Année du sacerdoce

Audience générale du 24 juin 2009

Texte original italien dans l'Osservatore Romano du 25 juin (*)

Chers Frères et Sœurs,

Vendredi dernier, en la solennité du Sacré Cœur de Jésus, jour traditionnellement consacré à la prière pour la sanctification des prêtres, j'avais la joie d'inaugurer l'Année du sacerdoce dont l'induction a été décidée à l'occasion du 150e anniversaire de la « naissance au ciel » du curé d'Ars, saint Jean-Baptiste-Marie Vianney (1). Ce fut presque le premier geste que je fis en pénétrant dans la basilique vaticane, un geste symbolique, que celui de m'arrêter dans la Chapelle chorale pour y vénérer la relique de ce saint pasteur d'âmes, son propre cœur. Pourquoi une année du sacerdoce ? Et pourquoi précisément en mémoire du saint curé d'Ars qui n'a apparemment rien fait d'extraordinaire ?

La Divine Providence a fait en sorte que son souvenir soit rapproché de celui de saint Paul. Car, en effet, alors que se termine l'Année paulinienne, dédiée à l'Apôtre des nations qui présente un extraordinaire modèle d'évangélisateur ayant accompli plusieurs voyages missionnaires pour la diffusion de l'Évangile, cette nouvelle Année jubilaire nous invite à tourner notre regard sur un pauvre paysan devenu un humble curé de paroisse, qui a accompli son service pastoral dans un petit village. Alors même que les deux saints sont très différents l'un de l'autre quant au déroulement individuel de leur vie, l'un allant de pays en pays pour annoncer l'Évangile et l'autre accueillant des milliers et des milliers de fidèles sans bouger jamais de sa petite paroisse, il y a quelque chose de fondamental qui les rapproche : c'est l'identification totale de chacun à son ministère, sa communion avec le Christ, qui faisait dire à saint Paul : « J'ai été crucifié avec le Christ. Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20). Et saint Jean-Marie Vianney aimait à répéter : « Si nous avions la foi, nous verrions Dieu caché dans le prêtre comme une lumière derrière la vitre, comme le vin mêlé à l'eau ». Et donc, ainsi que je l'ai écrit dans la lettre envoyée aux prêtres pour cette occasion (2), le but de cette Année du sacerdoce est de favoriser la tension de chaque prêtre « vers la perfection spirituelle dont dépend d'abord l'efficacité de son ministère », et avant tout d'aider les prêtres, comme avec eux tout le Peuple de Dieu, à découvrir et à renforcer en eux la conscience de l'extraordinaire et indispensable don de grâce que représente le ministère ordonné pour celui qui l'a reçu, pour l'Église entière et pour le monde, lequel serait perdu sans la présence réelle du Christ.

Deux conceptions différentes du sacerdoce

Indéniablement, les conditions historiques et sociales ne sont plus celles dans lesquelles vivait le curé d'Ars, et il est normal de se demander comment les prêtres peuvent, au sein des sociétés modernes mondialisées, l'imiter dans leur identification avec leur propre ministère. En un monde où le regard porté communément sur la vie comprend de moins en moins le sacré, à la place duquel la « fonctionnalité » devient l'unique catégorie décisive, la conception catholique du sacerdoce, parfois même à l'intérieur de la conscience ecclésiale, pourrait risquer de perdre la considération qui lui est naturellement due. Ainsi, ce n'est pas un hasard si, autant dans les milieux théologiques que dans la pratique pastorale concrète et dans la formation du clergé, se juxtaposent, voire se confrontent, deux conceptions différentes du sacerdoce. Il y a quelques années déjà, je relevais à ce propos qu'il existe « d'un côté une conception socio-fonctionnelle qui définit l'essence du sacerdoce par le concept de service : le service de la communauté dans l'accomplissement d'une fonction ; d'autre part, il y a la conception ontologico-sacramentelle qui, évidemment, ne nie pas le caractère de service du sacerdoce, mais le voit aussi comme ancré à l'être du ministre, et considère que cet être est déterminé par un don accordé par le Seigneur à travers une médiation de l'Église qu'on appelle sacrement » (J. Ratzinger, « Ministero e vita del Sacerdote », dans Elementi di Teologia fondamentale Saggio su fede e ministero, Brescia, 2005 ; p. 165). Le glissement terminologique lui-même, le passage du terme « sacerdoce » à ceux de « service, ministère, charge » est un signe de ces différences de conception. Car le premier d'entre eux, celui d'une référence ontologico-sacramentelle, renvoie au primat de l'Eucharistie dans le binôme « sacerdoce-sacrifice » ; tandis que le second renverrait au primat de la parole et du service de l'annonce.

À tout bien considérer, il ne s'agit pas de deux conceptions opposées, et la tension qui existe effectivement entre elles se résout de l'intérieur. C'est ainsi que le décret Presbyterorum ordinis du concile Vatican II affirme : « En effet, l'annonce apostolique de l'Évangile convoque et rassemble le Peuple de Dieu, afin que tous […] s'offrent eux-mêmes en “victime vivante, sainte, agréable à Dieu” (Rm 12, 1). Mais c'est par le ministère des prêtres que se consomme le sacrifice spirituel des chrétiens, en union avec le sacrifice du Christ, unique Médiateur, offert au nom de toute l'Église dans l'Eucharistie par les mains des prêtres, de manière non sanglante et sacramentelle, jusqu'à ce que vienne le Seigneur lui-même » (loc. cit. n. 2).

Nous nous demandons alors : « Pour les prêtres, que signifie exactement évangéliser ? En quoi consiste ce qu'on appelle le primat de l'annonce ? ». Jésus parle de l'annonce du Royaume de Dieu comme du véritable but de sa venue dans le monde, et son annonce n'est pas seulement un « discours ». Elle inclut simultanément son action : les signes et les miracles qu'il accomplit montrent que le Royaume vient dans le monde comme réalité présente, qui coïncide en fin de compte avec sa personne même. Dans ce sens, il faut rappeler que, dans le primat de l'annonce aussi, paroles et signes sont indivisibles. La prédication chrétienne ne proclame pas « des paroles », mais la Parole, et l'annonce coïncide avec la personne même du Christ, ontologiquement ouverte à la relation avec le Père et obéissant à sa volonté. Il en découle qu'un service authentique de la Parole requiert de la part du prêtre une profonde abnégation au point qu'il puisse dire avec l'Apôtre : « Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi ». Le prêtre ne peut pas se dire « maître » de la parole, mais son serviteur. Il n'est pas la parole, mais, comme le proclamait Jean Baptiste dont nous célébrons justement aujourd'hui la nativité, il est la « voix » de la Parole : « Voix de celui qui crie dans le désert : préparez la route au Seigneur, rendez droits ses sentiers » (Mc 1, 3).

Participer au sacrifice du Christ

Or, être la « voix » de la Parole ne constitue pas pour le prêtre un simple aspect fonctionnel ; au contraire, cela suppose un substantiel anéantissement dans le Christ, par la participation à son mystère de mort et de résurrection de tout le moi : intelligence, liberté, volonté et offrande du corps en sacrifice vivant (cf. Rm 12, 1-2). Il n'y a que la participation au sacrifice du Christ, à sa kénose, qui fasse que l'annonce soit authentique ! Tel est le chemin à parcourir avec le Christ pour arriver à dire au Père avec lui : que soit fait « non pas ce que je veux, mais ce que tu veux » (Mc 14, 36). De la sorte, l'annonce comporte toujours également le sacrifice de soi, condition de son authenticité et de son efficacité.

Alter Christus, le prêtre est profondément uni au Verbe du Père qui, en s'incarnant, a pris la forme de serviteur, est devenu serviteur (cf. Ph 2, 5-11). Le prêtre est le serviteur du Christ dans ce sens que son existence, ontologiquement configurée au Christ, assume un caractère essentiellement relationnel : il est en Christ, par le Christ et avec le Christ, au service des hommes. Et c'est parce qu'il appartient au Christ que le prêtre est radicalement au service des hommes : il est ministre de leur salut, de leur bonheur, de leur authentique libération, en progressant dans cette assomption continue de la volonté du Christ, dans la prière, dans le « cœur à cœur » avec lui. C'est ainsi que se définit la condition imprescriptible de toute annonce, laquelle comporte la participation à l'offrande sacramentelle de l'Eucharistie et l'obéissance docile à l'Église.

Le saint curé d'Ars répétait souvent, les larmes aux yeux : « Comme il est effrayant d'être prêtre ! ». Et il ajoutait : « Comme il est à plaindre, le prêtre qui célèbre la messe comme un acte ordinaire ! Comme il est malheureux le prêtre sans vie intérieure ! ». Puisse l'Année du sacerdoce amener tous les prêtres à s'identifier totalement à Jésus crucifié et ressuscité, pour que, à l'imitation de saint Jean Baptiste, ils soient prêts à « diminuer » afin qu'il croisse ; pour que, à l'exemple du curé d'Ars, ils aient constamment et profondément conscience de la responsabilité de leur mission qui est signe et présence de la miséricorde infinie de Dieu. Nous confions à la Vierge, Mère de l'Église, l'Année du sacerdoce qui vient de commencer, et tous les prêtres du monde.

(*) Traduction de Fr. Michel Taillé pour La DC. Sous-titres et notes de La DC.


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