VERBUM DOMINI

Exhortation apostolique post-synodale de Benoît XVI sur la Parole de Dieu dans la vie et dans la mission de l'Église  : Aux évêques, Au clergé, Aux personnes consacrées et aux fidèles laïcs

30 septembre 2010





INTRODUCTION

1. « La parole du Seigneur demeure pour toujours. Cette Parole, c'est l'Évangile qui vous a été annoncé » (1 P 1, 25 ; cf. Is 40, 8). Avec cette expression de la première Lettre de saint Pierre, qui reprend les paroles du prophète Isaïe, nous sommes placés face au mystère de Dieu qui se fait lui-même connaître par le don de sa Parole. Cette Parole, qui demeure pour toujours, est entrée dans le temps. Dieu a prononcé sa Parole éternelle de façon humaine ; son Verbe « s'est fait chair » (Jn 1, 14). C'est cela la Bonne Nouvelle. C'est l'annonce qui traverse les siècles, pour arriver jusqu'à nous aujourd'hui. La XIIe Assemblée générale ordinaire du Synode des évêques, célébrée au Vatican du 5 au 26 octobre 2008, a eu pour thème La Parole de Dieu dans la vie et dans la mission de l'Église. Ce fut une profonde expérience de rencontre avec le Christ, Verbe du Père, qui est présent là où deux ou trois sont réunis en son nom (cf. Mt 18, 20). Par cette Exhortation apostolique post-synodale, j'accueille volontiers la demande des Pères de faire connaître au Peuple de Dieu tout entier la richesse ressortie des assises synodales et les recommandations exprimées dans le travail commun (1). Dans cette perspective, j'entends reprendre tout ce qui a été élaboré par le Synode, à la lumière des documents présentés : les Lineamenta, l'Instrumentum laboris, les Rapports ante et post disceptationem et le texte des interventions, lues en séance et in scriptis, les comptes rendus des groupes de travail et de leurs échanges, le Message de conclusion adressé au Peuple de Dieu et surtout certaines propositions spécifiques (Propositiones) que les Pères ont retenues comme étant d'un intérêt particulier. Ainsi, je désire donner quelques orientations fondamentales pour une redécouverte, dans la vie de l'Église, de la Parole divine, source de constant renouvellement. En même temps, je souhaite qu'elle soit toujours plus au cœur de toute activité ecclésiale.

Pour que notre joie soit parfaite

2. Je voudrais avant tout évoquer la beauté et le plaisir de la rencontre renouvelée avec le Seigneur Jésus dont nous avons fait l'expérience au cours de cette Assemblée synodale. C'est pourquoi, faisant écho à la voix des Pères, je m'adresse à tous les fidèles avec les paroles de saint Jean dans sa première Lettre : « Nous vous annonçons cette vie éternelle qui était auprès du Père et qui s'est manifestée à nous. Ce que nous avons contemplé, ce que nous avons entendu, nous vous l'annonçons à vous aussi, pour que, vous aussi, vous soyez en communion avec nous. Et nous, nous sommes en communion avec le Père et avec son Fils, Jésus-Christ » (1 Jn 1, 2-3). L'Apôtre utilise les verbes « entendre », « voir », « toucher » et « contempler » (cf. 1 Jn 1, 1) le Verbe de Vie, puisque la Vie elle-même s'est manifestée dans le Christ. Et nous qui sommes appelés à la communion avec Dieu et entre nous, nous devons être les messagers de ce don. Dans cette perspective kérygmatique, l'Assemblée synodale a été pour l'Église et pour le monde un témoignage de la beauté de la rencontre avec la Parole de Dieu dans la communion ecclésiale. C'est pourquoi, j'exhorte tous les fidèles à renouveler leur expérience de la rencontre personnelle et communautaire avec le Christ, Verbe de Vie qui s'est rendu visible, et à s'en faire les messagers pour que le don de la vie divine (la communion) se répande toujours davantage dans le monde entier. En effet, participer à la vie de Dieu, Trinité d'Amour, est plénitude de joie (cf. 1 Jn 1, 4). Et c'est un don et une tâche incontournable de l'Église de communiquer la joie qui vient de la rencontre avec la Personne du Christ, Parole de Dieu présente au milieu de nous. Dans un monde qui souvent considère Dieu comme superflu ou lointain, nous confessons comme Pierre que lui seul a « les paroles de la vie éternelle » (Jn 6, 68). Il n'existe pas de priorité plus grande que celle-ci : ouvrir à nouveau à l'homme d'aujourd'hui l'accès à Dieu, au Dieu qui parle et qui nous communique son amour pour que nous ayons la vie en abondance (cf. Jn 10, 10).

De Dei Verbum au Synode sur la Parole de Dieu

3. Avec la XIIe Assemblée générale ordinaire du Synode des évêques sur la Parole de Dieu, nous sommes conscients d'avoir, en un certain sens, pris pour thème le cœur même de la vie chrétienne, en continuité avec la précédente Assemblée synodale sur « l'Eucharistie source et sommet de la vie et de la mission de l'Église ». En effet, l'Église est fondée sur la Parole de Dieu, elle en naît et en vit (2). Tout au long de son histoire, le Peuple de Dieu a toujours trouvé en elle sa force, et aujourd'hui encore la communauté ecclésiale grandit dans l'écoute, dans la célébration et dans l'étude de la Parole de Dieu. On doit reconnaître qu'au cours des dernières décennies la sensibilité ecclésiale sur ce thème s'est accrue, en référence particulièrement à la Révélation chrétienne, à la Tradition vivante et à la Sainte Écriture. Depuis le pontificat du Pape Léon XIII, il y a eu un crescendo d'interventions destinées à faire prendre une plus grande conscience de l'importance de la Parole de Dieu et des études bibliques dans la vie de l'Église (3), et qui a culminé au concile Vatican II, et plus particulièrement avec la promulgation de la constitution dogmatique sur la Révélation divine Dei Verbum. Elle représente un point de référence dans l'histoire de l'Église : « Les Pères synodaux reconnaissent avec gratitude les grands bénéfices apportés par ce document à la vie de l'Église, au point de vue exégétique, théologique, spirituel, pastoral et œcuménique » (4). Au cours de ces années, la conscience de « l'horizon trinitaire, historique et salvifique de la Révélation » (5) et la reconnaissance de Jésus-Christ, comme « le médiateur et la plénitude de toute la Révélation » (6) se sont particulièrement développées. L'Église proclame sans cesse à toutes les générations que le Christ, « par toute sa présence et par toute la manifestation de lui-même, par ses paroles et ses œuvres, par ses signes et ses miracles, mais surtout par sa mort et sa Résurrection glorieuse d'entre les morts, enfin par l'envoi de l'Esprit de vérité, achève la Révélation en l'accomplissant » (7).

La grande impulsion que la constitution dogmatique Dei Verbum a donnée à la redécouverte de la Parole de Dieu dans la vie de l'Église, à la réflexion théologique sur la Révélation divine et à l'étude de la Sainte Écriture, est connue de tous. Nombreuses ont aussi été les documents et les déclarations du Magistère ecclésial en ces matières au cours des quarante dernières années (8). Avec la célébration de ce Synode, l'Église, conscience de la consciente de poursuivre son propre parcours sous la conduite de l'Esprit Saint, s'est sentie appelée à approfondir davantage le thème de la Parole divine, à la fois pour vérifier la mise en œuvre des orientations conciliaires, et pour faire face aux nouveaux défis que le temps présent lance à ceux qui croient dans le Christ.

Le Synode des évêques sur la Parole de Dieu

4. Durant la XIIe Assemblée synodale, des évêques venant du monde entier se sont réunis autour de la Parole de Dieu et ont symboliquement placé au centre de leur Assemblée le texte de la Bible pour redécouvrir ce que dans le quotidien nous risquons de considérer comme allant de soi : le fait que Dieu nous parle et répond à nos demandes (9). Ensemble, nous avons écouté et célébré la Parole du Seigneur. Nous nous sommes dit les uns aux autres ce que le Seigneur accomplit au sein du Peuple de Dieu, nous avons partagé nos espérances et nos préoccupations. Tout cela nous a rendus conscients que nous ne pouvons approfondir notre relation avec la Parole de Dieu qu'à partir du « nous » de l'Église, dans l'écoute et dans l'accueil réciproque. D'où notre gratitude pour les témoignages de vie ecclésiale dans les diverses régions du monde, qui ressortent des différentes interventions dans l'aula. De même, il fut émouvant d'écouter les Délégués fraternels, qui ont accepté notre invitation à participer à cette rencontre synodale. Je pense en particulier à la méditation que nous a donnée Sa Sainteté Bartholoméos Ier, Patriarche œcuménique de Constantinople, que les Pères synodaux ont particulièrement appréciée (10). En outre, pour la première fois, le Synode des évêques a voulu inviter un rabbin pour qu'il nous donne son précieux témoignage sur les Saintes Écritures juives, qui font partie de nos propres Saintes Écritures (11).

Nous avons ainsi pu constater avec joie et gratitude que « dans l'Église, c'est aussi une Pentecôte aujourd'hui – c'est-à-dire que l'Église parle en plusieurs langues. Non seulement extérieurement toutes les grandes langues du monde sont représentées en son sein, mais il y existe un sens plus profond encore : en elle, sont présents les multiples modes de l'expérience de Dieu et du monde, la richesse des cultures. Ce n'est qu'ainsi qu'apparaît toute l'étendue de l'existence humaine et, à partir d'elle, l'étendue de la Parole de Dieu » (12). Nous avons pu voir aussi que la Pentecôte est encore « en cours » ; de nombreux peuples attendent encore que la Parole de Dieu soit annoncée dans leur langue et dans leur culture.

Comment aussi ne pas mentionner que, durant tout le Synode, nous avons été accompagnés par le témoignage de l'Apôtre Paul ! Il a été providentiel, en effet, que la XIIe Assemblée générale ordinaire se soit tenue durant l'année consacrée à la figure du grand apôtre des Gentils, à l'occasion du bimillénaire de sa naissance. Sa vie a été totalement marquée par le zèle pour la diffusion de la Parole de Dieu. Comment ne pas entendre dans notre cœur l'écho de ses paroles vibrantes se référant à sa mission de messager de la Parole divine : « tout cela, je le fais à cause de l'Évangile » (1 Co 9, 23) ; « Je n'ai pas honte d'être au service de l'Évangile – écrit-il dans la Lettre aux Romains – car il est la puissance de Dieu pour le salut de tout homme qui est devenu croyant » (1, 16). Quand nous réfléchissons sur la Parole de Dieu dans la vie et dans la mission de l'Église, nous ne pouvons pas ne pas penser à saint Paul et à sa vie donnée pour annoncer le message du salut du Christ à tous les peuples.

Le prologue de l'Évangile de Jean comme guide

5. Par cette Exhortation apostolique, je voudrais que les travaux du Synode ait une réelle influence sur la vie de l'Église : dans notre relation personnelle avec les Saintes Écritures, dans leur interprétation au cours de la liturgie et dans la catéchèse, de même que dans la recherche scientifique, afin que la Bible ne soit pas une Parole du passé, mais une Parole vivante et actuelle. Dans ce but, j'entends présenter et développer les travaux du Synode en me référant constamment au Prologue de l'Évangile de Jean (Jn 1, 1-18), dans lequel nous est communiqué le fondement de notre vie : le Verbe, qui depuis le commencement est auprès de Dieu, qui s'est fait chair et a habité parmi nous (cf. Jn 1, 14). Il s'agit d'un texte admirable, qui offre une synthèse de toute la foi chrétienne. De cette expérience personnelle que fut pour lui la rencontre du Christ et son engagement à sa suite, Jean, que la Tradition identifie au « disciple que Jésus aimait » (Jn 13, 23 ; 20, 2 ; 21, 7.20), « a tiré une certitude intime : Jésus est la Sagesse de Dieu incarnée, il est sa Parole éternelle qui s'est faite homme sujet à la mort » (13). Que Jean qui « vit et crut » (Jn 20, 8) nous aide nous aussi à pencher notre tête sur la poitrine du Christ (cf. Jn 13, 25), d'où ont jailli du sang et de l'eau (cf. Jn 19, 34), symboles des sacrements de l'Église. Suivant l'exemple de l'apôtre Jean et des autres auteurs inspirés, laissons-nous guider par l'Esprit Saint afin de pouvoir aimer toujours plus la Parole de Dieu.

PREMIÈRE PARTIE

LE DIEU QUI PARLE

« Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. […] Et le Verbe s'est fait chair » (Jn 1, 1. 14)

Dieu en dialogue

6. La nouveauté de la Révélation biblique vient du fait que Dieu se fait connaître dans le dialogue qu'il désire instaurer avec nous (14). La constitution dogmatique Dei Verbum avait exposé cette réalité en reconnaissant que « Dieu invisible dans l'immensité de sa charité, […] s'adresse aux hommes comme à des amis, et converse avec eux pour les inviter à entrer en communion avec lui et les recevoir en cette communion » (15). Mais nous ne comprendrions pas encore pleinement le message du Prologue de saint Jean si nous nous arrêtions au constat que Dieu se communique à nous avec amour. En fait, le Verbe de Dieu, par lequel « tout s'est fait » (Jn 1, 3) et qui « s'est fait chair » (Jn 1, 14), est le même Dieu qui est « au commencement » (Jn 1, 1). Si nous reconnaissons ici une allusion au début du Livre de la Genèse (cf. Gn 1, 1), nous nous trouvons, en réalité, face à un commencement qui est un absolu et qui nous dévoile la vie intime de Dieu. Le prologue johannique nous met en face du fait que le Logos est vraiment depuis toujours, et que depuis toujours il est Dieu lui-même. Donc, il n'y a jamais eu en Dieu un temps où le Logos n'était pas. Le Verbe préexiste à la création. C'est pourquoi, au cœur de la vie divine existe la communion, le don absolu. « Dieu est amour » (1 Jn 4, 16) dit à un autre endroit le même Apôtre, en indiquant par là « l'image chrétienne de Dieu ainsi que l'image de l'homme qui en découle et de sa destinée » (16). Dieu se fait connaître à nous comme un mystère d'amour infini dans lequel le Père depuis l'éternité exprime sa Parole dans l'Esprit Saint. Par conséquent le Verbe, qui depuis le commencement est auprès de Dieu et est Dieu, nous révèle Dieu lui-même dans le dialogue d'amour des Personnes divines et il nous invite à y participer. C'est pourquoi, créés à l'image et à la ressemblance de Dieu amour, nous ne pouvons nous comprendre nous-mêmes que dans l'accueil du Verbe et dans la docilité à l'œuvre de l'Esprit Saint. C'est à la lumière de la Révélation opérée par le Verbe divin que s'éclaire définitivement l'énigme de la condition humaine.

Analogie de la Parole de Dieu

7. À partir de ces considérations qui, nées de la méditation du mystère chrétien tel qu'il est exprimé dans le prologue de Jean, il faut à présent considérer ce qu'ont déclaré les Pères synodaux concernant les différentes manières d'utiliser l'expression « Parole de Dieu ». On a, à juste titre, parlé d'une symphonie de la Parole, d'une Parole unique qui s'exprime de différentes façons : « comme une hymne polyphonique » (17). Les Pères synodaux ont parlé à ce propos, en référence à la Parole de Dieu, d'un usage analogique du langage humain. En effet, si, d'un côté, cette expression concerne la communication que Dieu fait de lui-même, de l'autre, elle a différentes significations qui doivent être considérées attentivement et mises en relation, aussi bien dans le domaine théologique que pastoral. Comme nous le montre clairement le prologue de Jean, le Logos désigne à l'origine le Verbe éternel, c'est-à-dire, le Fils unique engendré par le Père avant tous les siècles et qui lui est consubstantiel : le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Mais ce même Verbe, affirme saint Jean, « s'est fait chair » (Jn 1, 14) ; c'est pourquoi Jésus-Christ, né de la Vierge Marie, est réellement le Verbe de Dieu qui s'est fait consubstantiel à nous. Par conséquent, l'expression « Parole de Dieu » indique ici la Personne de Jésus-Christ, le Fils éternel du Père, fait homme.

Si, au cœur de la Révélation divine, se situe l'événement du Christ, on doit aussi reconnaître que la création elle-même, le liber naturae, fait aussi essentiellement partie de cette symphonie à plusieurs voix dans laquelle le Verbe unique s'exprime. En même temps, nous affirmons que Dieu a communiqué sa Parole dans l'histoire du salut, qu'il a fait entendre sa voix ; par la puissance de son Esprit, « il a parlé par les prophètes » (18). La Parole divine se révèle donc au cours de l'histoire du salut et elle parvient à sa plénitude dans le mystère de l'Incarnation, de la mort et de la résurrection du Fils de Dieu. La Parole de Dieu est aussi celle qui est prêchée par les apôtres, dans l'obéissance au commandement de Jésus ressuscité : « Allez dans le monde entier. Proclamez la Bonne Nouvelle à toute la création » (Mc 16, 15). La Parole de Dieu est donc transmise dans la Tradition vivante de l'Église. Enfin, la Parole divine, attestée et divinement inspirée, c'est l'Écriture Sainte, l'Ancien et le Nouveau Testament. Tout cela nous fait comprendre pourquoi, dans l'Église, nous vénérons beaucoup les Saintes Écritures, bien que la foi chrétienne ne soit pas une « religion du Livre » : le christianisme est la « religion de la Parole de Dieu », non d'« une parole écrite et muette, mais du Verbe incarné et vivant » (19). L'Écriture doit donc être proclamée, écoutée, lue, accueillie et vécue comme la Parole de Dieu, dans le sillage de la Tradition apostolique dont elle est inséparable (20).

Comme l'ont dit les Pères synodaux, nous nous sommes face à une utilisation analogique de l'expression « Parole de Dieu », et nous devons en être conscients. Il faut donc que les fidèles soient davantage préparés à en saisir les différents sens et à en comprendre l'unité. De même, du point de vue théologique, il est nécessaire d'approfondir l'articulation des différentes significations de cette expression pour que resplendissent davantage l'unité et la centralité du dessein divin : la Personne du Christ (21).

Dimension cosmique de la Parole

8. Conscients de la signification essentielle de la Parole de Dieu en référence au Verbe éternel de Dieu fait chair, unique sauveur et médiateur entre Dieu et l'homme (22), et en écoutant cette Parole, nous sommes conduits par la Révélation biblique à reconnaître qu'elle est le fondement de toute la réalité. Le prologue de saint Jean affirme, en référence au Logos divin, que « par lui tout s'est fait et rien de ce qui s'est fait ne s'est fait sans lui » (Jn 1, 3) ; de même, dans la Lettre aux Colossiens, il est affirmé au sujet du Christ, « premier-né par rapport à toute créature » (1, 15), que « tout est créé par lui et pour lui » (1, 16). Et l'auteur de la Lettre aux Hébreux affirme également que « grâce à la foi, nous comprenons que les mondes ont été organisés par la Parole de Dieu, si bien que l'univers visible provient de ce qui n'apparaît pas au regard » (11, 3).

Pour nous, cette déclaration est une parole de liberté. En effet, l'Écriture nous dit que tout ce qui existe n'est pas le fruit du hasard, mais a été voulu par Dieu, et fait partie de son dessein, dans lequel nous est donné de participer, par le Christ, à la vie divine. La création naît duLogos et porte de façon indélébile la marque de la Raison créatrice qui ordonne et guide. Les Psaumes chantent cette joyeuse certitude : « Le Seigneur a fait les cieux par sa parole, l'univers, par le souffle de sa bouche » (Ps 33, 6) ; et encore : « il parla, et ce qu'il dit exista ; il commanda, et ce qu'il dit survint » (Ps 33, 9). Toute la réalité dit ce mystère : « Les cieux proclament la gloire de Dieu, le firmament raconte l'ouvrage de ses mains » (Ps 19, 2). Par conséquent, c'est l'Écriture sainte elle-même qui nous invite à connaître le Créateur en contemplant sa création (cf. Ps 13, 5 ; Rm 1, 19-20). La tradition de la pensée chrétienne a su approfondir cet élément clé de la symphonie de la Parole, quand, par exemple, saint Bonaventure qui, avec la grande tradition des Pères grecs, a vu toutes les possibilités de la création dans le Logos (23), affirme que « toute créature est Parole de Dieu, puisqu'elle proclame Dieu » (24). La Constitution dogmatique Dei Verbum avait résumé cet élément en déclarant qu'« en créant (cf. Jn 1, 3) et en conservant toutes choses par le Verbe, Dieu offre aux hommes dans les choses créées un témoignage durable de lui-même » (25).

La création de l'homme

9. La réalité naît donc de la Parole, comme creatura Verbi et tout est appelé à servir la Parole. La création, en effet, est le lieu où se développe toute l'histoire d'amour entre Dieu et sa créature. Par conséquent, le salut de l'homme est la raison de toute chose. En contemplant le cosmos du point de vue de l'histoire du salut, nous sommes amenés à prendre conscience de la position unique et singulière qu'occupe l'homme dans la création : « Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme » (Gn 1, 27). Cela nous permet de reconnaître pleinement les dons précieux reçus du Créateur : la valeur de notre propre corps, le don de la raison, de la liberté et de la conscience. En cela, nous trouvons aussi tout ce que la tradition philosophique appelle la « loi naturelle » (26). En effet, « tout être humain qui accède à la conscience et à la responsabilité fait l'expérience d'un appel intérieur à accomplir le bien » (27) et, donc, à éviter le mal. Comme le dit saint Thomas d'Aquin, tous les autres préceptes de la loi naturelle sont aussi fondés sur ce principe (28). L'écoute de la Parole de Dieu nous porte avant tout à apprécier l'exigence de vivre selon cette loi « écrite dans notre cœur » (cf. Rm 2, 15 ; 7, 23) (29). De plus, Jésus-Christ donne aux hommes la nouvelle Loi, la Loi de l'Évangile, qui assume et réalise de manière éminente la loi naturelle, en nous affranchissant de la loi du péché qui fait que, comme le dit saint Paul, « ce qui est à ma portée, c'est d'avoir envie de faire le bien, mais pas de l'accomplir » (Rm 7, 18) et, par la grâce, il permet aux hommes de participer à la vie divine et il leur donne la capacité de vaincre leur égoïsme (30).

Le réalisme de la Parole

10. Celui qui connaît la Parole divine connaît aussi pleinement la signification de toute créature. Si toutes les choses, en effet, « subsistent » en Celui qui est « avant toutes choses » (cf. Col 1, 17), alors celui qui construit sa propre vie sur sa Parole bâtit vraiment de manière solide et durable. La Parole de Dieu nous pousse à changer notre concept de réalisme : la personne réaliste est celle qui reconnaît dans le Verbe de Dieu, le fondement de tout (31). Nous en avons particulièrement besoin à notre époque, où de nombreuses choses sur lesquelles nous nous appuyons pour construire notre vie, sur lesquelles nous sommes tentés de mettre notre espérance, se révèlent éphémères. La possession, le plaisir et le pouvoir se révèlent tôt ou tard incapables de satisfaire les aspirations les plus profondes du cœur de l'homme. En effet, pour construire sa vie, celui-ci a besoin de bases solides, qui demeurent même lorsque les certitudes humaines s'estompent. En réalité, puisque « pour toujours, ta parole, Seigneur, se dresse dans les cieux » et que la fidélité du Seigneur dure « d'âge en âge » (cf. Ps 119, 89-90), celui qui bâtit sur cette Parole construit la maison de sa vie sur le roc (cf. Mt 7, 24). Que notre cœur puisse dire tous les jours à Dieu : « Toi mon abri, mon bouclier, j'espère en ta parole » (Ps 119, 114) et, comme saint Pierre, que nous puissions agir tous les jours dans une totale confiance au Seigneur Jésus : « Sur ton ordre, je vais jeter les filets » (Lc 5, 5) !

Christologie de la Parole

11. À partir de ce regard sur la réalité comme œuvre de la Sainte Trinité, à travers le Verbe divin, nous pouvons maintenant comprendre les paroles de l'auteur de la Lettre aux Hébreux : « Souvent, dans le passé, Dieu a parlé à nos pères par les prophètes sous des formes fragmentaires et variées ; mais, dans les derniers temps, dans ces jours où nous sommes, il nous a parlé par ce Fils qu'il a établi héritier de toutes choses et par qui il a créé les mondes » (1, 1-2). Il est beau de voir comment tout l'Ancien Testament se présente déjà à nous comme une histoire dans laquelle Dieu communique sa Parole : « En effet, après avoir conclu une alliance avec Abraham (cf. Gn 15, 18) et, par Moïse, avec le Peuple d'Israël (cf. Ex 24, 8), il se révéla au Peuple qu'il s'était acquis, par des paroles et par des actions, comme le Dieu unique, vivant et vrai, de sorte qu'Israël fit l'expérience des voies de Dieu avec les hommes, qu'il en acquit une intelligence de jour en jour plus profonde et plus claire grâce à Dieu parlant lui-même par la bouche des prophètes, et qu'il manifesta toujours plus largement parmi les nations (cf. Ps 21, 28-29 ; 95, 1-3 ; Is 2, 1-4 ; Jr 3, 17) » (32).

Cette complaisance de Dieu se réalise de manière incomparable au moment de l'Incarnation du Verbe. La Parole éternelle qui s'exprime dans la création et qui se communique dans l'histoire du salut est devenue dans le Christ un homme, « né d'une femme » (Ga 4, 4). La Parole ne s'exprime plus ici d'abord à travers un discours des concepts ou des règles. Ici, nous sommes devant la Personne même de Jésus. Son histoire unique et singulière est la Parole définitive que Dieu dit à l'humanité. On comprend alors pourquoi « à l'origine du fait d'être chrétien, il n'y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive » (33). Le renouvellement constant de cette rencontre et de cette conscience génère dans le cœur des croyants un émerveillement devant l'initiative divine que l'homme, avec ses seules facultés rationnelles et avec son imagination, n'aurait jamais pu concevoir. Il s'agit d'une nouveauté incroyable et humainement inconcevable : « Le Verbe s'est fait chair, il a habité parmi nous » (Jn 1, 14a). Ces expressions ne sont pas des figures de style mais une expérience vécue ! C'est saint Jean, témoin oculaire, qui la rapporte : « Nous avons vu sa gloire, la gloire qu'il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité » (Jn 1, 14b). La foi des Apôtres atteste que la Parole éternelle s'est faite l'Un de nous. La Parole divine s'exprime vraiment à travers des paroles humaines.

12. En contemplant cette « Christologie de la Parole », la tradition patristique et médiévale a utilisé une expression très suggestive : le Verbe s'est « abrégé » (34). Dans la traduction grecque de l'Ancien Testament, les Pères de l'Église ont trouvé un passage du prophète Isaïe – que saint Paul cite aussi – pour indiquer que les voies nouvelles de Dieu étaient déjà annoncées dans l'Ancien Testament. On peut y lire : « Dieu a rendu brève sa Parole, il l'a abrégée » (Is 10, 23 ; Rm 9, 28). Le Fils, lui-même, est la Parole de Dieu, il est le « Logos : la Parole éternelle s'est faite petite – si petite qu'elle peut entrer dans une mangeoire. Elle s'est faite enfant, afin que la Parole devienne pour nous saisissable » (35). À présent, la Parole n'est pas seulement audible, elle ne possède pas seulement une voix, maintenant la Parole a un visage que nous pouvons voir : Jésus de Nazareth (36).

En lisant le récit des Évangiles, nous voyons que l'humanité même de Jésus apparaît dans toute son originalité en référence à la Parole de Dieu. En effet, il réalise à tout moment, dans son humanité parfaite, la volonté du Père. Jésus écoute sa voix et il lui obéit de tout son cœur. Il connaît le Père et il observe sa Parole (cf. Jn 8, 55). Il nous raconte ce que le Père lui a dit (cf. Jn 12, 50). « Je leur ai donné les paroles que tu m'as données » (Jn 17, 8). Jésus montre ainsi qu'il est le Logos divin qui se donne à nous, mais aussi le nouvel Adam, l'homme véritable, celui qui accomplit à chaque instant non sa propre volonté mais celle du Père. Il « grandissait en sagesse, en taille et en grâce sous le regard de Dieu et des hommes » (Lc 2, 52). De manière parfaite, il écoute la Parole divine, il la réalise en lui-même et il nous la communique (cf. Lc 5, 1).

Enfin, la mission de Jésus trouve son accomplissement dans le Mystère pascal : nous nous trouvons ici devant le « langage de la croix » (1 Co 1, 18). Le Verbe se tait, il devient silence de mort, car il s'est « dit » jusqu'à se taire, ne conservant rien de ce qu'il devait communiquer. De manière suggestive, les Pères de l'Église, en contemplant ce mystère, ont mis sur les lèvres de la Mère de Dieu cette expression : « Sans parole est la parole du Père, laquelle a créé toute la nature parlante, sans mouvement sont les yeux éteints de celui par la parole et le geste de qui est mû tout ce qui se meut » (37). Ici, nous est vraiment révélé l'amour le « plus grand », celui qui donne sa vie pour ses amis (cf. Jn 15, 13).

Dans ce grand mystère, Jésus se révèle comme la Parole de l'Alliance nouvelle et éternelle : la liberté de Dieu et la liberté de l'homme se sont définitivement rencontrées dans sa chair crucifiée, en un pacte indissoluble et éternel. Au cours de l'institution de l'Eucharistie, Jésus lui-même – à la dernière Cène – avait parlé de « la Nouvelle et Éternelle Alliance », scellée dans son Sang versé (cf. Mt 26, 28 ; Mc 14, 24 ; Lc 22, 20), se montrant comme le véritable Agneau immolé, en qui s'accomplit la libération définitive de l'esclavage (38).

Dans le mystère lumineux de la Résurrection, ce silence de la Parole se manifeste dans sa signification authentique et définitive. Le Christ, Parole de Dieu incarnée, crucifiée et ressuscitée, est le Seigneur de toutes choses ; il est le vainqueur, le Pantokrátor, et tout est récapitulé pour toujours en lui (cf. Ep 1, 10). Le Christ est donc « la lumière du monde » (Jn 8, 12), cette lumière qui « brille dans les ténèbres » (Jn 1, 5) et que les ténèbres n'ont pas arrêtée (cf. Jn 1, 5). Nous comprenons pleinement ici le sens du Psaume 119 : « ta parole est la lumière de mes pas, la lampe de ma route » (v. 105) ; la Parole qui ressuscite est cette lumière définitive sur notre route. Depuis le début, les chrétiens ont eu conscience que, dans le Christ, la Parole de Dieu est présente en tant que Personne. La Parole de Dieu est la véritable lumière dont l'homme a besoin. Oui, au moment de la Résurrection, le Fils de Dieu s'est manifesté comme lumière du monde. À présent, en vivant avec lui et par lui, nous pouvons vivre dans la lumière.

13. Parvenus, pour ainsi dire, au cœur de la « Christologie de la Parole », il est important de souligner l'unité du dessein divin dans le Verbe incarné : c'est pour cela que le Nouveau Testament nous présente le mystère pascal en accord avec les Saintes Écritures, comme leur accomplissement parfait. Saint Paul, dans la première Lettre aux Corinthiens, affirme que Jésus-Christ est mort pour nos péchés « conformément aux Écritures » (15, 3) et qu'il est ressuscité le troisième jour « conformément aux Écritures » (15, 4). De cette manière, l'Apôtre place l'événement de la mort et de la résurrection du Seigneur en relation avec l'histoire de l'antique Alliance de Dieu avec son Peuple. Mieux, il nous fait comprendre que c'est de cet événement que cette histoire tire sa logique et sa véritable signification. Dans le mystère pascal s'accomplissent « les paroles de l'Écriture ; c'est-à-dire que – cette mort réalisée « conformément aux Écritures » – est un événement qui porte en soi un Logos, une logique : la mort du Christ témoigne que la Parole de Dieu s'est faite pleinement « chair », « histoire » humaine » (39). De même, la résurrection de Jésus se produit « le troisième jour conformément aux Écritures » : puisque, suivant une croyance juive, la décomposition commençait après le troisième jour, la Parole de l'Écriture s'accomplit en Jésus qui ressuscite avant que ne commence la décomposition. Ainsi, en transmettant fidèlement l'enseignement des apôtres (cf. 1 Co 15, 3), saint Paul souligne que la victoire du Christ sur la mort advient par la puissance créatrice de la Parole de Dieu. Cette puissance divine apporte l'espérance et la joie : c'est là, en définitive, le contenu libérateur de la Révélation pascale. À Pâques, Dieu se révèle lui-même ainsi que la puissance de l'Amour trinitaire qui anéantit les forces destructrices du mal et de la mort.

En rappelant ces éléments essentiels de notre foi, nous pouvons contempler la profonde unité entre la création, la nouvelle création et celle de toute l'histoire du salut dans le Christ. En recourant à une image, nous pouvons comparer l'univers à un « livre » – comme le disait également Galilée – le considérant comme « l'œuvre d'un Auteur qui s'exprime à travers la « symphonie » de la création. Au sein de cette symphonie, on trouve, à un certain moment, ce que l'on appellerait en langage musical un « solo », un thème confié à un seul instrument ou à une voix unique ; et celui-ci est tellement important que la signification de toute l'œuvre dépend de lui. Ce « solo », c'est Jésus… Le Fils de l'homme résume en lui la terre et le ciel, la création et le Créateur, la chair et l'Esprit. Il est le centre de l'univers et de l'histoire, parce qu'en lui s'unissent sans se confondre l'auteur et son œuvre » (40).

Dimension eschatologique de la Parole de Dieu

14. À travers tout cela, l'Église veut dire qu'elle a conscience de se trouver, avec Jésus-Christ, face à la Parole définitive de Dieu ; il est « le Premier et le Dernier » (Ap 1, 17). Il a donné à la création et à l'histoire son sens définitif ; c'est pourquoi nous sommes appelés à vivre dans le temps, à habiter la création de Dieu selon le rythme eschatologique de la Parole ; « l'économie chrétienne, du fait qu'elle est l'Alliance nouvelle et définitive, ne passera jamais et aucune nouvelle révélation publique ne doit plus être attendue avant la glorieuse manifestation de notre Seigneur Jésus-Christ (cf. 1 Tm 6, 14 et Tt 2, 13) » (41). Vraiment, comme l'ont rappelé les Pères durant le Synode, « la spécificité du christianisme se manifeste dans l'événement Jésus-Christ, sommet de la Révélation, accomplissement des promesses de Dieu et médiateur de la rencontre entre l'homme et Dieu. Lui « qui nous a révélé Dieu » (cf. Jn 1, 18) est la Parole unique et définitive donnée à l'humanité » (42). Saint Jean de la Croix a admirablement exprimé cette vérité : « Dès lors qu'il nous a donné son Fils, qui est sa Parole – unique et définitive –, il nous a tout dit à la fois et d'un seul coup en cette seule Parole et il n'a rien de plus à dire. […] Car ce qu'il disait par parties aux prophètes, il l'a dit tout entier dans son Fils, en nous donnant ce tout qu'est son Fils. Voilà pourquoi celui qui voudrait maintenant interroger le Seigneur et lui demander des visions ou des révélations, non seulement ferait une folie, mais il ferait injure à Dieu, en ne jetant pas les yeux uniquement sur le Christ et en cherchant autre chose ou quelque autre nouveauté » (43).

C'est pourquoi, le Synode a recommandé d'« aider les fidèles à bien distinguer la Parole de Dieu des révélations privées » (44), dont le rôle « n'est pas de […] « compléter » la Révélation définitive du Christ, mais d'aider à en vivre plus pleinement à une certaine époque de l'histoire ». (45) La valeur des révélations privées est foncièrement différente de l'unique Révélation publique : celle-ci exige notre foi ; en effet, en elle, au moyen de paroles humaines et par la médiation de la communauté vivante de l'Église, Dieu lui-même nous parle. Le critère pour établir la vérité d'une révélation privée est son orientation vers le Christ lui-même. Quand celle-ci nous éloigne de lui, alors elle ne vient certainement pas de l'Esprit Saint, qui nous conduit au cœur de l'Évangile et non en dehors de lui. La révélation privée est une aide pour la foi, et elle devient crédible précisément parce qu'elle renvoie à l'unique Révélation publique. L'approbation ecclésiastique d'une révélation privée indique que son message ne contient rien qui s'oppose à la foi et aux bonnes mœurs. Il est permis de le rendre public, et les fidèles sont autorisés à y adhérer avec prudence. Une révélation privée peut accentuer et faire émerger de nouvelles formes de piété ou en approfondir d'anciennes. Elle peut avoir un certain caractère prophétique (cf. 1 Th 5, 19-21) et être une aide valable pour comprendre et pour mieux vivre l'Évangile dans les temps actuels. Elle ne doit donc pas être négligée. C'est une aide, qui nous est offerte, mais il n'est pas obligatoire de s'en servir. Dans tous les cas, il doit s'agir de quelque chose qui nourrit la foi, l'espérance et la charité, qui sont pour tous le chemin permanent du salut (46).

La Parole de Dieu et l'Esprit Saint

15. Après nous être arrêtés sur la Parole dernière et définitive de Dieu au monde, nous devons à présent parler de la mission de l'Esprit Saint en lien avec la Parole divine. En effet, aucune compréhension authentique de la Révélation chrétienne ne peut être atteinte en dehors de l'action du Paraclet. Et ce, parce que la communication que Dieu fait de lui-même implique toujours la relation entre le Fils et l'Esprit Saint, qu'Irénée de Lyon appelle « les deux mains du Père » (47). De plus, c'est l'Écriture Sainte qui nous parle de la présence de l'Esprit Saint dans l'histoire du salut et en particulier dans la vie de Jésus, conçu de la Vierge Marie par l'action de l'Esprit Saint (cf. Mt 1, 18 ; Lc 1, 35) ; au début de son ministère public, sur les rives du Jourdain, Jésus le voit descendre sur lui sous la forme d'une colombe (cf. Mt 3, 16 et par.) ; par ce même Esprit, il agit, il parle et il exulte (cf. Lc 10, 21) ; et c'est en lui qu'il peut s'offrir lui-même (cf. He 9, 14). Alors que sa mission s'achève, suivant le récit de l'évangéliste Jean, c'est Jésus lui-même qui met clairement en rapport le don de sa vie avec l'envoi de l'Esprit aux siens (cf. Jn 16, 7). Ensuite, Jésus ressuscité, portant dans sa chair les signes de sa passion, répand l'Esprit (cf. Jn 20, 22), rendant ses disciples participant à sa propre mission (cf. Jn 20, 21). Ce sera alors l'Esprit Saint qui enseignera toutes choses aux disciples et qui leur rappellera tout ce que le Christ leur a dit (cf. Jn 14, 26), parce qu'il lui revient, en tant qu'Esprit de vérité (cf. Jn 15, 26), de guider les disciples dans la vérité tout entière (cf. Jn 16, 13). Enfin, comme on lit dans les Actes des Apôtres, l'Esprit descend sur les Douze réunis en prière avec Marie, au jour de la Pentecôte (cf. 2, 1-4), et il les remplit de force en vue de leur mission d'annoncer la Bonne Nouvelle à tous les peuples (48).

La Parole de Dieu s'exprime donc en paroles humaines grâce à l'action de l'Esprit Saint. La mission du Fils et celle de l'Esprit Saint sont inséparables et constituent une unique économie du salut. L'Esprit, qui agit au moment de l'Incarnation du verbe dans le sein de la Vierge Marie, est le même Esprit qui guide Jésus au cours de sa mission et qui est promis aux disciples. Le même Esprit, qui a parlé par les prophètes, soutient et inspire l'Église dans sa tâche d'annoncer la Parole de Dieu et dans la prédication des Apôtres. Enfin, c'est cet Esprit qui inspire les auteurs des Saintes Écritures.

16. Attentifs à cet horizon pneumatologique, les Pères synodaux ont voulu rappeler l'importance de l'action de l'Esprit Saint dans la vie de l'Église et dans le cœur des croyants par rapport à l'Écriture Sainte (49). En effet, sans l'action efficace de « l'Esprit de vérité » (Jn 14, 16) on ne peut pas comprendre les paroles du Seigneur. Comme le déclare saint Irénée : « Ceux qui ne participent pas à l'Esprit ne puisent pas au sein de leur Mère (l'Église) la nourriture de Vie, ils ne reçoivent rien de la source très pure qui coule du Corps du Christ » (50). Comme la Parole de Dieu vient à nous dans le Corps du Christ, dans le Corps eucharistique et dans le Corps des Écritures par l'action de l'Esprit Saint, de même elle ne peut être accueillie et comprise pleinement que grâce à ce même Esprit.

Les grands écrivains de la Tradition chrétienne parlent tous et de manière unanime du rôle de l'Esprit Saint dans le rapport que les croyants doivent avoir avec les Écritures. Saint Jean Chrysostome affirme que l'Écriture « a besoin de la Révélation de l'Esprit, afin qu'en découvrant le véritable sens des choses qui s'y trouvent, nous en tirions abondamment profit » (51). Saint Jérôme est lui aussi fermement convaincu que « nous ne pouvons arriver à comprendre l'Écriture sans l'aide de l'Esprit Saint qui l'a inspirée » (52). Saint Grégoire le Grand met à son tour l'accent sur l'action de l'Esprit dans la formation et l'interprétation de la Bible : « Il a lui-même créé les paroles des Saints Testaments, c'est lui-même qui révèle leur sens » (53). Richard de Saint-Victor signale qu'il faut des « yeux de colombe », illuminés et instruits par l'Esprit, pour comprendre le texte sacré (54).

Je voudrais insister encore sur l'importance du témoignage que nous trouvons, à propos de la relation entre l'Esprit Saint et l'Écriture, dans les textes liturgiques, où la Parole de Dieu est proclamée, écoutée et expliquée aux fidèles. C'est le cas d'anciennes prières qui, sous forme d'épiclèses, invoquent l'Esprit avant la proclamation des lectures : « Envoie ton Esprit Saint Paraclet dans nos âmes et fais-nous comprendre les Écritures qu'il a inspirées ; et donne-moi de les interpréter de manière digne, pour que les fidèles ici réunis en tirent avantage ». De même, nous trouvons des prières qui, à la fin de l'homélie, invoquent à nouveau Dieu pour le don de l'Esprit sur les fidèles : « Dieu sauveur […] nous t'implorons pour ce peuple : envoie sur lui l'Esprit Saint ; que le Seigneur Jésus vienne le visiter, qu'il parle aux consciences de tous et qu'il prépare les cœurs à la foi et conduise à toi nos âmes, Dieu des miséricordes » (55). Tout cela nous permet de comprendre pourquoi l'on ne peut pas saisir le sens de la Parole si l'action du Paraclet n'est pas accueillie dans l'Église et dans le cœur des croyants.

Tradition et Écriture

17. En réaffirmant le lien profond entre l'Esprit Saint et la Parole de Dieu, nous avons aussi posé les fondations pour comprendre le sens et la valeur déterminante de la Tradition vivante et des Écritures saintes dans l'Église. En effet, puisque « Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique » (Jn 3, 16), la Parole divine, prononcée dans le temps, s'est donnée et « livrée » à l'Église de manière définitive, afin que l'annonce du salut puisse être communiquée de manière efficace à toutes les époques et en tous lieux. Comme nous le rappelle la Constitution dogmatique Dei Verbum, Jésus-Christ « ayant accompli lui-même et proclamé de sa propre bouche l'Évangile d'abord promis par les prophètes, ordonna à ses apôtres de le prêcher à tous comme la source de toute vérité salutaire et de toute règle morale, en leur communiquant les dons divins. Ce qui fut fidèlement accompli tantôt par les apôtres, qui, dans la prédication orale, dans les exemples et les institutions transmirent, soit ce qu'ils avaient appris de la bouche du Christ en vivant avec lui et en le voyant agir, soit ce qu'ils tenaient des suggestions du Saint-Esprit, tantôt par ces apôtres et des hommes de leur entourage, qui, sous l'inspiration du même Esprit-Saint, consignèrent par écrit le message de salut » (56).

Le concile Vatican II rappelle, par ailleurs, que cette Tradition d'origine apostolique est une réalité vivante et dynamique : elle progresse dans l'Église avec l'assistance du Saint-Esprit, non parce qu'elle change dans sa vérité, qui est éternelle, mais plutôt parce que « la perception des réalités aussi bien que des paroles transmises s'accroît », par la contemplation et par l'étude, avec l'intelligence que donne une expérience spirituelle plus profonde, et par « la prédication de ceux qui, avec la succession dans l'épiscopat, ont reçu un charisme certain de vérité » (57).

La Tradition vivante est essentielle afin que l'Église puisse grandir au fil du temps dans la compréhension de la vérité révélée dans les Écritures ; en effet, « par cette même Tradition, le Canon intégral des Livres saints se fait connaître à l'Église, et en elle aussi les Saintes Écritures elles-mêmes sont comprises plus en profondeur et sans cesse rendues agissantes » (58). En fin de compte, c'est la Tradition vivante de l'Église qui nous fait comprendre de manière adéquate la Sainte Écriture comme Parole de Dieu. Même si le Verbe de Dieu précède et transcende la Sainte Écriture, toutefois, dans la mesure où elle est inspirée par Dieu, toute Écriture contient la Parole divine (cf. 2 Tm 3, 16) « d'une manière tout à fait particulière » (59).

18. D'où l'importance d'éduquer et de former le Peuple de Dieu à s'approcher des Saintes Écritures en lien avec la Tradition vivante de l'Église, pour qu'il reconnaisse en elles la Parole même de Dieu. Faire grandir cette attitude chez les fidèles est très important du point de vue de la vie spirituelle. Il peut être utile de rappeler à ce propos une analogie développée par les Pères de l'Église entre le Verbe de Dieu qui se fait « chair » et la Parole qui se fait « Livre » (60). La constitution dogmatique Dei Verbum, recueillant cette ancienne tradition selon laquelle « son Corps (celui du Fils), ce sont les enseignements des Écritures » – comme le disait saint Ambroise (61), – affirme : « les paroles de Dieu, exprimées en langues humaines, sont devenues semblables au langage humain, de même que jadis le Verbe du Père éternel, ayant assumé la chair humaine avec ses faiblesses, est devenu semblable aux hommes » (62). Ainsi comprise, l'Écriture Sainte se présente à nous, bien que dans la multiplicité de ses formes et de ses contenus, comme une réalité unifiée. En effet, « à travers toutes les paroles de l'Écriture sainte, Dieu ne dit qu'une seule Parole, son Verbe unique en qui il se dit tout entier (cf. He 1, 1-3) » (63). Saint Augustin affirmait clairement : « Rappelez-vous que le discours de Dieu, qui est développé dans toute la Sainte Écriture, est un seul et qu'un seul est le Verbe qui résonne sur la bouche de tous les auteurs sacrés » (64).

En fin de compte, à travers l'action de l'Esprit Saint et sous la conduite du Magistère, l'Église transmet à toutes les générations tout ce qui a été révélé dans le Christ. L'Église vit dans la certitude que son Seigneur, qui a parlé dans le passé, ne cesse de communiquer sa Parole, aujourd'hui, dans la Tradition vivante de l'Église et dans l'Écriture Sainte. En effet, la Parole de Dieu se donne à nous dans l'Écriture Sainte comme témoignage inspiré de la Révélation qui, avec la Tradition vivante de l'Église, constitue la règle suprême de la foi (65).

Écriture Sainte, inspiration et vérité

19. Un concept clé pour accueillir le texte sacré, en tant que Parole de Dieu faite paroles humaines, est indubitablement celui de l'inspiration. Ici aussi, nous pouvons suggérer une analogie : comme le Verbe de Dieu s'est fait chair par l'action de l'Esprit Saint dans le sein de la Vierge Marie, de même l'Écriture Sainte naît du sein de l'Église par l'action du même Esprit. L'Écriture Sainte est « Parole de Dieu en tant que, sous le souffle de l'Esprit divin, elle est consignée par écrit » (66). On reconnaît ainsi toute l'importance de l'auteur qui a écrit les textes inspirés et, en même temps, de Dieu reconnu comme son auteur véritable.

Comme les Pères synodaux l'ont affirmé, il apparaît avec force combien le thème de l'inspiration est décisif pour appréhender de façon juste les Écritures et pour en donner une interprétation correcte (67), qui, à son tour, doit se faire dans l'Esprit même dans lequel elles ont été écrites (68). Lorsque s'affaiblit en nous la conscience de l'inspiration, on risque de lire l'Écriture comme un objet de curiosité historique et non plus comme l'œuvre de l'Esprit Saint, par laquelle nous pouvons entendre la voix du Seigneur lui-même et reconnaître sa présence dans l'histoire.

Les Pères synodaux ont également souligné que le thème de l'inspiration est aussi lié au thème de la vérité des Écritures (69). C'est pourquoi, un approfondissement de ce qu'est l'inspiration conduira sans aucun doute aussi à une meilleure intelligence de la vérité contenue dans les Livres saints. Comme l'affirmait l'enseignement conciliaire sur ce sujet, les Livres inspirés disent la vérité : « Dès lors, puisque tout ce que les auteurs inspirés affirment doit être tenu pour une affirmation de l'Esprit Saint, il faut par conséquent professer que les Livres de l'Écriture enseignent fermement, fidèlement et sans erreur la vérité que Dieu a voulu voir consignée dans les saintes Lettres en vue de notre salut. C'est pourquoi « toute Écriture inspirée de Dieu est utile pour enseigner, réfuter, redresser, former à la justice afin que l'homme de Dieu se trouve accompli, équipé pour toute œuvre bonne (2 Tm 3, 16-17, gr.) » (70).

La réflexion théologique a toujours considéré l'inspiration et la vérité comme deux concepts clés d'une herméneutique ecclésiale des Saintes Écritures. Toutefois, nous devons reconnaître le besoin aujourd'hui d'approfondir de façon appropriée ces questions, afin de pouvoir mieux répondre aux exigences de l'interprétation des textes sacrés selon leur nature. C'est pourquoi, je souhaite ardemment que la recherche dans ce domaine puisse progresser et porter du fruit pour la science biblique et pour la vie spirituelle des fidèles.

Dieu Père, source et origine de la Parole

20. L'économie de la Révélation a donc son commencement et son origine en Dieu le Père. Par sa Parole « il a fait les cieux, l'univers par le souffle de sa bouche » (Ps 33, 6). C'est lui qui fait « resplendir la connaissance de la gloire de Dieu qui rayonne sur le visage du Christ » (cf. 2 Co 4, 6 ; cf. Mt 16, 17 ; Lc 9, 29).

Dans le Fils, Logos fait chair (cf. Jn 1, 14), venu accomplir la volonté de Celui qui l'a envoyé (cf. Jn 4, 34), Dieu, source de la Révélation, se révèle en tant que Père et porte à sa pleine réalisation la divinisation de l'homme, déjà annoncée auparavant par les paroles des prophètes et par les merveilles qu'il a réalisées dans la création et dans l'histoire de son Peuple et de toute l'humanité. Le sommet de la Révélation de Dieu le Père est offert par le Fils à travers le don du Paraclet (cf. Jn 14, 16), Esprit du Père et de son Fils, qui nous « guide vers la vérité tout entière » (cf. Jn 16, 13).

21. C'est ainsi que toutes les promesses de Dieu deviennent « oui » en Jésus-Christ (cf. 2 Co 1, 20). S'ouvre ainsi à l'homme la possibilité de parcourir le chemin qui le conduit au Père (cf. Jn 14, 6), pour qu'à la fin « Dieu soit tout en tous » (1 Co 15, 28).

Comme le montre la croix du Christ, Dieu parle aussi à travers son silence. Le silence de Dieu, l'expérience de l'éloignement du Tout-Puissant et du Père est une étape décisive du parcours terrestre du Fils de Dieu, Parole incarnée. Pendu au bois de la croix, il a crié la douleur qu'un tel silence lui causait : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? » (Mc 15, 34 ; Mt 27, 46). Persévérant dans l'obéissance jusqu'à son dernier souffle, dans l'obscurité de la mort, Jésus a invoqué le Père. C'est à lui qu'il s'en remet au moment du passage, à travers la mort, à la vie éternelle : « Père, entre tes mains je remets mon esprit » (Lc 23, 46).

Cette expérience de Jésus est semblable à la situation de l'homme qui, après avoir écouté et reconnu la Parole de Dieu, doit aussi faire face à son silence. Bien des saints et des mystiques ont vécu une telle expérience qui aujourd'hui encore fait partie du cheminement de nombreux chrétiens. Le silence de Dieu prolonge ses paroles précédemment énoncées. Dans ces moments d'obscurité, il parle dans le mystère de son silence. C'est pourquoi, dans la dynamique de la Révélation chrétienne, le silence apparaît comme une expression importante de la Parole de Dieu.

La réponse de l'homme à Dieu qui parle

Appelés à entrer dans l'Alliance avec Dieu

22. Soulignant la diversité des formes de la Parole, nous avons pu contempler, à travers toutes ces modalités, Dieu qui parle et qui vient à la rencontre de l'homme, en se faisant connaître dans un dialogue. Bien sûr, comme l'ont affirmé les Pères synodaux, « quand il se réfère à la Révélation, le dialogue comporte le primat de la Parole de Dieu adressée à l'homme » (71). Le mystère de l'Alliance exprime cette relation entre Dieu qui appelle par sa Parole et l'homme qui répond, dans la claire conscience qu'il ne s'agit pas d'une rencontre entre deux pairs ; ce que nous appelons l'Ancienne et la Nouvelle Alliance n'est pas un contrat entre deux parties égales, mais un pur don de Dieu. Par le don de son amour, abolissant toute distance, Dieu fait vraiment de nous ses « partenaires », réalisant ainsi le mystère nuptial de l'amour entre le Christ et l'Église. Dans cette perspective, chaque homme apparaît comme destinataire de la Parole, interpellé et appelé à entrer dans ce dialogue d'amour par une réponse libre. Chacun de nous est ainsi rendu par Dieu capable d'écouter et de répondre à la Parole divine. L'homme est créé par la Parole et il vit par elle ; il ne peut se comprendre lui-même s'il ne s'ouvre à ce dialogue. La Parole de Dieu révèle la nature filiale et relationnelle de notre existence. Nous sommes vraiment appelés par grâce à nous conformer au Christ, le Fils du Père, et à être transformés en lui.

Dieu écoute l'homme et répond à ses demandes

23. Dans ce dialogue avec Dieu, nous nous comprenons nous-mêmes et nous trouvons des réponses aux questions les plus profondes qui habitent notre cœur. Car la Parole de Dieu ne s'oppose pas à l'homme, ne mortifie pas ses désirs authentiques, bien au contraire, elle les illumine, les purifie et les mène à leur accomplissement. Comme il est important pour notre temps de découvrir que seul Dieu répond à la soif qui est dans le cœur de tout homme ! À notre époque et surtout en Occident, s'est malheureusement répandue l'idée que Dieu est étranger à la vie et aux problèmes des hommes et, plus encore, que sa présence peut être une menace pour son autonomie. En réalité, toute l'économie du salut nous montre que Dieu parle et intervient dans l'histoire en faveur de l'homme et de son salut intégral. Il est donc important, d'un point de vue pastoral, de présenter la Parole de Dieu dans sa capacité à répondre aux problèmes que l'homme doit affronter dans la vie quotidienne. Jésus se présente précisément à nous comme celui qui est venu pour que nous puissions avoir la vie en abondance (cf. Jn 10, 10). C'est pourquoi, nous devons déployer tous nos efforts pour que la Parole de Dieu apparaisse à chacun comme une ouverture à ses problèmes, une réponse à ses questions, un élargissement de ses valeurs et en même temps comme une satisfaction apportée à ses aspirations. La pastorale de l'Église doit être attentive à montrer clairement comment Dieu écoute les besoins de l'homme et son cri. Saint Bonaventure affirme dans leBreviloquium : « Le fruit de l'Écriture sainte n'est pas quelconque, c'est la plénitude de l'éternelle félicité. Car elle est l'Écriture sainte dans laquelle sont les paroles de la vie éternelle ; elle est donc écrite, non seulement pour que nous croyions, mais aussi pour que nous possédions la vie éternelle dans laquelle nous verrons, nous aimerons et où nos désirs seront universellement comblés » (72).

Dialoguer avec Dieu à travers ses paroles

24. La Parole divine introduit chacun de nous dans un dialogue avec le Seigneur. Le Dieu qui parle nous apprend comment nous pouvons lui parler. Nous vient pontanément à l'esprit le Livre des Psaumes, dans lequel Dieu nous donne les paroles avec lesquelles nous pouvons nous adresser à lui, lui présenter notre vie, faisant de la vie elle-même un chemin vers Dieu (73). Dans les Psaumes, en effet, nous trouvons toute la gamme des sentiments que l'homme peut éprouver dans son existence et qui sont présentés à la vue de Dieu : la joie et la douleur, la détresse et l'espérance, la peur et l'angoisse trouvent ici leur expression. Avec les Psaumes, nous pensons aussi aux nombreux autres passages de la Sainte Écriture qui expriment les différentes façons par lesquelles l'homme s'adresse à Dieu : sous la forme d'une prière d'intercession (cf. Is 33, 12-16), d'un chant de joie pour la victoire (cf. Is 15), ou d'une lamentation (cf. Jr 20, 7-18). C'est ainsi que la parole que l'homme adresse à Dieu devient à son tour Parole de Dieu, confirmant le caractère dialogual de toute la révélation chrétienne (74). Toute l'existence de l'homme devient, dans cette perspective, un dialogue avec Dieu qui parle et écoute, qui appelle et engage notre vie. La Parole de Dieu révèle que toute l'existence de l'homme se situe dans le champ de l'appel divin (75).

La Parole de Dieu et la foi

25. « À Dieu qui révèle il faut apporter “l'obéissance de la foi” (Rm 16, 26 ; cf. Rm 1, 5 ; 2 Co 10, 5-6), par laquelle l'homme s'en remet tout entier librement à Dieu, en présentant “à Dieu qui révèle la pleine soumission de l'intelligence et de la volonté” et en donnant de plein gré son assentiment à la Révélation qu'il a faite » (76). Avec ces mots, la constitution dogmatique Dei Verbum a exprimé, de manière précise, l'attitude de l'homme devant Dieu. La réponse propre de l'homme à Dieu qui parle est la foi. Il est clair que « pour accueillir la Révélation, l'homme doit ouvrir sa conscience et son cœur à l'action de l'Esprit Saint qui lui fait comprendre la Parole de Dieu présente dans les Écritures saintes » (77). En effet, c'est précisément la prédication de la Parole divine qui fait surgir la foi, par laquelle nous adhérons de tout notre cœur à la vérité révélée et nous confions totalement au Christ : « La foi naît de ce qu'on entend, et ce qu'on entend, c'est l'annonce de la parole du Christ » (Rm 10, 17). C'est toute l'histoire du salut qui, peu à peu, nous montre le lien intime entre la Parole de Dieu et la foi qui s'accomplit dans la rencontre avec le Christ. La foi prend alors la forme d'une rencontre avec une personne à laquelle on confie toute son existence. Le Christ Jésus demeure encore aujourd'hui dans l'histoire par son Corps qui est l'Église ; ainsi, notre acte de foi est tout à la fois un acte personnel et un acte ecclésial.

Le péché comme non-écoute de la Parole de Dieu

26. La Parole de Dieu révèle inévitablement aussi la tragique possibilité, pour la liberté de l'homme, de se soustraire à ce dialogue d'alliance avec Dieu pour lequel nous avons été créés. La Parole divine, en effet, dévoile aussi le péché qui habite le cœur de l'homme. Nous trouvons très souvent, aussi bien dans l'Ancien que dans le Nouveau Testament, la description du péché comme une non-écoute de la Parole, comme une rupture de l'Alliance et donc comme une fermeture à l'égard de Dieu qui appelle à la communion avec lui (78). En effet, l'Écriture sainte nous montre combien le péché de l'homme est essentiellement désobéissance et « non-écoute ». C'est vraiment l'obéissance radicale de Jésus jusqu'à la mort de la croix (cf. Ph 2, 8) qui démasquera totalement le péché. Par son obéissance s'accomplit la Nouvelle Alliance entre Dieu et l'homme et nous est donnée la possibilité de la réconciliation. Jésus, en effet, a été envoyé par le Père comme victime d'expiation pour nos péchés et pour ceux du monde entier (cf. 1 Jn 2, 2 ; 4, 10 ; Hb 7, 27). Ainsi, la possibilité miséricordieuse de la Rédemption nous est offerte avec le début d'une vie nouvelle dans le Christ. C'est pourquoi, il est important que les fidèles soient formés à reconnaître la racine du péché dans la non-écoute de la parole du Seigneur et à accueillir en Jésus, le Verbe de Dieu, le pardon qui nous ouvre au salut.

Marie, « Mère du Verbe de Dieu » et « Mère de la foi »

27. Les Pères synodaux ont déclaré que l'objectif principal de la XIIe Assemblée était avant tout de « renouveler la foi de l'Église dans la Parole de Dieu » ; c'est pourquoi, il est bon de regarder là où l'échange entre la Parole de Dieu et la foi s'est accomplie parfaitement, c'est-à-dire en la Vierge Marie, « qui par son “oui” à la Parole de l'Alliance et à sa mission, accomplit parfaitement la vocation divine de l'humanité » (79). La réalité humaine, créée par le Verbe, trouve vraiment son plein accomplissement dans la foi obéissante de Marie. De l'Annonciation à la Pentecôte, elle nous apparaît comme une femme totalement disponible à la volonté de Dieu. Elle est l'Immaculée Conception, celle qui est « pleine de la grâce » de Dieu (cf. Lc 1, 28), docile à la Parole divine de façon inconditionnelle (cf. Lc 1, 38). Sa foi obéissante place son existence à chaque instant face au plan de Dieu. Vierge à l'écoute, elle vit en pleine syntonie avec la volonté divine ; elle garde dans son cœur les événements de la vie de son Fils, en les organisant en une seule mosaïque (cf. Lc 2, 19. 51) (80).

De nos jours, il est nécessaire que les fidèles soient initiés à mieux découvrir le lien entre Marie de Nazareth et l'écoute croyante de la Parole divine. J'invite les chercheurs à approfondir le plus possible les rapports entre « la Mariologie et la théologie de la Parole ». On pourra en tirer un profit autant pour la vie spirituelle que pour les études théologiques et bibliques. En effet, ce que l'intelligence de la foi a saisi à propos de Marie est au cœur de la vérité chrétienne. En effet, l'Incarnation du Verbe ne peut pas être pensée en faisant abstraction de la liberté de cette jeune fille qui, par son assentiment, a coopéré de façon décisive à l'entrée de l'Éternel dans le temps. Elle est la figure de l'Église à l'écoute de la Parole de Dieu qui, en elle, s'est faite chair. Marie est aussi le symbole de l'ouverture à Dieu et aux autres ; de l'écoute active qui intériorise, qui assimile celle en qui la Parole divine devient la matrice de la vie.

28. À ce point, je désire attirer l'attention sur la familiarité de Marie avec la Parole de Dieu. Cela apparaît avec évidence dans le Magnificat. Ici, en un certain sens, on voit comment elle s'identifie à la Parole, comment elle entre en elle ; dans ce merveilleux cantique de foi, la Vierge exalte le Seigneur avec sa propre parole : « Le Magnificat, – un portrait, pour ainsi dire, de son âme – est entièrement tissé de fils de l'Écriture sainte, de fils extraits de la Parole de Dieu. On voit ainsi combien, dans la Parole de Dieu, Marie est vraiment chez elle, comment elle s'y meut à son aise. Elle parle et pense au moyen de la Parole de Dieu ; la Parole de Dieu devient sa parole, et sa parole naît de la Parole de Dieu. On voit que ses pensées sont au diapason des pensées de Dieu, que sa volonté consiste à vouloir avec Dieu. Étant intimement pénétrée par la Parole de Dieu, elle peut devenir la mère de la Parole incarnée » (81).

De plus, la référence à la Mère de Dieu nous montre combien l'action de Dieu dans le monde implique toujours notre liberté parce que, dans la foi, la Parole divine nous transforme. Notre action apostolique et pastorale ne pourra jamais être efficace si nous n'apprenons pas de Marie à nous laisser façonner par l'action de Dieu en nous : « l'attention pleine d'amour et de dévotion à la figure de Marie comme modèle et archétype de la foi de l'Église, est d'une importance capitale pour opérer aujourd'hui aussi un changement concret de paradigme dans la relation de l'Église avec la Parole, aussi bien dans l'attitude d'écoute orante qu'à travers la générosité de l'engagement pour la mission et l'annonce » (82).

Contemplant en la Mère de Dieu une existence totalement façonnée par la Parole, nous découvrons que nous sommes, nous aussi, appelés à entrer dans le mystère de la foi par laquelle le Christ vient demeurer dans nos vies. Chaque chrétien qui croit, nous rappelle saint Ambroise, conçoit et engendre en un certain sens, le Verbe de Dieu : s'il n'y a qu'une seule Mère du Christ selon la chair, en revanche, selon la foi, le Christ est le fruit de tous (83). Donc ce qui est arrivé à Marie peut arriver, chaque jour, en chacun de nous dans l'écoute de la Parole et dans la célébration des sacrements.

L'herméneutique de l'Écriture sainte dans l'Église

L'Église, lieu originaire de l'herméneutique de la Bible

29. Un autre grand sujet s'est imposé durant le Synode, sur lequel j'entends maintenant attirer l'attention, c'est l'interprétation de l'Écriture sainte dans l'Église. Le lien intrinsèque entre la Parole et la foi met bien en évidence que l'authentique herméneutique de la Bible ne peut se situer que dans la foi de l'Église qui a, dans le « oui » de Marie, son paradigme. Saint Bonaventure affirme à ce sujet que, sans la foi, on n'a pas de clé d'accès au texte sacré : « C'est de cette connaissance de Jésus-Christ que découle, telle une source, la certitude et l'intelligence contenue dans toute l'Écriture sainte. En conséquence, il est impossible d'entrer dans la connaissance de l'Écriture sainte sans cette foi venant du Christ. Cette foi est lumière, porte et aussi fondement de toute l'Écriture » (84). Et saint Thomas d'Aquin, citant saint Augustin, insiste avec force : « Même la lettre de l'Évangile tue s'il manque, à l'intérieur de l'homme, la grâce de la foi qui guérit » (85).

Ceci nous permet de rappeler un critère fondamental de l'herméneutique biblique : le lieu originaire de l'interprétation scripturaire est la vie de l'Église. Cette affirmation n'indique pas la référence ecclésiale comme un critère extrinsèque auquel les exégètes doivent se plier, mais elle est demandée par la nature même des Écritures et par la manière dont elles se sont formées dans le temps. En effet, « les traditions de la foi formaient le milieu vital dans lequel s'est insérée l'activité littéraire des auteurs de l'Écriture sainte. Cette insertion comprenait aussi la participation à la vie liturgique et à l'activité extérieure des communautés, à leur monde spirituel, à leur culture et aux péripéties de leur destinée historique. L'interprétation de l'Écriture Sainte exige donc, de manière semblable, la participation des exégètes à toute la vie et à toute la foi de la communauté croyante de leur temps » (86). Par conséquent, « puisque la Sainte Écriture doit aussi être lue et interprétée à la lumière du même Esprit que celui qui la fit rédiger » (87), il convient que les exégètes, les théologiens et tout le Peuple de Dieu la considèrent pour ce qu'elle est réellement, la Parole de Dieu qui se communique à nous à travers une parole humaine (cf. 1 Th 2, 13). Ceci est une donnée constante contenue implicitement dans la Bible même : « aucune prophétie de l'Écriture ne vient d'une intuition personnelle. En effet, ce n'est jamais la volonté d'un homme qui a porté une prophétie : c'est portés par l'Esprit Saint que des hommes ont parlé de la part de Dieu » (2 P 1, 20-21). Du reste, c'est le propre de la foi de l'Église de reconnaître dans la Bible la Parole de Dieu ; comme le dit admirablement saint Augustin, « je ne croirais pas en l'Évangile si l'autorité de l'Église ne m'y entraînait pas » (88). C'est l'Esprit Saint qui anime la vie de l'Église et qui la rend capable d'interpréter authentiquement les Écritures. La Bible est le Livre de l'Église et, de son immanence dans la vie ecclésiale, jaillit aussi sa véritable herméneutique.

30. Saint Jérôme rappelle que nous ne pouvons jamais lire seuls l'Écriture. Nous nous heurtons trop souvent à des portes fermées et nous glissons facilement dans l'erreur. La Bible a été écrite par le Peuple de Dieu et pour le Peuple de Dieu, sous l'inspiration de l'Esprit Saint. C'est seulement dans cette communion avec le Peuple de Dieu, dans ce « nous » que nous pouvons réellement entrer au cœur de la vérité que Dieu lui-même veut nous dire (89). Jérôme, pour qui « l'ignorance des Écritures est l'ignorance du Christ » (90), affirme que l'ecclésialité de l'interprétation biblique n'est pas une exigence imposée de l'extérieur ; le Livre est vraiment la voix du Peuple de Dieu pèlerin, et c'est seulement dans la foi de ce Peuple que nous sommes, pour ainsi dire, dans la tonalité juste pour comprendre la Sainte Écriture. Une interprétation authentique de la Bible doit toujours être en harmonie avec la foi de l'Église catholique. Saint Jérôme s'adressait ainsi à un prêtre : « Reste fermement attaché à la doctrine traditionnelle qui t'a été enseignée, afin que tu puisses exhorter selon la saine doctrine et réfuter ceux qui la contredisent » (91).

Les approches du texte sacré qui font abstraction de la foi peuvent suggérer des éléments intéressants, en s'arrêtant sur les structures et les formes du texte, cependant, une telle tentative ne pourrait être qu'un préliminaire, structurellement incomplet. En effet, comme l'a affirmé la Commission biblique pontificale, faisant écho à un principe partagé par l'herméneutique moderne, « la connaissance juste du texte biblique n'est accessible qu'à celui qui a une affinité vécue avec ce dont parle le texte » (92). Tout cela met en relief la relation entre la vie spirituelle et l'herméneutique de l'Écriture. En effet, « avec la croissance de la vie dans l'Esprit grandit, chez le lecteur, la compréhension des réalités dont parle le texte biblique » (93). L'intensité d'une expérience ecclésiale authentique ne peut que développer une intelligence de la foi authentique à l'égard de la Parole de Dieu ; réciproquement, on doit dire que lire les Écritures dans la foi fait grandir la vie ecclésiale elle-même. À partir de là, nous pouvons comprendre d'une façon nouvelle l'affirmation bien connue de saint Grégoire le Grand : « Les paroles divines grandissent avec celui qui les lit » (94). C'est ainsi que l'écoute de la Parole de Dieu introduit et accroît la communion ecclésiale entre tous ceux qui cheminent dans la foi.

« L'âme de la théologie sacrée »

31. « Que l'étude de la Sainte Écriture soit comme l'âme de la théologie sacrée » (95) : cette citation de la constitution dogmatique Dei Verbum nous est devenue au fil des ans toujours plus familière. On peut dire qu'en ce qui concerne les études théologiques et exégétiques, l'époque qui a suivi le concile Vatican II a fréquemment fait référence à cette expression comme un signe de l'intérêt renouvelé pour la Sainte Écriture. La XIIe Assemblée du Synode des évêques a souvent fait allusion à cette affirmation pour indiquer la relation entre la recherche historique et l'herméneutique de la foi en référence au texte sacré. À ce propos, les Pères ont constaté avec joie que l'étude de la Parole de Dieu s'était développée dans l'Église dans les dernières décennies, et ont témoigné leur vive reconnaissance aux nombreux exégètes et théologiens qui, avec dévouement, engagement et compétence, ont contribué et contribuent de manière importante à l'approfondissement du sens de l'Écriture, en affrontant les problèmes complexes que notre temps pose à la recherche biblique (96). Ils ont également manifesté leur sincère gratitude à l'égard des membres de la Commission biblique pontificale qui se sont succédé au cours de ces années et qui, en lien étroit avec la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, continuent à apporter leur expertise pour aborder les questions particulières inhérentes à l'étude de la Sainte Écriture. Le Synode a voulu, en outre, s'interroger sur le statut actuel des études bibliques et sur leur importance dans le domaine théologique. En effet, du rapport fécond entre exégèse et théologie dépend pour une large part l'efficacité pastorale de l'action de l'Église et la vie spirituelle des fidèles. C'est pourquoi, je crois important de reprendre certaines réflexions qui ont émergé dans les échanges sur ce thème au cours des travaux du Synode.

Développement de la recherche biblique et Magistère ecclésial

32. Avant tout, il est nécessaire de reconnaître pour la vie de l'Église les bénéfices de l'exégèse historico-critique et des autres méthodes récentes d'analyse du texte (97). Dans l'approche catholique de la Sainte Écriture, il est indispensable de porter attention à ces méthodes, il en va du réalisme de l'Incarnation : « Cette nécessité est la conséquence du principe chrétien formulé dans l'Évangile selon saint Jean 1,14 : le Verbe s'est fait chair. Le fait historique est une dimension constitutive de la foi chrétienne. L'histoire du salut n'est pas une mythologie, mais une véritable histoire et pour cela elle est à étudier avec les méthodes de la recherche historique sérieuse » (98). L'étude de la Bible exige la connaissance et l'utilisation appropriée de ces méthodes de recherche. S'il est vrai que cette sensibilité pour les études s'est développée plus fortement à l'époque moderne, bien que de façon inégale suivant les lieux, il y a toujours eu dans une saine tradition ecclésiale un amour pour les études « littéraires ». Il suffit ici de rappeler la culture monastique qui est le véritable fondement de la culture européenne et dont on trouve à la racine l'intérêt pour la parole. Le désir de Dieu comprend l'amour pour la parole dans toutes ses dimensions : « puisque dans la parole biblique, Dieu est en chemin vers nous et nous vers lui, il faut apprendre à pénétrer le secret de la langue, à la comprendre dans sa structure et dans ses usages. Ainsi, en raison même de la recherche de Dieu, les sciences profanes, qui nous indiquent les chemins vers la langue, deviennent importantes » (99).

33. Le Magistère vivant de l'Église, auquel il appartient « d'interpréter de façon authentique la Parole de Dieu, écrite ou transmise » (100), est intervenu avec un sage équilibre pour définir la juste position face à l'introduction des nouvelles méthodes d'analyse historique. Je pense plus particulièrement aux encycliques Providentissimus Deus du Pape Léon XIII et Divino afflante Spiritu du Pape Pie XII. Ce fut mon vénérable prédécesseur Jean-Paul II qui rappela l'importance de ces documents pour l'exégèse et la théologie à l'occasion des célébrations du centenaire et du cinquantenaire de leur promulgation (101). L'intervention du Pape Léon XIII eut le mérite de protéger l'interprétation catholique de la Bible des attaques du rationalisme, mais sans chercher refuge dans un sens spirituel détaché de l'histoire. Loin de reculer devant la critique scientifique, il se méfiait surtout « des idées préconçues qui prétendent se fonder sur la science mais qui, en réalité, font subrepticement sortir la science de son domaine » (102). Le Pape Pie XII, quant à lui, eut à faire face aux attaques des partisans d'une exégèse soi-disant mystique qui refusait toute approche scientifique. L'encyclique Divino afflante Spiritu, avec une grande finesse, a évité toute trace de dichotomie entre l'« exégèse scientifique » pour l'usage apologétique et l'« interprétation spirituelle réservée à l'usage interne », rappelant au contraire aussi bien la « portée théologique du sens littéral méthodiquement défini », que l'appartenance de la « détermination du sens spirituel… au domaine de la science exégétique » (103). Les deux documents refusaient ainsi « la rupture entre l'humain et le divin, entre la recherche scientifique et le regard de la foi, entre le sens littéral et le sens spirituel » (104). Cet équilibre a ensuite été maintenu dans le document de la Commission biblique pontificale de 1993 : « Dans leur travail d'interprétation, les exégètes catholiques ne doivent jamais oublier que ce qu'ils interprètent est la Parole de Dieu. Leur tâche commune n'est pas terminée lorsqu'ils ont distingué les sources, défini les formes ou expliqué les procédés littéraires. Le but de leur travail n'est atteint que lorsqu'ils ont éclairé le sens du texte biblique comme Parole actuelle de Dieu » (105).

L'herméneutique biblique conciliaire : une indication à recevoir

34. Avec cet arrière-plan, il est possible de mieux apprécier les grands principes d'interprétation propre à l'exégèse catholique exprimés au concile Vatican II, spécialement dans la constitution dogmatique Dei Verbum : « Puisque Dieu, dans la Sainte Écriture, a parlé par des hommes à la manière des hommes, l'interprète de la Sainte Écriture, pour percevoir ce que Dieu lui-même a voulu nous communiquer, doit chercher attentivement ce que les hagiographes ont réellement eu l'intention de dire et ce qu'il a plu à Dieu de faire savoir par leurs paroles » (106). D'une part, le Concile indique l'étude des genres littéraires et du contexte, comme des éléments essentiels pour saisir le sens voulu par l'auteur sacré. D'autre part, la Sainte Écriture devant être interprétée dans le même Esprit que celui dans lequel elle a été écrite, la Constitution dogmatique indique trois critères de base pour appréhender la dimension divine de la Bible :

1) interpréter le texte en tenant compte de l'unité de l'ensemble de l'Écriture – on parle aujourd'hui d'exégèse canonique ;

2) tenir compte ensuite de la Tradition vivante de toute l'Église, et

3) respecter enfin l'analogie de la foi.

« Seulement dans le cas où les deux niveaux méthodologiques, celui de nature historique et critique et celui de nature théologique, sont observés, on peut alors parler d'une exégèse théologique, d'une exégèse adaptée à ce Livre » (107).

Les Père synodaux ont affirmé avec raison que le fruit positif apporté par l'usage de la recherche historico-critique moderne est incontestable. Toutefois, alors que l'exégèse académique actuelle, y compris catholique, travaille à un haut niveau sur le plan de la méthodologie historico-critique en intégrant les apports les plus récents, il convient d'exiger une étude comparable de la dimension théologique des textes bibliques afin que progresse l'approfondissement selon les trois éléments indiqués par la Constitution dogmatique Dei Verbum (108).

Le danger du dualisme et d'une herméneutique sécularisée

35. À ce propos, il convient de signaler le risque grave d'un dualisme qui apparaît aujourd'hui dans l'approche des Saintes Écritures. En effet, en distinguant les deux niveaux d'approche, il ne s'agit pas de les séparer, ni de les opposer, ni même de les juxtaposer. Ils sont liés l'un à l'autre. Malheureusement, il arrive qu'une séparation stérile entre les deux crée une barrière entre exégèse et théologie, et ceci « touche aussi les niveaux académiques les plus élevés » (109). Je voudrais ici rappeler les conséquences les plus préoccupantes qu'il convient d'éviter.

a) D'abord et avant tout, si le travail exégétique se réduit seulement au premier niveau, cela a pour conséquence de réduire l'Écriture elle-même à un texte du passé : « On peut en tirer des conséquences morales, on peut en apprendre l'histoire, mais le livre en tant que tel, parle seulement du passé et l'exégèse n'est plus véritablement théologique, mais devient une pure historiographie, une histoire de la littérature » (110). Il est clair qu'avec une telle approche réductive, on ne peut en aucune façon comprendre l'événement de la Révélation de Dieu par sa Parole qui se transmet à nous par la Tradition vivante et dans l'Écriture.

b) La déficience d'une herméneutique de la foi par rapport à l'Écriture ne se résume pas seulement en termes d'absence ; à sa place s'inscrit inévitablement une autre herméneutique, une herméneutique sécularisée, positiviste, qui a pour conviction fondamentale que le divin n'intervient pas dans l'histoire humaine. Selon cette herméneutique, lorsqu'il semble qu'existe un élément divin, on doit l'expliquer d'une autre façon et tout ramener à la dimension humaine. Il en résulte des interprétations qui nient l'historicité des éléments divins (111).

c) Une telle position ne peut que produire des problèmes dans la vie de l'Église, en répandant un doute sur les mystères fondamentaux du christianisme et sur leur historicité, comme par exemple l'institution de l'Eucharistie et la Résurrection du Christ. On impose alors une herméneutique philosophique, qui nie la possibilité de l'entrée et de la présence du divin dans l'histoire. L'acceptation d'une telle herméneutique dans les études théologiques introduit inévitablement un dualisme pesant entre une exégèse qui se limite au premier niveau et une théologie qui tend à une spiritualisation du sens des Écritures au détriment du caractère historique de la Révélation.

Cette position ne peut qu'avoir des résultats négatifs tant sur la vie spirituelle que sur l'activité pastorale ; « la conséquence de l'absence du second niveau méthodologique est qu'il s'est créé un profond fossé entre exégèse scientifique et Lectio divina ; il en ressort parfois une forme de perplexité également dans la préparation des homélies » (112). Il faut aussi signaler qu'une telle dichotomie produit parfois de la confusion et un manque de solidité dans la formation intellectuelle de certains candidats aux ministères ordonnés (113). En définitive, « là où l'exégèse n'est pas théologie, l'Écriture ne peut être l'âme de la théologie, et vice versa, là où la théologie n'est pas essentiellement interprétation de l'Écriture dans l'Église, cette théologie n'a plus de fondement » (114). Il est donc nécessaire de considérer avec davantage d'attention les indications données par la constitution dogmatique Dei Verbum sur ce point.

Foi et raison dans l'approche de l'Écriture

36. Je crois que ce qu'a écrit le Pape Jean-Paul II à ce sujet dans l'encyclique Fides et ratiopeut aider à une meilleure compréhension de l'exégèse et, donc, de son rapport avec toute la théologie. Il affirmait qu'il ne faut pas sous-estimer « le danger inhérent à la volonté de faire découler la vérité de l'Écriture Sainte de l'application d'une méthodologie unique, oubliant la nécessité d'une exégèse plus large qui permet d'accéder, avec toute l'Église, au sens plénier des textes. Ceux qui se consacrent à l'étude des Saintes Écritures doivent toujours avoir présent à l'esprit que les diverses méthodologies herméneutiques ont, elles aussi, à leur base une conception philosophique : il convient de l'examiner avec discernement avant de l'appliquer aux textes sacrés » (115).

Cette réflexion lucide nous aide à voir comment, dans l'approche herméneutique de la Sainte Écriture, se joue la relation spécifique entre foi et raison. En effet, l'herméneutique sécularisée de la Sainte Écriture se place comme l'acte d'une raison qui veut fondamentalement exclure la possibilité que Dieu entre dans la vie des hommes et qu'il parle aux hommes avec des paroles humaines. Il est donc urgent d'élargir l'horizon de la rationalité elle-même (116). C'est pourquoi dans l'utilisation des méthodes d'analyse historique, on devra éviter de faire siens, là où ils se présentent, des critères qui, au préalable, se refusent à la Révélation de Dieu dans la vie des hommes. L'unité des deux niveaux du travail d'interprétation de la Sainte Écriture présuppose, en définitive, une harmonie entre la foi et la raison. D'une part, elle suppose une foi qui, maintenant une relation adéquate avec la droite raison, ne dégénère jamais en un fidéisme, qui peut aboutir à une lecture fondamentaliste de l'Écriture. D'autre part, elle suppose une raison qui, en recherchant les éléments historiques présents dans la Bible, se montre ouverte et ne refuse pas a priori tout ce qui se situe en dehors de son domaine. Quoi qu'il en soit, la religion du Verbe incarné ne pourra que se montrer raisonnable à l'homme qui cherche sincèrement la vérité et le sens ultime de sa vie et de l'histoire.

Sens littéral et sens spirituel

37. Une attention renouvelée aux Pères de l'Église et à leur approche exégétique contribuera de façon significative à revaloriser une herméneutique appropriée de l'Écriture, comme l'Assemblée synodale l'a affirmé (117). En effet, les Pères de l'Église nous donnent encore aujourd'hui une théologie de grande valeur parce qu'elle est centrée sur l'étude de l'Écriture sainte dans son intégralité ; ils sont d'abord et avant tout des « commentateurs de la Sainte Écriture » (118). Leur exemple peut « enseigner aux exégètes modernes une approche vraiment religieuse de la Sainte Écriture, ainsi qu'une interprétation qui s'en tienne constamment au critère de communion avec l'expérience de l'Église, qui chemine dans l'histoire sous la conduite de l'Esprit Saint » (119).

Ignorant, bien sûr, les ressources philologiques et historiques qui sont à la disposition de l'exégèse moderne, la Tradition patristique et médiévale savait reconnaître les divers sens de l'Écriture en commençant par le sens littéral, celui qui est « signifié par les paroles de l'Écriture et découvert par l'exégèse qui suit les règles de la juste interprétation » (120). Ainsi, saint Thomas d'Aquin affirme : « Tous les sens de la Sainte Écriture se basent sur le sens littéral » (121). Il est pourtant nécessaire de rappeler qu'au temps patristique et médiéval, toute forme d'exégèse, y compris l'exégèse littérale, était faite sur la base de la foi, et ne faisait pas nécessairement la distinction entre sens littéral et sens spirituel. Rappelons ici la distinction médiévale entre les divers sens de l'Écriture : « Littera gesta docet, quid credas allegoria, Moralis quid agas, quo tendas anagogia. Le sens littéral enseigne les événements, l'allégorie ce qu'il faut croire, le sens moral ce qu'il faut faire, l'anagogie vers quoi il faut tendre » (122).

Notons ici l'unité et l'articulation entre sens littéral et sens spirituel, lequel se subdivise en trois sens, avec lesquels sont décrits les contenus de la foi, de la morale et de l'aspiration eschatologique.

En définitive, en reconnaissant la valeur et la nécessité, même avec ses limites, de la méthode historico-critique, nous apprenons de l'exégèse patristique que « on n'est fidèle à l'intentionnalité des textes bibliques que dans la mesure où l'on essaie de retrouver, au cœur de leur formulation, la réalité de foi qu'ils expriment et où l'on relie cette réalité à l'expérience croyante de notre monde » (123). C'est seulement dans cette perspective que l'on peut reconnaître que la Parole de Dieu est vivante et s'adresse à chacun dans l'ici et maintenant de sa vie. En ce sens, l'affirmation de la Commission biblique pontificale, qui définit le sens spirituel selon la foi chrétienne, demeure pleinement valable, « il est le sens exprimé par les textes bibliques lorsqu'on les lit sous l'influence de l'Esprit Saint dans le contexte du mystère pascal du Christ et de la vie nouvelle qui en résulte. Ce contexte existe effectivement. Le Nouveau Testament y reconnaît l'accomplissement des Écritures. Il est donc normal de relire les Écritures à la lumière de ce nouveau contexte, qui est celui de la vie dans l'Esprit » (124).

Le nécessaire dépassement de la lettre

38. En redécouvrant l'articulation entre les différents sens de l'Écriture, il est essentiel de saisir le passage de la lettre à l'esprit. Il ne s'agit pas d'un passage automatique et spontané ; il faut dépasser la lettre : « La Parole de Dieu, en effet, n'est jamais simplement présente dans la seule littéralité du texte. Pour l'atteindre, il faut un dépassement et un processus de compréhension qui se laisse guider par le mouvement intérieur de l'ensemble des textes et, à partir de là, doit également devenir un processus vital » (125). Nous voyons ainsi comment un processus authentique d'interprétation n'est jamais simplement intellectuel mais procède aussi de la vie et exige donc un engagement dans la vie ecclésiale, en tant que vie « sous la conduite de l'Esprit de Dieu » (Ga 5, 16). Dès lors, les critères évoqués dans le numéro 12 de la constitution dogmatique Dei Verbum deviennent plus clairs : un tel dépassement ne peut se faire à partir d'un seul fragment littéraire mais en lien avec la totalité de l'Écriture. C'est en effet en direction d'une parole unique que nous sommes appelés à opérer ce dépassement. Un tel processus comporte un caractère dramatique profond puisque, dans ce processus de dépassement, le passage qui s'accomplit dans l'Esprit rencontre inévitablement la liberté de chacun. Saint Paul a pleinement vécu ce passage dans sa propre existence. Ce dépassement de la lettre et cette volonté de comprendre à partir du tout, il les a exprimés de façon radicale dans ces mots : « La lettre tue, mais l'Esprit donne la vie » (2 Co 3, 6). Saint Paul se rend compte que « l'Esprit qui rend libre possède un nom et donc que la liberté a une mesure intérieure : “Le Seigneur, c'est l'Esprit, et là où l'Esprit du Seigneur est présent, là est la liberté” (2 Co 3, 6). L'Esprit qui rend libre ne se réduit pas à l'idée ou à la vision personnelle de celui qui interprète. L'Esprit, c'est le Christ et le Christ est le Seigneur qui nous indique le chemin » (126). Nous savons aussi combien, pour saint Augustin, ce passage fut à la fois dramatique et libérateur ; il crut aux Écritures qui, au premier abord, lui apparurent si particulières et en même temps si grossières, uniquement grâce à ce dépassement de la lettre qu'il apprit de saint Ambroise à travers l'interprétation typologique, selon laquelle tout l'Ancien Testament est un chemin vers Jésus-Christ. Pour saint Augustin, le dépassement de la lettre lui a rendu crédible la lettre elle-même et lui a permis de trouver enfin la réponse aux profondes inquiétudes de son âme, assoiffée de la vérité (127).

L'unité intrinsèque de la Bible

39. À l'école de la grande Tradition de l'Église, nous avons appris à saisir dans le passage de la lettre à l'esprit l'unité de toute l'Écriture, puisque unique est la Parole de Dieu qui interpelle notre vie en l'appelant constamment à la conversion (128). Les réflexions d'Hugues de Saint-Victor demeurent pour nous un guide sûr : « Toute l'Écriture divine constitue un Livre unique et ce Livre unique, c'est le Christ, il parle du Christ et trouve dans le Christ son accomplissement » (129). Envisagé sous l'aspect purement historique ou littéraire, la Bible n'est pas un seul livre, mais un recueil de textes littéraires, dont la composition s'étend sur plus d'un millénaire et dont il n'est pas facile pour chaque livre de voir l'unité interne ; il existe au contraire entre ces textes des incohérences. C'est déjà le cas pour la Bible d'Israël que nous, chrétiens, appelons l'Ancien Testament. Et ce l'est encore plus lorsque nous, chrétiens, mettons en relation le Nouveau Testament et ces écrits comme une clé herméneutique de la Bible d'Israël, en l'interprétant comme un chemin du Christ. Dans le Nouveau Testament, en général, le terme « l'Écriture » (cf. Rm 4, 3 ; 1 P 2, 6) n'est pas utilisé, mais plutôt « les Écritures » (cf. Mt 21, 43 ; Jn 5, 39 ; Rm 1, 2 ; 2 P 3, 16), qui, néanmoins, sont ensuite considérées dans leur ensemble comme l'unique Parole de Dieu qui nous est adressée (130). Il est donc clair que la personne du Christ donne son unité aux « Écritures » en référence à l'unique « Parole ». Ainsi, on comprend ce qu'affirme le numéro 12 de la Constitution dogmatique Dei Verbum, en indiquant l'unité interne de la Bible comme le critère décisif pour une herméneutique correcte de la foi.

Le rapport entre l'Ancien et le Nouveau Testament

40. Avec cette assurance de l'unité des Écritures dans le Christ, il est nécessaire pour les théologiens comme pour les pasteurs d'avoir conscience des rapports entre l'Ancien et le Nouveau Testament. Avant tout, il est évident que le Nouveau Testament lui-même reconnaît l'Ancien Testament comme Parole de Dieu et c'est pourquoi il accueille l'autorité des Saintes Écritures du peuple juif (131). Il le reconnaît implicitement en ayant recours au même langage et en faisant fréquemment allusion à des passages de ces Écritures. Il le reconnaît explicitement lorsqu'il en cite de nombreux extraits et qu'il s'en sert pour argumenter. Une argumentation fondée sur des textes de l'Ancien Testament possède ainsi dans le Nouveau Testament une valeur nettement supérieure à celle des raisonnements purement humains. Dans le quatrième Évangile, Jésus affirme que « l'Écriture ne peut être abolie » (Jn 10, 35) et saint Paul précise en particulier que la Révélation de l'Ancien Testament demeure valable pour nous chrétiens (cf. Rm 15, 4 ; 1 Co 10, 11) (132). Nous affirmons aussi que « Jésus de Nazareth était un Juif et que la Terre Sainte est la terre-mère de l'Église » (133). Les racines du christianisme se trouvent dans l'Ancien Testament et le christianisme se nourrit toujours de ces racines. C'est pourquoi la saine doctrine chrétienne a toujours refusé les nouvelles formes de marcionisme qui tendent, d'une manière ou d'une autre, à opposer l'Ancien et le Nouveau Testament (134).

Par ailleurs, le Nouveau Testament lui-même s'affirme conforme à l'Ancien et proclame que dans le mystère de la vie, de la mort et de la Résurrection du Christ, les Saintes Écritures du Peuple juif ont trouvé leur parfait accomplissement. Il faut cependant observer que le concept d'accomplissement des Écritures est complexe, qu'il possède une triple dimension : un aspect fondamental de continuité avec la Révélation de l'Ancien Testament, un aspect de rupture et un aspect d'accomplissement et de dépassement. Le mystère du Christ est en continuité d'intention avec le culte sacrificiel de l'Ancien Testament ; mais il s'est réalisé d'une manière tout à fait différente, qui correspond à plusieurs oracles des prophètes, et il a atteint ainsi une perfection jamais obtenue auparavant. L'Ancien Testament, en effet, est plein de tensions entre ses aspects institutionnels et ses aspects prophétiques. Le mystère pascal du Christ est pleinement conforme – d'une façon toutefois imprévisible – aux prophéties et à l'aspect anticipateur des Écritures ; néanmoins, il présente des aspects évidents de discontinuité par rapport aux institutions de l'Ancien Testament.

41. Ces considérations montrent ainsi l'importance incontournable de l'Ancien Testament pour les chrétiens, et en même temps, mettent bien en évidence l'originalité de l'interprétation christologique. Depuis les temps apostoliques et ensuite dans la Tradition vivante, l'Église a mis en lumière l'unité du plan divin dans les deux Testaments grâce à une lecture typologique, qui n'est pas arbitraire mais intrinsèque aux événements racontés par le texte sacré et qui ainsi concerne toute l'Écriture. La typologie « discerne dans les œuvres de Dieu sous l'Ancienne Alliance des préfigurations de ce que Dieu a accompli dans la plénitude des temps, en la personne de son Fils incarné » (135). Les chrétiens lisent donc l'Ancien Testament à la lumière du Christ mort et ressuscité. Si la lecture typologique révèle l'inépuisable contenu de l'Ancien Testament en relation avec le Nouveau, cela ne doit toutefois pas conduire à oublier que l'Ancien Testament conserve sa valeur propre de Révélation que Notre Seigneur lui-même a réaffirmée (cf. Mc 12, 29-31). C'est pourquoi « le Nouveau Testament demande aussi d'être lu à la lumière de l'Ancien. La catéchèse chrétienne primitive y a constamment eu recours (1 Co 5, 6-8 ; 1 Co 10, 1-11) » (136). Les Pères synodaux ont pour cette raison affirmé que « la compréhension juive de la Bible peut aider les chrétiens dans l'intelligence et l'étude des Écritures » (137).

« Le Nouveau Testament est caché dans l'Ancien et l'Ancien est révélé dans le Nouveau » (138), c'est ainsi qu'avec une profonde sagesse, saint Augustin s'est exprimé sur ce thème. Il est donc important qu'aussi bien dans la pastorale que dans le milieu universitaire, soit bien mise en évidence la relation intime entre les deux Testaments, en redisant avec saint Grégoire le Grand que ce que « l'Ancien Testament a promis, le Nouveau Testament l'a fait voir ; ce que celui-là annonçait de façon cachée, celui-ci le proclame ouvertement comme présent. C'est pourquoi l'Ancien Testament est prophétie du Nouveau Testament ; et le meilleur commentaire de l'Ancien Testament est le Nouveau Testament » (139).

Les passages « obscurs » de la Bible

42. À propos des relations entre l'Ancien et le Nouveau Testament, le Synode a aussi abordé la question des passages de la Bible qui se révèlent obscurs et difficiles en raison de la violence et de l'immoralité qu'ils contiennent parfois. À ce sujet, rappelons que la Révélation biblique est profondément enracinée dans l'histoire. Le dessein de Dieu s'y manifeste progressivement et se réalise lentement à travers des étapes successives, malgré la résistance des hommes. Dieu a choisi un peuple et l'éduque avec patience. La Révélation s'adapte au niveau culturel et moral d'époques lointaines et raconte par conséquent des faits et des coutumes, par exemple des manœuvres frauduleuses, des actes de violence et des massacres, sans en dénoncer explicitement l'immoralité. Cela s'explique par le contexte historique, mais peut surprendre le lecteur moderne, surtout lorsqu'on oublie les nombreux comportements « sombres » que les hommes ont toujours eus au long des siècles, et cela jusqu'à nos jours. Dans l'Ancien Testament, la prédication des prophètes s'élève vigoureusement contre tout type d'injustice et de violence, collective ou individuelle, et elle est ainsi un instrument d'éducation donné par Dieu à son Peuple pour le préparer à l'Évangile. Ce serait donc une erreur de négliger ces passages de l'Écriture qui nous apparaissent problématiques. Admettons plutôt que la lecture de ces pages requière une compétence spécifique, à travers une formation à la lecture des textes dans leur contexte historico-littéraire et à l'intérieur de la perspective chrétienne qui a pour ultime clé herméneutique « l'Évangile et le Commandement nouveau de Jésus-Christ accompli dans le mystère pascal » (140). J'exhorte donc les chercheurs et les pasteurs à aider tous les fidèles à s'approcher aussi de ces pages à travers une lecture qui leur en fasse découvrir la signification à la lumière du mystère du Christ.

Chrétiens et juifs face aux Écritures

43. Après avoir considéré les étroites relations qui lient le Nouveau Testament à l'Ancien, notre attention se porte naturellement sur le lien particulier qui en résulte entre chrétiens et juifs, un lien qui ne devrait jamais être oublié. Aux Juifs, le Pape Jean-Paul II a déclaré : vous êtes « “nos frères préférés” dans la foi d'Abraham, notre patriarche » (141). Certes, cette déclaration ne signifie pas une méconnaissance des ruptures affirmées dans le Nouveau Testament à l'égard des institutions de l'Ancien Testament et encore moins, de l'accomplissement des Écritures dans le mystère de Jésus-Christ, reconnu Messie et Fils de Dieu. Cependant, cette profonde et radicale différence n'implique aucunement une hostilité réciproque. L'exemple de saint Paul (cf. Rm 9-11) démontre, au contraire, qu'« une attitude de respect, d'estime et d'amour pour le peuple juif est la seule attitude véritablement chrétienne dans cette situation qui fait mystérieusement partie du dessein, totalement positif, de Dieu » (142). Saint Paul, en effet, affirme à propos des juifs que « le choix de Dieu en a fait des bien-aimés, et c'est à cause de leurs pères. Les dons de Dieu et son appel sont irrévocables » (Rm 11, 28-29).

En outre, saint Paul utilise la belle image de l'olivier pour décrire les relations très étroites entre chrétiens et juifs : l'Église des Gentils est comme un rameau d'olivier sauvage, greffé sur l'olivier franc qui est le Peuple de l'Alliance (cf. Rm 11, 17-24). Nous tirons donc notre nourriture des mêmes racines spirituelles. Nous nous rencontrons comme des frères, des frères qui à certains moments de leur histoire ont eu des relations tendues, mais qui sont maintenant fermement engagés dans la construction de ponts sur la base d'une amitié durable (143). C'est encore le Pape Jean-Paul II qui disait : « Nous avons beaucoup en commun. Ensemble, nous pouvons faire beaucoup pour la paix, pour la justice et pour un monde plus fraternel et plus humain » (144).

Une fois de plus, je désire réaffirmer combien le dialogue avec les juifs est précieux pour l'Église. Il est bon que, là où on en voit l'opportunité, se créent des occasions de rencontre et d'échange, y compris publiques, qui permettent de grandir dans la connaissance mutuelle, l'estime réciproque et la collaboration, et aussi dans l'étude des Saintes Écritures.

L'interprétation fondamentaliste de la Sainte Écriture

44. L'attention que nous avons voulu donner jusqu'à présent au problème de l'herméneutique biblique sous ses différents aspects nous permet maintenant d'aborder celui de l'interprétation fondamentaliste de la Sainte Écriture, qui a surgi plusieurs fois au cours du débat synodal, (145). À ce propos, la Commission biblique pontificale, dans le document sur L'interprétation de la Bible dans l'Église, a formulé quelques orientations importantes. Ici, je voudrais attirer l'attention surtout sur ces lectures qui ne respectent pas l'authenticité du texte sacré et favorisent des interprétations subjectives et arbitraires. En effet, le « littéralisme » mis en avant par la lecture fondamentaliste représente de fait une trahison aussi bien du sens littéral que du sens spirituel, ouvrant la voie à toutes sortes de manipulations, diffusant par exemple des interprétations anti-ecclésiales des Écritures elles-mêmes. L'aspect problématique de la « lecture fondamentaliste est que, en refusant de tenir compte du caractère historique de la Révélation biblique, on se rend incapable d'accepter pleinement la vérité de l'Incarnation elle-même. Le fondamentalisme fuit l'étroite relation du divin et de l'humain dans les rapports avec Dieu […] Pour cette raison, il tend à traiter le texte biblique comme s'il avait été dicté mot à mot par l'Esprit et n'arrive pas à reconnaître que la Parole de Dieu a été formulée dans un langage et une phraséologie conditionnés par telle ou telle époque » (146). Au contraire, le christianisme voit dans les paroles la Parole, le Logos lui-même, qui fait rayonner son mystère à travers la complexité et la réalité de l'histoire humaine (147). La véritable réponse à une lecture fondamentaliste est « la lecture croyante de l'Écriture Sainte, pratiquée depuis l'Antiquité dans la Tradition de l'Église, (celle-ci) cherche la vérité qui sauve pour la vie de chaque fidèle et pour l'Église. Cette lecture reconnaît la valeur historique de la Tradition biblique. C'est précisément à cause de cette valeur de témoignage historique que celle-ci veut redécouvrir la signification vivante des Écritures Saintes destinées aussi à la vie du croyant d'aujourd'hui » (148), sans ignorer, donc, la médiation humaine du texte inspiré et ses genres littéraires.

Le dialogue entre pasteurs, théologiens et exégètes

45. L'herméneutique authentique de la foi entraîne avec elle certaines conséquences importantes dans le domaine de l'activité pastorale de l'Église. Précisément à ce propos, les Pères synodaux ont recommandé, par exemple, des relations plus étroites entre pasteurs, exégètes et théologiens. Il est bon que les Conférences épiscopales favorisent ce type de rencontre « en vue de promouvoir une plus grande communion au service de la Parole de Dieu » (149). Une telle coopération aidera chacun à mieux remplir sa tâche propre au bénéfice de toute l'Église. En effet, s'inscrire sur l'horizon du travail pastoral signifie, également pour les chercheurs, se mettre face au texte sacré sachant qu'il s'agit d'un message que le Seigneur adresse aux hommes pour leur salut. C'est pourquoi, comme l'a déclaré la constitution dogmatique Dei Verbum, il est recommandé que « les exégètes catholiques et ceux qui s'adonnent à la théologie sacrée, unissant avec zèle leurs forces, s'appliquent, sous la vigilance du Magistère sacré, et par le recours aux moyens appropriés, à scruter les divines lettres et à les présenter si bien que le plus grand nombre possible des serviteurs de la Parole divine puissent fournir au Peuple de Dieu, de façon fructueuse, l'aliment des Écritures, qui éclaire les esprits, affermit les volontés, enflamme le cœur des hommes pour l'amour de Dieu » (150).

Bible et œcuménisme

46. Conscient que l'Église est fondée sur le Christ, Verbe de Dieu fait chair, le Synode a voulu souligner le caractère central des études bibliques dans le dialogue œcuménique en vue de la pleine expression de l'unité de tous les croyants dans le Christ (151). Dans l'Écriture elle-même, en effet, nous trouvons la prière vibrante de Jésus au Père pour que ses disciples soient un afin que le monde croie (cf. Jn 17, 21). Tout cela nous renforce dans la conviction qu'écouter et méditer ensemble les Écritures nous fait vivre une communion réelle même si elle n'est pas encore pleine (152) ; « l'écoute commune des Écritures nous pousse ainsi au dialogue de la charité et fait grandir celui de la vérité » (153). En effet, écouter ensemble la Parole de Dieu, pratiquer la Lectio divina de la Bible, se laisser surprendre par la nouveauté, qui jamais ne vieillit ou ne s'épuise, de la Parole de Dieu, dépasser notre surdité sur ces paroles qui ne s'accordent pas avec nos opinions et nos préjugés, écouter et étudier dans la communion avec les croyants de tous les temps : tout cela représente un chemin à parcourir vers l'unité de la foi, en tant que réponse à l'écoute de la Parole (154). Le concile Vatican II est à cet égard très clair : « Les Écritures Saintes sont, dans le dialogue (œcuménique) lui-même, des instruments insignes entre les mains puissantes de Dieu pour obtenir cette unité que le Sauveur offre à tous les hommes » (155). C'est pourquoi il est bon de développer les études, les débats et les célébrations œcuméniques de la Parole de Dieu, dans le respect des règles en vigueur et des diverses traditions (156). Ces célébrations font avancer la cause de l'œcuménisme et, quand elles sont vécues dans leur sens véritable, elles constituent des moments intenses d'une authentique prière pour demander à Dieu de hâter le jour tant désiré où nous pourrons tous nous approcher de la même table et boire à l'unique calice. Cependant, tout en louant et en encourageant ces moments, il faut faire en sorte qu'ils ne soient pas proposés aux fidèles en remplacement de la sainte messe prévue les dimanches et les jours d'obligation.

Dans ce travail d'étude et de prière, nous reconnaissons avec sérénité qu'il y a des aspects qui demandent à êtres approfondis et sur lesquels nous sommes encore d'avis différents, comme par exemple sur ce qui, dans l'Église, fait autorité pour l'interprétation et sur le rôle décisif du Magistère (157).

Enfin, je voudrais insister par ailleurs sur ce qu'ont dit les Pères synodaux au sujet de l'importance, dans ce travail œcuménique, des traductions de la Bible dans les différentes langues. Nous savons en effet que traduire un texte n'est pas une tâche simplement mécanique mais fait partie en un certain sens du travail d'interprétation. À ce sujet, le vénérable Jean-Paul II a affirmé : « Ceux qui se rappellent quelle influence les débats autour de l'Écriture ont eue sur les divisions, surtout en Occident, peuvent comprendre l'avancée notable que représentent ces traductions communes » (158). En ce sens, la promotion des traductions communes de la Bible participe à l'effort œcuménique. Je désire remercier ici tous ceux qui portent cette grande responsabilité et les encourager à poursuivre leur tâche.

Conséquences sur l'organisation des études théologiques

47. Une autre conséquence qui dérive d'une herméneutique correcte de la foi concerne la nécessité d'en montrer les implications pour la formation exégétique et théologique, en particulier des candidats au sacerdoce. On doit faire en sorte que l'étude de la Sainte Écriture soit véritablement l'âme de la théologie dans la mesure où l'on reconnaît en elle la Parole de Dieu, qui s'adresse aujourd'hui au monde, à l'Église et à chacun personnellement. Il est important que les critères indiqués par le numéro 12 de la Constitution dogmatique Dei Verbum soient effectivement pris en considération et fassent l'objet d'un approfondissement. Évitons de cultiver un concept de recherche scientifique, que l'on voudrait neutre face à l'Écriture. C'est pourquoi, en même temps que l'étude des langues dans lesquelles la Bible a été écrite et des méthodes d'interprétation qui conviennent, il est nécessaire que les étudiants aient une profonde vie spirituelle, de façon à saisir qu'on ne peut comprendre l'Écriture que si on la vit.

Dans cette perspective, je recommande que l'étude de la Parole de Dieu, transmise et écrite, ait lieu dans un esprit profondément ecclésial. Dans ce but, qu'on tienne compte, dans la formation académique, des interventions du Magistère qui « n'est pas au-dessus de la Parole de Dieu, mais est à son service, n'enseignant que ce qui a été transmis, pour autant que, par mandat divin et avec l'assistance du Saint-Esprit, il écoute cette Parole pieusement, la garde saintement et l'expose fidèlement » (159). Il convient donc de veiller à ce que les études se déroulent dans la conviction que « selon le très sage dessein de Dieu, la sainte Tradition, la Sainte Écriture et le Magistère de l'Église sont reliés et associés entre eux de telle façon qu'aucun d'entre eux ne subsiste sans les autres » (160). Je souhaite donc que, selon l'enseignement du concile Vatican II, l'étude de l'Écriture Sainte, lue dans la communion de l'Église universelle, soit réellement comme l'âme des études théologiques (161).

Les saints et l'interprétation de l'Écriture

48. L'interprétation de la Sainte Écriture demeurerait incomplète si on ne se mettait pas à l'écoute de qui a véritablement vécu la Parole de Dieu, c'est-à-dire les saints (162). De fait, « viva lectio est vita bonorum  » (163). En effet, l'interprétation la plus profonde de l'Écriture vient précisément de ceux qui se sont laissés modeler par la Parole de Dieu, à travers l'écoute, la lecture et la méditation assidue.

Ce n'est certainement pas un hasard si les grandes spiritualités qui ont marqué l'histoire de l'Église ont leur origine dans une référence explicite à l'Écriture. Je pense par exemple à saint Antoine abbé, bouleversé par les paroles du Christ : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux. Puis viens, suis-moi » (Mt 19, 21) (164). Le cas de saint Basile le Grand est tout aussi frappant, lui qui, dans les Moralia s'interroge : « Qu'est-ce qui est le propre de la foi ? C'est la pleine et indubitable certitude de la vérité des paroles inspirées par Dieu. […] Qu'est-ce qui est le propre du fidèle ? De se conformer avec cette totale certitude à ce qu'expriment les paroles de l'Écriture, et ne pas oser en retrancher ou en ajouter une seule » (165). Saint Benoît, dans sa Règle, renvoie à l'Écriture en tant que « norme parfaitement droite pour la vie humaine » (166). Saint François d'Assise – écrit Tommaso de Celano – « en entendant que les disciples du Christ ne devaient posséder ni or, ni argent, ni monnaie, ni prendre de besace, ni pain, ni bâton pour la route, ni avoir de sandales, ni deux tuniques… aussitôt, exultant dans l'Esprit Saint, s'exclama : “cela je le veux, cela je le demande, cela je désire le faire de tout mon cœur !”» (167). Sainte Claire d'Assise reprend tout à fait à son compte l'expérience de saint François : « La forme de vie de l'Ordre des Sœurs pauvres […] est celle-ci : observer le saint Évangile de notre Seigneur Jésus-Christ » (168). Saint Dominique de Guzman aussi, « partout, se présentait comme un homme évangélique, dans ses paroles comme dans ses œuvres » (169) et il voulait que tels soient ses frères prêcheurs : « des hommes évangéliques » (170). Sainte Thérèse d'Avila, carmélite, qui dans ses écrits recourt continuellement à des images bibliques pour expliquer son expérience mystique, rappelle que Jésus lui-même lui a révélé que « tout le mal du monde provient de l'absence de connaissance claire des vérités de l'Écriture Sainte » (171). Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus découvre que l'Amour est sa vocation personnelle en scrutant les Écritures, en particulier les chapitres 12 et 13 de la première Lettre aux Corinthiens (172) ; c'est la même sainte qui décrit la fascination qu'exercent les Écritures : « Je n'ai qu'à jeter les yeux dans le saint Évangile, aussitôt je respire les parfums de la vie de Jésus et je sais de quel côté courir » (173). Chaque saint est comme un rayon de lumière qui jaillit de la Parole de Dieu : pensons à saint Ignace de Loyola dans sa recherche de la vérité et dans le discernement spirituel ; à saint Jean Bosco dans sa passion pour l'éducation des jeunes ; à saint Jean-Marie Vianney dans sa conscience de la grandeur du sacerdoce comme un don et un devoir ; à saint Pio de Pietrelcina au service de la miséricorde divine ; à saint Josemaría Escrivá dans sa prédication sur l'appel universel à la sainteté ; à la bienheureuse Teresa de Calcutta, missionnaire de la charité de Dieu pour les plus délaissés, et jusqu'aux martyrs du nazisme et du communisme, représentés, d'une part, par sainte Bénédicte de la Croix (Édith Stein), moniale carmélite, et, d'autre part, par le bienheureux Aloys Stepinac, cardinal archevêque de Zagreb.

49. La sainteté dans son rapport à la Parole de Dieu s'inscrit ainsi d'une certaine façon dans la tradition prophétique, où la Parole de Dieu prend la vie même du prophète à son service. En ce sens, la sainteté dans l'Église constitue une herméneutique de l'Écriture dont personne ne peut faire abstraction. L'Esprit Saint qui a inspiré les auteurs sacrés est le même qui pousse les saints à donner leur vie pour l'Évangile. Se mettre à leur école représente un chemin sûr pour entreprendre une interprétation vivante et efficace de la Parole de Dieu.

De ce lien entre Parole de Dieu et sainteté, nous avons eu un témoignage direct pendant la XIIe Assemblée du Synode, lorsque le 12 octobre, sur la place saint Pierre, s'est déroulée la canonisation de quatre nouveaux saints : le prêtre Gaetano Errico, fondateur de la Congrégation des Missionnaires des Sacrés Cœurs de Jésus et Marie ; Mère Maria Bernarda Bütler, née en Suisse et missionnaire en Équateur et en Colombie ; Sœur Alphonsine de l'Immaculée Conception, première sainte canonisée née en Inde ; la jeune laïque équatorienne Narcisa de Jésus Martillo Morán. Par leur vie, ils ont rendu témoignage pour le monde et pour l'Église à la fécondité éternelle de l'Évangile du Christ. Demandons au Seigneur que, par l'intercession de ces saints, canonisés au cours de l'Assemblée synodale sur la Parole de Dieu, notre vie soit cette « bonne terre » sur laquelle le divin Semeur puisse semer la Parole afin qu'elle porte en nous des fruits de sainteté, « trente, soixante, cent pour un » (Mc 4, 20).

DEUXIÈME PARTIE

VERBUM IN ECCLESIA

« Mais à tous ceux qui l'ont accueilli, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu » (Jn 1,12)

La Parole de Dieu et l'Église

L'Église accueille la Parole

50. Le Seigneur énonce sa Parole afin qu'elle soit accueillie par ceux qui ont été créés « par » le Verbe lui-même. « Il est venu chez les siens » (Jn 1, 11) : la Parole ne nous est pas fondamentalement étrangère et la création a été voulue dans un rapport d'intimité avec la vie divine. Le prologue du quatrième Évangile nous place devant le refus opposé à la Parole divine par les « siens », qui « ne l'ont pas accueilli » (Jn 1, 11). Ne pas l'accueillir veut dire, ne pas écouter sa voix, ne pas se conformer au Logos. En revanche, là où l'homme, même fragile et pécheur, s'ouvre sincèrement à la rencontre avec le Christ, là commence une transformation radicale : « mais à tous ceux qui l'ont accueilli, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu » (Jn 1, 12). Accueillir le Verbe signifie se laisser modeler par lui afin d'être conforme au Christ, au « Fils unique qui vient du Père » (Jn 1, 13) par la puissance de l'Esprit Saint. Cela marque le début d'une nouvelle création. Naît alors la créature nouvelle, ainsi qu'un peuple nouveau. Ceux qui croient, ou mieux ceux qui vivent dans l'obéissance de la foi, « sont nés de Dieu » (Jn 1, 13), et sont rendus participants de la vie divine : ils sont fils dans le Fils (cf. Ga 4, 5-6 ; Rm 8, 14-17). En commentant ce passage de l'Évangile de Jean, saint Augustin dit joliment : « Par le Verbe tu as été créé, mais il est nécessaire que tu sois recréé par le Verbe » (174). Ici, nous voyons prendre forme le visage de l'Église comme une réalité déterminée par l'accueil du Verbe de Dieu qui, en se faisant chair, est venu établir sa tente au milieu de nous (Jn 1, 14). Cette demeure de Dieu parmi les hommes, cette shekinah (cf. Ex 26, 1), préfigurée dans l'Ancien Testament, se réalise maintenant dans la présence définitive de Dieu au milieu des hommes dans le Christ.

La Présence permanente du Christ dans la vie de l'Église

51. Le rapport entre le Christ, Parole du Père, et l'Église ne peut être compris comme un simple événement passé ; il s'agit plutôt d'une relation vitale dans laquelle chaque fidèle est appelé à entrer personnellement. En effet, nous parlons de la présence de la Parole de Dieu qui demeure avec nous aujourd'hui : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde » (Mt 28, 20). Comme le Pape Jean-Paul II l'a affirmé : « La présence du Christ aux hommes de tous les temps se réalise dans son Corps qui est l'Église. Pour cela, le Seigneur a promis à ses disciples l'Esprit Saint, qui leur “rappellerait” et ferait comprendre ses commandements (cf. Jn 14, 26) et serait le principe et la source d'une vie nouvelle dans le monde (cf. Jn 3, 5-8 ; Rm 8, 1-13) ». (175) La Constitution dogmatique Dei Verbum exprime ce mystère avec la terminologie biblique du dialogue nuptial : « Dieu, qui a parlé autrefois, converse sans cesse avec l'Épouse de son Fils bien-aimé, et l'Esprit-Saint, par qui la voix vivante de l'Évangile retentit dans l'Église et par l'Église dans le monde, introduit les croyants dans la vérité tout entière et fait habiter en eux la parole du Christ en abondance (cf. Col 3, 16) » (176).

L'Épouse du Christ, maîtresse de l'écoute, dit encore aujourd'hui avec foi : « Parle, Seigneur, que ton Église t'écoute » (177). C'est pourquoi la Constitution dogmatique Dei Verbumcommence ainsi : « En se mettant religieusement à l'écoute de la Parole de Dieu et en la proclamant avec assurance, le saint Concile… » (178). Il s'agit en effet d'une définition dynamique de la vie de l'Église : « Ce sont là des mots par lesquels le Concile indique un aspect qui qualifie l'Église : elle est une communauté qui écoute et annonce la Parole de Dieu. L'Église ne vit pas d'elle-même mais de l'Évangile et, de cet Évangile, elle tire toujours à nouveau une orientation pour son chemin. C'est une remarque que tout chrétien doit recevoir et appliquer à lui-même : seul celui qui se met à l'écoute de la Parole peut ensuite en devenir l'annonciateur » (179). Dans la Parole de Dieu proclamée et écoutée, dans les sacrements, Jésus dit aujourd'hui, ici et maintenant, à chacun : « Je suis tien, je me donne à toi » pour que l'homme puisse répondre et dire à son tour : « Je suis tien » (180). L'Église se manifeste ainsi comme le lieu où, par la grâce, nous pouvons expérimenter ce que dit le prologue de Saint Jean : « Mais tous ceux qui l'ont reçu, il leur a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu » (Jn 1, 12).

La liturgie, lieu privilégié de la Parole de Dieu

La Parole de Dieu dans la sainte liturgie

52. En considérant l'Église comme « la demeure de la Parole » (181), on doit d'abord prêter attention à la sainte liturgie, car elle est vraiment le lieu privilégié où Dieu nous parle au cœur de notre vie, où il parle aujourd'hui à son Peuple qui écoute et qui répond. Chaque action liturgique est par nature nourrie par les Saintes Écritures. Comme l'affirme la ConstitutionSacrosanctum Concilium, « dans la célébration de la liturgie, la Sainte Écriture est de la plus grande importance. C'est d'elle que sont tirés les textes qui sont lus et qui sont expliqués dans l'homélie, ainsi que les Psaumes qui sont chantés ; et c'est sous son inspiration et sous son impulsion que les prières, les oraisons et les hymnes liturgiques ont pris naissance et c'est d'elle que les actions et les symboles reçoivent leur signification » (182). Mieux encore, on doit dire que c'est le Christ lui-même qui « est là présent dans sa Parole, puisque lui-même parle pendant que sont lues dans l'Église les Saintes Écritures » (183). En effet, « la célébration liturgique devient elle-même une proclamation continue, pleine et efficace de la Parole de Dieu. C'est pourquoi, la Parole de Dieu, assidûment proclamée dans la liturgie est toujours vivante et efficace par la puissance de l'Esprit Saint, et manifeste l'amour agissant du Père qui ne cesse jamais d'agir pour tous les hommes » (184). L'Église a toujours été consciente que durant l'action liturgique, la Parole de Dieu est accompagnée par l'action intérieure de l'Esprit Saint qui la rend efficace dans le cœur des fidèles. En fait, c'est grâce au Paraclet que « la Parole de Dieu devient le fondement de l'action liturgique, la règle et le support de toute la vie. L'œuvre de l'Esprit Saint […] suggère au cœur de chacun tout ce qui, dans la proclamation de la Parole de Dieu, est prononcé pour l'assemblée des fidèles dans son ensemble ; et tandis qu'elle renforce l'unité de tous, elle ravive aussi la diversité des charismes et pousse à l'action sous des formes multiples » (185).

Par conséquent, pour vraiment comprendre la Parole de Dieu, il faut apprécier et vivre la valeur de l'action liturgique. En un certain sens, l'herméneutique de la foi sur la base des Saintes Écritures, doit toujours avoir comme point de référence la liturgie, où la Parole de Dieu est célébrée comme une parole actuelle et vivante : « Ainsi, dans la liturgie, l'Église suit-elle fidèlement la manière de lire et d'interpréter l'Écriture qui fut celle du Christ, lui qui, depuis l'“aujourd'hui” de sa venue, exhorte à scruter attentivement toutes les Écritures » (186).

Ici, se manifeste la sage pédagogie de l'Église qui proclame et écoute la Sainte Écriture au rythme de l'année liturgique. Cette dilatation de la Parole de Dieu dans le temps se manifeste particulièrement dans la célébration eucharistique et dans la Liturgie des Heures. Au centre de tout, resplendit le mystère pascal auquel sont reliés tous les mystères du Christ et de l'histoire du salut, qui s'actualisent sacramentalement : « Tout en célébrant ainsi les mystères de la Rédemption, elle (l'Église) ouvre aux fidèles les richesses de la puissance et des mérites de son Seigneur de telle sorte que ces mystères sont en quelque sorte rendus présents tout le temps et que les fidèles sont mis en contact avec eux et remplis de la grâce du salut » (187). J'exhorte les pasteurs de l'Église et les assistants pastoraux à faire en sorte que tous les fidèles soient formés de manière à goûter le sens profond de la Parole de Dieu qui se déploie dans la liturgie tout au long de l'année, en révélant les mystères fondamentaux de notre foi. La juste approche de la Sainte Écriture en dépend aussi.

La Sainte Écriture et les Sacrements

53. En abordant le thème de la valeur de la liturgie pour la compréhension de la Parole de Dieu, le Synode des évêques a voulu souligner aussi les relations entre la Sainte Écriture et l'action sacramentelle. On a besoin d'approfondir le lien entre parole et sacrement, aussi bien dans l'action pastorale de l'Église que dans la réflexion théologique (188). Il est certain que « la liturgie de la Parole est un élément décisif dans la célébration de chacun des sacrements de l'Église » (189) ; mais, dans l'action pastorale, les fidèles n'en ont pas toujours conscience et ne perçoivent pas toujours l'unité entre le geste et la parole. « Il appartient aux prêtres et aux diacres, surtout lorsqu'ils administrent les Sacrements, de mettre en lumière l'unité que Parole et Sacrement forment dans le ministère de l'Église ». (190) En effet, dans le rapport entre la Parole et le geste sacramentel, l'action même de Dieu dans l'histoire est manifestée sous la forme liturgique à travers le caractère performatif de la Parole. Dans l'histoire du salut en effet, il n'existe pas de séparation entre ce que Dieu dit et ce qu'il fait ; sa Parole même est vivante et efficace (cf. He 4, 12), comme le dit clairement le mot hébreu « dabar ». De même dans l'action liturgique, nous sommes mis en présence de sa Parole qui réalise ce qu'elle dit. En initiant le Peuple de Dieu à découvrir le caractère performatif de la Parole de Dieu dans la liturgie, on l'aide aussi à percevoir l'action de Dieu dans l'histoire du salut et dans l'histoire personnelle de chacun de ses membres.

La Parole de Dieu et l'Eucharistie

54. Ce qui vient d'être affirmé de façon générale sur les relations entre la Parole et les Sacrements, a un sens encore plus profond quand nous parlons de la célébration eucharistique. D'ailleurs, l'unité intime entre la Parole et l'Eucharistie se fonde sur le témoignage scripturaire (cf. Jn 6 ; Lc 24), attesté par les Pères de l'Église et réaffirmé par le concile Vatican II (191). À ce sujet, nous pensons au grand discours de Jésus sur le pain de vie dans la synagogue de Capharnaüm (cf. Jn 6, 22-69), avec sous-jacente la comparaison entre Moïse et Jésus, entre celui qui s'est entretenu avec Dieu face à face (cf. Ex 33, 11) et celui qui a révélé Dieu (cf. Jn 1, 18). Le discours sur le pain renvoie au don de Dieu, que Moïse a obtenu pour son Peuple avec la manne dans le désert et qui est en réalité la Torah, la Parole de Dieu qui fait vivre (cf. Ps 119 ; Pr 9, 5). Jésus accomplit en sa personne l'ancienne figure : « Le pain de Dieu, c'est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde… Moi, je suis le pain de vie » (Jn 6, 33.35). Ici, « la Loi est devenue une personne. Dans la rencontre avec Jésus, nous nous nourrissons pour ainsi dire du Dieu vivant lui-même, nous mangeons vraiment “le pain venu du ciel” » (192). Le prologue de Jean trouve un approfondissement dans le discours de Capharnaüm : là le Logos de Dieu devient chair, ici cette chair devient « pain » donné pour la vie du monde (cf. Jn 6, 51), faisant ainsi allusion au don que Jésus fera de lui-même dans le mystère de la Croix, qui est confirmé par l'affirmation sur son Sang donné « pour être bu » (cf. Jn 6, 53). Ainsi le mystère de l'Eucharistie révèle quelle est la vraie manne, le vrai pain du ciel : c'est le Logos de Dieu qui s'est fait chair, et qui s'est offert lui-même pour nous dans le mystère pascal.

Le récit de Luc sur les disciples d'Emmaüs nous permet d'avancer dans la réflexion sur les liens entre l'écoute de la Parole et la fraction du pain (cf. Lc 24, 13-35). Jésus s'approcha d'eux le jour après le sabbat, les écouta raconter leur espérance déçue, et, se faisant leur compagnon de route, « il leur expliqua, dans toute l'Écriture, ce qui le concernait » (24, 27). Les deux disciples commencent à regarder autrement les Écritures en compagnie de ce voyageur qui, de façon inattendue, se montre si familier de leur vie. Les événements de ces jours-là n'apparaissent plus comme un échec, mais comme un accomplissement et un nouveau départ. Pourtant, ces paroles ne semblent pas encore satisfaire les deux disciples. L'Évangile de Luc nous dit que « leurs yeux s'ouvrirent, et ils le reconnurent » (24, 31), seulement quand Jésus prit le pain, dit la bénédiction, le rompit et le leur donna, alors qu'auparavant, « leurs yeux étaient aveuglés, et ils ne le reconnaissaient pas » (24, 16). La présence de Jésus, d'abord par ses paroles, puis par la fraction du pain, a permis aux disciples de le reconnaître ; ils purent éprouver d'une manière nouvelle ce qu'ils avaient auparavant vécu avec lui : « Notre cœur n'était-il pas brûlant en nous, tandis qu'il nous parlait sur la route, et qu'il nous faisait comprendre les Écritures ? » (24, 32).

55. Ces récits montrent comment l'Écriture elle-même conduit à appréhender son lien indissoluble avec l'Eucharistie. « C'est pourquoi il faut toujours avoir présent à l'esprit que la Parole de Dieu, lue et annoncée par l'Église dans la liturgie, conduit au sacrifice de l'Alliance et au banquet de la grâce, c'est-à-dire à l'Eucharistie » (193). La Parole et l'Eucharistie sont intimement corrélées au point de ne pas pouvoir être comprises l'une sans l'autre : la Parole de Dieu se fait chair sacramentelle dans l'événement eucharistique. L'Eucharistie nous ouvre à l'intelligence de la Sainte Écriture, comme de son côté la Sainte Écriture illumine et explique le mystère eucharistique. En effet, sans la reconnaissance de la présence réelle du Seigneur dans l'Eucharistie, l'intelligence de l'Écriture demeure incomplète. C'est pourquoi, « la Parole de Dieu et le mystère eucharistique ont toujours et partout reçu de l'Église non pas le même culte mais la même vénération. C'est ce qu'elle a établi, poussée par l'exemple de son fondateur, en ne cessant jamais de célébrer son mystère pascal, en se réunissant pour “lire dans toute l'Écriture, ce qui le concernait” (Lc 24, 27), et pour réaliser l'œuvre du salut par le mémorial du Seigneur et les sacrements » (194).

La sacramentalité de la Parole

56. En rappelant le caractère performatif de la Parole de Dieu dans l'action sacramentelle et l'approfondissement de la relation entre la Parole et l'Eucharistie, nous sommes conduits à poursuivre avec un thème important, qui est aussi apparu durant l'Assemblée du Synode, concernant la sacramentalité de la Parole (195). À ce propos, il est utile de rappeler que le Pape Jean-Paul II avait fait référence à « la perspective sacramentelle de la Révélation et, en particulier, au signe eucharistique dans lequel l'unité indivisible entre la réalité et sa signification permet de saisir la profondeur du mystère » (196). De là, nous comprenons que le Mystère de l'Incarnation est vraiment à l'origine de la sacramentalité de la Parole de Dieu : « le Verbe s'est fait chair » (Jn 1, 14), la réalité du Mystère révélé nous est offerte dans la « chair » du Fils. La Parole de Dieu se rend perceptible à la foi par le « signe » des paroles et des gestes humains. La foi, donc, reconnaît le Verbe de Dieu, en accueillant les gestes et les paroles par lesquels il s'est lui-même fait connaître à nous. La perspective sacramentelle de la Révélation indique, par conséquent, la modalité historico-salvifique par laquelle le Verbe de Dieu entre dans le temps et l'espace, devenant l'interlocuteur de l'homme, qui est appelé à accueillir dans la foi le don qui lui est fait.

La sacramentalité de la Parole se comprend alors par analogie à la présence réelle du Christ sous les espèces du pain et du vin consacrés (197). En nous approchant de l'autel et en prenant part au banquet eucharistique, nous communions réellement au Corps et au Sang du Christ. La proclamation de la Parole de Dieu dans la célébration implique, pour être écoutée, la reconnaissance que le Christ lui-même est présent et s'adresse à nous (198). Sur l'attitude à avoir aussi bien envers l'Eucharistie qu'envers la Parole de Dieu, saint Jérôme affirme : « Nous lisons les Saintes Écritures. Je pense que l'Évangile est le Corps du Christ ; je pense que les Saintes Écritures sont son enseignement. Et quand il dit : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l'homme, et si vous ne buvez pas son sang (Jn 6, 53), ses paroles se réfèrent au mystère (eucharistique), toutefois, le Corps et le Sang du Christ sont vraiment la Parole de l'Écriture, c'est l'enseignement de Dieu. Quand nous nous référons au mystère (eucharistique) et qu'une miette de pain tombe, nous nous sentons perdus. Et quand nous écoutons la Parole de Dieu, c'est la Parole de Dieu et le Corps et le Sang du Christ qui tombent dans nos oreilles et nous, nous pensons à autre chose. Pouvons-nous imaginer le grand danger que nous courons ? » (199). Le Christ, réellement présent dans les espèces du pain et du vin, est présent analogiquement dans la Parole proclamée dans la liturgie. Approfondir le sens de la sacramentalité de la Parole de Dieu, peut donc favoriser une compréhension plus unifiée du mystère de la Révélation se réalisant « par des actions et des paroles intrinsèquement liées entre elles » (200), qui profitera à la vie spirituelle des fidèles et à l'action pastorale de l'Église.

La Sainte Écriture et le lectionnaire

57. En soulignant le rapport entre la Parole et l'Eucharistie, le Synode a voulu attirer l'attention sur certains aspects de la célébration, qui sont inhérents au service de la Parole. Je voudrais mentionner tout particulièrement l'importance du lectionnaire. La réforme voulue par le concile Vatican II (201) a montré ses fruits en donnant un plus large accès à la Sainte Écriture qui est maintenant abondamment proposée, surtout dans la liturgie dominicale. La structure actuelle du lectionnaire, en plus de présenter régulièrement les textes les plus importants de l'Écriture, permet de saisir l'unité du dessein divin, à travers la corrélation entre les lectures de l'Ancien et du Nouveau Testament, « dont le centre est le Christ célébré dans son mystère pascal » (202). Les quelques difficultés qui persistent dans la compréhension des relations entre les lectures des deux Testaments, doivent être considérées à la lumière de l'interprétation canonique, c'est-à-dire à la lumière de l'unité intrinsèque de toute la Bible. Là où le besoin s'en fait sentir, les services compétents peuvent pourvoir à la publication de matériel didactique qui facilitera la compréhension du lien entre les lectures proposées par le lectionnaire, qui doivent être toutes proclamées lors de la célébration liturgique, comme le prévoit la liturgie du jour. Les autres problèmes éventuels et les difficultés doivent être signalés à la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements.

En outre, nous ne devons pas oublier que le lectionnaire actuel du rite latin a aussi un sens œcuménique ; il est en effet utilisé et apprécié par des confessions qui ne sont pas encore en pleine communion avec l'Église catholique. Le problème du lectionnaire dans les liturgies des Églises catholiques orientales se pose différemment ; le Synode demande qu'il « soit analysé de manière autorisée » (203) selon les traditions propres et les compétences des Églises sui iuris en tenant compte, là aussi, du contexte œcuménique.

Proclamation de la Parole et ministère du lectorat

58. Durant l'Assemblée synodale sur l'Eucharistie, il avait déjà été demandé qu'un plus grand soin soit apporté dans la proclamation de la Parole de Dieu (204). Comme on le sait, tandis que l'Évangile est proclamé par le prêtre ou le diacre, la première et la seconde lectures, dans la tradition latine, sont proclamées par le lecteur choisi, homme ou femme. Je voudrais ici faire écho aux Pères synodaux qui, une nouvelle fois, ont insisté sur une nécessaire formation appropriée (205) de ceux qui ont le munus du lecteur dans la célébration liturgique (206) et, tout particulièrement, le ministère du lectorat qui, comme tel dans le rite latin, est un ministère laïc. Il est nécessaire que les lecteurs chargés d'un tel service, même s'ils n'ont pas été institués, soient vraiment aptes et préparés avec soin. Une telle préparation doit être aussi bien biblique et liturgique que technique : « La formation biblique doit permettre aux lecteurs de situer les lectures dans leur contexte propre et de comprendre, à la lumière de la foi, le point central du message révélé. La formation liturgique doit fournir aux lecteurs la possibilité de saisir le sens et la structure de la liturgie de la Parole et de comprendre les liens entre celle-ci et la liturgie eucharistique. La préparation technique doit rendre les lecteurs toujours plus compétents dans l'art de lire devant le peuple, soit directement, soit en utilisant les moyens modernes qui amplifient la voix » (207).

L'importance de l'homélie

59. « Les fonctions et les charges qui reviennent à chacun par rapport à la Parole de Dieu sont également variées : ainsi, les fidèles écoutent et méditent cette Parole, tandis que, seuls, la présentent ceux qui ont reçu, par l'Ordination, la charge du Magistère, ou ceux à qui l'exercice de ce même ministère a été confié » (208), à savoir les évêques, les prêtres et les diacres. À partir de là, on comprend l'attention que le Synode a donnée au thème de l'homélie. Déjà dans l'Exhortation apostolique post-synodale Sacramentum caritatis, je rappelais qu'« en relation avec l'importance de la Parole de Dieu, il est nécessaire d'améliorer la qualité de l'homélie. Elle “fait partie de l'action” liturgique ; elle a pour fonction de favoriser une compréhension plus large et plus efficace de la Parole de Dieu dans la vie des fidèles » (209). L'homélie est en effet une actualisation du message scripturaire pour aider les fidèles à découvrir la présence et l'action de la Parole de Dieu dans l'aujourd'hui de leur vie. Elle doit aussi conduire à la compréhension du mystère qui est célébré, inviter à la mission, préparer l'assemblée à la profession de foi, à la prière universelle et à la liturgie eucharistique. Par conséquent, que ceux qui, en vertu de leur ministère spécial, sont chargés de la prédication, prennent à cœur cette tâche. On doit éviter les homélies vagues et abstraites, qui occultent la simplicité de la Parole de Dieu, comme aussi les digressions inutiles qui risquent d'attirer l'attention plus sur le prédicateur que sur le contenu du message évangélique. Il doit être clair pour les fidèles que ce qui tient vraiment au cœur du prédicateur, c'est de montrer le Christ qui doit être le centre de toute l'homélie. Pour ce faire, il convient que les prédicateurs aient une familiarité et un contact assidu avec le texte sacré (210) ; qu'ils se préparent à l'homélie dans la méditation et la prière afin de pouvoir prêcher avec conviction et passion. L'Assemblée synodale a demandé à se poser ces quelques questions : « Que disent les lectures proclamées ? Que me disent-elles à moi personnellement ? Que dois-je dire à la communauté, en tenant compte de sa situation concrète ? » (211). Le prédicateur doit « être le premier à être interpellé par la Parole de Dieu qu'il annonce » (212), car, comme le dit Saint Augustin : « qui prêche extérieurement la Parole de Dieu et ne l'écoute pas intérieurement ne peut pas porter du fruit » (213). Qu'on prenne particulièrement soin de l'homélie du dimanche et des solennités ; mais qu'on n'omette pas pour autant durant les messes de semaine cum populo, si possible, d'offrir de brèves réflexions appropriées à la situation, pour aider les fidèles à accueillir et à faire fructifier la Parole qu'ils ont écoutée.

L'opportunité d'un Directoire homilétique

60. Prêcher d'une manière juste en s'appuyant sur le lectionnaire est vraiment un art qui doit être cultivé. C'est pourquoi, en continuité avec ce qui a été demandé par le précédent Synode (214), je prie les autorités compétentes, conformément au Compendium eucharistique (215), de publier des outils pratiques pour aider les ministres à assurer le mieux possible leur ministère, en réalisant par exemple un directoire sur l'homélie où les prédicateurs pourraient trouver une aide précieuse pour se préparer à l'exercice de leur ministère. Comme nous le rappelle saint Jérôme, la prédication doit enfin être accompagnée par le témoignage d'une bonne vie : « Que tes actions ne trahissent pas tes paroles, pour qu'il n'advienne pas que, quand tu prêches dans l'église, quelqu'un commente intérieurement : “Pourquoi donc n'agis-tu pas toi-même ainsi ?” […]. L'esprit et la parole doivent s'accorder dans le prêtre du Christ » (216).

Parole de Dieu, réconciliation et onction des malades

61. Certes l'Eucharistie se trouve sans aucun doute au centre de la relation entre la Parole de Dieu et les Sacrements, mais il est bon d'insister aussi sur l'importance de la Sainte Écriture dans les autres sacrements, en particulier les sacrements de guérison, le sacrement de réconciliation ou de pénitence, et le sacrement de l'onction des malades. La référence à la Sainte Écriture y est souvent négligée, alors qu'il faut lui donner la place qui lui revient. En effet, on ne doit jamais oublier que « la Parole de Dieu est parole de réconciliation parce qu'en elle Dieu réconcilie en lui toute chose (cf. 2 Co 5, 18-20 ; Ep 1, 10). Le pardon miséricordieux de Dieu, incarné en Jésus, relève le pécheur » (217). La Parole de Dieu « éclaire le croyant pour lui faire discerner ses péchés, l'invite à la conversion et à la confiance en la miséricorde de Dieu » (218). Pour l'aider à mieux voir la puissance de réconciliation que possède la Parole de Dieu, on recommande à chaque pénitent de se préparer à la confession en méditant un passage approprié de la Sainte Écriture et de commencer sa confession par la lecture ou l'écoute d'une des exhortations bibliques proposées par le rituel. Puis au moment de la contrition, il est bon que le pénitent prenne « une prière formée de paroles tirées de la Sainte Écriture » (219) prévue par le rite. Quand cela est possible, il est bon qu'à certains moments de l'année ou quand l'occasion s'en présente, la confession individuelle des pénitents se fasse dans le cadre de célébrations pénitentielles, selon ce que prévoit le rituel, dans le respect des différentes traditions liturgiques, pour pouvoir donner toute sa place à la célébration de la Parole par l'usage de lectures appropriées.

En ce qui concerne le sacrement de l'onction des malades, qu'on n'oublie pas que « la force de guérison de la Parole de Dieu est un appel puissant à une continuelle conversion personnelle de celui qui l'écoute » (220). La Sainte Écriture contient un grand nombre de pages qui montrent le réconfort, le soutien et la guérison donnés par l'intervention de Dieu. Qu'on se souvienne en particulier de la proximité de Jésus à l'égard de ceux qui souffrent : lui-même, le Verbe de Dieu incarné, s'est chargé de nos douleurs et il a souffert par amour pour l'homme, en donnant ainsi un sens à la maladie et à la mort. Il est bon que, dans les paroisses et dans les hôpitaux, on célèbre en communauté, en fonction des circonstances, le sacrement des malades. Qu'on donne en ces occasions une large place à la célébration de la Parole et qu'on aide les fidèles malades à vivre dans la foi leur état de souffrance, en union avec le sacrifice rédempteur du Christ qui nous délivre du mal.

Parole de Dieu et liturgie des heures

62. Parmi les formes de prière qui exaltent la Sainte Écriture, il y a sans aucun doute la liturgie des heures. Les Pères synodaux ont affirmé qu'elle constitue « une forme privilégiée d'écoute de la Parole de Dieu parce qu'elle met en contact les fidèles avec l'Écriture sainte et avec la Tradition vivante de l'Église » (221). On doit avant tout rappeler la dignité théologique et ecclésiale de cette prière. En effet, « dans la liturgie des heures, l'Église, exerçant la fonction sacerdotale de son Chef, offre à Dieu “incessamment” (1 Th 5, 17) le sacrifice de louange, c'est-à-dire le fruit des lèvres qui confessent son nom (cf. He 13, 15). Cette prière est “la voix de l'Épouse elle-même qui s'adresse à son Époux ; et mieux encore, c'est la prière du Christ que celui-ci, avec son Corps, présente au Père” » (222). À ce sujet, le concile Vatican II avait affirmé : « Tous ceux qui assurent cette charge accomplissent l'office de l'Église et, en même temps, participent de l'honneur suprême de l'Épouse du Christ, parce qu'en s'acquittant des louanges divines, ils se tiennent devant le trône de Dieu au nom de la Mère Église » (223). Dans la liturgie des heures, prière publique de l'Église, apparaît l'idéal chrétien de sanctification de toute la journée, rythmée par l'écoute de la Parole de Dieu et par la prière des psaumes, si bien que toute activité trouve son point de référence dans la louange offerte à Dieu.

Ceux qui, par leur état de vie, sont tenus à la récitation de la liturgie des heures doivent accomplir fidèlement cet engagement pour le bien de toute l'Église. Les évêques, les prêtres et les diacres ordonnés en vue du sacerdoce, qui ont reçu de l'Église la mission de célébrer cette liturgie, ont l'obligation d'acquitter chaque jour toutes les heures (224). Dans les Églises catholiques orientales sui iuris, cette obligation sera respectée en fonction des indications données par leur droit propre (225). En outre, j'encourage les communautés de Vie consacrée à être exemplaires dans la célébration de la liturgie des heures, au point de devenir une référence et une source d'inspiration pour la vie spirituelle et pastorale de toute l'Église.

Le Synode a exprimé le désir de voir se diffuser plus largement dans le Peuple de Dieu ce genre de prière, surtout la récitation des laudes et des vêpres. Un tel développement ne pourra que faire grandir parmi les fidèles la familiarité avec la Parole de Dieu. On doit aussi souligner la valeur de la liturgie des heures pour les premières vêpres du dimanche et des solennités, notamment dans les Églises catholiques orientales. C'est pourquoi je recommande que, là où c'est possible, les paroisses et les communautés religieuses favorisent cette prière en y associant les fidèles.

La Parole de Dieu et le livre des bénédictions

63. Pour le livre des bénédictions, on fera attention à la place prévue pour la proclamation, l'écoute et l'explication de la Parole de Dieu, grâce à de brèves monitions. En effet, dans les cas prévus par l'Église et à la demande des fidèles, le geste de la bénédiction n'est pas à isoler, mais à relier à son niveau à la vie liturgique du Peuple de Dieu. En ce sens, la bénédiction, véritable signe sacré, « puise son sens et son efficacité de la proclamation de la Parole de Dieu » (226). Il est donc important de profiter aussi de ces occasions pour raviver chez les fidèles la faim et la soif de toute parole qui sort de la bouche de Dieu (cf. Mt 4, 4).

Suggestions et propositions concrètes pour l'animation liturgique

64. Après avoir rappelé quelques éléments essentiels des rapports entre liturgie et Parole de Dieu, je désire maintenant reprendre et mettre en valeur quelques propositions et suggestions faites par les Pères synodaux pour rendre le Peuple de Dieu toujours plus familier avec la Parole de Dieu dans le cadre des actions liturgiques ou du moins de ce qui s'y rapporte.

a) Célébrations de la Parole de Dieu

65. Les Pères synodaux ont exhorté tous les pasteurs à encourager dans les communautés qui leur sont confiées les temps de célébration de la Parole (227). Ce sont des occasions privilégiées de rencontre avec le Seigneur. De telles pratiques ne peuvent qu'apporter une grande aide aux fidèles et être considérées comme des éléments importants de formation liturgique. Ces célébrations ont une importance particulière pour la préparation de l'Eucharistie dominicale, afin de donner aux fidèles la possibilité de pénétrer davantage dans la richesse du lectionnaire pour méditer et prier la Sainte Écriture, surtout dans les temps forts de la liturgie, l'Avent et Noël, le Carême et Pâques. La célébration de la Parole de Dieu est fortement recommandée plus particulièrement dans les communautés qui, par manque de prêtres, ne peuvent pas célébrer le sacrifice eucharistique aux fêtes d'obligation. En tenant compte des indications déjà exprimées dans l'Exhortation apostolique post-synodale Sacramentum caritatis sur les assemblées dominicales en l'absence de prêtre (228), je recommande que les autorités compétentes élaborent des rituels, en tenant compte de l'expérience des Églises particulières. Ainsi seront favorisées, dans de telles circonstances, des célébrations de la Parole pouvant nourrir la foi des croyants, tout en évitant de les confondre avec les célébrations eucharistiques ; « Elles devraient plutôt être des occasions privilégiées de prière adressée à Dieu pour qu'il envoie de saints prêtres selon son cœur » (229).

Les Pères synodaux ont recommander de célébrer la Parole de Dieu à l'occasion des pèlerinages, des fêtes particulières, des missions populaires, des retraites spirituelles et des jours spéciaux de pénitence, de réparation et de pardon. À propos des différentes formes de piété populaire, bien qu'il ne s'agisse pas d'actes liturgiques et qu'il faille éviter toute confusion, il est néanmoins bon qu'elles s'en inspirent et que, surtout, elles donnent une juste place à la proclamation et à l'écoute de la Parole de Dieu ; en effet, « la piété populaire trouvera dans la Sainte Écriture une source inépuisable d'inspiration, des modèles de prière inégalables et des propositions particulièrement fécondes de thèmes » (230).

b) La Parole et le silence

66. De nombreuses interventions des Pères synodaux ont insisté sur la valeur du silence en lien avec la Parole de Dieu et sa réception dans la vie des fidèles (231). En effet, la Parole ne peut être prononcée et entendue que dans le silence, extérieur et intérieur. Notre époque ne favorise pas le recueillement et, parfois, on a l'impression que les gens ont peur de se détacher, même provisoirement, des moyens de communication de masse. C'est pourquoi il est nécessaire aujourd'hui d'éduquer le Peuple de Dieu à la valeur du silence. Redécouvrir le caractère central de la Parole de Dieu dans la vie de l'Église veut dire redécouvrir le sens du recueillement et de la paix intérieure. La grande Tradition patristique nous enseigne que les mystères du Christ sont tous liés au silence (232) ; par le silence seul, la Parole peut faire en nous sa demeure, comme chez Marie, qui est tout à la fois la femme de la Parole et du silence. Nos liturgies doivent faciliter cette attitude d'écoute authentique : Verbo crescente, verba deficiunt (233).

L'importance est particulièrement dans la liturgie de la Parole, qui « doit se célébrer de manière à favoriser la méditation » (234). Le silence, quand il est prévu, doit être considéré « comme une partie de la célébration » (235). C'est pourquoi j'exhorte les pasteurs à encourager les moments de recueillement, grâce auxquels, avec l'aide de l'Esprit Saint, la Parole de Dieu est reçue dans les cœurs.

c) Proclamation solennelle de la Parole de Dieu

67. Le Synode a fait aussi une autre suggestion : solenniser, surtout dans les fêtes liturgiques importantes, la proclamation de la Parole, spécialement de l'Évangile, en utilisant l'évangéliaire porté en procession pendant le rite d'entrée, puis placé sur l'ambon par le diacre ou par un prêtre pour être proclamé. Ceci peut aider le Peuple de Dieu à prendre conscience que « la lecture de l'Évangile constitue le sommet de cette liturgie de la Parole » (236). En suivant les indications de la présentation générale du lectionnaire de la messe, il est bon que la proclamation de la Parole de Dieu, notamment de l'Évangile, soit mise en valeur par le chant surtout en certaines solennités. Il serait bon de chanter le salut, l'annonce initiale « Évangile de… » et la fin « Acclamons la Parole de Dieu », pour souligner l'importance de ce qui a été lu (237).

d) La Parole de Dieu dans l'Église

68. Pour favoriser l'écoute de la Parole de Dieu, il ne faut pas négliger les moyens qui peuvent aider les fidèles à avoir une plus grande attention. Il est nécessaire pour cela de se soucier de l'acoustique des édifices sacrés, dans le respect des normes liturgiques et architecturales. « Lors de la construction d'églises, les évêques, dûment aidés, doivent être attentifs à ce que celles-ci soient des lieux adaptés à la proclamation de la Parole, à la méditation et à la célébration eucharistique. Les espaces saints, qui présentent le mystère chrétien en relation avec la Parole de Dieu, doivent le faire de manière éloquente, même en dehors des célébrations liturgiques » (238).

On fera particulièrement attention à l'ambon en tant que lieu liturgique d'où est proclamée la Parole de Dieu. Il doit être placé en un endroit bien visible qui attire spontanément l'attention des fidèles pendant la liturgie de la Parole. Il est bon qu'il soit fixe, sculpté de manière harmonieuse avec l'esthétique de l'autel, pour représenter concrètement aussi le sens théologique des deux tables de la Parole et de l'Eucharistie. Depuis l'ambon, on proclame les lectures, le psaume responsorial et l'annonce de la Pâque ; on peut également y faire l'homélie et y dire la prière des fidèles (239).

Les Pères synodaux suggèrent en outre que, dans les églises, il y ait un lieu privilégié pour la Sainte Écriture même en-dehors des célébrations (240). En effet, il est bon que le livre qui contient la Parole de Dieu bénéficie d'une place d'honneur à l'intérieur de l'édifice chrétien, sans pour autant priver de sa place centrale le tabernacle qui contient le Très Saint Sacrement (241).

e) Exclusivité des textes bibliques dans la liturgie

69. En outre, le Synode a fortement insisté sur ce qui, d'ailleurs, a déjà été fixé par la norme liturgique de l'Église (242) : les lectures tirées de la Sainte Écriture ne doivent jamais être remplacées par d'autres textes, aussi significatifs soient-ils du point de vue pastoral ou spirituel : « Aucun texte de spiritualité ou de littérature ne peut atteindre la valeur et la richesse contenues dans les Saintes Écritures qui sont la Parole de Dieu » (243). Il s'agit d'une règle antique de l'Église qui doit être conservée (244). Face à certains abus, le Pape Jean-Paul II avait déjà rappelé l'importance de ne jamais remplacer la Sainte Écriture par d'autres lectures (245). Souvenons-nous que le psaume responsorial est une Parole de Dieu, par laquelle nous répondons à la voix du Seigneur, et qu'il ne doit donc pas être remplacé par d'autres textes, et qu'il convient tout à fait de le chanter.

f) Chant liturgique bibliquement inspiré

70. Dans le cadre de la valorisation de la Parole de Dieu durant la célébration liturgique, on fera aussi attention aux chants retenus pour les moments prévus selon chaque rite. La préférence doit être donnée à ceux qui sont inspirés par la Bible et qui expriment, par l'harmonie des paroles et de la musique, la beauté de la Parole divine. En ce sens, il est bon de mettre en valeur les chants que la Tradition de l'Église nous a transmis et qui respectent ce critère. Je pense en particulier à l'importance du chant grégorien (246).

g) Attention particulière aux aveugles et aux sourds

71. Dans ce contexte, je voudrais aussi rappeler que le Synode a recommandé que l'on fasse particulièrement attention à ceux qui, à cause de leur état, ont des difficultés à participer activement à la liturgie, comme par exemple ceux qui ne voient pas ou n'entendent pas. J'encourage les communautés chrétiennes à prévoir, dans la mesure du possible, toutes les aides adaptées aux frères et aux sœurs qui souffrent de tels handicaps, afin qu'il leur soit donné, à eux aussi, la possibilité d'un contact vivant avec la Parole du Seigneur (247).

La Parole de Dieu dans la vie de l'Église

Rencontrer la Parole de Dieu dans la Sainte Écriture

72. S'il est vrai que la liturgie est le lieu privilégié de la proclamation, de l'écoute et de la célébration de la Parole de Dieu, il est tout aussi vrai que cette rencontre doit être préparée dans le cœur des fidèles et qu'ils doivent surtout l'approfondir et l'assimiler. En effet, la vie chrétienne est essentiellement caractérisée par la rencontre avec Jésus-Christ qui nous appelle à le suivre. C'est pourquoi le Synode des évêques a réaffirmé plusieurs fois l'importance de la pastorale des communautés chrétiennes comme le cadre approprié où peut commencer un itinéraire personnel et communautaire par rapport à la Parole de Dieu, et servir de fondement à la vie spirituelle. Avec les Pères du Synode, j'exprime mon vif désir pour que fleurisse « une nouvelle saison de plus grand amour pour la Sainte Écriture, de la part de tous les membres du Peuple de Dieu, afin que la lecture orante et fidèle dans le temps leur permette d'approfondir leur relation avec la personne même de Jésus » (248).

Dans l'histoire de l'Église, de nombreux saints ont parlé sur la nécessité de connaître l'Écriture pour grandir dans l'amour du Christ. C'est particulièrement évident chez les Pères de l'Église. Saint Jérôme, grand « amoureux » de la Parole de Dieu se demandait souvent : « Comment pourrait-on vivre sans la science des Écritures, à travers lesquelles on apprend à connaître le Christ lui-même, qui est la vie des croyants ? » (249). Il était bien conscient que la Bible est le moyen « par lequel Dieu parle chaque jour aux croyants » (250). Il conseille ainsi Leta, une matrone romaine, pour l'éducation de sa fille : « Assure-toi qu'elle étudie chaque jour un passage de l'Écriture… À la prière fais suivre la lecture, et à la lecture, la prière… Plutôt que les bijoux et les vêtements de soie, qu'elle aime les livres divins » (251). Ce que saint Jérôme écrivait au prêtre Neposianus vaut aussi pour nous : « Lis fréquemment les Divines Écritures ; et même, que le Livre saint ne soit jamais enlevé de tes mains. Apprends-y ce que tu dois enseigner » (252). À l'exemple de ce grand saint qui consacra sa vie à l'étude de la Bible et qui en donna à l'Église sa traduction latine, la Vulgate, et de tous les saints qui ont mis au cœur de leur vie spirituelle la rencontre avec le Christ, renouvelons notre engagement à approfondir la parole que Dieu a donnée à l'Église. De cette façon nous pourrons tendre à ce « haut degré de la vie chrétienne ordinaire » (253), souhaité par le Pape Jean-Paul II au commencement du troisième millénaire chrétien, qui se nourrit constamment de l'écoute de la Parole de Dieu.

L'animation biblique de la pastorale

73. Dans cette ligne, le Synode a invité à un engagement pastoral particulier en insistant sur la place centrale de la Parole de Dieu dans la vie ecclésiale, recommandant « d'intensifier “la pastorale biblique” non en la juxtaposant à d'autres formes de la pastorale, mais comme animation biblique de toute la pastorale » (254). Il ne s'agit donc pas d'ajouter quelques rencontres dans la paroisse ou dans le diocèse, mais de s'assurer que dans les activités habituelles des communautés chrétiennes, des paroisses, des associations et des mouvements on ait vraiment à cœur de favoriser la rencontre personnelle avec le Christ qui se communique à nous dans sa Parole. Ainsi, si « l'ignorance des Écritures est ignorance du Christ » (255), l'animation biblique de toute la pastorale ordinaire et extraordinaire conduira à une plus grande connaissance de la personne du Christ, qui révèle le Père et est la plénitude de la Révélation divine.

J'exhorte donc les pasteurs et les fidèles à tenir compte de l'importance de cette insistance sur la Bible : ce sera aussi la meilleure façon de faire face à certains problèmes pastoraux discutés au cours de l'Assemblée synodale liés, par exemple, à la prolifération des sectes qui répandent une lecture déformée et instrumentalisée de la Sainte Écriture. Là où les fidèles ne se forment pas à une connaissance de la Bible selon la foi de l'Église dans le creuset de sa Tradition vivante, on laisse de fait un vide pastoral dans lequel des réalités comme les sectes peuvent trouver un terrain favorable pour s'implanter. C'est pourquoi il est nécessaire de donner une préparation adéquate à des prêtres et à des laïcs afin qu'ils puissent instruire le Peuple de Dieu dans une approche authentique des Écritures.

En outre, comme cela a été souligné durant les travaux synodaux, il est bon que dans l'action pastorale soit favorisé le développement de petites communautés, « composées de familles, enracinées dans les paroisses ou liées aux divers mouvements ecclésiaux ou nouvelles communautés » (256), dans lesquelles seront encouragées la formation, la prière et la connaissance de la Bible selon la foi de l'Église.

Dimension biblique de la catéchèse

74. Un aspect important de l'animation pastorale de l'Église, qui peut, s'il est utilisé avec sagesse, aider à redécouvrir le caractère central de la Parole de Dieu, est la catéchèse qui, sous ses diverses formes et phases et à différents niveaux, doit toujours accompagner le Peuple de Dieu. La rencontre des disciples d'Emmaüs avec Jésus décrite par l'évangéliste Luc (cf. Lc 24, 13-35) représente, en un certain sens, le modèle d'une catéchèse centrée sur « l'explication des Écritures », une explication que seul le Christ est en mesure de donner (cf. Lc 24, 27-28), car il montre leur accomplissement dans sa personne (257). C'est ainsi que renaît l'espérance, plus forte que tout échec, qui fait de ces disciples des témoins convaincus et fiables du Ressuscité.

Dans le Directoire général pour la catéchèse, nous trouvons des indications précieuses pour la catéchèse biblique et j'y renvoie volontiers (258). Ici, je désire d'abord et avant tout souligner que la catéchèse « doit s'imprégner et se pénétrer de la pensée, de l'esprit et des attitudes bibliques et évangéliques par un contact assidu avec les textes eux-mêmes ; ce qui veut aussi rappeler que la catéchèse sera d'autant plus riche et efficace qu'elle lira les textes avec l'intelligence et le cœur de l'Église » (259) et qu'elle s'inspirera de la réflexion et de la vie deux fois millénaire de l'Église. On doit donc encourager la connaissance des personnes, des événements et des passages les plus connus ; on apprenait par cœur certains textes bibliques – particulièrement ceux qui parlent des mystères chrétiens. L'activité catéchétique implique toujours de rapprocher les Écritures de la foi et de la Tradition de l'Église, de sorte que ces paroles soient perçues comme vivantes, tout comme le Christ est vivant aujourd'hui là où deux ou trois se réunissent en son nom (cf. Mt 18, 20). Elle doit communiquer de façon vitale l'histoire du salut et les contenus de la foi de l'Église, afin que tout fidèle reconnaisse que cette histoire est aussi une partie de la sienne.

Ici, il est important d'insister sur le lien entre la Sainte Écriture et le Catéchisme de l'Église catholique, comme l'a rappelé le Directoire général pour la catéchèse : « En effet, l'Écriture sainte, “Parole de Dieu mise par écrit sous l'inspiration de l'Esprit Saint” et le Catéchisme de l'Église catholique, expression actuelle de la Tradition vivante de l'Église et norme sûre pour l'enseignement de la foi, sont appelés, chacun à sa façon, et selon son autorité spécifique, à féconder la catéchèse dans l'Église contemporaine » (260).

Formation biblique des chrétiens

75. Pour atteindre le but souhaité par le Synode de donner un caractère plus fortement biblique à toute la pastorale de l'Église, il est nécessaire qu'il y ait une bonne formation des chrétiens et, en particulier, des catéchistes. À cet égard, il faut insister sur l'apostolat biblique, une excellente méthode, comme le montre l'expérience ecclésiale. Les Pères synodaux ont aussi recommandé que, si possible à travers les structures académiques déjà existantes, soient mis en place des centres de formation pour laïcs et pour missionnaires, où l'on apprenne à comprendre, à vivre et à annoncer la Parole de Dieu, et que, là où on en voit la nécessité, soient instaurés des instituts spécialisés d'études bibliques pour permettre aux exégètes d'avoir une solide compréhension de la théologie et une juste appréciation du contexte de leur mission (261).

La Sainte Écriture dans les grands rassemblements ecclésiaux

76. Parmi les multiples initiatives qui peuvent être prises, le Synode suggère que, dans les rassemblements, aussi bien au niveau diocésain que national ou international, l'importance de la Parole de Dieu, de son écoute et de la lecture croyante et orante de la Bible soit soulignée le plus possible. Par conséquent, dans les congrès eucharistiques, nationaux et internationaux, aux Journées mondiales de la Jeunesse et dans les autres rencontres il sera bon de donner une plus grande place aux célébrations de la Parole et aux temps de formation biblique (262).

Parole de Dieu et vocations

77. Le Synode, en soulignant l'exigence intrinsèque de la foi d'approfondir la relation avec le Christ, Parole de Dieu parmi nous, a voulu aussi mettre en évidence le fait que cette Parole appelle chacun en termes personnels, révélant ainsi que la vie elle-même est vocation par rapport à Dieu. Cela veut dire que plus nous approfondissons notre relation avec le Seigneur Jésus, plus nous nous apercevons qu'il nous appelle à la sainteté, au moyen de choix radicaux par lesquels notre vie répond à son amour, assumant des tâches et des ministères pour édifier l'Église. C'est dans cette perspective qu'il faut comprendre les nombreuses invitations faites par le Synode à tous les chrétiens d'approfondir leur relation avec la Parole de Dieu en tant que baptisés, mais aussi en tant qu'appelés à vivre selon les divers états de vie. Ici nous touchons l'un des points essentiels de la doctrine du concile Vatican II qui a insisté sur la vocation à la sainteté de tout fidèle, chacun dans son propre état de vie (263). C'est dans la Sainte Écriture que se trouve révélée notre vocation à la sainteté : « Vous serez saints parce que je suis Saint » (Lv 11, 44 ; 19, 2 ; 20, 7). Saint Paul en souligne, à son tour, la racine christologique : dans le Christ, le Père « nous a choisis avant la création du monde, pour que nous soyons, dans l'amour, saints et irréprochables sous son regard » (Ep 1, 4). Ainsi pouvons-nous entendre comme adressé à chacun de nous son salut aux frères et aux sœurs de la communauté de Rome : « À tous les bien-aimés de Dieu… aux saints par vocation, à vous grâce et paix de par Dieu notre Père et le Seigneur Jésus-Christ » (Rm 1, 7).

a) Parole de Dieu et ministres ordonnés

78. Je désire d'abord m'adresser aux ministres ordonnés de l'Église pour leur rappeler ce qu'a affirmé le Synode : « La Parole de Dieu est indispensable pour former le cœur d'un bon pasteur, ministre de la Parole » (264). Évêques, prêtres, diacres ne peuvent en aucune façon penser vivre leur vocation et leur mission sans un engagement ferme et renouvelé à sa sanctification dont l'un des piliers se trouvedans le contact avec la Parole de Dieu.

79. À ceux qui sont appelés à l'épiscopat, et qui sont les premiers annonciateurs autorisés de la Parole, je désire réaffirmer ce qui a été dit par le Pape Jean-Paul II dans l'Exhortation apostolique post-synodale Pastores gregis. Pour nourrir et faire progresser sa vie spirituelle, l'évêque doit toujours mettre « à la première place la lecture et la méditation de la Parole de Dieu. Tout évêque devra toujours se confier et se sentir confié “à Dieu et à son message de grâce, qui a le pouvoir de construire l'édifice et de faire participer les hommes à l'héritage de ceux qui ont été sanctifiés” (Ac 20, 32). C'est pourquoi, avant d'être un messager de la Parole, l'évêque, avec ses prêtres et comme tout fidèle, comme l'Église elle-même, doit être un auditeur de la Parole. Il doit habiter “à l'intérieur” de la Parole, pour se laisser garder et nourrir par elle, comme dans le sein maternel » (265). À l'imitation de Marie, Virgo audiens et Reine des Apôtres, je recommande à tous mes frères évêques la lecture personnelle fréquente et l'étude assidue de la Sainte Écriture.

80. Aux prêtres aussi, je voudrais rappeler les paroles du Pape Jean-Paul II qui, dans l'Exhortation apostolique post-synodale Pastores dabo vobis, a rappelé que « le prêtre est avant tout Ministre de la Parole de Dieu. Il est consacré et envoyé pour annoncer à tous l'Évangile du Royaume, appelant tout homme à l'obéissance de la foi et conduisant les croyants à une connaissance et à une communion toujours plus profonde du mystère de Dieu, à nous révélé et communiqué par le Christ. C'est pourquoi le prêtre lui-même doit tout d'abord acquérir une grande familiarité avec la Parole de Dieu. Il ne lui suffit pas d'en connaître l'aspect linguistique ou exégétique, ce qui est cependant nécessaire. Il lui faut accueillir la Parole avec un cœur docile et priant, pour qu'elle pénètre à fond dans ses pensées et ses sentiments et engendre en lui un esprit nouveau, “la pensée du Christ” (1 Co 2, 16) » (266). Ainsi, ses paroles, et plus encore ses choix et ses attitudes seront toujours plus transparents à l'Évangile, l'annonceront et en rendront témoignage. « C'est seulement “en demeurant” dans la Parole que le prêtre deviendra parfait disciple du Seigneur, connaîtra la vérité et sera vraiment libre » (267).

En définitive, l'appel au sacerdoce demande d'être consacrés « dans la vérité ». Jésus lui-même formule cette exigence à l'égard de ses disciples : « Consacre-les par la vérité : ta parole est vérité. De même que tu m'as envoyé dans le monde, moi aussi je les ai envoyés dans le monde » (Jn 17, 17-18). Les disciples sont en un certain sens « attirés dans l'intimité de Dieu par leur immersion dans la Parole de Dieu. La Parole de Dieu est, pour ainsi dire, le bain qui les purifie, le pouvoir créateur qui les transforme dans l'être de Dieu » (268). Et puisque le Christ lui-même est la Parole de Dieu faite chair (Jn 1, 14), qu'il est « la vérité » (Jn 14, 6), alors la prière de Jésus au Père « Consacre-les par la vérité » veut dire au sens le plus profond : « Fais qu'ils ne soient qu'un avec moi, le Christ. Attache-les à moi. Attire-les en moi. Et, de fait, il n'existe qu'un seul prêtre de la Nouvelle Alliance, Jésus-Christ lui-même » (269). Il est donc nécessaire que les prêtres grandissent toujours plus profondément dans la conscience de cette réalité.

81. Je voudrais maintenant parler de la place de la Parole de Dieu dans la vie de ceux qui sont appelés au diaconat, non seulement comme le dernier degré précédent l'ordre du presbytérat, mais comme service permanent. Le Directoire pour la formation des diacres permanents affirme que, de « l'identité théologique du diaconat, dérivent clairement les traits de sa spiritualité spécifique, qui se présente essentiellement comme une spiritualité de service. Le modèle par excellence est le Christ serviteur, qui a vécu totalement au service de Dieu pour le bien des hommes » (270). On comprend dès lors que, parmi les différentes dimensions du ministère diaconal, « un élément caractéristique de la spiritualité diaconale est la Parole de Dieu, dont le diacre est appelé à être un prédicateur autorisé, en croyant ce qu'il proclame, en enseignant ce qu'il croit, en vivant ce qu'il enseigne » (271). Je recommande donc aux diacres de se nourrir de la lecture croyante de la Sainte Écriture, de l'étude et de la prière. Qu'ils soient formés à « la Sainte Écriture et à sa juste interprétation ; à la théologie de l'Ancien et du Nouveau Testament ; au rapport réciproque entre l'Écriture et la Tradition ; en particulier à l'usage de l'Écriture dans la prédication, dans la catéchèse et dans l'activité pastorale en général » (272).

b) La Parole de Dieu et les candidats à l'ordination

Le Synode a accordé une importance particulière au rôle capital de la Parole de Dieu dans la vie spirituelle des candidats au sacerdoce ministériel : « Les candidats au sacerdoce doivent apprendre à aimer la Parole de Dieu. Que l'Écriture soit donc l'âme de leur formation théologique, en soulignant la circularité indispensable entre exégèse, théologie, spiritualité et mission » (273). Les aspirants au sacerdoce ministériel sont appelés à une profonde relation personnelle avec la Parole de Dieu, en particulier dans la Lectio divina, pour que leur vocation elle-même se nourrisse de cette relation : c'est dans la lumière et dans la force de la Parole de Dieu que chacun peut découvrir, comprendre, aimer et suivre sa vocation propre et accomplir sa mission, faisant grandir dans le cœur les pensées de Dieu, de sorte que la foi, en tant que réponse à la Parole, devienne le nouveau critère de jugement et d'évaluation des hommes et des choses, des événements et des problèmes (274).

Cette attention à la lecture priante de l'Écriture ne doit en aucune façon conduire à une dichotomie avec l'étude exégétique demandée au temps de la formation. Le Synode a recommandé que les séminaristes soient aidés concrètement à voir les rapports entre l'étude biblique et la prière avec l'Écriture. Étudier les Écritures doit permettre une meilleure conscience du mystère de la Révélation divine et favoriser une attitude de réponse priante au Seigneur qui parle. De même, une authentique vie de prière ne pourra que faire grandir dans l'âme du candidat le désir de connaître toujours plus le Dieu qui s'est révélé dans sa Parole comme amour infini. Par conséquent, on devra prendre grand soin de cultiver dans la vie des séminaristes cette réciprocité entre étude et prière. Il est donc nécessaire que les candidats soient initiés à l'étude de la Sainte Écriture par des méthodes qui en favorisent une telle approche intégrale.

c) Parole de Dieu et Vie consacrée

83. En ce qui concerne la Vie consacrée, le Synode a rappelé qu'elle « naît de l'écoute de la Parole de Dieu et accueille l'Évangile comme règle de vie » (275). Vivre à la suite du Christ, chaste, pauvre et obéissant, est ainsi une « “exégèse” vivante de la Parole de Dieu » (276). L'Esprit Saint, grâce auquel la Bible a été écrite, est le même Esprit qui éclaire « d'une lumière nouvelle la Parole de Dieu aux fondateurs et aux fondatrices. D'elle tout charisme est né et d'elle, toute règle veut être l'expression » (277), en donnant vie à des chemins de vie chrétienne caractérisés par la radicalité évangélique.

Je voudrais rappeler que la grande Tradition monastique a toujours considéré la méditation de l'Écriture sainte comme un élément constitutif de sa spiritualité propre, en particulier sous la forme de la Lectio divina. Aujourd'hui encore, les anciennes et nouvelles formes de consécration particulière sont appelées à être de véritables écoles de vie spirituelle où les Écritures sont lues selon l'Esprit Saint dans l'Église, afin que tout le Peuple de Dieu puisse en bénéficier. Le Synode recommande donc que dans les communautés de Vie consacrée, on ait toujours le souci d'une formation solide à la lecture croyante de la Bible (278).

Une nouvelle fois, je désire me faire l'interprète de la sollicitude et de la gratitude que le Synode a exprimées à l'égard des formes de vie contemplative qui, en vertu de leur charisme spécifique, consacrent une grande partie de leurs journées à imiter la Mère de Dieu, qui méditait assidûment les paroles et les gestes de son Fils (cf. Lc 2, 19. 51), et Marie de Béthanie qui, assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole (cf. Lc 10, 38). Ma pensée se tourne en particulier vers les moines et moniales cloîtrés qui, par leur séparation du monde, se trouvent plus intimement unis au Christ, cœur du monde. Plus que jamais, l'Église a besoin du témoignage de ceux qui s'engagent à « ne rien préférer à l'amour du Christ » (279). Le monde actuel est souvent trop absorbé par les activités extérieures où il risque de se perdre. Les contemplatifs et les contemplatives, par leur vie de prière, d'écoute et de méditation de la Parole de Dieu nous rappellent que l'homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu (cf. Mt 4, 4). Par conséquent, tous les fidèles doivent bien se souvenir qu'une telle forme de vie « indique au monde d'aujourd'hui la chose la plus importante, et c'est même en fin de compte la seule chose décisive : il existe une ultime raison pour laquelle il vaut la peine de vivre, qui est Dieu et son amour impénétrable » (280).

d) La Parole de Dieu et les fidèles laïcs

84. Le Synode a très souvent tourné son attention vers les fidèles laïcs, les remerciant de leur généreux engagement dans la diffusion de l'Évangile dans leurs différents milieux de vie, au travail, à l'école, en famille et dans l'éducation (281). Cette responsabilité, qui vient du baptême, doit pouvoir se développer à travers une vie chrétienne toujours plus consciente, capable de rendre raison de l'espérance qui est en nous (cf. 1 P 3, 15). Jésus, dans l'Évangile de Matthieu, indique que « le champ c'est le monde ; le bon grain, ce sont les fils du Royaume » (13, 38). Ces paroles s'appliquent particulièrement aux laïcs chrétiens qui vivent leur vocation personnelle à la sainteté dans une existence selon l'Esprit qui s'exprime « de façon particulière dans leur insertion dans les réalités temporelles et dans leur participation aux activités terrestres » (282). Ils ont besoin d'être formés pour discerner la volonté de Dieu grâce à une familiarité avec la Parole de Dieu, lue et étudiée dans l'Église, sous la conduite des pasteurs légitimes. Ils peuvent acquérir cette formation dans les écoles de grandes spiritualités ecclésiales, toutes enracinées dans l'Écriture Sainte. Que selon leurs possibilités, les diocèses eux-mêmes fassent des offres de formation aux laïcs ayant des responsabilités ecclésiales particulières (283).

e) La Parole de Dieu, le mariage et la famille

85. Le Synode a aussi éprouvé la nécessité de souligner le rapport entre la Parole de Dieu, le mariage et la famille chrétienne. En effet, « en annonçant la Parole de Dieu, l'Église révèle à la famille chrétienne sa véritable identité, autrement dit ce qu'elle est et ce qu'elle doit être selon le dessein du Seigneur » (284). Il faut donc ne jamais perdre de vue que la Parole de Dieu est à l'origine du mariage (cf. Gn 2, 24) et que Jésus lui-même a voulu faire du mariage une des institutions de son Royaume (cf. Mt 19, 4-8), élevant à la dignité de sacrement ce qui était inscrit à l'origine dans la nature humaine. « Dans la célébration sacramentelle, l'homme et la femme prononcent une parole prophétique de don mutuel, d'être “une seule chair”, signe du mystère de l'union du Christ et de l'Église (cf. Ep 5, 31-32) » (285). La fidélité à la Parole de Dieu amène aussi à constater qu'aujourd'hui cette institution est attaquée sous de nombreux aspects par la culture ambiante. Face au désordre général des sentiments et à l'apparition de modes de pensée qui banalisent le corps humain et la différence sexuelle, la Parole de Dieu réaffirme la bonté originelle de l'être humain, créé homme et femme, et appelé à l'amour fidèle, réciproque et fécond.

Du grand mystère conjugal, provient l'incontournable responsabilité des parents à l'égard de leurs enfants. En effet, c'est à la paternité et à la maternité vécues de façon authentique qu'il revient de communiquer et de témoigner du sens de la vie dans le Christ : à travers leur fidélité et l'unité de la vie de famille, les époux sont pour leurs enfants les premiers messagers de la Parole de Dieu. La communauté ecclésiale doit les soutenir et les aider à favoriser la prière en famille, l'écoute de la Parole et la connaissance de la Bible. C'est pourquoi le Synode insiste pour que chaque foyer ait sa Bible et la conserve dignement, afin de pouvoir la lire et l'utiliser dans la prière. Toute l'aide nécessaire doit pouvoir être fournie par des prêtres, des diacres ou des laïcs bien préparés. Le Synode a aussi recommandé la création de petites communautés composées de familles, où l'on pratique la prière et la méditation en commun de passages choisis des Écritures (286). Que les époux se rappellent, en outre, « que la Parole de Dieu est aussi un précieux soutien dans les difficultés de la vie conjugale et familiale » (287).

Dans ce contexte, je désire encore souligner ce que le Synode a recommandé au sujet du rôle des femmes à l'égard de la Parole de Dieu. La contribution du « génie féminin » – comme l'appelait le Pape Jean-Paul II (288), – à l'intelligence de l'Écriture et à la vie entière de l'Église, est plus grande aujourd'hui que par le passé et touche aussi désormais le domaine des études bibliques elles-mêmes. Le Synode s'est arrêté en particulier sur le rôle indispensable des femmes dans la famille et dans l'éducation, dans la catéchèse, dans la transmission des valeurs. En effet, elles « savent susciter l'écoute de la Parole, la relation personnelle avec Dieu et transmettre le sens du pardon et du partage évangélique » (289), comme elles savent aussi être messagers d'amour, modèles de miséricorde et artisans de paix, communicatrices de chaleur et d'humanité dans un monde qui, trop souvent, juge les personnes selon les critères froids de l'exploitation et du profit.

La lecture orante de la Sainte Écriture et la Lectio divina

86. Le Synode a insisté à plusieurs reprises sur la nécessité d'une approche priante du texte sacré comme élément fondamental de la vie spirituelle de tout croyant, dans les divers ministères et états de vie, faisant notamment référence à la Lectio divina (290). La Parole de Dieu est, en effet, à la base de toute spiritualité chrétienne authentique. Les Pères synodaux se sont ainsi mis en syntonie avec ce qu'affirme la Constitution dogmatique Dei Verbum : « Que les fidèles […] approchent de tout leur cœur le texte sacré lui-même, soit par la sainte liturgie, qui est remplie des paroles divines, soit par une pieuse lecture, soit par des cours faits pour cela ou par d'autres méthodes qui, avec l'approbation et le soin qu'en prennent les pasteurs de l'Église, se répandent de manière louable partout de notre temps. Mais la prière – qu'on se le rappelle – doit accompagner la lecture de la Sainte Écriture » (291). La réflexion conciliaire entendait reprendre la grande Tradition patristique qui a toujours recommandé d'approcher l'Écriture en établissant un dialogue avec Dieu. Comme le dit saint Augustin : « Ta prière est ta parole adressée à Dieu. Quand tu lis, c'est Dieu qui te parle ; quand tu pries, c'est toi qui parles avec Dieu » (292). Origène, l'un des maîtres de cette lecture de la Bible, soutient que l'intelligence des Écritures demande, plus encore que l'étude, l'intimité avec le Christ et la prière. Il est convaincu, en effet, que la voie privilégiée pour connaître Dieu est l'amour, et que l'on n'acquiert pas une authentique scientia Christi sans grandir dans son amour. Dans laLettre à Grégoire, le grand théologien d'Alexandrie recommande : « Applique-toi principalement à la lecture des divines Écritures : applique-toi bien à cela. […] En t'appliquant à les lire avec l'intention de croire et de plaire à Dieu, frappe, dans ta lecture, à la porte de ce qui est fermé, et il t'ouvrira, le portier dont Jésus a dit : “À celui-là le portier ouvre”. En t'appliquant à cette divine lecture, cherche avec droiture et avec une confiance inébranlable en Dieu le sens des divins Écrits, caché au grand nombre. Ne te contente pas de frapper et de chercher, car il est absolument nécessaire de prier pour comprendre les choses divines. C'est pour nous y exhorter que le Sauveur a dit non seulement : “Frappez et l'on vous ouvrira” et “Cherchez et vous trouverez”, mais aussi : “Demandez et l'on vous donnera” » (293).

Toutefois, à ce propos, il faut éviter le risque d'une approche individualiste, et nous rappeler que la Parole de Dieu nous est précisément donnée pour construire la communion, pour nous unir dans la vérité durant notre marche vers Dieu. C'est une Parole qui s'adresse à chacun personnellement, mais c'est aussi une Parole qui construit la communauté, qui construit l'Église. C'est pourquoi le texte sacré doit toujours être abordé en communion avec l'Église. En effet, « il est très important d'effectuer une lecture communautaire […], car le sujet vivant de l'Écriture sainte c'est le Peuple de Dieu, c'est l'Église. […] L'Écriture n'appartient pas au passé, car son sujet, le Peuple de Dieu inspiré par Dieu lui-même, est toujours le même, et la Parole est donc toujours vivante dans le sujet vivant. C'est pourquoi il est important de lire l'Écriture sainte et d'entendre l'Écriture sainte dans la communion de l'Église, c'est-à-dire avec tous les grands témoins de cette Parole, en commençant par les premiers Pères jusqu'aux saints d'aujourd'hui, jusqu'au Magistère actuel » (294).

Par conséquent, pour la lecture orante de l'Écriture sainte, le lieu privilégié est la liturgie, l'Eucharistie en particulier, durant laquelle, en célébrant le Corps et le Sang du Christ dans le sacrement, la Parole elle-même se rend présente au milieu de nous. En un certain sens, la lecture priante, personnelle et communautaire, doit toujours être vécue en relation avec la célébration eucharistique. Comme l'adoration eucharistique prépare, accompagne et continue la célébration eucharistique (295), de même la lecture priante, personnelle et communautaire, prépare, accompagne et approfondit ce que l'Église célèbre en proclamant la Parole, dans le cadre liturgique. En mettant en aussi étroite relation Lectio et liturgie, on peut mieux saisir les critères qui doivent guider cette lecture dans le contexte de la pastorale et de la vie spirituelle du Peuple de Dieu.

87. Dans les documents qui ont préparé et accompagné le Synode, on a parlé de diverses méthodes pour approcher avec fruit et dans la foi les Écritures saintes. Mais on a surtout parlé de la Lectio divina, qui « est capable d'ouvrir au fidèle le trésor de la Parole de Dieu, et de provoquer ainsi la rencontre avec le Christ, Parole divine vivante » (296). Je voudrais ici en rappeler brièvement les étapes principales : elle s'ouvre par la lecture (lectio) du texte qui provoque une question portant sur la connaissance authentique de son contenu : que dit le texte biblique ? Sans cette étape, le texte risquerait de n'être qu'un prétexte pour ne jamais sortir de nos pensées. Puis vient la méditation (meditatio) qui pose la question suivante : que nous dit le texte biblique ? Ici, chacun personnellement, mais aussi en tant que membre d'une communauté, doit se laisser toucher et remettre en question, car il ne s'agit pas de considérer des paroles prononcées dans le passé mais dans le présent. Ensuite suit la prière (oratio) qui sous-tend cette autre question : que disons-nous au Seigneur en réponse à sa Parole ? La prière comme requête, intercession, action de grâce et louange, est la première manière par laquelle la Parole nous transforme. Enfin, la Lectio divina se termine par la contemplation (contemplatio), au cours de laquelle nous adoptons, comme un don de Dieu, le même regard que lui pour juger la réalité, et nous nous demandons : quelle conversion de l'esprit, du cœur et de la vie le Seigneur nous demande-t-il ? Saint Paul, dans la Lettre aux Romains affirme : « Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour savoir reconnaître quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait » (12, 2). La contemplation, en effet, tend à nous permettre de jeter, sur la réalité, un regard de sagesse, conforme à Dieu, et à former en nous « la pensée du Christ » (1 Co 2, 16). La Parole de Dieu se présente ici comme un critère de discernement : « elle est vivante, […] énergique et plus coupante qu'une épée à deux tranchants ; elle pénètre au plus profond de l'âme, jusqu'aux jointures et jusqu'aux moelles ; elle juge des intentions et des pensées du cœur » (He 4, 12). Il est bon, ensuite, de rappeler que la Lectio divina ne s'achève pas dans sa dynamique tant qu'elle ne débouche pas dans l'action (actio), qui pousse le croyant à faire le don de lui-même pour les autres dans la charité.

Ces étapes se trouvent synthétisées et résumées de manière sublime dans la figure de la Mère de Dieu, modèle pour tous les fidèles de l'accueil docile de la Parole divine. Elle « conservait avec soin toutes ces choses, en les méditant dans son cœur » (Lc 2, 19 ; cf. 2, 51), elle savait trouver le lien profond qui unit les événements, les faits et les réalités, apparemment disparates, dans le grand dessein de Dieu (297).

Je voudrais aussi rappeler ce qui a été recommandé durant le Synode en ce qui concerne l'importance de la lecture personnelle de l'Écriture comme pratique, qui prévoit la possibilité, dans les conditions habituelles de l'Église, d'acquérir une indulgence, pour soi ou pour les défunts (298). La pratique des indulgences (299) s'appuie sur la doctrine des mérites infinis du Christ – que l'Église, comme ministre de la Rédemption, dispense et applique, mais elle suppose aussi celle de la communion des saints et nous dit « combien nous sommes unis intimement dans le Christ les uns avec les autres et combien la vie surnaturelle de chacun peut bénéficier aux autres » (300). De ce point de vue, la lecture de la Parole de Dieu nous soutient sur notre chemin de pénitence et de conversion, nous permet d'approfondir le sens de notre appartenance à l'Église et nous permet de grandir dans la familiarité avec Dieu. Comme l'affirmait saint Ambroise : « Lorsque nous prenons en main les Écritures saintes avec foi et les lisons avec l'Église, l'homme revient se promener avec Dieu dans le paradis » (301).

La Parole de Dieu et la prière mariale

88. Rappelant le lien indissociable entre la Parole de Dieu et Marie de Nazareth, j'invite, en union avec les Pères synodaux, à promouvoir parmi les fidèles, surtout dans leur vie de famille, les prières mariales comme une aide pour méditer les saints mystères présents dans l'Écriture. Un moyen très utile est, par exemple, la récitation personnelle ou communautaire du saint Rosaire (302), qui reprend avec Marie les mystères de la vie du Christ (303), que le Pape Jean-Paul II a voulu enrichir avec les mystères lumineux (304). Il convient que l'énoncé des différents mystères soit accompagné de brefs passages de la Bible relatifs au mystère annoncé, afin de favoriser la mémorisation de certains extraits significatifs de l'Écriture relatifs aux mystères de la vie du Christ.

Par ailleurs, le Synode a recommandé d'encourager les fidèles à la récitation de la prière de l'Angelus Domini. Il s'agit d'une prière simple et profonde qui, en union avec la Mère de Dieu, nous permet de nous « remémorer chaque jour le mystère du Verbe incarné » (305). Il est bon que le Peuple de Dieu, les familles et les communautés de personnes consacrées soient fidèles à cette prière mariale que la Tradition invite à réciter à l'aurore, à midi et au coucher du soleil. Dans la prière de l'Angelus Domini, nous demandons à Dieu, par l'intercession de Marie, qu'il nous soit donné d'accomplir comme elle la volonté de Dieu et d'accueillir en nous sa Parole. Cette pratique peut nous aider à approfondir en nous un authentique amour pour le mystère de l'Incarnation.

Diverses prières anciennes de l'Orient chrétien qui, en référence à la Theotokos, la Mère de Dieu, retracent toute l'histoire du salut, méritent aussi d'être connues, appréciées et diffusées. Nous pensons en particulier à l'Akathistos et à la Paraklesis. Il s'agit d'hymnes de louange chantés sous forme de litanies, imprégnés de la foi de l'Église et de références bibliques, qui aident les fidèles à méditer avec Marie les mystères du Christ. En particulier, l'hymne sacré à la Mère de Dieu, dit Akathistos – c'est-à-dire que l'on chante debout –, représente l'une des expressions les plus élevées de la piété mariale de la Tradition byzantine (306). Prier en utilisant ces mots dilate l'âme et la dispose à la paix qui vient d'en-haut, de Dieu, à cette paix qui est le Christ lui-même, né de Marie pour notre salut.

La Parole de Dieu et la Terre sainte

89. En nous souvenant du Verbe de Dieu qui se fait chair dans le sein de Marie de Nazareth, notre cœur se tourne, à présent, vers cette Terre où s'est accompli le Mystère de notre Rédemption et d'où la Parole de Dieu s'est répandue jusqu'aux confins de la terre. En effet, par l'action de l'Esprit Saint, le Verbe s'est incarné en un moment précis et en un lieu déterminé, sur un coin de terre aux limites de l'empire romain. C'est pourquoi, plus nous voyons l'universalité et l'unicité de la personne du Christ, plus nous considérons avec gratitude cette terre où Jésus est né, a vécu et s'est donné lui-même pour nous. Les pierres sur lesquelles notre Rédempteur a marché restent pour nous riches de souvenirs et continuent à « crier » la Bonne Nouvelle. C'est pourquoi les Pères synodaux ont rappelé l'heureuse expression qui parle de la Terre sainte comme du « cinquième Évangile » (307). Comme il est important qu'en ces lieux se trouvent des communautés chrétiennes, malgré les nombreuses difficultés ! Le Synode des évêques exprime sa profonde proximité à tous les chrétiens qui vivent sur la terre de Jésus, en témoignant de leur foi dans le Ressuscité. Là, les chrétiens sont appelés à servir non seulement comme « un phare de la foi pour l'Église universelle, mais aussi comme un levain d'harmonie, de sagesse et d'équilibre dans la vie d'une société qui, traditionnellement, a été et continue d'être pluraliste, multiethnique et multi-religieuse » (308).

La Terre sainte est encore aujourd'hui un but de pèlerinage pour le peuple chrétien, un lieu de prière et de pénitence, ainsi qu'en témoignent, déjà dans l'antiquité, des auteurs comme saint Jérôme (309). Plus nous tournons notre regard et notre cœur vers la Jérusalem terrestre, plus s'embrasent en nous le désir de la Jérusalem céleste, véritable but de tout pèlerinage, et la passion pour que le nom de Jésus, en qui seul réside le salut, soit reconnu par tous (cf. Ac 4, 12).

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