L'identité confessionnelle: richesse et défi

Conférence du cardinal Walter Kasper au Kirchentag oecuménique de Berlin

Du 28 mai au 1er juin, s'est déroulé a Berlin (Allemagne) le premier Kirchentag oecuménique.


(En rouge quelques commentaires)

Cette fête des églises protestantes se tient tous les deux ans, en alternance avec le Katholikentag, fête des catholiques.

Cette année, de 200 000 a 400 000 protestants et catholiques, selon les jours, ont assiste ensemble a cette première grande fête oecuménique nationale. M. Johannes Rau, chef de l état fédéral, et le chancelier Gerhard Schrosder étaient présents a la cérémonie d'ouverture. De nombreux représentants des églises catholique et protestantes ont pris la parole. Le cardinal Walter Kasper, évêque émérite de Rottenburg-Stuttgart, actuel président du Conseil pontifical pour la promotion de l'Unité des chrétiens, a fait une intervention remarquée sur la situation et les enjeux du dialogue oecuménique, en s'impliquant personnellement. Nous publions le texte de sa conférence:

C'est une joie pour moi que d'être invite a ce Kirchentag et d'avoir la possibilité de vous adresser la parole. Je repense volontiers aux diverses occasions que j'ai eues d'assister ou de participer a un Kirchentag ou un Katholikentag. Ce premier Kirchentag oecuménique a malgré tout quelque chose d'unique, et je l'ai attendu, dans ma fonction actuelle, avec un très grand intérêt et plus encore une vive espérance. Je désire féliciter les chrétiens catholiques et protestants allemands d'avoir eu le courage de mettre sur pied une manifestation oecuménique aussi exceptionnelle.

On m'a propose le sujet:: L'identité confessionnelle richesse et défi. Je dois avouer que cette formulation m'a tout d'abord fait problème. On pourrait s'y tromper et considérer que la diversité confessionnelle, et donc la division de l'unique église de Jésus-Christ en une multitude de confessions, chacune avec son identité propre, est une richesse, et que le défi consiste a préserver cette prétendue richesse en enterrant et en oubliant le plus vite possible le but de l'oecuménisme, c'est-à-dire l'unité visible de tous les chrétiens.

Pareil programme n'est malheureusement pas imaginaire. On le trouve chez des gens qui pensent que la multitude des confessions est une richesse et qu'il suffirait qu'elles se reconnaissent mutuellement et admettent tous leurs membres a la communion, le reste pouvant plus ou moins rester inchangé. Quelqu'un m'a dit une fois: Pourquoi pas ? La concurrence fait marcher les affaires. J'ai répondu que mille ans d'une malheureuse concurrence avec les églises d'Orient et près de 500 ans de concurrence entre chrétientés catholique et protestante ont apporte suffisamment de malheurs a l'Europe et spécialement a l'Allemagne. Pour l'amour de Dieu, finissons-en une bonne fois ! De par la volonté du Christ, nous ne sommes pas concurrents, mais frères et soeurs.

Pour écarter tout malentendu je voudrais donc, avant d'en venir a mon sujet, commencer par dire quelque chose de la question sans doute la plus fondamentale: l'oecuménisme - richesse et défi.

I. L'oecuménisme - richesse et défi

Dans mon enfance et ma jeunesse - c'était encore avant la Deuxième Guerre mondiale -, c'est a peine si le thème de ce Kirchentag : Il vous faut être une bénédiction eut pu venir a l'esprit de quiconque. Le mot oecuménisme était alors loin d'être sur toutes les lèvres. Les noms de Luther et de Calvin étaient pour nous du langage malséant et je n'aurais pas mis les pieds dans une église protestante sans y être oblige. Dix ans encore avant le Concile Vatican II, durant mes études de théologie a Tubingue, il nous était interdit d'assister aux cours des protestants, ce qui évidemment ne les rendait que plus attrayants pour les jeunes étudiants que nous étions.

On ne compte plus, Dieu merci, les heureux changements intervenus. Protestants, catholiques, orthodoxes, membres des églises libres ne se considèrent plus aujourd'hui comme des adversaires, des concurrents, des étrangers, mais comme des amis. Ils vivent, ils travaillent et ils prient ensemble. Avec ce Kirchentag, protestants, catholiques, orthodoxes et églises libres disent : Nous voulons être une bénédiction les uns pour les autres. Que cela soit aujourd'hui non seulement pensable mais réalité est pour moi un motif de joie et de gratitude. On n'a pas la le vent inconstant de l'esprit du moment mais un signe de l'action du Saint-Esprit. L'oecuménisme est une richesse, une bénédiction.

Le mouvement oecuménique est une des rares éclaircies du XXe siècle, - siècle catastrophique, sombre, sanglant. Âpres 1000 ans de division entre églises d'Orient et d'Occident, près de 500 ans de division d'églises en Occident, avec toutes les déplorables conséquences des guerres de religion, des inimitiés, des polémiques, des incompréhensions et des préjugés jusque dans les familles, une véritable conversion s'est produite. Les chrétiens se sont redécouverts frères et soeurs en Christ.

Les missions ont joue un rôle déterminant dans l'apparition du mouvement oecuménique. La première Conférence mondiale des missions ö Edimbourg, en 1920, constatait que la division de l'église est un empêchement majeur a la diffusion de l'évangile. Nous autres, chrétiens, avec nos divisions, devenons a nous-mêmes un obstacle. Nous nous ôtons toute crédibilité aux yeux du monde. C'est pourquoi on ne peut ressentir la multitude des confessions comme une richesse; elle est un scandale qui nous met en contradiction avec la volonté de Jésus-Christ : que tous soient un. On ne peut s'y résigner.

A cela s'est ajoute chez nous, en Allemagne, un deuxième fait: l'expérience du Troisième Reich et de la Deuxième Guerre mondiale. Soldats catholiques et protestants étaient ensemble dans les tranchées, résistants catholiques et protestants se sont retrouves en camps de concentration, catholiques et protestants victimes d'expulsions ou réfugies n'ont plus habite séparément dans leurs régions confessionnelles mais sont devenus voisins; les églises catholique et protestantes ont vu ensemble disparaître leur ancienne prépondérance du temps ou l'Europe était encore imprégnée des valeurs chrétiennes; elles se voient confrontées solidairement aux religions non-ch retiennes, notamment l'Islam, aux nouveaux mouvements religieux et aux sectes, et elles connaissent le même sort de la plongée dans une culture sécularisée, indifférente a la religion. Elles se demandent avec raison: pouvons-nous nous payer encore longtemps le luxe de nos divisions?

La réponse a cette question forge les catholiques et les protestants aujourd'hui, qu'ils le veuillent ou non, en une communauté de destin; elle est facteur de solidarité entre chrétiens. Les chrétiens sépares ont pris conscience qu'ils n'ont d'avenir qu'en commun. Il n'y a pas d'alternative a l'oecuménisme.

Un troisième élément s'ajoute a cela. Il est malheureusement très insuffisamment développe chez nous, en Allemagne, mais très fortement marque ailleurs, par exemple en France ou en Italie. En Allemagne, terrain d'origine de la Reforme, on s'en tient plus ou moins a l'oecuménisme entre catholiques et protestants. Le troisième partenaire important, les anciennes églises d'Orient, notamment les églises orthodoxes, reste le plus souvent dans l'ombre. Pour bien des gens, les chrétiens orientaux sont loin, non seulement par la géographie mais aussi par la mentalité.

En France l'oecuménisme n'existe qu'entre catholique et réformes de France, évangélique et pentecôtistes sont marginalisés, quand aux autres confessions...voir 3121_oecumdepas.html Et les rencontres existantes deviennent difficiles du fait de l'affirmation du Pape Benoit XVI " en dehors de l'église catholique romine, il n'y a pas de salut"!!!

C'est bien a tort. Les chrétiens orthodoxes, surtout depuis la Deuxième Guerre mondiale, vivent parmi nous: du point de vue géographique, ils ne sont plus vraiment des églises d'Orient; ils sont dissémines dans tout le monde occidental. Du fait de l'expansion de l'Europe vers l'Est, ils se rapprochent encore plus de nous. Les pays d'Europe de l'Est qui, comme la Grèce, font deja partie de la Communauté européenne ou, comme la Roumanie, la Bulgarie, la Serbie, s'y rattacheront bientôt, sont tous profondément marques par la tradition orthodoxe. La maison de l'Europe unie ne peut se bâtir sans eux. Nous ne pouvons pas les perdre de vue, les considérer comme des développements exotiques étrangers a nos débats ou comme des trouble-fête oecuméniques qui ne méritent tout au plus qu'un intérêt folklorique. Il ne nous faut pas seulement une extension politique a l'Est, mais également une extension oecuménique.

Quiconque ne connaît seulement que les icônes - chez nous les amateurs d'icônes sont devenus nombreux - sait quelle richesse spirituelle elles représentent, et que cela ne peut que nous faire du bien dans notre occident sécularise. Eux aussi, les orthodoxes, peuvent nous être une bénédiction. L'église en Europe doit respirer de ses deux poumons.

Un élargissement de perspective s'impose aussi d'un autre point de vue. La scène oecuménique est actuellement en rapide transformation dans le monde entier. Le centre de gravite se situe désormais dans l'hémisphère sud. On y constate une croissance des églises libres et du pentecôtisme (nouveau mouvement de Pentecôte, très marque par le charismatique mais très diversifie). D'autres thèmes y prédominent, de nouveaux défis en découlent pour nous. La fixation sur un thème unique, comme on s'y est complu en Allemagne ces derniers mois, est partout ailleurs un sujet d'étonnement, d'incompréhension, de hochements de tète.

Le mot : oecumene désigne en soi la totalité de la terre habitée. Nous ne pouvons donc nous permettre, surtout aujourd'hui, un provincialisme oecuménique. L'option oecuménique n'est pas un rêve éphémère de la mentalité actuelle. Celle-ci n'en a été et n'en est ni l'inspiration ni le moteur; c'est là plutôt l'oeuvre du Saint-Esprit, en ce qu'il nous fait prendre conscience que ce qui nous unit est plus fort que ce qui nous sépare. Nous croyons ensemble au Dieu unique, Père de notre commun Seigneur Jésus-Christ, nous recevons le même baptême en son nom et faisons partie du même corps du Christ. Jésus-Christ n'a voulu qu'une seule église. La veille de sa mort il a encore prie pour l'unité de ses disciples. Il nous a lègue cette prière pour l'unit* en guise de testament. C'est pourquoi l'unité est pour nous un devoir. Croire en Jésus-Christ, c'est vouloir l'unité de l'église.

Il ne s'agit donc pas de sentiment, il s'agit de tout autre chose que d'erre aujourd'hui plus gentils les uns envers les autres et d'entretenir des rapports mutuels, humains et chrétiens, meilleurs que ceux qu'on a malheureusement eu souvent a déplorer dans le passe. Il ne s'agit pas de chercher a amadouer l'autre, pas plus que de relativisme ou d'un indifférentisme qui se désintéresse des divergences de foi. L'option pour l'oecuménisme a son fondement dans notre foi commune au Christ et notre baptême commun, par quoi tous les baptises sont membres du même corps du Christ. En cela est donne deja une unité de tous les baptises, unité fondamentale, quoique incomplète.

L'oecuménisme n'est pas un ajout a l'être chrétien, ce n'est pas le hobby du petit nombre. Il s'enracine au coeur de l'engagement chrétien. Il fait partie de l'identité chrétienne. L'église catholique a affirme clairement au Concile Vatican II son option pour le mouvement oecuménique. Le Concile a même déclare que le rétablissement de l'unité était l'une de ses visées les plus importantes. Cette option nous engage ö notre tour. Le Pape l'a faite sienne et n'a cesse de répéter depuis le premier jour de son pontificat que l'option pour l'oecuménisme est irrévocable et exclut tout retour en arrière.

L'oecuménisme existe depuis 1935......toujours au même point..... 3121_oecumdepas.html

C'est au mépris de Dieu et du bon sens que l'on prétendrait faire fi de ces développements positifs ou que l'on craindrait de prendre ses responsabilités, jusqu'à se retrancher a nouveau derrière les murailles confessionnelles. L'oecuménisme n'est pas pure entreprise humaine. Il est la volonté de notre Seigneur, l'inspiration du Saint-Esprit. Aussi espérons-nous que le XXe si*cle sera le siècle de l'unité oecuménique. C'est a ce défi historique que nous sommes aujourd'hui confrontes.

Cette union ne peut pas être réalisée par les hiérarchies en concurrence naturelle du fait des acquis matériels et des pouvoirs spirituels lies a leur état.

La question importante: Comment vivre ensuite financièrement, si les églises n'en formaient plus qu'une, si je suis curé ou pasteur ?

Seul les chrétiens de base n'ayant aucun pouvoir matériel et spirituel à perdre, peuvent construire l'unite. Cela se fera progressivement hélas du fait de la disparition des prêtres catholiques.....Dans la misère se réalisera l'unité a la table du Seigneur. 3120_trahicler.html

II. L'identité - comme richesse et comme défi

Il y a défi parce que, ayant identifie le but et fait des pas importants pour y arriver, nous ne l'avons toujours pas atteint. La prise de conscience de ce défi a été comme un choc pour certains dans les mois qui ont précède ce Kirchentag. Au point de ressentir la toute dernière Encyclique (sur l eucharistie) comme un retour en arrière ; elle ne fait pourtant que répéter une fois de plus - sous une forme du reste très modérée - ce qui pouvait être connu depuis longtemps comme étant la doctrine catholique; le fait de le répéter était visiblement bien nécessaire et sain, car beaucoup l'avaient oublie ou le niaient. Des doutes se sont manifestes, en beaucoup d'endroits on a vu grandir la déception, la résignation, la frustration. On a parle de coup d'arrêt, de stagnation, de blocage, de raidissement, de recul, d'un hiver oecuménique, voire d'une glaciation.

J'ai beaucoup voyage dans le monde ces derniers temps et je pense connaître assez bien la situation oecuménique. Avec la meilleure volonté du monde, je ne puis partager cette réaction. Quand on fait oeuvre de clarté, il n'y a désillusion tout au plus que la on est mis fin a une illusion, la ou l'on réagit aux tendances ö tout embrouiller pour que le regard puisse a nouveau discerner la réalité objective.

Il est exact que le printemps oecuménique, que beaucoup associent avec la décennie qui a suivi le Concile, est termine. Beaucoup de rêves d'une nouvelle efflorescence a ce moment ne se sont pas réalises. Mais âpres le printemps ce n'est pas l'hiver, ni aussitôt l'or de l'automne, ou l'on peut récolter les fruits murs. Âpres le printemps vient l'été. Entre deux il y a les saints de glace, parfois aussi quelques orages. Mais l'été, dans l'ensemble, est le temps de la lente croissance et de la maturation. L'oecuménisme est lui aussi entre dans une telle phase de croissance et de maturation. Il a grandi, il saisit mieux les réalités que dans la première ardeur de la jeunesse et il s'y attelle. Mais il n'a pas recule; il est devenu plus réaliste et cela est a mes yeux un progrès, non un recul.

Qu'est-ce qui a amène ce changement de climat ? Comme toujours, diverses réponses sont possibles. Entre autres, le fait que non seulement l'oecuménisme, mais aussi ses pionniers, ont pris de l'âge et qu'une nouvelle génération est apparue, pour laquelle l'éclosion des années 70 est deja loin - ces jeunes n'étaient même pas nes! Les nouveaux venus ont, c'est leur droit, leurs propres priorités, en partie différentes. Je ne veux en relever qu'une seule, qui touche directement notre propos: la question nouvelle de l'identité, et j'en arrive par la a ce qui m'est demande.

Nous vivons dans un monde largement globalise - avec tous les avantages et tous les inconvénients, les risques, les injustices et les peurs qu'entraîne la globalisation. Personne ne veut se perdre dans un grand tout sans visage ou se voir absorbe par lui. Beaucoup demandent: qui suis-je? Qui sommes-nous ? Cette question de l'identité propre est fondamentale pour chacun ; aucun de nous n'est simplement un cas, un simple numéro dans un grand tout. Chacun a son nom a lui, son visage, son identité.

La question de l'identité concerne aussi les différentes religions et cultures, les différents groupes ethniques comme les différentes églises chrétiennes. Chacune a sa propre histoire, son profil, sa mentalité et sa culture, ses rites et ses convictions de foi, sa structure, et elle considère tout cela comme sa richesse.

Cette identité confessionnelle est fondamentale pour le dialogue oecuménique. Car seuls des partenaires qui témoignent de leur foi sans dissimulation, qui aiment et savent en parler, qui n'en démordent pas, ont quelque chose a se dire, eux seuls peuvent dialoguer entre eux. Entre deux nébuleuses, aucune rencontre n'est possible, car elles ne font que se fondre l'une dans l'autre. Le dialogue suppose des partenaires ayant chacun son profil propre et son identité. Quiconque, par conséquent, estime que catholique, protestant, orthodoxe, tout cela au fond revient au même, ne fait aucune différence, celui-la ne cherche pas le dialogue oecuménique; il serait bien incapable d'y participer, il s'en exclut lui-même a priori.

Si je questionne des catholiques de base a la sortie de la messe du dimanche sur ce qu ils croient et qu ils ont recu a la communion, les avis seront très divers.. le dogme bien loin .Les protestants très proches ou très loin....

Certes, comme toute chose en ce monde, la question de l'identité peut aussi prêter a des contresens et a des interprétations abusives. En vérité, je n'ai pas mon identité comme un Robinson sur son ile déserte mais seulement en relation, dans la rencontre et l'échange avec d'autres. Si quelqu'un uniquement par peur reste a part, se replie sur lui-même et se ferme, craignant que toute rencontre avec autrui menace, efface ou dilue sa propre identité, il est non seulement inapte au dialogue mais il aboutit ö une identité totalement rétrécie, appauvrie, desséchée, encroûtée et durcie. C'est alors que l'oecuménisme est ressenti comme un danger et une menace pour la foi personnelle. On aboutit ö une réédition du vieux confessionnalisme, jusqu'à verser dans un fondamentalisme sectaire et agressif.

On trouve notamment des chrétiens orthodoxes pour lesquels l'oecuménisme est une hérésie, voire l'hérésie des hérésies. De telles rechutes dans les vieilles ornières confessionnelles, dans les courants et les fixations fondamentalistes, s'observent aussi chez des catholiques et des protestants. Ils ne se bornent pas a mettre en garde (en quoi ils ont tout a fait raison) contre tout faux oecuménisme, contre le relativisme et l'irénisme oecuméniques, mais vont jusqu'à douter par principe que l'oecuménisme ait été et soit la bonne formule.

De telles opinions se font malheureusement entendre aussi, comme on dit, a la base, et également chez les jeunes. C'est pourquoi je n'admets guère la thèse selon laquelle la base est deja bien plus avancée que la pesante et peureuse Hiérarchie, qui traîne les pieds et ne veut rien comprendre. C'est peut-être vrai en certains cas. Mais la base n'est nullement aussi sure d'elle et unanime que le prétend la thèse, et les grosses tètes de la Hiérarchie ne forment pas un bloc aussi monolithique qu'on veut bien le dire. Je serais heureux que tous, a la base, soient aussi avances que le Pape actuel ; lui n'a pas peur du mouvement oecuménique ; il saisit toutes les occasions d'y encourager et d'y pousser. Je ne connais aucun responsable d'église qui parle de l'oecuménisme aussi souvent et positivement que lui.

Si un responsable parlait fort il aurait peur de se faire mettre a l'écart, a l'index ou excommunié et de perdre de quoi manger et vivre. 3125_eglise.html

La question est simplement : quelle sorte d'oecumenisme ? a coup sur, pas l'oecuménisme du baratin et de la duperie, pas l'oecuménisme des faux semblants. Un tel oecuménisme malhonnête est exclu, deja rien que par le simple souci de correction dans les rapports humains, et par l'égard que chacun doit a sa propre conviction et a celle d'autrui. Il s'agit d'un oecuménisme dans la vérité, et bien sur la vérité dans l'amour. L'amour sans la vérité est vide, creux, simulation et sans sincérité, c'est une singerie, un flirt qui ne porte pas a conséquences. Mais inversement, la vérité sans amour peut être froide, dure, blessante et repoussante. La vérité et l'amour ne sont pas séparables. Saint Paul nous dit que nous devons faire la vérité dans l'amour. Nous n'avons pas la vérité pour l'assener comme une claque aux oreilles d'autrui mais comme un manteau chaud que nous nous aidons mutuellement a revêtir.

Quel est l homme qui peut affirmer sans trembler connaître la pensée de Jésus Christ le jeudi Saint et les autres fois ou il a partage son repas avec des amis... 5001_repas_marc.html

En bref, le dialogue oecuménique suppose des partenaires qui ont leur propre identité, qui sont bien au courant et ne transigent pas, des esprits pour lesquels le dialogue est un enrichissement et qui estiment qu'entrer dans un rapport d'echange mutuel implique de communiquer et de partager sa richesse avec autrui. On ne prend pas part au dialogue oecuménique avec la devise : nous croyons si peu l'un et l'autre que nous avons aussi vite fait de nous mettre d'accord. On aborde au contraire un tel dialogue dans la conviction que ce dont nos devanciers, nos parents, ont vécu en des temps souvent difficiles, ce qui leur a donne force, consolation et courage de vivre, ce qui a pour moi de l'importance et dont ma vie se nourrit, ce qui me porte et me soutient dans la vie, je veux en donner a d'autres ; je veux qu'ils en aient quelque chose, tout comme je voudrais apprendre de la richesse des autres et qu'elle me soit un stimulant et un enrichissement.

C'est la foi consciente, non l'indifférence a l'égard de la foi, qui mène au dialogue oecuménique. Ce dialogue ne fait sens qu'entre partenaires qui ont leur identité protestante, orthodoxe, ou catholique, qui sont enracines dans leur église et dans sa foi et qui refusent pour cette raison de se résigner aux différences confessionnelles, qu'ils considèrent bien plutôt comme un défi.

 

III. Excursus: la divergence sur l'Eucharistie et la communion eucharistique

En quoi consiste le défi ? Il me faut ici, avant de poursuivre la reflexion sur notre thème, et a cause de la discussion actuelle, spécialement en Allemagne, introduire un excursus concernant la question de l'Eucharistie et de la communion eucharistique. Ces derniers temps en Allemagne la controverse sur ce point a été singulièrement animee. La communion ö l'unique table du Seigneur, la communion eucharistique, est le but et donc le défi de l'oecuménisme. Le fait que nous n'ayons pas encore atteint ce but ne peut que nous interpeller. Mais justement parce que la communion eucharistique est le but et le défi, on ne peut la traiter et la rechercher a part de toutes les autres questions. Encore moins peut-on recourir publiquement, sur un sujet qui implique des choix doctrinaux et des décisions de conscience, aux pressions, aux polémiques, aux manifestations et autres formes de contestation.

De quoi s'agit-il ? Chrétiens catholiques et protestants ont beaucoup en commun aussi sur la question de l'Eucharistie, et entre catholiques et luthériens d'heureux progrès ont été acquis dans les dernières décennies pour la solution des controverses dures et passionnées du passe. Je pense en particulier au document : Le Repas du Seigneur (1978), aux documents Baptême, Eucharistie et Ministère de Lima (1982) Les condamnations doctrinales imposent-elles encore la division ecclésiale ?(1986). La récente Encyclique reconnaît expressément ces progrès. Mais l'Encyclique et les très utiles Orientations publiées par l'EKD (3) s'accordent pour dire qu'en dépit de tous les progrès il reste encore malheureusement d'importantes divergences non résolues. Que des théologiens soient d'un autre avis, c'est une opinion respectable mais qui n'a pas encore trouve de consensus dans l'une comme dans l'autre église.

Je laisse bien des questions, celle, par exemple, de la présence du Christ dans les espèces eucharistiques âpres la célébration liturgique, pour me concentrer sur un point unique mais important, a savoir le lien entre l'Eucharistie et l'église. Cette question relève du débat sur les différentes conceptions de l'église et, dans ce cadre, de la compréhension du ministère et de son importance pour la célébration de l'Eucharistie. Chacun peut trouver dans les Orientations un expose objectif et pertinent de ces différences.

L église ne serait-elle pas d'abord celle rassemblée autour d'une table pour partager le pain et la parole. Quel est celui qui peut s'exprimer dans une assemblée chrétienne en dehors du prêtre ou du pasteur......Aucun laïc.

Dans de nombreuses assemblées dominicales les fidèles ne se parlent pas entre eux..... 2570_repas.html et partagent.....l'hostie.Même pas, chacun recoit la sienne.

Abstraction faite, donc, de questions théologiques de détail, on peut - en simplifiant quelque peu - formuler la différence de la animee suivante : du cote protestant, la question de la communion eucharistique est envisagée de animee plus individualiste, par rapport a l'horizon théologique actuel du protestantisme moderne ; il s'agit de l'accueil de chacun, de sa communion avec le Christ. Du cote catholique (comme du cote orthodoxe) on ne conteste naturellement pas cet aspect individuel ; mais on souligne davantage le caractère communautaire, ecclésial, de la communion. On marque avec Paul, avec les Pères de l'église, notamment Augustin, avec les grands théologiens du Moyen âge, comme avec le premier Luther, le rapport entre le corps eucharistique du Seigneur et son corps ecclésial, c'est-à-dire l'église. Selon la célèbre parole d'Augustin : L'Eucharistie est sacrement de l'unité et lien de l'amour.

Cette tradition est encore présente, comme je viens de le dire, chez le premier Luther et dans l'ensemble de la tradition du protestantisme, et c'est pourquoi jusque dans les années 70 du XXe si*cle il n'y avait pas de communion eucharistique entre luthériens et reformes. C'est seulement depuis lors que les églises protestantes ont change d'avis. Elles sont dans leur droit et nous devons naturellement les respecter. Mais, permettez-moi de le dire un peu brutalement, il n'y a pas plus lieu de critiquer le Pape parce que, dans sa dernière Encyclique, et a l âge qu'il a, il n'est pas devenu protestant et n'a pas abandonne la position qui a été celle de toutes les églises anciennes, et qui est défendue encore aujourd'hui par l'immense majorité - deux bons tiers - du monde chrétien. La question de la communion est actuellement l'objet d'un travail intensif dans des groupes de théologiens, tant en Allemagne qu'au plan international, mais ni les uns ni les autres ne sont encore malheureusement parvenus ö un accord substantiel acceptable. L'Encyclique n'est donc pas si théologiquement fausse que cela

étonnant.......

Il n'est pas douteux qu'existent des situations individuelles qui ne peuvent rester en suspens, qui ne peuvent attendre une solution d'ensemble. L'église catholique le sait aussi. Elle applique sur ce point deux principes, tous deux importants : d'abord le principe deja cite du lien entre communion eucharistique et communion ecclésiale, qui exclut de façon générale la communion eucharistique oecuménique ; et ensuite le principe que le salut des âmes est la loi suprême, principe qui admet des chrétiens non-catholiques, s'ils sont bien disposes, a la communion eucharistique dans des circonstances particulières, en situation grave et sérieuse de détresse spirituelle. L'Encyclique le prévoit également, elle ne ferme pas la voie a des décisions pastorales individuelles adaptées. Je n'ai jamais vu et je n'ai jamais personnellement fait que quelqu'un venu communier dans les dispositions voulues ait été repousse.

Reflexion : les prêtres qui distribuent la communion ne connaissent pas les fidèles et donnent la communion a tous ceux qui se présentent sans discernement. N'importe qui peut communier ! ?

Je sais que cela ne résout pas toutes les questions. J'ai moi-même passe 30 ans de ma vie dans un milieu séculier, non-clerical, et ai ensuite été 10 ans évêque d'un grand diocèse confessionnellement mixte (moitié catholique, moitié protestant), de sorte que je connais les problèmes qui peuvent se poser en particulier aux foyers mixtes et aux familles. Ces problèmes sont pour moi une incitation a poursuivre mon activité oecuménique. C'est pourquoi je reprends mon expose, âpres cet excursus, en cherchant a dire de quelle animee relever le défi oecuménique et comment nous pouvons, dans la voie de l'oecuménisme, faire de nouveaux pas en avant.

IV. L'oecuménisme - voie d'avenir

Nous disions que chaque église a sa richesse, a laquelle elle ne peut ni ne doit renoncer. Nous ne pouvons jeter par-dessus bord ce qui nous a portes et tenus jusqu'à présent, ce dont nos devanciers ont vécu, en des circonstances souvent difficiles, et nous ne devons pas attendre cela de nos frères et de nos soeurs du protestantisme et de l'orthodoxie. Ni eux ni nous ne pouvons devenir infidèles. Comment, des lors, avancer ?

La réponse découle de ce qui vient d'être dit de la question de l'identité. Il en va du dialogue oecuménique comme de tout autre dialogue. Il ne s'agit pas d'un d'echange d'idées, et donc pas d'un dialogue entre experts, qui pour le profane n'est que du chinois théologique. Le dialogue entre experts est nécessaire, utile, inévitable, mais il n'est pas l'essentiel. Il ne s'agit pas d'abord d'un d'echange d'idées, mais d'un d'echange de dons. Il s'agit de la participation réciproque ö nos richesses respectives. C'est là une des expériences les plus heureuses de l'oecuménisme, et pour moi personnellement une surprise et une joie incessantes, que le Saint-Esprit soit a l'oeuvre hors des frontières de mon église et que par la rencontre dans l'Esprit - comme il est promis dans l'évangile de Jean - nous soyons introduits dans la vérité tout entière.

Un exemple va le faire comprendre. Dans les dernières décennies, nous, les catholiques, avons réappris de nos frères et soeurs protestants la richesse et l'importance de la Parole de Dieu, de la lecture de l'écriture sainte et de la vie spirituelle ö partir de l'écriture. Cela a été un enrichissement et un approfondissement de nos célébrations et de notre spiritualité. Eux, de leur cote, apprennent maintenant de nous l'importance de l'Eucharistie et des signes et symboles liturgiques; ils célèbrent l'Eucharistie nettement plus souvent que dans le passe. On ne peut plus dire aujourd'hui que l'église évangélique est l'église de la Parole, et l'église catholique l'église du sacrement. Grâce a l'échange oecuménique, nous retrouvons des richesses qui n'étaient sans doute pas devenues étrangères a notre tradition, mais qui y étaient perdues de vue.

On voit que l'oecuménisme n'est pas de se mettre d'accord sur le plus petit commun dénominateur en laissant plus ou moins le reste a l'arbitraire individuel. L'oecuménisme n'est pas un processus d'appauvrissement ni une vente a perte, et encore moins une liquidation, il est une croissance, un apprentissage, un gain, un processus d'enrichissement réciproque. Dans l'oecuménisme, nous pouvons et nous devons - comme le dit la devise de ce Kirchentag - être une bénédiction les uns pour les autres.

L'exemple que je viens de donner n'est pas le seul. Je pourrais aussi bien mentionner la Déclaration commune sur la doctrine de la justification (4). Elle portait sur l'aspiration centrale des Réformateurs, la doctrine avec laquelle - disait Martin Luther - l'église tient ou tombe. Surtout, l'unité s'est tragiquement brisée autrefois sur cette doctrine. Aujourd'hui nous sommes d'accord, pour l'essentiel, sur ce qui est une vérité fondamentale. Comment cela a-t-il été possible ? Pas parce que sans nous en rendre compte nous, les, catholiques, serions devenus totalement ou tant soit peu protestants et les protestants catholiques. Le dialogue oecuménique n'est pas une joute (5) dans laquelle on s'efforce de faire plier l'adversaire. Nous nous sommes assis ensemble, avons lu ensemble l'écriture sainte, étudie ensemble nos traditions et constate qu'elles sont les unes et les autres essentiellement plus riches qu'on le pensait dans la polémique étroite de la théologie de controverse. Nous n'avons pas aplati les différences mais approfondi nos positions et avons abouti de la sorte a un consensus substantiel. Quiconque était a Augsbourg sait que cet accord n'a pas été constate simplement par la signature d'un acte ecclésiastique confidentiel mais par une fête, d'abord dans l'église et ensuite dans les rues de la ville, par les jeunes comme par les vieux.

Pourquoi cet accord, parce que la position catholique ne tenait pas devant les écritures et la pensée du Christ. Parce que l'église catholique est devenue plus humble Beaucoup de chemin reste a faire avec le dogme de l'infaillibilité. refusé par les protestants 2560_eglise.html

La percée que nous avons pu faire sur la doctrine de la justification n'a pu encore s'étendre aux questions de l'église et du ministère. Questions sur lesquelles il y a aussi des richesses des deux cotes. Nous, les catholiques, sommes convaincus d'avoir dans le ministère épiscopal et le ministère de Pierre, un dépôt a faire fructifier et que nous voudrions partager avec nos frères et soeurs protestants. Mais cela est pour eux inacceptable, au moins dans la forme actuelle. Pourtant, dans un monde, dans une Europe en voie d'unification, l'organisation en églises territoriales ne peut être un modèle intangible ; et l'autorité - exercée de façon correcte et spirituelle - n'est pas un danger mais un don, comme nous l'avons formule ensemble avec les amis anglicans dans le document The Gift of Authority (1998) (6). Aussi le Pape lui-même a-t-il invite a une discussion fraternelle oecuménique sur la bonne animee d'exercer son ministère. Nous pouvons pour cela apprendre des églises protestantes et orthodoxes, et de leurs expériences synodales respectives. Je crois, avec bien des théologiens luthériens, qu'il ne s'agit pas la de positions absolument incompatibles. Sur cette question également, une diversité réconciliée devrait être possible.

Un tel d'echange de dons aurait bien de quoi convaincre des théologiens qui se réclament de la Reforme. Car en cela le mouvement oecuménique ne fait que reprendre a son compte l'aspiration originelle et justifiée de la Reforme. Les Réformateurs ne voulaient pas fonder une nouvelle église, mais rénover l'église dans l'esprit de l'évangile. Nous autres, catholiques, savons aujourd'hui combien une telle reforme était alors nécessaire ; a la fin du Moyen âge, l'église connaissait une crise grave. La reforme de l'église universelle fut un échec, pour bien des raisons, notamment politiques ; la faute en incomba aux deux parties. C'est ainsi que se produisit la catastrophe de la division confessionnelle. Par la, fut perdu pour nous, catholiques, beaucoup de ce que la Reforme pouvait apporter. Mais par ailleurs, au lieu d'une reforme on eut la Réformation, dans laquelle - c'est notre conviction - des vérités indispensables furent sacrifies. Ce passe fut une perte pour les uns et pour les autres. Le mouvement oecuménique actuel reprend ces débats a neuf et dans des conditions historiques totalement changées, et il cherche le remède a ce qui autrefois a mal tourne. Nous apprenons les uns des autres et nous nous enrichissons les uns par les autres.

Depuis fut affirmé le dogme de l'infaillibilité pontificale et le dogme de l'assomption. Ne faudrait-il pas en prélude de dialogue, les déclarer nuls. Affirmer que le pape et les évêques du monde entier renoncent aux pouvoirs dictatoriaux qu'ils possèdent : exécutifs, législatifs et judiciaires et cela sans partage. Qu'ils renoncent aux pouvoirs divers afin d'exercer l'autorité à la manière du Christ. 3118_gouveglise.html

Quelle sera la suite ? L'oecuménisme n'est pas retour en arrière mais marche en avant. Il ne s'agit pas de reculer mais de se tourner encore plus fortement vers Jésus-Christ, dans la mesure ou par la conversion et la sanctification personnelle nous devenons un avec lui, et - en lui - un entre nous. Il est notre unité. Il s'agit, dans cette dynamique de l'avancée, d'une réalisation plus plénière de la catholicité, dans le sens originel et non confessionnel du terme. Il s'agit d'une catholicité évangélique et d'une evangeicite catholique. Ce fut la le tout premier programme du mouvement de l'Una Sancta, dans la première moitié du siècle dernier, dont il nous faut a nouveau nous souvenir.

Pourquoi ne pas renoncer dans le credo à dire: je crois en l'église catholique qui est un terme ambigu et le remplacer par universelle car l'Église dépasse les murailles des confessions.

Ce mouvement ne conduit pas a une église unitaire. L'unité n'est pas l'uniformité. Nul besoin d'une unité dans le moindre détail. N'avons-nous pas l'unique évangile en quatre évangiles ? La catholicité, c'est la totalité et la plénitude. Elle est unité dans la multiplicité, et multiplicité dans l'unité. C'est ce qu'ont enseigne les grands théologiens des XXe et XXe siècles: Johann Adam Moehler, John Henry Newman, Karl Adam, Romano Guardini, Henri de Lubac, Yves Congar et bien d'autres. On parle souvent de diversité réconciliée. Pour le moment nous avons, malheureusement en bien des cas, une diversité non réconciliée. La diversité réconciliée signifie que les contradictions steriles qui subsistent encore se transforment en tensions complémentaires fécondes. Le cardinal Ratzinger a un jour formule cela en ces termes : les églises doivent rester des églises et devenir toujours plus une église.

V. Que pouvons-nous faire?

Il reste la question : que pouvons-nous faire concrètement ? Cette question va être mon dernier point. Je voudrais développer trois aspects, a savoir : la prière commune, comme le coeur de l'oecuménisme ; le dialogue théologique, comme la tète de l'oecuménisme ; et la collaboration oecuménique, comme les mains et les pieds de l'oecuménisme. En anticipant sur le premier et le troisième de ces aspects, j'ai deja dit : il y a deux lieux pour faire de l'oecuménisme: l'église et le repas en commun. Tout le monde sait que prendre un repas ensemble résout bien des problèmes.

Alors si vous êtes d'accord, prenons le repas du Seigneur ensemble. Mais cela risque de faire de quelques clercs des chômeurs.....

Le plus important me parait être l'oecuménisme spirituel. On peut et on doit faire tout son possible pour l'unité de l'église, mais on ne peut ni la produire ni l'organiser. Elle est un présent de l'Esprit de Dieu. Il faut qu'Il touche les coeurs, les ouvre a la vérité de l'autre et allume l'amour pour l'autre. L'unité de l'église sera une nouvelle Pentecôte. Il nous faut donc, et justement en ces jours entre l'Ascension et la Pentecôte, faire comme les Apôtres âpres l'Ascension du Seigneur, qui se réunirent pour prier dans la salle du Cénacle avec Marie, afin d'implorer la venue de l'Esprit.

Il y a eu oecuménisme spirituel des le début. Deux noms sont a citer : l'abbé Couturier et Max Josef Metzger (7). On leur doit depuis 1933 la Semaine de prière pour l'unité des chrétiens, célébrée en janvier ou parfois avant la Pentecôte. Une réalisation importante a été aussi la Journée mondiale de prière des femmes, avec sa devise : Prière informée - action priante. Mais on avait deja commence antérieurement a s'intéresser a la richesse spirituelle des autres églises. A quoi s'ajoutent encore a présent des rencontres entre les ordres religieux, les communautés, les mouvements et associations de spiritualité. Nous célébrons en ce moment l'Animee de la Bible : c'est une invitation a lire la Bible ensemble. Quelqu'un a dit un jour : nous nous sommes sépares sur la Bible, c'est sur la Bible qu'il nous faut retrouver l'unité.

Cet oecuménisme spirituel nous préserve de deux déviations : l'activisme oecuménique et la fébrilité oecuménique, celle des incessantes conférences, des colloques, des commissions, des dialogues, des papiers, des actions et des manifestations, ou reparaissent toujours les mêmes arguments, les mêmes appels, les mêmes plaintes, accusations et critiques. Comme lorsqu'on met pleins gaz au point mort, c'est beaucoup de bruit, mais rien ne bouge. L'autre danger mène ö l'oecuménisme des experts. Il en faut. Mais qu'il soit permis a l'ancien professeur que je suis de dire que la caractéristique du professeur allemand est d'en savoir toujours plus que son collègue, tellement plus qu'il a toujours une objection a ce que l'orateur précèdent vient de dire. De tels échanges oecuméniques sont une entreprise eschatologique, avec des suites a l'infini. Les chrétiens normaux ne peuvent pas suivre, ils déconnectent et font a leur idee.Nous ne pouvons promouvoir le dialogue oecuménique qu'en l'approfondissant. Car tout chrétien a accès a la prière, ou en tout cas chacun devrait savoir prier, en avoir une expérience. Le renouveau institutionnel des églises va avec le renouvellement personnel et la sanctification. Sans une spiritualité de l'unité et de la communion, l'unité et la communion purement institutionnelles ne sont qu'un système mort, une machine qui tourne a vide. Une spiritualité de communion veut dire acceptation de l'autre dans son altérité, voir en lui un cadeau qui m'est fait, porter le fardeau de l'autre, partager ses joies et ses peines.

Cet oecuménisme spirituel n'est pas aussi simple qu'il pourrait sembler de prime abord. Jésus, dans l'esprit des prophètes de l'Ancien Testament, commence sa vie publique par l'appel Convertissez-vous . Il n'est aucun rapprochement oecuménique sans conversion et sans renouvellement. Non la conversion d'une confession a l'autre. Il peut y en avoir dans des cas particuliers, et si c'est pour des raisons de conscience, cela mérite respect et considération. Mais il n'y a pas que les autres a devoir se convertir, la conversion commence par soi-même. Tous doivent se convertir. Nous ne devons donc pas demander d'abord Qu'est-ce qui ne va pas avec l'autre ?, mais : Qu'est-ce qui ne va pas chez nous ; par ou commencer, chez nous, le ménage ? . Nous ne devons pas voir d'abord la paille dans l'oeil d'autrui, mais la poutre dans notre oeil, il est fréquent même qu'elle soit une planche qui nous bouche la vue. Il faudrait alors se critiquer soi-même plutôt que se mettre en avant.

Celui qui est partisan de la solution facile qui consiste a ne rien changer et qui veut que les églises se reconnaissent mutuellement telles qu'elles sont devenues, celui-la ôte au mouvement oecuménique sa dynamique et son pouvoir de renouveau.

Nous avons dit que l'oecuménisme spirituel est le coeur, le dialogue théologique la tète. L'idéal de la foi chrétienne n'est pas la simple foi du charbonnier. Comprendre est aussi un don de Dieu. Croire et savoir ne sont pas séparables, même en oecuménisme. Malheureusement, la connaissance des enseignements chrétiens, même les plus fondamentaux, est dramatiquement en recul de nos jours ; elle a sombre a un niveau sans doute encore jamais vu. On a lieu de croire qu'une étude Pisa (Programme d'enquêtes des instances européennes sur le niveau culturel des différents pays) qui porterait sur la culture chrétienne conduirait a des constatations encore plus désastreuses que la célèbre enquête sur le niveau culturel des Allemands. Comme le montrent les sondages, beaucoup d'individus aujourd'hui ne savent même plus ce que les fêtes de Noël et de Pâques ont de chrétien, pour ne pas parler de la connaissance des différences de foi entre catholiques et protestants. Je ne parle pas des finesses théologiques ni des queues de puce théologiques, réelles ou supposées, que tout chrétien n'a naturellement pas besoin de connaître. Je parle de l'ABC de la foi chrétienne, sans quoi le dialogue n'a pas de sens. Qui veut engager un dialogue doit posséder a tout le moins une connaissance de son catéchisme. Le sentiment ou les tripes ne peuvent mener a un dialogue responsable. Une formation oecuménique et une formation permanente s'avèrent indispensables tant pour les prêtres que pour les laïcs.

Le dialogue oecuménique au sens strict porte actuellement sur la question de l'église, le rapport entre l'écriture, la tradition et le magistère, les sacrements, spécialement l'Eucharistie, les ministères, surtout le ministère épiscopal et le ministère de Pierre, et enfin le culte de la Vierge et des saints.

Je m'en tiens a de brèves remarques concernant la dimension universelle de l'église. Cela intéresse la conception du but de l'oecuménisme. Nous ne pouvons penser aujourd'hui qu'en prenant les problèmes dans leur extension mondiale. L'église catholique en a plus que d'autres l'habitude. L'église évangélique est traditionnellement organisée en églises territoriales. Ce n'est que depuis la fin du XXe siècle que se sont formées des fédérations ou alliances mondiales, des groupements plus ou moins structures d'églises. Ces organismes ne sont pas des églises, ils ne peuvent pas plus parler au nom des églises que le Conseil Oecumene des églises. L'idée a la base est que l'unité des églises passe par la voie de la simple reconnaissance mutuelle.

Nous autres, catholiques, ne pouvons faire notre ce modèle de la reconnaissance mutuelle des églises adopte a Leuenberg, pas plus que ne le peuvent les orthodoxes et les anglicans, ni du reste toutes les églises protestantes. Le but, pour nous, est l'unité visible dans la foi, les sacrements et le ministère. Le ministère de Pierre est pour nous un don que nous voulons intégrer, sous une forme spirituellement rénovée, au futur modèle élargi de l'unité. Mais ce modèle catholique de l'unité n'est pas acceptable pour les églises non-catholiques, en tout cas sous sa forme actuelle. C'est pourquoi le Pape lui-même a pris l'initiative d'appeler a un dialogue sur la forme future a lui donner. De part et d'autre, donc, des questions restent ouvertes. Des deux cotes on a encore des interrogations critiques, mais des deux cotes on veut aussi faire passer quelque chose. Ce qui veut dire que devant nous la voie s'ouvre toute grande. Mais il y a aussi de nouvelles questions et de nouveaux défis. Dans notre monde Occidental surtout, nous assistons a une montée des processus de sécularisation et d'individualisme qu'accompagne une perte irrésistible de signification sociale de toutes les églises. Les gens que l'église laisse indifférents constituent aujourd'hui la confession la plus nombreuse. On assiste en même temps a un retour du religieux, souvent sous des formes très inquiétantes. Les religions non chrétiennes, en particulier l'islam, sont aujourd'hui présentes au milieu de nous. La question de Dieu et du Christ revêt pour toutes les églises une nouvelle actualité. Nous devons nous demander ce que signifie la richesse de notre héritage pour le monde d'aujourd'hui. Je pense qu'il y a la les vraies questions pour aujourd'hui et demain, et ce sont autant de défis communs.

Âpres le coeur et la tète, un mot des mains et des pieds de l'oecuménisme. Il n'y a a ce plan qu'une consigne : Faire ce qui unit . L'oecuménisme de la vérité et de l'amour a besoin de l'oecuménisme de la vie. Nous ne nous sommes pas bornes a nous opposer au plan des idées, nous sommes devenus étrangers au plan de la vie. Il nous faut retrouver la vie commune et apprendre a beaucoup mieux nous connaître. C'est de la que peuvent se développer un témoignage commun et une collaboration. On peut supposer que nous serions bien plus avances si tous faisaient et vivaient ensemble ce qui est possible des maintenant. La collaboration est possible même la ou subsistent des divergences sur l'un ou l'autre point. Nous pouvons montrer qu'on peut vivre avec des problèmes et qu'il faut souvent aussi vivre avec.

C'est dans cet esprit que nous avons lance le processus conciliaire Justice, Paix et Sauvegarde de la Création a Bâle en 1989 et a Graz en 1997, et mis en route la Décennie de la Femme. Je pense aussi a beaucoup de prises de position communes sur la situation sociale et politique. De grandes transformations s'amorcent en ces domaines, que nous voulons affronter ensemble. La question de la paix et de l'ordre international, de la justice dans le monde et de la refonte de notre système social, le caractère sacre de la vie, la dignité humaine, la protection de l'environnement face aux nouveaux développements scientifiques et techniques, l'élaboration des bases de l'Europe future. Il y a en tout cela autant de défis communs. Sur ces questions, hélas ! s'amorcent de nouvelles controverses, jusqu'alors inconnues. Le défi et la responsabilité pour l'avenir n'en sont que plus grands.

A vues humaines, la route sera encore longue. Raison de plus pour cultiver entre les pèlerins que nous sommes des liens de communion. La route qui s'ouvre n'a rien d'une piste illuminée de bout en bout, nous avançons comme avec une lampe qui n'éclaire la marche qu'a mesure de la progression. Cette lampe, nous disent les Psaumes, est la Parole de Dieu. Il y a assez de lumière pour chaque jour et pour le pas suivant. Nous n'avons pas besoin d'une représentation détaillée du but final ni d'élaborer des utopies oecuméniques. Il est stupide de refuser d'avancer simplement parce que le dernier pas n'est pas encore possible. Il suffit de faire ici et aujourd'hui ce qui est faisable, nécessaire, pensable. Nous ne sommes pas les maîtres de l'histoire. C'est un Autre, par bonheur, qui est le Maître. Il nous a promis son Esprit. Il s'agit de s'en remettre a lui. Il détermine les temps et les heures. Mais il nous ménage sans cesse de bonnes surprises. Cela donne courage, cela donne confiance, et cela donne surtout la joie, cette joie qu'il serait dommage de bouder au cours de ce Kirchentag.

(*) Texte original allemand du secrétariat du cardinal Walter Kasper.

En rouge commentaires de Edmond Savajol


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