon de chanter le salut,
l'annonce initiale « Évangile de… »
et la fin « Acclamons la Parole de Dieu », pour
souligner l'importance de ce qui a été lu (237).
d) La Parole de Dieu dans l'Église
68. Pour
favoriser l'écoute de la Parole de Dieu, il ne faut pas
négliger les moyens qui peuvent aider les fidèles
à avoir une plus grande attention. Il est nécessaire pour
cela de se soucier de l'acoustique des édifices sacrés,
dans le respect des normes liturgiques et architecturales.
« Lors de la construction d'églises, les
évêques, dûment aidés, doivent être
attentifs à ce que celles-ci soient des lieux adaptés
à la proclamation de la Parole, à la méditation et
à la célébration eucharistique. Les espaces
saints, qui présentent le mystère chrétien en
relation avec la Parole de Dieu, doivent le faire de manière
éloquente, même en dehors des célébrations
liturgiques » (238).
On
fera particulièrement attention à l'ambon en tant que
lieu liturgique d'où est proclamée la Parole de Dieu. Il
doit être placé en un endroit bien visible qui attire
spontanément l'attention des fidèles pendant la liturgie
de la Parole. Il est bon qu'il soit fixe, sculpté de
manière harmonieuse avec l'esthétique de l'autel, pour
représenter concrètement aussi le sens théologique
des deux tables de la Parole et de l'Eucharistie. Depuis l'ambon, on
proclame les lectures, le psaume responsorial et l'annonce de la
Pâque ; on peut également y faire l'homélie et
y dire la prière des fidèles (239).
Les
Pères synodaux suggèrent en outre que, dans les
églises, il y ait un lieu privilégié pour la
Sainte Écriture même en-dehors des
célébrations (240). En effet, il est bon que le livre qui
contient la Parole de Dieu bénéficie d'une place
d'honneur à l'intérieur de l'édifice
chrétien, sans pour autant priver de sa place centrale le
tabernacle qui contient le Très Saint Sacrement (241).
e) Exclusivité des textes bibliques dans la liturgie
69. En
outre, le Synode a fortement insisté sur ce qui, d'ailleurs, a
déjà été fixé par la norme
liturgique de l'Église (242) : les lectures tirées
de la Sainte Écriture ne doivent jamais être
remplacées par d'autres textes, aussi significatifs soient-ils
du point de vue pastoral ou spirituel : « Aucun texte
de spiritualité ou de littérature ne peut atteindre la
valeur et la richesse contenues dans les Saintes Écritures qui
sont la Parole de Dieu » (243). Il s'agit d'une règle
antique de l'Église qui doit être conservée (244).
Face à certains abus, le Pape Jean-Paul II avait
déjà rappelé l'importance de ne jamais remplacer
la Sainte Écriture par d'autres lectures (245). Souvenons-nous
que le psaume responsorial est une Parole de Dieu, par laquelle nous
répondons à la voix du Seigneur, et qu'il ne doit donc
pas être remplacé par d'autres textes, et qu'il convient
tout à fait de le chanter.
f) Chant liturgique bibliquement inspiré
70. Dans
le cadre de la valorisation de la Parole de Dieu durant la
célébration liturgique, on fera aussi attention aux
chants retenus pour les moments prévus selon chaque rite. La
préférence doit être donnée à ceux
qui sont inspirés par la Bible et qui expriment, par l'harmonie
des paroles et de la musique, la beauté de la Parole divine. En
ce sens, il est bon de mettre en valeur les chants que la Tradition de
l'Église nous a transmis et qui respectent ce critère. Je
pense en particulier à l'importance du chant grégorien
(246).
g) Attention particulière aux aveugles et aux sourds
71. Dans
ce contexte, je voudrais aussi rappeler que le Synode a
recommandé que l'on fasse particulièrement attention
à ceux qui, à cause de leur état, ont des
difficultés à participer activement à la liturgie,
comme par exemple ceux qui ne voient pas ou n'entendent pas.
J'encourage les communautés chrétiennes à
prévoir, dans la mesure du possible, toutes les aides
adaptées aux frères et aux sœurs qui souffrent de
tels handicaps, afin qu'il leur soit donné, à eux aussi,
la possibilité d'un contact vivant avec la Parole du Seigneur
(247).
La Parole de Dieu dans la vie de l'Église
Rencontrer la Parole de Dieu dans la Sainte Écriture
72. S'il
est vrai que la liturgie est le lieu privilégié de la
proclamation, de l'écoute et de la célébration de
la Parole de Dieu, il est tout aussi vrai que cette rencontre doit
être préparée dans le cœur des fidèles
et qu'ils doivent surtout l'approfondir et l'assimiler. En effet, la
vie chrétienne est essentiellement caractérisée
par la rencontre avec Jésus-Christ qui nous appelle à le
suivre. C'est pourquoi le Synode des évêques a
réaffirmé plusieurs fois l'importance de la pastorale des
communautés chrétiennes comme le cadre approprié
où peut commencer un itinéraire personnel et
communautaire par rapport à la Parole de Dieu, et servir de
fondement à la vie spirituelle. Avec les Pères du Synode,
j'exprime mon vif désir pour que fleurisse « une
nouvelle saison de plus grand amour pour la Sainte Écriture, de
la part de tous les membres du Peuple de Dieu, afin que la lecture
orante et fidèle dans le temps leur permette d'approfondir leur
relation avec la personne même de Jésus » (248).
Dans
l'histoire de l'Église, de nombreux saints ont parlé sur
la nécessité de connaître l'Écriture pour
grandir dans l'amour du Christ. C'est particulièrement
évident chez les Pères de l'Église. Saint
Jérôme, grand « amoureux » de la
Parole de Dieu se demandait souvent : « Comment
pourrait-on vivre sans la science des Écritures, à
travers lesquelles on apprend à connaître le Christ
lui-même, qui est la vie des croyants ? » (249).
Il était bien conscient que la Bible est le moyen
« par lequel Dieu parle chaque jour aux
croyants » (250). Il conseille ainsi Leta, une matrone
romaine, pour l'éducation de sa fille :
« Assure-toi qu'elle étudie chaque jour un passage de
l'Écriture… À la prière fais suivre la
lecture, et à la lecture, la prière… Plutôt
que les bijoux et les vêtements de soie, qu'elle aime les livres
divins » (251). Ce que saint Jérôme
écrivait au prêtre Neposianus vaut aussi pour nous :
« Lis fréquemment les Divines Écritures ;
et même, que le Livre saint ne soit jamais enlevé de tes
mains. Apprends-y ce que tu dois enseigner » (252). À
l'exemple de ce grand saint qui consacra sa vie à l'étude
de la Bible et qui en donna à l'Église sa traduction
latine, la Vulgate, et de tous les saints qui ont mis au cœur de
leur vie spirituelle la rencontre avec le Christ, renouvelons notre
engagement à approfondir la parole que Dieu a donnée
à l'Église. De cette façon nous pourrons tendre
à ce « haut degré de la vie chrétienne
ordinaire » (253), souhaité par le Pape Jean-Paul II
au commencement du troisième millénaire chrétien,
qui se nourrit constamment de l'écoute de la Parole de Dieu.
L'animation biblique de la pastorale
73. Dans
cette ligne, le Synode a invité à un engagement pastoral
particulier en insistant sur la place centrale de la Parole de Dieu
dans la vie ecclésiale, recommandant « d'intensifier
“la pastorale biblique” non en la juxtaposant à
d'autres formes de la pastorale, mais comme animation biblique de toute
la pastorale » (254). Il ne s'agit donc pas d'ajouter
quelques rencontres dans la paroisse ou dans le diocèse, mais de
s'assurer que dans les activités habituelles des
communautés chrétiennes, des paroisses, des associations
et des mouvements on ait vraiment à cœur de favoriser la
rencontre personnelle avec le Christ qui se communique à nous
dans sa Parole. Ainsi, si « l'ignorance des Écritures
est ignorance du Christ » (255), l'animation biblique de
toute la pastorale ordinaire et extraordinaire conduira à une
plus grande connaissance de la personne du Christ, qui
révèle le Père et est la plénitude de la
Révélation divine.
J'exhorte
donc les pasteurs et les fidèles à tenir compte de
l'importance de cette insistance sur la Bible : ce sera aussi la
meilleure façon de faire face à certains problèmes
pastoraux discutés au cours de l'Assemblée synodale
liés, par exemple, à la prolifération des sectes
qui répandent une lecture déformée et
instrumentalisée de la Sainte Écriture. Là
où les fidèles ne se forment pas à une
connaissance de la Bible selon la foi de l'Église dans le
creuset de sa Tradition vivante, on laisse de fait un vide pastoral
dans lequel des réalités comme les sectes peuvent trouver
un terrain favorable pour s'implanter. C'est pourquoi il est
nécessaire de donner une préparation adéquate
à des prêtres et à des laïcs afin qu'ils
puissent instruire le Peuple de Dieu dans une approche authentique des
Écritures.
En
outre, comme cela a été souligné durant les
travaux synodaux, il est bon que dans l'action pastorale soit
favorisé le développement de petites communautés,
« composées de familles, enracinées dans les
paroisses ou liées aux divers mouvements ecclésiaux ou
nouvelles communautés » (256), dans lesquelles seront
encouragées la formation, la prière et la connaissance de
la Bible selon la foi de l'Église.
Dimension biblique de la catéchèse
74. Un
aspect important de l'animation pastorale de l'Église, qui peut,
s'il est utilisé avec sagesse, aider à redécouvrir
le caractère central de la Parole de Dieu, est la
catéchèse qui, sous ses diverses formes et phases et
à différents niveaux, doit toujours accompagner le Peuple
de Dieu. La rencontre des disciples d'Emmaüs avec Jésus
décrite par l'évangéliste Luc (cf. Lc 24, 13-35)
représente, en un certain sens, le modèle d'une
catéchèse centrée sur « l'explication
des Écritures », une explication que seul le Christ
est en mesure de donner (cf. Lc 24, 27-28), car il montre leur
accomplissement dans sa personne (257). C'est ainsi que renaît
l'espérance, plus forte que tout échec, qui fait de ces
disciples des témoins convaincus et fiables du Ressuscité.
Dans le Directoire général pour la catéchèse,
nous trouvons des indications précieuses pour la
catéchèse biblique et j'y renvoie volontiers (258). Ici,
je désire d'abord et avant tout souligner que la
catéchèse « doit s'imprégner et se
pénétrer de la pensée, de l'esprit et des
attitudes bibliques et évangéliques par un contact assidu
avec les textes eux-mêmes ; ce qui veut aussi rappeler que
la catéchèse sera d'autant plus riche et efficace qu'elle
lira les textes avec l'intelligence et le cœur de
l'Église » (259) et qu'elle s'inspirera de la
réflexion et de la vie deux fois millénaire de
l'Église. On doit donc encourager la connaissance des personnes,
des événements et des passages les plus connus ; on
apprenait par cœur certains textes bibliques –
particulièrement ceux qui parlent des mystères
chrétiens. L'activité catéchétique implique
toujours de rapprocher les Écritures de la foi et de la
Tradition de l'Église, de sorte que ces paroles soient
perçues comme vivantes, tout comme le Christ est vivant
aujourd'hui là où deux ou trois se réunissent en
son nom (cf. Mt 18, 20). Elle doit communiquer de façon vitale
l'histoire du salut et les contenus de la foi de l'Église, afin
que tout fidèle reconnaisse que cette histoire est aussi une
partie de la sienne.
Ici, il est important d'insister sur le lien entre la Sainte Écriture et le Catéchisme de l'Église catholique, comme l'a rappelé le Directoire général pour la catéchèse :
« En effet, l'Écriture sainte, “Parole de Dieu
mise par écrit sous l'inspiration de l'Esprit Saint” et le
Catéchisme de l'Église catholique, expression actuelle de
la Tradition vivante de l'Église et norme sûre pour
l'enseignement de la foi, sont appelés, chacun à sa
façon, et selon son autorité spécifique, à
féconder la catéchèse dans l'Église
contemporaine » (260).
Formation biblique des chrétiens
75. Pour
atteindre le but souhaité par le Synode de donner un
caractère plus fortement biblique à toute la pastorale de
l'Église, il est nécessaire qu'il y ait une bonne
formation des chrétiens et, en particulier, des
catéchistes. À cet égard, il faut insister sur
l'apostolat biblique, une excellente méthode, comme le montre
l'expérience ecclésiale. Les Pères synodaux ont
aussi recommandé que, si possible à travers les
structures académiques déjà existantes, soient mis
en place des centres de formation pour laïcs et pour
missionnaires, où l'on apprenne à comprendre, à
vivre et à annoncer la Parole de Dieu, et que, là
où on en voit la nécessité, soient
instaurés des instituts spécialisés
d'études bibliques pour permettre aux exégètes
d'avoir une solide compréhension de la théologie et une
juste appréciation du contexte de leur mission (261).
La Sainte Écriture dans les grands rassemblements ecclésiaux
76. Parmi
les multiples initiatives qui peuvent être prises, le Synode
suggère que, dans les rassemblements, aussi bien au niveau
diocésain que national ou international, l'importance de la
Parole de Dieu, de son écoute et de la lecture croyante et
orante de la Bible soit soulignée le plus possible. Par
conséquent, dans les congrès eucharistiques, nationaux et
internationaux, aux Journées mondiales de la Jeunesse et dans
les autres rencontres il sera bon de donner une plus grande place aux
célébrations de la Parole et aux temps de formation
biblique (262).
Parole de Dieu et vocations
77. Le
Synode, en soulignant l'exigence intrinsèque de la foi
d'approfondir la relation avec le Christ, Parole de Dieu parmi nous, a
voulu aussi mettre en évidence le fait que cette Parole appelle
chacun en termes personnels, révélant ainsi que la vie
elle-même est vocation par rapport à Dieu. Cela veut dire
que plus nous approfondissons notre relation avec le Seigneur
Jésus, plus nous nous apercevons qu'il nous appelle à la
sainteté, au moyen de choix radicaux par lesquels notre vie
répond à son amour, assumant des tâches et des
ministères pour édifier l'Église. C'est dans cette
perspective qu'il faut comprendre les nombreuses invitations faites par
le Synode à tous les chrétiens d'approfondir leur
relation avec la Parole de Dieu en tant que baptisés, mais aussi
en tant qu'appelés à vivre selon les divers états
de vie. Ici nous touchons l'un des points essentiels de la doctrine du
concile Vatican II qui a insisté sur la vocation à la
sainteté de tout fidèle, chacun dans son propre
état de vie (263). C'est dans la Sainte Écriture que se
trouve révélée notre vocation à la
sainteté : « Vous serez saints parce que je suis
Saint » (Lv 11, 44 ; 19, 2 ; 20, 7). Saint Paul en
souligne, à son tour, la racine christologique : dans le
Christ, le Père « nous a choisis avant la
création du monde, pour que nous soyons, dans l'amour, saints et
irréprochables sous son regard » (Ep 1, 4). Ainsi
pouvons-nous entendre comme adressé à chacun de nous son
salut aux frères et aux sœurs de la communauté de
Rome : « À tous les bien-aimés de
Dieu… aux saints par vocation, à vous grâce et paix
de par Dieu notre Père et le Seigneur
Jésus-Christ » (Rm 1, 7).
a) Parole de Dieu et ministres ordonnés
78. Je
désire d'abord m'adresser aux ministres ordonnés de
l'Église pour leur rappeler ce qu'a affirmé le
Synode : « La Parole de Dieu est indispensable pour
former le cœur d'un bon pasteur, ministre de la
Parole » (264). Évêques, prêtres, diacres
ne peuvent en aucune façon penser vivre leur vocation et leur
mission sans un engagement ferme et renouvelé à sa
sanctification dont l'un des piliers se trouvedans le contact avec la
Parole de Dieu.
79. À
ceux qui sont appelés à l'épiscopat, et qui sont
les premiers annonciateurs autorisés de la Parole, je
désire réaffirmer ce qui a été dit par le
Pape Jean-Paul II dans l'Exhortation apostolique post-synodale Pastores gregis.
Pour nourrir et faire progresser sa vie spirituelle,
l'évêque doit toujours mettre « à la
première place la lecture et la méditation de la Parole
de Dieu. Tout évêque devra toujours se confier et se
sentir confié “à Dieu et à son message de
grâce, qui a le pouvoir de construire l'édifice et de
faire participer les hommes à l'héritage de ceux qui ont
été sanctifiés” (Ac 20, 32). C'est pourquoi,
avant d'être un messager de la Parole, l'évêque,
avec ses prêtres et comme tout fidèle, comme
l'Église elle-même, doit être un auditeur de la
Parole. Il doit habiter “à l'intérieur” de la
Parole, pour se laisser garder et nourrir par elle, comme dans le sein
maternel » (265). À l'imitation de Marie, Virgo audiens et
Reine des Apôtres, je recommande à tous mes frères
évêques la lecture personnelle fréquente et
l'étude assidue de la Sainte Écriture.
80. Aux prêtres aussi, je voudrais rappeler les paroles du Pape Jean-Paul II qui, dans l'Exhortation apostolique post-synodale Pastores dabo vobis,
a rappelé que « le prêtre est avant tout
Ministre de la Parole de Dieu. Il est consacré et envoyé
pour annoncer à tous l'Évangile du Royaume, appelant tout
homme à l'obéissance de la foi et conduisant les croyants
à une connaissance et à une communion toujours plus
profonde du mystère de Dieu, à nous
révélé et communiqué par le Christ. C'est
pourquoi le prêtre lui-même doit tout d'abord
acquérir une grande familiarité avec la Parole de Dieu.
Il ne lui suffit pas d'en connaître l'aspect linguistique ou
exégétique, ce qui est cependant nécessaire. Il
lui faut accueillir la Parole avec un cœur docile et priant, pour
qu'elle pénètre à fond dans ses pensées et
ses sentiments et engendre en lui un esprit nouveau, “la
pensée du Christ” (1 Co 2, 16) » (266). Ainsi,
ses paroles, et plus encore ses choix et ses attitudes seront toujours
plus transparents à l'Évangile, l'annonceront et en
rendront témoignage. « C'est seulement “en
demeurant” dans la Parole que le prêtre deviendra parfait
disciple du Seigneur, connaîtra la vérité et sera
vraiment libre » (267).
En
définitive, l'appel au sacerdoce demande d'être
consacrés « dans la
vérité ». Jésus lui-même formule
cette exigence à l'égard de ses disciples :
« Consacre-les par la vérité : ta parole
est vérité. De même que tu m'as envoyé dans
le monde, moi aussi je les ai envoyés dans le monde »
(Jn 17, 17-18). Les disciples sont en un certain sens
« attirés dans l'intimité de Dieu par leur
immersion dans la Parole de Dieu. La Parole de Dieu est, pour ainsi
dire, le bain qui les purifie, le pouvoir créateur qui les
transforme dans l'être de Dieu » (268). Et puisque le
Christ lui-même est la Parole de Dieu faite chair (Jn 1, 14),
qu'il est « la vérité » (Jn 14, 6),
alors la prière de Jésus au Père
« Consacre-les par la vérité » veut
dire au sens le plus profond : « Fais qu'ils ne soient
qu'un avec moi, le Christ. Attache-les à moi. Attire-les en moi.
Et, de fait, il n'existe qu'un seul prêtre de la Nouvelle
Alliance, Jésus-Christ lui-même » (269). Il est
donc nécessaire que les prêtres grandissent toujours plus
profondément dans la conscience de cette réalité.
81. Je
voudrais maintenant parler de la place de la Parole de Dieu dans la vie
de ceux qui sont appelés au diaconat, non seulement comme le
dernier degré précédent l'ordre du
presbytérat, mais comme service permanent. Le Directoire pour la
formation des diacres permanents affirme que, de
« l'identité théologique du diaconat,
dérivent clairement les traits de sa spiritualité
spécifique, qui se présente essentiellement comme une
spiritualité de service. Le modèle par excellence est le
Christ serviteur, qui a vécu totalement au service de Dieu pour
le bien des hommes » (270). On comprend dès lors que,
parmi les différentes dimensions du ministère diaconal,
« un élément caractéristique de la
spiritualité diaconale est la Parole de Dieu, dont le diacre est
appelé à être un prédicateur
autorisé, en croyant ce qu'il proclame, en enseignant ce qu'il
croit, en vivant ce qu'il enseigne » (271). Je recommande
donc aux diacres de se nourrir de la lecture croyante de la Sainte
Écriture, de l'étude et de la prière. Qu'ils
soient formés à « la Sainte Écriture et
à sa juste interprétation ; à la
théologie de l'Ancien et du Nouveau Testament ; au rapport
réciproque entre l'Écriture et la Tradition ; en
particulier à l'usage de l'Écriture dans la
prédication, dans la catéchèse et dans
l'activité pastorale en général » (272).
b) La Parole de Dieu et les candidats à l'ordination
Le
Synode a accordé une importance particulière au
rôle capital de la Parole de Dieu dans la vie spirituelle des
candidats au sacerdoce ministériel : « Les
candidats au sacerdoce doivent apprendre à aimer la Parole de
Dieu. Que l'Écriture soit donc l'âme de leur formation
théologique, en soulignant la circularité indispensable
entre exégèse, théologie, spiritualité et
mission » (273). Les aspirants au sacerdoce
ministériel sont appelés à une profonde relation
personnelle avec la Parole de Dieu, en particulier dans la Lectio divina,
pour que leur vocation elle-même se nourrisse de cette
relation : c'est dans la lumière et dans la force de la
Parole de Dieu que chacun peut découvrir, comprendre, aimer et
suivre sa vocation propre et accomplir sa mission, faisant grandir dans
le cœur les pensées de Dieu, de sorte que la foi, en tant
que réponse à la Parole, devienne le nouveau
critère de jugement et d'évaluation des hommes et des
choses, des événements et des problèmes (274).
Cette
attention à la lecture priante de l'Écriture ne doit en
aucune façon conduire à une dichotomie avec
l'étude exégétique demandée au temps de la
formation. Le Synode a recommandé que les séminaristes
soient aidés concrètement à voir les rapports
entre l'étude biblique et la prière avec
l'Écriture. Étudier les Écritures doit permettre
une meilleure conscience du mystère de la
Révélation divine et favoriser une attitude de
réponse priante au Seigneur qui parle. De même, une
authentique vie de prière ne pourra que faire grandir dans
l'âme du candidat le désir de connaître toujours
plus le Dieu qui s'est révélé dans sa Parole comme
amour infini. Par conséquent, on devra prendre grand soin de
cultiver dans la vie des séminaristes cette
réciprocité entre étude et prière. Il est
donc nécessaire que les candidats soient initiés à
l'étude de la Sainte Écriture par des méthodes qui
en favorisent une telle approche intégrale.
c) Parole de Dieu et Vie consacrée
83. En
ce qui concerne la Vie consacrée, le Synode a rappelé
qu'elle « naît de l'écoute de la Parole de Dieu
et accueille l'Évangile comme règle de vie »
(275). Vivre à la suite du Christ, chaste, pauvre et
obéissant, est ainsi une
« “exégèse” vivante de la Parole
de Dieu » (276). L'Esprit Saint, grâce auquel la Bible
a été écrite, est le même Esprit qui
éclaire « d'une lumière nouvelle la Parole de
Dieu aux fondateurs et aux fondatrices. D'elle tout charisme est
né et d'elle, toute règle veut être
l'expression » (277), en donnant vie à des chemins de
vie chrétienne caractérisés par la
radicalité évangélique.
Je
voudrais rappeler que la grande Tradition monastique a toujours
considéré la méditation de l'Écriture
sainte comme un élément constitutif de sa
spiritualité propre, en particulier sous la forme de la Lectio divina.
Aujourd'hui encore, les anciennes et nouvelles formes de
consécration particulière sont appelées à
être de véritables écoles de vie spirituelle
où les Écritures sont lues selon l'Esprit Saint dans
l'Église, afin que tout le Peuple de Dieu puisse en
bénéficier. Le Synode recommande donc que dans les
communautés de Vie consacrée, on ait toujours le souci
d'une formation solide à la lecture croyante de la Bible (278).
Une
nouvelle fois, je désire me faire l'interprète de la
sollicitude et de la gratitude que le Synode a exprimées
à l'égard des formes de vie contemplative qui, en vertu
de leur charisme spécifique, consacrent une grande partie de
leurs journées à imiter la Mère de Dieu, qui
méditait assidûment les paroles et les gestes de son Fils
(cf. Lc 2, 19. 51), et Marie de Béthanie qui, assise aux
pieds du Seigneur, écoutait sa parole (cf. Lc 10, 38). Ma
pensée se tourne en particulier vers les moines et moniales
cloîtrés qui, par leur séparation du monde, se
trouvent plus intimement unis au Christ, cœur du monde. Plus que
jamais, l'Église a besoin du témoignage de ceux qui
s'engagent à « ne rien préférer
à l'amour du Christ » (279). Le monde actuel est
souvent trop absorbé par les activités extérieures
où il risque de se perdre. Les contemplatifs et les
contemplatives, par leur vie de prière, d'écoute et de
méditation de la Parole de Dieu nous rappellent que l'homme ne
vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de
Dieu (cf. Mt 4, 4). Par conséquent, tous les fidèles
doivent bien se souvenir qu'une telle forme de vie « indique
au monde d'aujourd'hui la chose la plus importante, et c'est même
en fin de compte la seule chose décisive : il existe une
ultime raison pour laquelle il vaut la peine de vivre, qui est Dieu et
son amour impénétrable » (280).
d) La Parole de Dieu et les fidèles laïcs
84. Le
Synode a très souvent tourné son attention vers les
fidèles laïcs, les remerciant de leur
généreux engagement dans la diffusion de
l'Évangile dans leurs différents milieux de vie, au
travail, à l'école, en famille et dans l'éducation
(281). Cette responsabilité, qui vient du baptême, doit
pouvoir se développer à travers une vie chrétienne
toujours plus consciente, capable de rendre raison de
l'espérance qui est en nous (cf. 1 P 3, 15).
Jésus, dans l'Évangile de Matthieu, indique que
« le champ c'est le monde ; le bon grain, ce sont les
fils du Royaume » (13, 38). Ces paroles s'appliquent
particulièrement aux laïcs chrétiens qui vivent leur
vocation personnelle à la sainteté dans une existence
selon l'Esprit qui s'exprime « de façon
particulière dans leur insertion dans les réalités
temporelles et dans leur participation aux activités
terrestres » (282). Ils ont besoin d'être
formés pour discerner la volonté de Dieu grâce
à une familiarité avec la Parole de Dieu, lue et
étudiée dans l'Église, sous la conduite des
pasteurs légitimes. Ils peuvent acquérir cette formation
dans les écoles de grandes spiritualités
ecclésiales, toutes enracinées dans l'Écriture
Sainte. Que selon leurs possibilités, les diocèses
eux-mêmes fassent des offres de formation aux laïcs ayant
des responsabilités ecclésiales particulières
(283).
e) La Parole de Dieu, le mariage et la famille
85. Le
Synode a aussi éprouvé la nécessité de
souligner le rapport entre la Parole de Dieu, le mariage et la famille
chrétienne. En effet, « en annonçant la Parole
de Dieu, l'Église révèle à la famille
chrétienne sa véritable identité, autrement dit ce
qu'elle est et ce qu'elle doit être selon le dessein du
Seigneur » (284). Il faut donc ne jamais perdre de vue que
la Parole de Dieu est à l'origine du mariage (cf. Gn 2, 24) et
que Jésus lui-même a voulu faire du mariage une des
institutions de son Royaume (cf. Mt 19, 4-8), élevant à
la dignité de sacrement ce qui était inscrit à
l'origine dans la nature humaine. « Dans la
célébration sacramentelle, l'homme et la femme prononcent
une parole prophétique de don mutuel, d'être “une
seule chair”, signe du mystère de l'union du Christ et de
l'Église (cf. Ep 5, 31-32) » (285). La
fidélité à la Parole de Dieu amène aussi
à constater qu'aujourd'hui cette institution est attaquée
sous de nombreux aspects par la culture ambiante. Face au
désordre général des sentiments et à
l'apparition de modes de pensée qui banalisent le corps humain
et la différence sexuelle, la Parole de Dieu réaffirme la
bonté originelle de l'être humain, créé
homme et femme, et appelé à l'amour fidèle,
réciproque et fécond.
Du
grand mystère conjugal, provient l'incontournable
responsabilité des parents à l'égard de leurs
enfants. En effet, c'est à la paternité et à la
maternité vécues de façon authentique qu'il
revient de communiquer et de témoigner du sens de la vie dans le
Christ : à travers leur fidélité et
l'unité de la vie de famille, les époux sont pour leurs
enfants les premiers messagers de la Parole de Dieu. La
communauté ecclésiale doit les soutenir et les aider
à favoriser la prière en famille, l'écoute de la
Parole et la connaissance de la Bible. C'est pourquoi le Synode insiste
pour que chaque foyer ait sa Bible et la conserve dignement, afin de
pouvoir la lire et l'utiliser dans la prière. Toute l'aide
nécessaire doit pouvoir être fournie par des
prêtres, des diacres ou des laïcs bien
préparés. Le Synode a aussi recommandé la
création de petites communautés composées de
familles, où l'on pratique la prière et la
méditation en commun de passages choisis des Écritures
(286). Que les époux se rappellent, en outre, « que
la Parole de Dieu est aussi un précieux soutien dans les
difficultés de la vie conjugale et familiale » (287).
Dans
ce contexte, je désire encore souligner ce que le Synode a
recommandé au sujet du rôle des femmes à
l'égard de la Parole de Dieu. La contribution du
« génie féminin » – comme
l'appelait le Pape Jean-Paul II (288), – à l'intelligence
de l'Écriture et à la vie entière de
l'Église, est plus grande aujourd'hui que par le passé et
touche aussi désormais le domaine des études bibliques
elles-mêmes. Le Synode s'est arrêté en particulier
sur le rôle indispensable des femmes dans la famille et dans
l'éducation, dans la catéchèse, dans la
transmission des valeurs. En effet, elles « savent susciter
l'écoute de la Parole, la relation personnelle avec Dieu et
transmettre le sens du pardon et du partage
évangélique » (289), comme elles savent aussi
être messagers d'amour, modèles de miséricorde et
artisans de paix, communicatrices de chaleur et d'humanité dans
un monde qui, trop souvent, juge les personnes selon les
critères froids de l'exploitation et du profit.
La lecture orante de la Sainte Écriture et la Lectio divina
86. Le
Synode a insisté à plusieurs reprises sur la
nécessité d'une approche priante du texte sacré
comme élément fondamental de la vie spirituelle de tout
croyant, dans les divers ministères et états de vie,
faisant notamment référence à la Lectio divina (290).
La Parole de Dieu est, en effet, à la base de toute
spiritualité chrétienne authentique. Les Pères
synodaux se sont ainsi mis en syntonie avec ce qu'affirme la
Constitution dogmatique Dei Verbum :
« Que les fidèles […] approchent de tout leur
cœur le texte sacré lui-même, soit par la sainte
liturgie, qui est remplie des paroles divines, soit par une pieuse
lecture, soit par des cours faits pour cela ou par d'autres
méthodes qui, avec l'approbation et le soin qu'en prennent les
pasteurs de l'Église, se répandent de manière
louable partout de notre temps. Mais la prière – qu'on se
le rappelle – doit accompagner la lecture de la Sainte
Écriture » (291). La réflexion conciliaire
entendait reprendre la grande Tradition patristique qui a toujours
recommandé d'approcher l'Écriture en établissant
un dialogue avec Dieu. Comme le dit saint Augustin :
« Ta prière est ta parole adressée à
Dieu. Quand tu lis, c'est Dieu qui te parle ; quand tu pries,
c'est toi qui parles avec Dieu » (292). Origène, l'un
des maîtres de cette lecture de la Bible, soutient que
l'intelligence des Écritures demande, plus encore que
l'étude, l'intimité avec le Christ et la prière.
Il est convaincu, en effet, que la voie privilégiée pour
connaître Dieu est l'amour, et que l'on n'acquiert pas une
authentique scientia Christi sans grandir dans son amour. Dans laLettre à Grégoire,
le grand théologien d'Alexandrie recommande :
« Applique-toi principalement à la lecture des
divines Écritures : applique-toi bien à cela.
[…] En t'appliquant à les lire avec l'intention de croire
et de plaire à Dieu, frappe, dans ta lecture, à la porte
de ce qui est fermé, et il t'ouvrira, le portier dont
Jésus a dit : “À celui-là le portier
ouvre”. En t'appliquant à cette divine lecture, cherche
avec droiture et avec une confiance inébranlable en Dieu le sens
des divins Écrits, caché au grand nombre. Ne te contente
pas de frapper et de chercher, car il est absolument nécessaire
de prier pour comprendre les choses divines. C'est pour nous y exhorter
que le Sauveur a dit non seulement : “Frappez et l'on vous
ouvrira” et “Cherchez et vous trouverez”, mais
aussi : “Demandez et l'on vous donnera” »
(293).
Toutefois,
à ce propos, il faut éviter le risque d'une approche
individualiste, et nous rappeler que la Parole de Dieu nous est
précisément donnée pour construire la communion,
pour nous unir dans la vérité durant notre marche vers
Dieu. C'est une Parole qui s'adresse à chacun personnellement,
mais c'est aussi une Parole qui construit la communauté, qui
construit l'Église. C'est pourquoi le texte sacré doit
toujours être abordé en communion avec l'Église. En
effet, « il est très important d'effectuer une
lecture communautaire […], car le sujet vivant de
l'Écriture sainte c'est le Peuple de Dieu, c'est
l'Église. […] L'Écriture n'appartient pas au
passé, car son sujet, le Peuple de Dieu inspiré par Dieu
lui-même, est toujours le même, et la Parole est donc
toujours vivante dans le sujet vivant. C'est pourquoi il est important
de lire l'Écriture sainte et d'entendre l'Écriture sainte
dans la communion de l'Église, c'est-à-dire avec tous les
grands témoins de cette Parole, en commençant par les
premiers Pères jusqu'aux saints d'aujourd'hui, jusqu'au
Magistère actuel » (294).
Par
conséquent, pour la lecture orante de l'Écriture sainte,
le lieu privilégié est la liturgie, l'Eucharistie en
particulier, durant laquelle, en célébrant le Corps et le
Sang du Christ dans le sacrement, la Parole elle-même se rend
présente au milieu de nous. En un certain sens, la lecture
priante, personnelle et communautaire, doit toujours être
vécue en relation avec la célébration
eucharistique. Comme l'adoration eucharistique prépare,
accompagne et continue la célébration eucharistique
(295), de même la lecture priante, personnelle et communautaire,
prépare, accompagne et approfondit ce que l'Église
célèbre en proclamant la Parole, dans le cadre
liturgique. En mettant en aussi étroite relation Lectio et
liturgie, on peut mieux saisir les critères qui doivent guider
cette lecture dans le contexte de la pastorale et de la vie spirituelle
du Peuple de Dieu.
87. Dans
les documents qui ont préparé et accompagné le
Synode, on a parlé de diverses méthodes pour approcher
avec fruit et dans la foi les Écritures saintes. Mais on a
surtout parlé de la Lectio divina,
qui « est capable d'ouvrir au fidèle le trésor
de la Parole de Dieu, et de provoquer ainsi la rencontre avec le
Christ, Parole divine vivante » (296). Je voudrais ici en
rappeler brièvement les étapes principales : elle
s'ouvre par la lecture (lectio) du texte qui provoque une
question portant sur la connaissance authentique de son contenu :
que dit le texte biblique ? Sans cette étape, le texte
risquerait de n'être qu'un prétexte pour ne jamais sortir
de nos pensées. Puis vient la méditation (meditatio)
qui pose la question suivante : que nous dit le texte
biblique ? Ici, chacun personnellement, mais aussi en tant que
membre d'une communauté, doit se laisser toucher et remettre en
question, car il ne s'agit pas de considérer des paroles
prononcées dans le passé mais dans le présent.
Ensuite suit la prière (oratio) qui sous-tend cette autre
question : que disons-nous au Seigneur en réponse à
sa Parole ? La prière comme requête, intercession,
action de grâce et louange, est la première manière
par laquelle la Parole nous transforme. Enfin, la Lectio divina se termine par la contemplation (contemplatio),
au cours de laquelle nous adoptons, comme un don de Dieu, le même
regard que lui pour juger la réalité, et nous nous
demandons : quelle conversion de l'esprit, du cœur et de la
vie le Seigneur nous demande-t-il ? Saint Paul, dans la Lettre aux
Romains affirme : « Ne prenez pas pour modèle le
monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre
façon de penser pour savoir reconnaître quelle est la
volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui
plaire, ce qui est parfait » (12, 2). La contemplation, en
effet, tend à nous permettre de jeter, sur la
réalité, un regard de sagesse, conforme à Dieu, et
à former en nous « la pensée du
Christ » (1 Co 2, 16). La Parole de Dieu se présente
ici comme un critère de discernement : « elle
est vivante, […] énergique et plus coupante qu'une
épée à deux tranchants ; elle
pénètre au plus profond de l'âme, jusqu'aux
jointures et jusqu'aux moelles ; elle juge des intentions et des
pensées du cœur » (He 4, 12). Il est bon,
ensuite, de rappeler que la Lectio divina ne s'achève pas dans sa dynamique tant qu'elle ne débouche pas dans l'action (actio), qui pousse le croyant à faire le don de lui-même pour les autres dans la charité.
Ces
étapes se trouvent synthétisées et
résumées de manière sublime dans la figure de la
Mère de Dieu, modèle pour tous les fidèles de
l'accueil docile de la Parole divine. Elle « conservait avec
soin toutes ces choses, en les méditant dans son
cœur » (Lc 2, 19 ; cf. 2, 51), elle savait
trouver le lien profond qui unit les événements, les
faits et les réalités, apparemment disparates, dans le
grand dessein de Dieu (297).
Je
voudrais aussi rappeler ce qui a été recommandé
durant le Synode en ce qui concerne l'importance de la lecture
personnelle de l'Écriture comme pratique, qui prévoit la
possibilité, dans les conditions habituelles de l'Église,
d'acquérir une indulgence, pour soi ou pour les défunts
(298). La pratique des indulgences (299) s'appuie sur la doctrine des
mérites infinis du Christ – que l'Église, comme
ministre de la Rédemption, dispense et applique, mais elle
suppose aussi celle de la communion des saints et nous dit
« combien nous sommes unis intimement dans le Christ les uns
avec les autres et combien la vie surnaturelle de chacun peut
bénéficier aux autres » (300). De ce point de
vue, la lecture de la Parole de Dieu nous soutient sur notre chemin de
pénitence et de conversion, nous permet d'approfondir le sens de
notre appartenance à l'Église et nous permet de grandir
dans la familiarité avec Dieu. Comme l'affirmait saint
Ambroise : « Lorsque nous prenons en main les
Écritures saintes avec foi et les lisons avec l'Église,
l'homme revient se promener avec Dieu dans le paradis »
(301).
La Parole de Dieu et la prière mariale
88. Rappelant
le lien indissociable entre la Parole de Dieu et Marie de Nazareth,
j'invite, en union avec les Pères synodaux, à promouvoir
parmi les fidèles, surtout dans leur vie de famille, les
prières mariales comme une aide pour méditer les saints
mystères présents dans l'Écriture. Un moyen
très utile est, par exemple, la récitation personnelle ou
communautaire du saint Rosaire (302), qui reprend avec Marie les
mystères de la vie du Christ (303), que le Pape Jean-Paul II a
voulu enrichir avec les mystères lumineux (304). Il convient que
l'énoncé des différents mystères soit
accompagné de brefs passages de la Bible relatifs au
mystère annoncé, afin de favoriser la mémorisation
de certains extraits significatifs de l'Écriture relatifs aux
mystères de la vie du Christ.
Par
ailleurs, le Synode a recommandé d'encourager les fidèles
à la récitation de la prière de l'Angelus Domini.
Il s'agit d'une prière simple et profonde qui, en union avec la
Mère de Dieu, nous permet de nous « remémorer
chaque jour le mystère du Verbe incarné »
(305). Il est bon que le Peuple de Dieu, les familles et les
communautés de personnes consacrées soient fidèles
à cette prière mariale que la Tradition invite à
réciter à l'aurore, à midi et au coucher du
soleil. Dans la prière de l'Angelus Domini, nous
demandons à Dieu, par l'intercession de Marie, qu'il nous soit
donné d'accomplir comme elle la volonté de Dieu et
d'accueillir en nous sa Parole. Cette pratique peut nous aider à
approfondir en nous un authentique amour pour le mystère de
l'Incarnation.
Diverses
prières anciennes de l'Orient chrétien qui, en
référence à la Theotokos, la Mère de Dieu,
retracent toute l'histoire du salut, méritent aussi d'être
connues, appréciées et diffusées. Nous pensons en
particulier à l'Akathistos et à la Paraklesis.
Il s'agit d'hymnes de louange chantés sous forme de litanies,
imprégnés de la foi de l'Église et de
références bibliques, qui aident les fidèles
à méditer avec Marie les mystères du Christ. En
particulier, l'hymne sacré à la Mère de Dieu, dit Akathistos –
c'est-à-dire que l'on chante debout –, représente
l'une des expressions les plus élevées de la
piété mariale de la Tradition byzantine (306). Prier en
utilisant ces mots dilate l'âme et la dispose à la paix
qui vient d'en-haut, de Dieu, à cette paix qui est le Christ
lui-même, né de Marie pour notre salut.
La Parole de Dieu et la Terre sainte
89. En
nous souvenant du Verbe de Dieu qui se fait chair dans le sein de Marie
de Nazareth, notre cœur se tourne, à présent, vers
cette Terre où s'est accompli le Mystère de notre
Rédemption et d'où la Parole de Dieu s'est
répandue jusqu'aux confins de la terre. En effet, par l'action
de l'Esprit Saint, le Verbe s'est incarné en un moment
précis et en un lieu déterminé, sur un coin de
terre aux limites de l'empire romain. C'est pourquoi, plus nous voyons
l'universalité et l'unicité de la personne du Christ,
plus nous considérons avec gratitude cette terre où
Jésus est né, a vécu et s'est donné
lui-même pour nous. Les pierres sur lesquelles notre
Rédempteur a marché restent pour nous riches de souvenirs
et continuent à « crier » la Bonne
Nouvelle. C'est pourquoi les Pères synodaux ont rappelé
l'heureuse expression qui parle de la Terre sainte comme du
« cinquième Évangile » (307). Comme
il est important qu'en ces lieux se trouvent des communautés
chrétiennes, malgré les nombreuses
difficultés ! Le Synode des évêques exprime sa
profonde proximité à tous les chrétiens qui vivent
sur la terre de Jésus, en témoignant de leur foi dans le
Ressuscité. Là, les chrétiens sont appelés
à servir non seulement comme « un phare de la foi
pour l'Église universelle, mais aussi comme un levain
d'harmonie, de sagesse et d'équilibre dans la vie d'une
société qui, traditionnellement, a été et
continue d'être pluraliste, multiethnique et
multi-religieuse » (308).
La
Terre sainte est encore aujourd'hui un but de pèlerinage pour le
peuple chrétien, un lieu de prière et de
pénitence, ainsi qu'en témoignent, déjà
dans l'antiquité, des auteurs comme saint Jérôme
(309). Plus nous tournons notre regard et notre cœur vers la
Jérusalem terrestre, plus s'embrasent en nous le désir de
la Jérusalem céleste, véritable but de tout
pèlerinage, et la passion pour que le nom de Jésus, en
qui seul réside le salut, soit reconnu par tous (cf. Ac 4, 12).
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