P. Jon Sobrino

Commentaires en fin de page de soeur Claire Marie et de Edmond Savajol.

L'option préférentielle pour les pauvres et l'universalité de la mission de l'Église


 Notification de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi au P. Jon Sobrino, S.J.

Le P. Jon Sobrino, jésuite salvadorien d'origine espagnole, a écrit, en 1991, un ouvrage intitulé Jésus-Christ libérateur. Lecture historico-théologique de Jésus de Nazareth (Madrid) et, en 1999, La foi en Jésus-Christ. Essai du point de vue des victimes (San Salvador). Ces publications ont suscité des interrogations de la part de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Le but de cette Notification est d'énoncer la doctrine de l'Église à propos de certains aspects des vérités doctrinales concernant les points abordés dans ces livres. Elle est accompagnée d'une notice explicative.

Introduction

1. Après un premier examen des volumes Jésus-Christ libérateur. Lecture historico-théologique de Jésus de Nazareth (Jésus-Christ) et La foi en Jésus-Christ. Essai du point de vue des victimes (La foi) du P. Jon Sobrino S.J., la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, à cause des imprécisions et erreurs qu'elle y a trouvées, a pris la décision, au mois d'octobre 2001, d'entreprendre une étude ultérieure et approfondie des œuvres en question. Étant donnée la large diffusion de ces écrits et leur usage dans les séminaires et autres centres d'études, surtout en Amérique latine, il a été décidé de mener cette étude selon la « Procédure d'urgence » réglementée par les articles 23-27 de l'Agendi Ratio in Doctrinarum Examine.

Suite à cet examen, a été envoyé à l'Auteur, au mois de juillet 2004, par l'intermédiaire du R.P. Peter Hans Kolvenbach S.J., Supérieur général de la Compagnie de Jésus, un catalogue des propositions erronées ou dangereuses trouvées dans les livres mentionnés.

Au mois de mars 2005, le P. Jon Sobrino a fait parvenir à la Congrégation une Réponse au texte de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, laquelle a été examinée lors de la Session ordinaire du 23 novembre 2005. Il a été constaté que, bien que l'Auteur ait nuancé partiellement sa pensée sur quelques points, la Réponse n'était pas satisfaisante, puisque demeuraient, en substance, les erreurs qui avaient donné lieu à l'envoi du catalogue de propositions mentionné précédemment. Même si la préoccupation de l'Auteur pour le sort des pauvres est appréciable, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi se voit dans l'obligation d'indiquer que les œuvres citées du P. Sobrino présentent, sur certains points, des divergences notables avec la foi de l'Église.

C'est pourquoi il a été décidé de publier la présente Notification, afin de pouvoir offrir aux fidèles un critère de jugement sûr, fondé sur la doctrine de l'Église, au sujet des affirmations contenues dans les livres cités ou dans d'autres publications de l'Auteur. Il convient de noter que, dans certaines occasions, les propositions erronées se situent dans des contextes où d'autres expressions paraissent les contredire (1), mais elles ne peuvent être justifiées pour autant. La Congrégation ne prétend pas émettre de jugement sur les intentions subjectives de l'Auteur, mais il est de son devoir d'attirer l'attention sur certaines propositions qui ne sont pas en conformité avec la doctrine de l'Église. Les propositions en question concernent : 1) les présupposés méthodologiques énoncés par l'Auteur, sur lesquels il fonde sa réflexion théologique, 2) la divinité de Jésus-Christ, 3) l'incarnation du Fils de Dieu, 4) la relation entre Jésus-Christ et le Règne de Dieu, 5) la conscience personnelle de Jésus-Christ et 6) la valeur salvatrice de sa mort.

I. Présupposés méthodologiques

2. Dans son ouvrage, Jésus-Christ libérateur, le P. Jon Sobrino affirme : « La christologie latino-américaine [...] décide que son lieu, comme réalité substantielle, sont les pauvres de ce monde, et cette réalité est celle qui doit être présente et transversale à n'importe quel lieu catégoriel où elle se réalise » (p. 47). Et il ajoute : « Les pauvres questionnent au sein de la communauté la foi christologique et lui donnent son sens fondamental » (p. 50) ; l'« Église des pauvres est [...] le lieu ecclésial de la christologie, étant une réalité configurée par les pauvres » (p. 51). « Le lieu social est donc le plus décisif pour la foi, le plus décisif pour configurer le mode de penser christologique et celui qui exige et facilite la rupture épistémologique » (p. 52).

Bien que reconnaissant l'estime due au souci des pauvres et des opprimés, dans les phrases citées, cette « Église des pauvres » se situe dans le lieu correspondant au lieu théologique fondamental, qui est uniquement la foi de l'Église ; c'est en elle que n'importe quel autre lieu théologique trouve son juste positionnement épistémologique.

Le lieu ecclésial de la christologie ne peut être l'« Église des pauvres » mais la foi apostolique transmise par l'Église à toutes les générations. Le théologien, de par sa vocation particulière dans l'Église, doit toujours garder à l'esprit que la théologie est la science de la foi. D'autres points de départ pour l'œuvre théologique courent le risque de l'arbitraire et finissent par affaiblir les contenus de la foi même (2).

3. Le manque d'attention due aux sources, bien que l'Auteur affirme les considérer comme « normatives », donne lieu aux problèmes concrets de sa théologie sur lesquels nous reviendrons plus loin. En particulier, les affirmations du Nouveau Testament sur la divinité du Christ, sa conscience filiale et la valeur salvatrice de sa mort, ne bénéficient en fait pas toujours de l'attention qui leur est due. Ces questions sont traitées dans les paragraphes ci-dessous.

Est criante également la manière dont l'Auteur traite des grands Conciles de l'Église ancienne, lesquels, selon lui, se seraient progressivement allégés des contenus du Nouveau Testament. Ainsi, par exemple, l'affirmation : « Ces textes sont utiles au plan théologique, en plus d'être normatifs, mais ils sont également limités, voire dangereux, comme on le reconnaît aujourd'hui sans difficulté » (La foi, 405-406). De fait, il faut reconnaître le caractère limité des formules dogmatiques, qui n'expriment, ni ne peuvent exprimer tout ce que contiennent les mystères de la foi, et qui doivent être interprétées à la lumière de l'Écriture Sainte et de la Tradition. Mais il n'y a aucun fondement à parler de la dangerosité de ces formules, étant des interprétations authentiques du donné révélé.

Le développement dogmatique des premiers siècles de l'Église, y compris les grands conciles, est considéré par le P. Sobrino comme ambigu et même négatif. Il ne nie pas le caractère normatif des formulations, mais, en même temps, il ne leur reconnaît pas davantage de valeur qu'au cadre culturel qui les a vues naître. Il ne tient pas compte du fait que le sujet trans-temporel de la foi est l'Église croyante et que les énoncés des premiers conciles ont été acceptés et vécus par toute la communauté ecclésiale. L'Église continue de professer le Credo issu des Conciles de Nicée (en 325) et de Constantinople (en 381). Les quatre premiers Conciles œcuméniques sont acceptés par la grande majorité des Églises et communautés ecclésiales d'Orient et d'Occident. Si elles se sont servies des termes et des concepts propres à la culture de leur temps ce n'était pas pour s'y adapter ; les Conciles n'ont pas signifié une hellénisation du christianisme, mais plutôt le contraire. Avec l'inculturation du message chrétien, la culture grecque elle-même a subi une transformation de l'intérieur et a pu se convertir en un instrument au service de l'expression et de la défense de la vérité biblique.

II. La divinité de Jésus-Christ

4. Diverses affirmations de l'Auteur tendent à diminuer la portée des passages du Nouveau Testament qui affirment que Jésus est Dieu : « Jésus est intimement lié à Dieu, il faudrait exprimer sa réalité en quelque sorte comme une réalité qui est de Dieu (cf. Jn 20, 28) » (La foi, 216). En référence à Jn 1, 1 il affirme : « Avec le texte de Jean [...] au sujet du logos il n'est pas dit encore, au sens strict, qu'il soit Dieu (consubstantiel au Père), mais à son sujet est affirmé quelque chose qui sera très important pour parvenir à cette conclusion, sa préexistence, laquelle n'est pas connotée de manière purement temporelle, mais dit la relation avec la création et relie le logos à l'action spécifique de la divinité » (La foi, 469). Selon l'Auteur, dans le Nouveau Testament, la divinité de Jésus n'est pas affirmée clairement, mais on trouve seulement les présupposés en ce sens : « Dans le Nouveau Testament [...] se trouvent des expressions qui, en germe, mèneront à la confession de foi en la divinité de Jésus » (La foi, 468-469). « À l'origine on ne parlait pas de Jésus comme Dieu pas plus que de la divinité de Jésus, ceci n'est arrivé qu'après un long temps d'explication croyante, très probablement après la chute de Jérusalem » (La foi, 214).

Soutenir qu'en Jn 20, 28, il est dit que Jésus est « de Dieu » est une erreur évidente, quand dans ce passage il est appelé « Seigneur » et « Dieu ». De même, en Jn 1, 1, il est dit que le Logos est Dieu. Dans de nombreux autres textes Jésus est mentionné comme Fils et comme Seigneur (3). La divinité de Jésus a fait l'objet de la foi de l'Église depuis les origines, bien avant qu'au Concile de Nicée ne soit proclamée sa consubstantialité avec le Père. Le fait que ce terme ne soit pas utilisé ne signifie pas que l'on n'affirme pas la divinité de Jésus au sens strict, au contraire de ce que l'Auteur paraît insinuer.

Avec ses assertions au sujet de la divinité de Jésus qui n'aurait été affirmée qu'après un long temps de réflexion croyante et ne se trouverait qu'en germe dans le Nouveau Testament, l'Auteur, évidemment, ne la nie pas non plus, mais il ne l'affirme pas avec la clarté requise, et donne prise au soupçon selon lequel le développement dogmatique, porteur selon lui de caractéristiques ambiguës, serait parvenu à cette formulation sans une continuité claire avec le Nouveau Testament.

Mais la divinité de Jésus est clairement attestée dans les passages du Nouveau Testament auxquels nous avons fait référence. Les nombreuses déclarations conciliaires en ce sens (4) se situent dans la continuité avec ce qui, dans le Nouveau Testament, est affirmé de manière explicite et pas seulement « en germe ». La confession de la divinité de Jésus-Christ est un point absolument essentiel de la foi de l'Église depuis ses origines et se trouve attestée depuis le Nouveau Testament.

III. L'incarnation du Fils de Dieu 5. Le P. Sobrino écrit : « D'un point de vue dogmatique il faut affirmer, et de manière tout à fait radicale, que le Fils (la deuxième personne de la Trinité) assume toute la réalité de Jésus, et bien que la formulation dogmatique n'explique jamais le fait de cet être affecté par l'humain, la thèse est radicale. Le Fils expérimente l'humanité, la vie, le destin et la mort de Jésus » (Jésus-Christ, 308).

Dans ce passage l'Auteur établit une distinction entre le Fils et Jésus qui suggère au lecteur la présence de deux sujets dans le Christ : le Fils assume la réalité de Jésus ; le Fils expérimente l'humanité, la vie, le destin et la mort de Jésus. Il n'en découle pas clairement que le Fils est Jésus et que Jésus est le Fils. Dans la teneur littérale de ces phrases, le P. Sobrino reflète la théologie dite de l'homo assumptus, laquelle est incompatible avec la foi catholique qui affirme l'unité de la personne de Jésus-Christ dans les deux natures, divine et humaine, selon les formulations des Conciles d'Éphèse (5), et surtout de Chalcédoine qui affirme : « nous enseignons tous unanimement que nous confessons un seul et même Fils, notre Seigneur Jésus-Christ, le même parfait en divinité, et le même parfait en humanité, le même vraiment Dieu et vraiment homme (composé) d'une âme raisonnable et d'un corps, consubstantiel au Père selon la divinité et le même consubstantiel à nous selon l'humanité, en tout semblable à nous sauf le péché (cf. He 4, 15) avant les siècles engendré du Père selon la divinité, et aux derniers jours le même (engendré) pour nous et pour notre salut de la Vierge Marie, Mère de Dieu selon l'humanité, un seul et même Christ, Fils, Seigneur, l'unique engendré, reconnu en deux natures, sans confusion, sans changement, sans division et sans séparation » (6). Le Pape Pie XII s'est exprimé de la même manière dans son Encyclique Sempiternus Rex : « ... le Concile de Chalcédoine, pleinement d'accord avec celui d'Éphèse, affirme clairement que l'une et l'autre nature de notre Rédempteur s'unissent “ dans une seule et même personne et subsistance ”, et défend d'admettre deux individus dans le Christ, de telle sorte qu'à côté du Verbe soit placé un homo assumptus jouissant d'une entière autonomie » (7).

6. Une autre difficulté dans la vision christologique du P. Sobrino provient de sa compréhension insuffisante de la communicatio idiomatum. En effet, selon lui, « la compréhension adéquate de la communicatio idiomatum » serait la suivante : « l'humain limité parle de Dieu, mais le divin illimité ne parle pas de Jésus » (La foi, 408 ; cf. 500).

En réalité, l'unité de la personne du Christ « en deux natures », affirmée par le Concile de Chalcédoine, a pour conséquence immédiate la dite communicatio idiomatum, c'est-à-dire, la possibilité de rapporter les propriétés de la divinité à l'humanité et vice versa. C'est déjà en vertu de cette possibilité que le Concile d'Éphèse définissait Marie comme theotókos : « Si quelqu'un ne confesse pas que l'Emmanuel est Dieu en vérité et que pour cette raison la sainte Vierge est Mère de Dieu (car elle a engendré charnellement le Verbe de Dieu fait chair) qu'il soit anathème » (8). « Si quelqu'un répartit entre deux personnes ou hypostases les paroles contenues dans les Évangiles et les écrits des Apôtres, qu'elles aient été prononcées par les saints sur le Christ ou par lui sur lui-même, et lui attribue les unes comme à un homme considéré séparément à part du Verbe issu de Dieu, et les autres au seul Verbe issu du Dieu Père parce qu'elles conviennent à Dieu, qu'il soit anathème » (9). Ainsi qu'il découle facilement de ces textes, la « communication des idiomes » s'applique dans les deux sens, l'humain parle de Dieu et le divin de l'homme. D'ailleurs le Nouveau Testament affirme que Jésus est Seigneur (10), et que par lui toutes choses ont été créées (11). Dans le langage chrétien il est possible de dire, et l'on dit par exemple, que Jésus est Dieu, qu'il est créateur et tout-puissant. Et le Concile d'Éphèse a consacré l'usage qui appelle Marie la mère de Dieu. C'est pourquoi il n'est pas correct de dire que le divin illimité ne parle pas de Jésus. Cette affirmation de l'Auteur serait compréhensible uniquement dans le contexte de la christologie de l'homo assumptus où l'unité de la personne de Jésus n'est pas clairement établie : il est évident que les attributs divins ne pourraient se dire d'une personne humaine. Mais cette christologie n'est absolument pas compatible avec l'enseignement des Conciles d'Éphèse et de Chalcédoine sur l'unité de la personne en deux natures. La compréhension de la communicatio idiomatum que l'Auteur présente révèle donc une conception erronée du mystère de l'incarnation et de l'unité de la personne de Jésus-Christ.

IV. Jésus-Christ et le Royaume de Dieu

7. Le P. Sobrino développe une vision propre de la relation entre Jésus et le Royaume de Dieu. Ce point est d'un intérêt particulier dans ses ouvrages. Selon l'Auteur, la personne de Jésus, comme médiateur, ne peut être absolutisée, mais doit être contemplée dans sa relation au Royaume de Dieu, qui est évidemment considéré comme distinct de Jésus lui-même : « Cette relation historique sera analysée plus loin de manière détaillée, mais disons pour le moment que ce rappel est important [...] lorsqu'on absolutise le Christ médiateur en ignorant sa relation constitutive à la médiation, le Royaume de Dieu » (Jésus-Christ, 32). « Avant tout il faut établir la distinction entre médiateur et médiation de Dieu. Le Royaume de Dieu, pour parler formellement, n'est pas autre chose que la réalisation de la volonté de Dieu pour ce monde, ce que nous appelons médiation. À cette médiation [...] est associée une personne (ou un groupe) qui l'annonce et l'initie, et que nous appelons médiateur. En ce sens l'on peut et doit dire que, selon la foi, est apparu déjà le médiateur définitif, ultime et eschatologique du Royaume de Dieu, Jésus [...]. C'est dans cette perspective que peuvent également être comprises les belles paroles d'Origène appelant le Christ l'autobasilée de Dieu, le Royaume de Dieu en personne, paroles importantes qui décrivent bien le caractère ultime du médiateur personnel du royaume, mais dangereuses si elles adaptent le Christ à la réalité du royaume » (Jésus-Christ, 147). « Médiateur et médiation sont liés, donc, par essence, mais ne sont pas identiques. Il y a toujours un Moïse et une terre promise, un Mgr Romero et une justice désirée. Les deux, ensemble, expriment la totalité de la volonté de Dieu, mais ne sont pas identiques » (Jésus-Christ, 147). D'autre part la condition de médiateur de Jésus lui vient uniquement de son humanité : « La possibilité d'être médiateur, ne vient donc pas au Christ d'une réalité ajoutée à l'humanité, mais de l'exercice même de l'humanité » (La foi, 253).

L'Auteur affirme certes l'existence d'une relation spéciale entre Jésus-Christ (médiateur) et le Royaume de Dieu (médiation), en ce qui concerne Jésus, le médiateur définitif, ultime et eschatologique du Royaume. Mais dans les passages cités, Jésus et le Royaume se distinguent de telle manière que le lien entre les deux se trouve privé de son contenu particulier et de sa singularité. Le lien essentiel existant entre le médiateur et la médiation n'est pas expliqué correctement selon ses propres mots. En outre l'affirmation que la possibilité d'être médiateur revient au Christ par l'exercice de son humanité exclut que sa condition de Fils de Dieu soit d'importance pour sa mission médiatrice.

Il n'est pas suffisant de parler d'un lien intime ou d'une relation constitutive entre Jésus et le Royaume ou d'un « caractère ultime du médiateur », si cela nous renvoie à une réalité distincte de lui-même. Jésus-Christ et le Royaume, en un certain sens, s'identifient : en la personne de Jésus le Royaume s'est déjà rendu présent. Cette identité a été mise en relief depuis l'époque patristique (12). Le Pape Jean-Paul II affirme dans l'Encyclique Redemptoris Missio : « C'est sur l'annonce de Jésus-Christ, avec qui s'identifie le Royaume, qu'est centrée la prédication de l'Église primitive » (13). « Non seulement le Christ a annoncé le Royaume, mais c'est en lui que le Royaume lui-même s'est rendu présent et s'est accompli » (14). « Le Royaume de Dieu n'est pas un concept, une doctrine, un programme (...), mais il est avant tout une Personne qui a le visage et le nom de Jésus de Nazareth, image du Dieu invisible. Si l'on détache le Royaume de Jésus, on ne prend plus en considération le Royaume de Dieu qu'il a révélé » (15).

D'autre part, le caractère singulier et unique de la médiation du Christ a toujours été affirmé dans l'Église. Grâce à sa condition de « Fils unique de Dieu », il est la « révélation définitive que Dieu fait de lui-même » (16). C'est pourquoi sa médiation est unique, singulière, universelle et insurpassable : « l'on peut et doit dire que Jésus-Christ a, pour le genre humain et son histoire, une signification et une valeur singulière et unique, qui lui est propre, exclusive, universelle et absolue. Jésus est, en effet, le Verbe de Dieu fait homme pour le salut de tous » (17).

 

V. La conscience personnelle de Jésus-Christ

8. Le P. Sobrino affirme, citant L. Boff, que « Jésus a été un croyant extraordinaire et a eu la foi. La foi a été le mode de vie de Jésus » (Jésus-Christ, 203). Et il ajoute de son côté : « Cette foi décrit la totalité de la vie de Jésus » (Jésus-Christ, 206). L'Auteur justifie sa position par le texte de He 12, 2 : « La lettre [aux Hébreux] dit, dans une formule lapidaire, avec une clarté qui n'a pas son pareil dans le Nouveau Testament, que Jésus est relié au mystère de Dieu dans la foi. Jésus est celui qui a vécu la foi de manière originaire et en plénitude (12, 2) » (La foi, 256). Il ajoute encore : « Pour ce qui est de la foi, Jésus est présenté, dans sa vie, comme un croyant comme nous, frère au plan théologique, puisqu'il ne lui a pas été épargné d'en passer par là. Mais il est présenté également comme un grand frère, parce qu'il a vécu la foi de manière originaire et en plénitude (12, 2). Et il est le modèle, celui sur qui nous devons garder les yeux fixés pour vivre notre propre foi » (La foi, 258).

La relation filiale de Jésus avec le Père, dans sa singularité non reproductible n'apparaît pas clairement dans les passages cités ; et même, ces affirmations tendraient plutôt à l'exclure. En considérant l'ensemble du Nouveau Testament, il ne peut être soutenu que Jésus soit « un croyant comme nous ». Dans l'évangile de Jean, il est question de la « vision » que Jésus a du Père : « Celui qui vient d'auprès de Dieu : celui-là a vu le Père » (18). De la même manière l'intimité unique et singulière de Jésus avec le Père se trouve attestée dans les évangiles synoptiques (19).

La conscience filiale et messianique de Jésus est la conséquence directe de son ontologie de Fils de Dieu fait homme. Si Jésus avait été un croyant comme nous, même de manière exemplaire, il n'aurait pu être le révélateur véritable qui nous montre le visage du Père. Les liens sont évidents entre ce point et ce qui a été dit dans la partie IV sur la relation entre Jésus et le Royaume, et ce qui sera dit plus loin dans la partie VI sur la valeur salvatrice que Jésus attribue à sa propre mort. Dans la réflexion de l'Auteur disparaît de fait le caractère unique de la médiation et de la révélation de Jésus, qui de cette manière se voit réduit à la condition de révélateur telle que nous pouvons l'attribuer aux prophètes ou aux mystiques.

Jésus, le Fils de Dieu fait chair, jouit d'une connaissance intime et immédiate de son Père, d'une « vision » qui certainement va bien au-delà de la foi. L'union hypostatique et sa mission de révélation et de rédemption requièrent la vision du Père et la connaissance de son plan de salut. C'est ce que disent les textes évangéliques cités plus haut.

Cette doctrine a été exprimée dans divers textes récents du Magistère : « Une telle connaissance tout aimante, dont le divin Sauveur nous a poursuivis dès le premier instant de son Incarnation, dépasse l'effort le plus ardent de tout esprit humain : par la vision bienheureuse dont il jouissait déjà, à peine conçu dans le sein de sa divine Mère » (20).

Avec une terminologie quelque peu différente, le Pape Jean-Paul II insiste également sur la vision du Père : « Ses yeux [de Jésus] restent fixés sur le Père. C'est bien en raison de la connaissance et de l'expérience que lui seul a de Dieu que, même en ce moment de ténèbres, il voit de manière limpide la gravité du péché et qu'il souffre pour lui. Lui seul, qui voit son Père et en jouit pleinement, mesure en plénitude ce que signifie résister par le péché à l'amour du Père » (21).

Le Catéchisme de l'Église catholique parle de la connaissance immédiate que Jésus a du Père : « C'est en premier lieu le cas de la connaissance intime et immédiate que le Fils de Dieu fait homme a de son Père » (22). « De par son union à la Sagesse divine en la personne du Verbe incarné, la connaissance humaine du Christ jouissait en plénitude de la science des desseins éternels qu'il était venu révéler » (23).

La relation de Jésus avec Dieu ne s'exprime pas correctement en disant qu'il était un croyant comme nous. Au contraire, c'est précisément l'intimité et la connaissance directe et immédiate qu'il a du Père, qui lui permet de révéler aux hommes le mystère de l'amour divin. C'est ainsi seulement qu'il peut nous y introduire.

VI. La valeur salvatrice de la mort de Jésus

9. Certaines affirmations du P. Sobrino laissent à penser que, selon lui, Jésus n'a pas attribué à sa mort une valeur salvatrice : « Disons dès le départ que le Jésus historique n'a pas interprété sa mort de manière salvatrice, selon les modèles sotériologiques élaborés ensuite par le Nouveau Testament : sacrifice expiatoire, satisfaction vicariale [...]. En d'autres termes, il n'existe pas de données laissant à penser que Jésus ait conféré un sens absolument transcendant à sa propre mort, comme l'a fait ensuite le Nouveau Testament » (Jésus-Christ, 261). « Dans les textes évangéliques, on ne trouve pas de manière indubitable la signification accordée par Jésus à sa propre mort » (ibidem). « ...on peut dire que Jésus va vers la mort avec confiance et la voit comme un acte de service ultime, plutôt comme un exemple efficace et motivant pour d'autres que comme un mécanisme de salut pour d'autres. Être fidèle jusqu'au bout, c'est cela être humain » (Jésus-Christ, 263).

Dans un premier temps l'affirmation de l'Auteur paraît limitée, dans le sens où Jésus n'aurait pas attribué à sa mort une valeur salvatrice selon les catégories utilisées plus tard par le Nouveau Testament. Mais ensuite on affirme qu'il n'existe pas de données permettant de penser que Jésus ait conféré un sens absolument transcendant à sa propre mort. Il est dit seulement qu'il va vers la mort avec confiance et qu'il lui attribue une valeur exemplaire motivante pour d'autres. De cette manière, les nombreux passages du Nouveau Testament mentionnant la valeur salvatrice de la mort du Christ (24) se trouvent privés de tout lien avec la conscience du Christ pendant sa vie terrestre. Ne sont pas pris en considération les passages évangéliques dans lesquels Jésus attribue à sa mort une signification de l'ordre du salut ; en particulier Mc 10, 45 (25) « le Fils de l'homme lui-même n'est pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude » ; ou encore les paroles de l'institution de l'Eucharistie : « ceci est mon sang, le sang de l'alliance, qui va être répandu pour une multitude » (26). De nouveau apparaît ici la difficulté dont il a été fait mention plus haut, quant à l'usage que le P. Sobrino fait du Nouveau Testament. Les données néotestamentaires cèdent le pas à une hypothétique reconstitution historique, qui est erronée.

10. Mais le problème ne se réduit pas à la conscience avec laquelle Jésus aurait affronté sa mort et à la signification qu'il lui aurait donnée. Le P. Sobrino expose également son point de vue quant à la signification sotériologique qu'il convient d'attribuer à la mort du Christ : « Le salut consiste en l'apparition sur Terre de ce que Dieu désire que soit l'être humain [...]. Jésus fidèle jusqu'à la croix est alors sauveur au moins en ce sens : il est la révélation de l'homo verus, c'est-à-dire d'un être humain dans lequel se trouveraient accomplies les caractéristiques d'une vraie nature humaine [...]. Le fait même que soit révélé, contre toute attente, l'humain en vérité est déjà bonne nouvelle, et pour cette raison, est déjà en soi oeuvre de salut [...]. Ainsi la croix de Jésus comme point culminant de toute sa vie peut être comprise comme salvatrice. Cette efficacité salvatrice se montre davantage à la manière d'une cause exemplaire que d'une cause efficace. Mais cela n'enlève rien à son efficacité [...]. Il ne s'agit donc pas d'une causalité efficace, mais d'une causalité exemplaire » (Jésus-Christ, 293-294).

Bien sûr il faut concéder toute sa valeur à l'efficacité de l'exemple du Christ, que le Nouveau Testament mentionne explicitement (27). C'est une dimension de la sotériologie qu'il ne faut pas oublier. Mais on ne peut réduire l'efficacité de la mort de Jésus à l'exemple, ou, selon les mots de l'Auteur, à l'apparition de l'homo verus, fidèle à Dieu jusqu'à la croix. Le P. Sobrino utilise dans le texte mentionné des expressions comme « au moins » et « plutôt », qui paraissent laisser la porte ouverte à d'autres considérations. Mais à la fin, cette porte se ferme avec une négation explicite : il ne s'agit pas de causalité efficace, mais de causalité exemplaire. La rédemption paraît se réduire à l'apparition de l'homo verus, manifesté dans la fidélité jusqu'à la mort. La mort du Christ est exemplum et non sacramentum (don). La rédemption se réduit au moralisme. Les difficultés christologiques déjà relevées en lien avec le mystère de l'incarnation et la relation avec le Royaume affleurent à nouveau ici. Seule l'humanité entre en jeu, et non le Fils de Dieu fait homme pour nous et pour notre salut. Les affirmations du Nouveau Testament, de la Tradition et du Magistère de l'Église concernant l'efficacité de la rédemption et du salut opérés par le Christ ne peuvent se réduire au bon exemple qu'il nous a donné. Le mystère de l'incarnation, de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ, le Fils de Dieu fait homme, est la source unique et inépuisable de la rédemption de l'humanité, dont l'efficacité s'opère dans l'Église au moyen des sacrements.

Le Concile de Trente affirme dans le Décret sur la justification : « ...le Père céleste “ Père des miséricordes et Dieu de toute consolation ” (2 Co 1, 3) [...] envoya aux hommes, quand vint la bienheureuse “ plénitude des temps ” (Ep 1, 10 ; Ga 4, 4), le Christ Jésus, son Fils, pour racheter les Juifs sujets de la loi (Ga 4, 5), pour “faire aussi atteindre la justice aux païens qui ne la cherchaient pas” (Rm 3, 25) et pour que tous “reçussent la qualité de fils adoptifs” (Ga 4, 5). C'est lui que “Dieu a établi victime propitiatoire en son sang ; moyennant la foi, pour nos péchés” (Rm 3, 25) “non seulement pour les nôtres, mais pour ceux du monde entier” (1 Jn 2, 2) » (28).

Le même décret affirme que la cause méritoire de la justification est Jésus, Fils unique de Dieu « “ qui alors que nous étions ennemis ” (Rm 5, 10), “ à cause de l'extrême amour dont il nous a aimés ” (Ep 2, 4) a mérité notre justification par sa très sainte Passion sur le bois de la croix et a satisfait pour nous à Dieu son Père » (29).

Le Concile Vatican II enseigne : « Le Fils de Dieu dans la nature humaine qu'il s'est unie, a racheté l'homme en triomphant de la mort par sa mort et sa résurrection, et il l'a transformé en une créature nouvelle (cf. Ga 6, 15 ; 2 Co 5, 17). En effet, en communiquant son Esprit à ses frères, qu'il rassemblait de toutes les nations, il a fait d'eux, mystiquement comme son Corps. Dans ce Corps, la vie du Christ se répand dans les croyants que les sacrements, d'une manière mystérieuse et réelle, unissent au Christ souffrant et glorifié » (30).

Le Catéchisme de l'Église catholique indique quant à lui : « Ce dessein divin de salut par la mise à mort du Serviteur, le Juste, avait été annoncé par avance dans l'Écriture comme un mystère de rédemption universelle, c'est-à-dire de rachat qui libère les hommes de l'esclavage du péché. saint Paul professe, dans une confession de foi qu'il dit avoir reçue que “ le Christ est mort pour nos péchés selon les Écritures ” (1 Co 15, 3). La mort rédemptrice de Jésus accomplit en particulier la prophétie du Serviteur souffrant. Jésus lui-même a présenté le sens de sa vie et de sa mort à la lumière du Serviteur souffrant » (31).

Conclusion

11. La théologie naît de l'obéissance à l'impulsion de la vérité qui tend à se communiquer et de l'amour qui désire connaître toujours davantage celui qui aime, Dieu lui-même, dont nous avons reconnu la bonté par l'acte de foi (32). C'est pourquoi la réflexion théologique ne peut avoir d'autre matrice que la foi de l'Église. C'est à partir de la foi ecclésiale seulement, que le théologien peut acquérir, en communion avec le Magistère, une intelligence plus profonde de la Parole de Dieu contenue dans l'Écriture et transmise par la Tradition vivante de l'Église (33).

La vérité révélée par Dieu lui-même en Jésus-Christ, et transmise par l'Église, constitue donc le principe normatif ultime de la théologie (34) et nulle autre instance ne peut la surpasser. Dans sa référence à cette source éternelle, la théologie est fontaine d'une authentique nouveauté et lumière pour les hommes de bonne volonté. C'est pourquoi, la recherche théologique donnera des fruits d'autant plus abondants et mûrs, pour le bien de tout le Peuple de Dieu et de toute l'humanité qu'elle se sera inscrite dans le courant de vie qui, grâce à l'action de l'Esprit Saint, procède des Apôtres et a été enrichi par la réflexion croyante des générations qui nous ont précédés. C'est l'Esprit Saint qui introduit l'Église dans la plénitude de la vérité (35), et c'est seulement dans la docilité à ce « don d'en haut » que la théologie est vraiment ecclésiale et au service de la vérité.

Le but de la présente Notification est précisément de faire remarquer à tous les fidèles la fécondité d'une réflexion théologique qui n'ait pas peur de se développer dans le flux vital de la Tradition ecclésiale.

Le Souverain Pontife Benoît XVI, durant l'Audience accordée au sous-signé cardinal Préfet le 13 octobre 2006, a approuvé la présente Notification, décidée en Session ordinaire du Dicastère, et a ordonné sa publication.

Donné à Rome, au siège de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le 26 novembre 2006, en la fête de N.S. Jésus-Christ, Roi de l'Univers.

William cardinal LEVADA, Préfet Angelo AMATO, S.D.B., archevêque titulaire de Sila, Secrétaire

 

Qui est Jon Sobrino ?

Jésuite salvadorien d'origine espagnole, Jon Sobrino est né le 27 décembre 1938 à Barcelone où sa famille nationaliste basque avait migré durant la guerre civile. Entré très jeune, à 18 ans, dans la Compagnie de Jésus, il quitte son pays d'origine pour rejoindre, en 1957, le Salvador, petit pays d'Amérique centrale. Sa formation humaine et spirituelle le conduit à Saint Louis (États-Unis) pour des études d'ingénieur puis en Allemagne pour la théologie. Revenu au Salvador, il enseigne à l'Université jésuite centro-américaine José Simeón Cañas, dont il a contribué à la fondation.

Malgré des oppositions initiales, il se rapproche progressivement de Mgr Oscar Romero, archevêque de San Salvador, très affecté par le premier assassinat d'un jésuite en 1977 et qui sera lui même tué alors qu'il célébrait la messe le 24 mars 1980. Le P. Sobrino travaille aussi avec le P. Ignacio Ellacuría assassiné avec cinq autres jésuites et deux femmes laïcs, en 1989 par un groupe para-militaire d'extrême droite. Le P. Sobrino, membre de cette même communauté religieuse, échappe à ce meurtre à cause d'un déplacement pour une conférence. Cette proximité avec les exactions commises pendant la guerre civile le pousse à se placer du côté des victimes.

Auteur prolifique, il enseigne la christologie et l'ecclésiologie. Parmi ses ouvrages, il faut noter : Jésus-Christ en Amérique latine. Sa signification pour la foi et la christologie (Cerf, 1986). Ses autres livres n'ont pas été traduits en français si ce n'est un petit ouvrage sur Mgr Romero (Fidélité, 1996).

Aujourd'hui, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi pointe son étude essentiellement sur deux de ses ouvrages : Jésus-Christ libérateur. Lecture historico-théologique de Jésus de Nazareth (Madrid, 1991) et La foi en Jésus-Christ. Essai du point de vue des victimes (San Salvador, 1999) (voir la notification et la notice explicative). Au cours de la procédure, une correspondance s'est établie entre le dicastère et le théologien. Mais avant la publication du document romain, le P. Sobrino, estimant que sa pensée était mal interprétée, n'a pas accepté de revenir sur ses écrits. Il a envoyé une longue lettre au P. Peter Hans Kolvenbach, Préposé général des Jésuites, à qui il a déclaré : « je ne me sens absolument pas représenté dans le jugement global de la notification. Pour cela il ne me paraît pas honnête d'y souscrire ». Si la notification romaine ne comporte aucune sanction, l'archevêque de San Salvador, Mgr Francisco Sáenz Lacalle, membre de l'Opus Dei, a interdit pour l'instant au P. Sobrino d'enseigner et de publier d'autres ouvrages.

Début de la procédure sur le P. Jon Sobrino

Notice explicative de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi

Au moment de publier la notification sur les ouvrages du P. Jon Sobrino, le 15 mars, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a joint à ce premier document une notice explicative dans laquelle elle expose le déroulement et les règles de la procédure appliquée au théologien, conformément aux normes de l'Église et du dicastère concerné.

Texte original espagnol dans l'Osservatore Romano du 15 mars (*)

1. L'intérêt de l'Église pour les pauvres

La fonction propre de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi est de promouvoir et protéger la doctrine sur la foi et les coutumes dans tout le monde catholique (1). C'est ainsi qu'elle cherche à servir la foi du Peuple de Dieu et en particulier de ses membres les plus simples et les plus pauvres. La préoccupation pour les personnes les plus simples et pauvres est, depuis les origines, un des traits caractéristiques de la mission de l'Église. S'il est certain, comme l'a rappelé également le Saint Père, que « la première pauvreté des peuples est de ne pas connaître le Christ » (2), alors tous les hommes ont droit à la connaissance du Seigneur Jésus, « espérance des nations et sauveur des peuples », et à plus forte raison chaque chrétien à droit à une connaissance adéquate, authentique et intégrale de la vérité que l'Église confesse et exprime au sujet du Christ. C'est ce droit même qui fonde le devoir correspondant du magistère de l'Église d'intervenir chaque fois que la vérité est mise en péril ou niée.

 Pour toutes ces raisons, la Congrégation s'est vue dans l'obligation de publier la Notification jointe sur certains ouvrages du P. Jon Sobrino S.J. dans lesquels ont été trouvées diverses propositions erronées ou dangereuses pouvant causer du tort aux fidèles. Le P. Sobrino, dans ses ouvrages, manifeste une préoccupation pour la situation des pauvres et des opprimés, en particulier en Amérique latine. Cette préoccupation est certainement celle de l'Église tout entière. La Congrégation pour la Doctrine de la Foi elle-même, dans son Instruction Libertatis conscientia sur la liberté chrétienne et la libération, indiquait que « la misère humaine attire la compassion du Christ Sauveur qui a voulu s'en charger et s'identifier avec « les plus petits de ses frères » (cf. Mt 25, 40.45) » et que « l'option préférentielle pour les pauvres, loin d'être un signe de particularisme ou de sectarisme, manifeste l'universalité de l'être et de la mission de l'Église. Cette option n'est pas exclusive. C'est la raison pour laquelle l'Église ne peut l'exprimer à travers des catégories sociologiques ou idéologiques réductrices, qui feraient de cette préférence une option partisane et de nature conflictuelle » (3). Auparavant déjà, la même Congrégation, dans l'Instruction Libertatis nuntius sur certains aspects de la théologie de la libération, avait observé que les avertissements sur ce courant théologique contenus dans le document ne pouvaient, ni être interprétés comme un reproche envers ceux qui désiraient être fidèles à l'« option préférentielle pour les pauvres », ni de quelque manière servir d'excuse à ceux qui se montrent indifférents aux très graves problèmes de misère et d'injustice (4).

 Ces affirmations font apparaître avec clarté la position de l'Église dans ce problème complexe : « Les inégalités iniques et les oppressions de tout type qui affectent aujourd'hui des millions d'hommes et de femmes sont en contradiction ouverte avec l'Évangile du Christ et face à elles aucun chrétien ne peut garder la conscience tranquille. L'Église, docile à l'Esprit, avance fidèlement sur les chemins de la libération authentique. Ses membres sont conscients de ses faiblesses et de ses lenteurs dans cette recherche. Mais une multitude de chrétiens, depuis le temps des Apôtres, ont consacré leurs forces et leur vie à la libération de toute forme d'oppression et à la promotion de la dignité humaine. L'expérience des saints et l'exemple de tant d'œuvres de service au prochain constituent une stimulation et un éclairage pour les initiatives de libération qui s'imposent aujourd'hui » (5).

 2. Procédure pour l'examen des doctrines

La Notification mentionnée ci-dessus a été élaborée après un examen attentif des écrits du P. Sobrino selon la procédure établie pour l'examen des doctrines. La manière dont la Congrégation pour la Doctrine de la Foi procède pour se faire une opinion sur des écrits qui apparaissent problématiques, peut s'expliquer brièvement. Lorsque la Congrégation considère que les écrits d'un auteur précis présentent des difficultés au point de vue doctrinal, de telle manière qu'il en découle ou peut en découler un dommage grave pour les fidèles, elle entame une procédure définie par le Règlement du 29 juin 1997, approuvé en son temps par le Pape Jean-Paul II (6).

 La procédure ordinaire prévoit de demander leur avis à quelques experts en la matière. L'avis de ces derniers, ainsi que toutes les notes pouvant servir à l'examen de la situation, sont ensuite soumis à la considération de la Consulte, instance de la Congrégation constituée d'experts des différentes disciplines théologiques. Tout le déroulement, y compris le compte-rendu des discussions, le vote général ou les votes particuliers des Consultateurs quant à l'existence éventuelle dans les écrits d'erreurs doctrinales ou d'opinions dangereuses, est soumis à l'examen de la Session ordinaire de la Congrégation, composée des cardinaux et évêques membres du Dicastère, laquelle examine minutieusement la question et décide s'il convient ou non d'interpeller l'Auteur. La décision de la Session Ordinaire est soumise à l'approbation du Souverain Pontife. S'il est décidé de procéder à l'interpellation, la liste de propositions erronées ou dangereuses est communiquée, par l'Ordinaire, à l'Auteur, lequel dispose d'un délai de trois mois francs pour répondre. Si la Session ordinaire considère que la réponse est suffisante, la procédure s'arrête là. Dans le cas contraire, les mesures adéquates sont prises. L'une d'entre elles peut consister en la publication d'une Notification dans laquelle sont exposées en détail les propositions erronées ou dangereuses trouvées dans les écrits de l'Auteur.

Lorsque l'on considère que les écrits sont de toute évidence erronés et que leur divulgation pourrait entraîner ou entraîne d'ores et déjà un dommage grave pour les fidèles (7) la procédure est abrégée. Une Commission d'experts est nommée, chargée de déterminer quelles sont les propositions erronées ou dangereuses. Le rapport de cette Commission est soumis à la Session ordinaire de la Congrégation. Dans le cas où les propositions sont jugées effectivement erronées ou dangereuses, après approbation par le Saint-Père, il est transmis, toujours par le biais de l'Ordinaire, à l'Auteur lui-même pour qu'il les corrige dans un délai de deux mois francs. Sa réponse est examinée par la Session Ordinaire, qui adopte les mesures opportunes.

3. Le cas particulier du P. Sobrino . Dans le cas présent, la Notification elle-même indique les étapes effectuées selon la procédure d'urgence. Cette procédure a été choisie en raison entre autres de la large diffusion, surtout en Amérique latine, des ouvrages du P. Jon Sobrino. De graves manques autant du point de vue méthodologique que du contenu ont été mis en évidence. Sans reproduire ici les détails contenus dans la Notification, il faut noter que, parmi les manques au plan méthodologique se trouve l'affirmation selon laquelle l'Église des pauvres est le lieu ecclésial de la christologie et lui donne son orientation fondamentale, oubliant que l'unique « lieu ecclésial » valide dans la christologie, comme dans la théologie en général, est la foi apostolique, transmise par l'Église à toutes les générations. Le P. Sobrino tend à réduire la valeur normative des affirmations du Nouveau Testament et des grands Conciles de l'Église ancienne. Ces erreurs de « indole » vérifier méthodologique aboutissent à des conclusions non conformes à la foi de l'Église au sujet des points centraux de cette même foi : la divinité de Jésus-Christ, l'incarnation du Fils de Dieu, la relation de Jésus avec le Royaume de Dieu, sa conscience personnelle, la valeur salvatrice de sa mort.

À ce sujet, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi écrivait : « une réflexion théologique développée à partir d'une expérience particulière peut constituer un apport très positif, car elle permet de mettre en évidence des aspects de la Parole de Dieu dont toute la richesse n'a pas encore été pleinement perçue. Mais afin que cette réflexion soit vraiment une lecture de l'Écriture, et non une projection sur la Parole de Dieu d'un sens qui n'y est pas contenu, le théologien sera attentif à interpréter l'expérience dont il part à la lumière de l'expérience de l'Église même. Cette expérience de l'Église brille d'un éclat singulier et avec toute sa pureté dans la vie des saints. Il revient aux Pasteurs de l'Église, en communion avec le Successeur de Pierre, d'en discerner l'authenticité » (8).

C'est pourquoi, avec cette Notification nous espérons offrir aux pasteurs et aux fidèles un critère sûr, fondé sur la doctrine de l'Église pour un jugement droit concernant ces questions, qui sont d'une grande importance aussi bien au plan théologique que pastoral.

(*) Traduction de Christine Lang


Soeur Claire Marie de Lausanne nous dit dans son site Katutura le samedi 24 mars 2007:

" Enfin et ce qui me fait particulièrement plaisir et qui m’encourage, c’est ce qui suit, selon l’agence apic :

« Les Missionnaires de Bethléem Immense (MBI) en Suisse sont également consternés par le jugement prononcé à Rome contre le théologien de la libération Jon Sobrino. Il est surtout reproché au jésuite d'avoir davantage décrit Jésus comme un accompagnateur des hommes que comme un sauveur divin, note le responsable de MBI, Joseph Gähwiler, dans un communiqué.

La vision selon laquelle la divinité de Jésus se montre justement dans sa solidarité avec les plus pauvres est fondamentale pour la théologie de la libération, ainsi que pour la Mission de Bethléem Immense. La conception de Jésus solidaire, développée par Sobrino, est inséparablement liée avec l'option pour les plus pauvres et les réprimés, selon MBI. L'archevêque Oscar Romero, dont Sobrino était le conseiller théologique, a vécu cette vision jusqu'au martyr.

L'option pour les pauvres est-elle prise au sérieux? »http://katutura.blogspot.com/2007_03_01_archive.html


Merci

Le développement dogmatique des premiers siècles de l'Église, y compris les grands conciles, est considéré par le P. Sobrino comme ambigu et même négatif..

 C'est un fait historique que nul historien ne conteste.

Pourquoi cette manière de faire du Vatican : toujours titiller, condamner ? Le Christ condamnait-il ?

Il n'a excomunié personne , ni canonisé personne. !

Le Saint-Esprit n'utiliserait-il que l'Eglise Catholique Romaine en sa hiérarchie pour atteindre les hommes?

Edmond Savajol


retour index 1250_papes.html

index.html

Autres sites:

biblethora
civisme.politique
Coran Islams
La fin du monde