La lutte contre les sectes


La lutte contre les sectes devrait être considérablement renforcée par un arsenal juridique spécifique, selon une proposition de loi à l'initiative du groupe PS, qui sera examinée le 22 juin 2000 par l'Assemblée nationale. Le Parlement a longtemps hésité avant de prévoir des dispositions spécifiquement anti-sectes, mais cette fois-ci, il prend le taureau par les cornes , s'est félicitée la députée PS Catherine Picard, rapporteur du texte et présidente du groupe d'études sur les sectes de l'Assemblée. Les députés socialistes ont fait inscrire à leur ordre du jour réservé la proposition de loi du sénateur UDF Nicolas About, adoptée par le Sénat en décembre.

Le texte vise à permettre au pouvoir politique de dissoudre des personnes morales plusieurs fois condamnées (elles-mêmes ou leurs dirigeants) pour certains délits typiques des sectes (mise en danger d'autrui, instruction scolaire non conforme, abus de confiance, etc.). Mais ils ont préparé une série d'amendements qui vont bouleverser ce texte de fond en comble et le muscler considérablement. Ainsi les socialistes proposent de donner à la justice, et non plus au pouvoir politique comme le prévoyait le sénateur About, le droit de dissoudre des sectes condamnée au moins deux fois par la justice. Ce droit de dissolution par la justice était notamment réclamé par la Mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS).

Délit de manipulation mentale

Les socialistes prévoient aussi la création d'un délit de manipulation mentale , qui devrait permettre de lancer plus facilement des procédures judiciaires contre les sectes. Il s'appliquerait aux pressions graves et réitérées exercées sur une personne afin de créer ou d'exploiter un état de dépendance psychologique ou physique , dans le cadre d'un groupement ayant pour but ou pour effet créer ou d'exploiter ces dépendances.

Le délit serait puni de 200.000 francs d'amende et deux ans d'emprisonnement, selon le texte PS. La sanction serait aggravée à 5 ans d'emprisonnement et 500.000 francs d'amende lorsqu'elle est commise sur une personne particulièrement vulnérable.

La rédaction choisie permettra notamment d'engager des poursuites sans s'interroger sur le consentement ou non de la victime à ces pressions, a-t-on souligné de source parlementaire. La lutte contre les sectes devrait être d'autant plus facilitée que pour la première fois, le législateur fournirait un embryon de définition de ce qu'est une secte , a-t-on également expliqué de même source.

Les propositions du groupe PS devraient trouver un large soutien à l'Assemblée, puisqu'elles reprennent pour la plupart des dispositions déjà proposées par exemple par le RPR Eric Doligé, auteur d'une proposition de loi sur la manipulation mentale, ou par le député-maire RPR de Paris, Jean Tiberi. Comme M. Tiberi, les socialistes proposent ainsi d'interdire l'installation d'une secte déjà condamnée à proximité d'une école, d'un hôpital, d'un dispensaire, ou autres établissements accueillant des personnes vulnérables. Ils suggèrent également, comme l'avait fait M. Tiberi, d'empêcher la publicité d'une secte déjà condamnée auprès des jeunes.

Toujours pour faciliter la condamnation des sectes par la justice, les députés PS reprennent par ailleurs la proposition sénatoriale d'étendre la responsabilité pénale des personnes morales à plusieurs délits: délits d'entrave ou d'omission de porter secours, provocation au suicide, complicité d'abandon de famille ou complicité de privation de soins et d'aliments à mineurs de moins de 15 ans


L'Église catholique et les sectes

Réflexion du P. Jean Vernette sur les dérives sectaires

Dans un texte publié le 15 janvier dans le SNOP, organe de communication de la Conférence des évêques de France, le Père Jean Vernette, secrétaire national du service « Pastorale, sectes et nouvelles croyances », aborde la question des « dérives sectaire

Cette réflexion s'inscrit dans le cadre de la procédure actuelle d'adoption de la loi About-Picard visant à « renforcer la prévention et la répression à l'encontre des groupements à caractère sectaire ».

La Commission parlementaire a mené des auditions auxquelles n'ont pas été toujours conviées les Églises. Au sein de l'Église catholique, le débat porte sur les critères d'identification des tendances sectaires et sur le risque d'éventuelles dérives ou de suspicion à l'encontre de certains groupes de pensée ou de certaines religions. Le P. Jean Vernette propose donc des « critères de discernement » qui permettraient aux responsables de l'Église d'identifier les groupements à tendances sectaires et de lutter ainsi contre eux.

Nous publions ce document (*) :

L'État, dans son service de l'ordre public et de la protection des personnes, a été amené à proposer différentes mesures administratives ou judiciaires, en particulier un toilettage des différents Codes pour les rendre plus efficaces dans la prévention contre les groupes dangereux. Par ailleurs, d'aucuns laissent entendre que certaines communautés d'Église connaîtraient des dérives sectaires. Il est important de faire le point sur ces dossiers délicats, pour le bien commun et celui des personnes, en fournissant des critères de discernement fondés sur le droit et sur l'expérience.

I. UNE PROPOSITION DE LOI SUR LES SECTES

Une proposition de loi « tendant à renforcer la prévention et la répression à l'encontre des groupements à caractère sectaire », rédigée par un important collectif de parlementaires, a été adoptée par l'Assemblée Nationale le 22 juin 2000.

Une initiative à saluer

La préoccupation des pouvoirs publics est hautement légitime. Ils assument pleinement leur rôle en veillant au respect des lois et en protégeant les libertés individuelles. On salue ici, en particulier, l'intention réaffirmée de se refuser à « mettre en place une législation d'exception », tout en créant « les outils juridiques à même de les mettre hors d'état de nuire ». Il s'agirait d'un simple toilettage du Code pénal pour le rendre plus opératoire et plus musclé.

C'est en ce sens que sont proposées des modifications des articles du Code, en particulier : - sur l'extension de la responsabilité pénale des personnes morales à certaines infractions (art. 2, 3, 4, 5), - sur la limitation de l'installation en des lieux publics des groupements sectaires (art. 6). Il appartient aux juristes de se prononcer sur le contenu de ces propositions.

Une proposition séduisante, mais redoutable La proposition de l'article 9, visant à instituer un délit de « manipulation mentale », paraît judicieuse au premier abord devant les situations intolérables où des leaders paranoïaques exercent des pressions psychologiques inadmissibles sur des sujets maladivement consentants ou dolosivement bernés. Mais elle nécessite une réflexion plus approfondie. Ne risque-t-on pas de tomber dans la législation d'exception que l'on voulait éviter ?

Les intentions du législateur sont claires pour aujourd'hui : le projet de loi vise les seuls groupements suspects. Mais sur quels critères va-t-on en décider ? Qui décidera que tel groupe « poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer ou d'exploiter la dépendance psychologique ou physique des personnes » ? Quelle sera l'étendue du champ d'application de ce texte ? Est-il, dans sa rédaction actuelle, en conformité avec la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, dont la liberté de conscience (art. 9, du 4 novembre 1950) ?

En l'état actuel du sentiment démocratique en France, il est convenu, par exemple, que vie en noviciat ou clôture définitive dans des congrégations religieuses, pratiques d'ascèse, voeux d'obéissance et de pauvreté, direction spirituelle et « retraites fermées » ne sont pas des « activités » visant un tel but. Mais le sentiment peut changer, et les dispositions pénales demeurer.

Comment avoir la garantie qu'elles ne pourraient pas, même théoriquement, s'appliquer à des religions ou des groupes de pensée ? Quels experts seront consultés pour établir l'existence de la dite « manipulation mentale » et engager des poursuites ? Au terme, le juge se fonderait certes sur son intime conviction. Mais ce qui est direction spirituelle ou ascèse pour le croyant peut apparaître comme « exploitation de la dépendance psychologique ou physique » pour un autre. Le texte actuel ouvre un champ trop vaste à l'appréciation subjective, voire à l'arbitraire.

On vise à protéger les victimes contre elles-mêmes (« contre son gré ou non ») ou contre les conséquences des manipulations mentales qu'elles subiraient. Mais cela n'implique-t-il pas de poser pénalement une évaluation critique des convictions de la personne ? N'y a-t-il pas là une dérive liberticide qui peut conduire à une police de la pensée ? Ces interrogations ne sont pas purement théoriques. Voici deux exemples récents des risques de telles dérives, parmi bien d'autres.

Deux exemples récents de dérives inquiétantes Qui déterminera le chef d'inculpation ? Qui va déterminer, et sur quelles informations, la qualification pénale de tels faits « sectaires » ? Quelle liste des « sectes », en particulier, sera-t-elle prise comme référence par les Tribunaux pour inculper les « groupements à caractère sectaire » visés par la nouvelle formulation du Code pénal (Art. 225-16 ¤ 4, 5 et 6) ?

Nous développerons plus loin un exemple de dérive dangereuse, lorsqu'une circulaire ministérielle récente invite les magistrats à s'adresser, pour « déterminer les modes de signalement de faits susceptibles de recevoir une qualification pénale », à une association listant parmi les sectes dangereuses des groupes pleinement reconnus par l'Église catholique.

Qui serait habilité à déterminer le « religieusement correct » ? Un couple de la Communauté religieuse des Béatitudes, communauté pleinement reconnue par l'Église catholique, demande l'adoption plénière d'un enfant. Le Tribunal de Grande Instance de R. prononce cette adoption le 1er juillet 1998. Mais le Ministère public interjette appel de la décision, au motif en particulier que « les voeux religieux de pauvreté, d'obéissance, de chasteté », vécus dans une communauté « mêlant des hommes, femmes et enfants sous la direction d'un berger » constitueraient « un obstacle à l'épanouissement futur de l'enfant » (énoncé des attendus par la Cour d'Appel). [Nota : la Cour d'Appel a rejeté cet appel, le 4 août 1999, et confirmé l'adoption].

Question : dans le cadre de la loi envisagée, qui serait habilité à donner l'interprétation légale du religieusement et socialement « correct » ? Est-il du rôle de l'autorité publique de le déterminer (indépendamment du risque d'arbitraire) ?

II. UN EXEMPLE DE DÉRIVE À ÉVITER DANS LA LUTTE ANTI-SECTES

La qualification d'un groupe comme « secte » est difficile à manier, on le sait. Cette imprécision a amené certains à glisser dans une instrumentalisation du nécessaire et légitime combat contre les sectes destructrices en une lutte anti-religieuse dirigée aussi contre l'Église catholique. Voici un fait récent révélateur d'un risque non négligeable de dysfonctionnement des relations traditionnellement harmonieuses entre l'Église et l'État en régime de séparation.

Une liste des « sectes » ?

Une Association de lutte contre les sectes, le Centre Roger Ikor (ou CCMM, Centre Contre les Manipulations Mentales) (1), a fait paraître récemment un Dico des sectes (par Annick Drogou et le Centre Roger Ikor, éditions Milan, 1998). Or cette liste de « sectes » comporte les noms de plusieurs groupes d'Église officiellement reconnus par l'autorité ecclésiale : Focolari, Béatitudes, Chemin Neuf, Buisson Ardent, Communauté Chrétienne de Formation ; et aussi Opus Dei, Légionnaires du Christ.

Aussi inquiétantes sont les définitions données de réalités constitutives de la foi chrétienne, par exemple dans les entrées : Doctrine, Péché, Confession ou bien Prière, Contemplation, Conversion (2). On y discerne la ligne de pensée habituelle de l'Union Rationaliste, de la Libre Pensée, de la Franc-Maçonnerie dans sa version athée.

Ce nouveau fait confirme malheureusement que d'aucuns souhaitent utiliser la lutte anti-sectes comme fusée porteuse d'une lutte anti-religieuse. Bien qu'assortie de protestations renouvelées qu'il n'en est aucunement question, la stratégie ne varie pas. Témoin le refus réitéré des instances officielles chargées de traiter du problème de société que représentent les sectes (à l'exception notable de la Commission des Lois du Sénat et d'un groupe de parlementaires de l'Assemblée Nationale) de consulter - à la différence des autres pays d'Europe - les représentants des Églises et grandes religions.

Alors que seule une mobilisation de toutes les forces de la nation et, en particulier, de tous les grands courants de pensée intéressés, sans exclure l'un ou l'autre par sectarisme, serait à même de faire avancer une solution humaniste efficace à long terme. Non pour engager des discussions doctrinales, mais pour travailler à la défense du citoyen et des faibles, aider les personnes atteintes et instaurer un climat de paix sociale. La laïcité en France, en particulier, ne peut signifier que l'Église n'aurait plus d'espace pour parler sur des problèmes essentiels concernant la société française.

Une circulaire aux Tribunaux

Certes, les auteurs du Dico ont totalement le droit d'exprimer leur point de vue ; nous sommes en démocratie. Mais, à titre personnel, et non à titre officiel. Or, un nouveau pas lourd de conséquence a été franchi avec la circulaire à tous les Tribunaux de Madame la Garde des Sceaux et Ministre de la Justice, en date du 1er décembre 1998, leur demandant d'avoir des liens étroits avec le dit CCMM (et l'UNADFI, autre Association), pour engager des enquêtes et actions judiciaires, établir le caractère de « secte » des groupes, « déterminer les modes de signalement de faits susceptibles de recevoir une qualification pénale ».

Des informations erronées et tendancieuses dans leur esprit, comme il apparaît dans ce livre-répertoire (qui concernent aussi d'autres groupes que des communautés d'Église), deviennent ainsi référence officielle. Et, au plus haut niveau, puisqu'il s'agit de l'instance ultime chargée de dire et rendre le droit : la Justice. Cela laisse en forte inquiétude (3).

On s'étonne de plus qu'en régime de Séparation, l'autorité publique, au terme, se mette en situation de définir ce qu'est une bonne et une mauvaise religion. À plus forte raison quand il s'agit de groupes totalement reconnus par l'Église catholique.

- Déjà la liste établie par le Rapport, utile par ailleurs, de la Commission parlementaire de 1996 comportait de semblables qualifications abusives pour certains groupes épinglés faussement comme secte, avec toutes les conséquences désastreuses pour leurs membres et leurs activités, la liste étant largement publiée dans les médias. Or, aucun n'avait été entendu. Aucun n'a pu obtenir réhabilitation ou nouveau jugement, car aucune instance ne se reconnaît qualifiée pour reprendre le dossier. La chose est grave dans un État de droit et l'on s'inquiète qu'elle risque de se renouveler par un autre biais.

- En effet, se fondant sur le dit Dico des Sectes, les groupes d'Église cités sont susceptibles d'être l'objet d'enquête, de mise en examen et de poursuites. Or, la Belgique a connu une situation semblable en 1997 avec la liste établie par la Commission parlementaire belge sur les sectes, qui mettait déjà en cause plusieurs mouvements d'Église officiellement reconnus. L'Épiscopat belge a élevé une vive protestation. Cette liste, après un débat houleux à la Chambre des Représentants, a été finalement retirée.

III. DES VOIES DE SOLUTION EXISTENT, DANS LE CADRE DE LA LÉGISLATION

RÉPUBLICAINE TRADITIONNELLE

Accord sur une nécessaire législation

L'Église catholique, au nom de son service de l'homme et des droits de la personne, si elle ne peut approuver le texte en l'état, est en entier accord avec la nécessité de mettre en oeuvre toutes les dispositions générales du Code pénal pour défendre la société et les individus contre les agissements sectaires. Nous allons donner des exemples concrets, et vérifiés par l'expérience, des multiples opportunités qu'offrent les différents Codes pour lutter contre les groupes dangereux en s'appuyant sur la Loi... Mais, sans glisser dans une inflation répressive dangereuse pour les libertés individuelles, et spécialement la liberté religieuse. Le respect des consciences et des libertés est en effet au coeur de l'Évangile.

L'Église catholique n'ignore d'ailleurs pas que les dérives sectaires peuvent exister dans ses propres communautés. Aussi a-t-elle mis en place des procédures précises pour défendre les personnes, avec son code interne, le Code de Droit canonique, et ses Tribunaux ecclésiastiques auxquels tout fidèle s'estimant victime de pratiques sectaires (dont la « manipulation mentale ») peut recourir. Nous ouvrirons honnêtement ce dossier en finale.

L'apport propre de l'Église catholique

Elle s'est engagée elle-même sur le terrain de la lutte contre les agissements sectaires par la mise en place, il y a déjà trente ans, d'un Secrétariat national spécialisé, au service des victimes et des familles, présent dans la plupart des diocèses. Son approche « pastorale » vise aussi à trouver solution aux problèmes des sectes : - en amont, en étant très attentif aux quêtes religieuses ou de sens qui habitent beaucoup d'adeptes ; - en aval, par des procédures d'aide et de médiation dans les conflits familiaux, d'accompagnement des adeptes après leur sortie de la secte... Elle tient cette expérience cumulée au service de la solution sociale du « problème des sectes ».

Pour se défendre contre les sectes avec la Loi Sommes-nous démunis devant les manoeuvres sectaires de groupes et personnes qui « poursuivent des activités ayant pour but ou pour effet de créer ou d'exploiter la dépendance psychologique ou physique des personnes » ? Absolument pas. La loi protège le citoyen. Encore faut-il la connaître et s'en servir. Il m'arrive souvent de la faire connaître aux victimes d'agissements manipulatoires pernicieux. Car la plupart des personnes, et peut-être des hommes de loi..., ignorent les moyens dont notre législation française s'est dotée pour protéger le citoyen et réprimer les agissements des propagandistes de groupes totalitaires.

Voici un simple et bref rappel des principales infractions au titre desquelles toute personne (il faut souvent l'y aider...) peut porter plainte pour demander l'application et la protection de la Loi (4). On a d'abord les moyens dits « de droit pénal général », qui concernent : l'escroquerie, les blessures volontaires ou involontaires, la non-assistance à personne en danger, les agressions sexuelles, l'incitation des mineurs à la débauche, la mise en péril des mineurs.

Il existe aussi des moyens dits « de droit pénal spécial ». La contrainte en vue de l'exercice d'un culte par exemple : contre « ceux qui, soit par voies de fait, violences ou menaces contre un individu (...) l'auront déterminé à exercer ou à s'abstenir d'exercer un culte » (art. 31, Loi du 9 décembre 1905).

L'exercice illégal de la médecine ou le manquement au Code de déontologie médicale : « Les médecins ne pourront proposer aux malades comme salutaires ou sans danger un remède ou procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé » (art. 30).

Le viol de la correspondance : « Le fait commis de mauvaise foi, d'ouvrir, supprimer, retarder ou détourner des correspondances adressées à des tiers, ou d'en prendre frauduleusement connaissance » (art. 226-16, al. 1 du Code pénal).

Les appels téléphoniques malveillants : « Ceux qui ont pour but, en raison de leur réitération volontaire, de troubler la tranquillité d'autrui » (art. 22-16 du Code pénal). On retrouve ici bien des dols commis communément dans des groupes totalitaires.

Mais l'article du Code pénal le plus pertinent pour prévenir la manipulation mentale, quitte à le muscler, est l'art. 313-4 sur l'abus de vulnérabilité, à savoir « L'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse, soit d'un mineur, soit d'une personne dont la particulière vulnérabilité due à son âge, à une maladie (...), à une déficience physique ou psychique (...) pour obliger ce mineur ou cette personne à un acte ou une abstention qui lui sont gravement préjudiciables ». Et les personnes morales - pensons aux groupes sectaires - peuvent être déclarées pénalement responsables de ce délit, et frappées de peines complémentaires (art. 313-9 du Code pénal et 131-9).

Ce n'est qu'un échantillonnage des cas de figure et des articles du Code qu'il m'arrive le plus fréquemment de porter à la connaissance des victimes. Il suffit toutefois à montrer que l'arsenal juridique est suffisant pour lutter efficacement, à condition de le connaître et de l'appliquer. Une telle application rigoureuse ne mettrait ici aucunement en danger les libertés d'association, de pensée et de conscience.

Ces remarques peuvent nous rappeler utilement que nous avons nous aussi, en tant qu'Église, à mettre en oeuvre notre législation interne quand des groupes en notre sein connaissent, comme tout groupe humain, des dérives sectaires. C'est le Code de Droit canonique, qui est la protection du faible. Et tout fidèle s'estimant victime de telles pratiques, nous allons le voir, peut, en particulier, recourir aux Tribunaux ecclésiastiques, qui sont garants de cette régulation. Peut-être faudrait-il recourir plus habituellement à cette voie prévue par l'Église à partir de son expérience millénaire.

Vers un observatoire indépendant

Pour résoudre ce problème de société, il apparaît indispensable que l'on fasse appel à toutes les parties concernées, sans en exclure aucune : instances politiques et judiciaires, associations de défense, chercheurs en sciences humaines, sans oublier les représentants des grandes religions, courants de pensée et des Droits de l'Homme, comme cela existe dans de nombreux pays.

En particulier il serait important de mettre sur pied un observatoire indépendant regroupant les délégués dûment mandatés de ces instances, pour fournir une information pluridisciplinaire et rigoureusement objective (à côté de la Mission interministérielle de lutte contre les sectes déjà créée, qui a d'autres objectifs). De tels observatoires sont déjà en place en Belgique, en Suisse, en Angleterre, en Autriche. Et le Conseil de l'Europe en recommande vivement la création : « Il est primordial de disposer d'une information fiable sur (ces) groupements, qui ne provienne exclusivement ni des sectes elles-mêmes, ni des associations de défense des victimes des sectes, - et de la diffuser largement au grand public, après que les personnes concernées ont eu la liberté d'être entendues sur l'objectivité de telles informations » (Recommandation n. 1412, [1999]).

Ainsi seraient préservés ces deux biens précieux dans une société démocratique que sont la liberté religieuse et notre laïcité à la française. Nul doute que tel soit le désir de tous les responsables du Bien commun.

IV. DES DÉRIVES SECTAIRES DANS L'ÉGLISE CATHOLIQUE ?

Des interrogations

Les médias depuis quelque temps parlent de « sectes à l'intérieur de l'Église ». Cette accusation concerne un ensemble variable de groupes, allant de mouvements et communautés nés récemment - de droit diocésain ou de droit pontifical - et canoniquement reconnus par l'Église, à des associations ou réseaux autour de personnes ou révélations privées - dans un contexte de religieux éclaté.

Plus discrètement, profitant de cette situation, ce procès est mené par certains réseaux d'un anticléricalisme résurgent qui assimile en particulier les voeux évangéliques à des « dérives sectaires » mettant en cause les droits de l'homme, la tradition républicaine et les acquis des Lumières.

Des responsables d'Église sont aussi interrogés par des familles qui s'inquiètent de voir des changements de comportement de l'un de leurs proches, qu'elles attribuent à son entrée dans telle communauté religieuse ou à la fréquentation de telle communauté nouvelle. Certaines se regroupent et envisagent de porter plainte auprès des Tribunaux, à tout le moins d'alerter les médias. Dans les milieux « anti-sectes », on presse l'Église de « faire le ménage » chez elle, sous peine de « le faire à sa place ».

Mais l'on est interrogé de même par des communautés qui se ressentent comme injustement diffamées parce qu'incomprises, spécialement quand elles sont désignées comme sectes dans des listes officielles (ex : Rapport de la Commission parlementaire française du 10 janvier 1996, Enquête parlementaire de la Chambre des Représentants de Belgique du 28 avril 1997). Le nombre des dossiers ne va pas diminuant. Aussi est-il important de dresser un état des lieux et des voies de solution à proposer aux personnes concernées.

1. État des lieux

Les dérives à l'origine des plaintes ou inquiétudes concernent des questions touchant :- aux personnes (libertés individuelles, respect du for interne, argent, protection sociale, patrimoine, engagements et voeux, vie de couple, vie de famille) ;- aux relations des religieuses avec les familles, qui sont ressenties comme une coupure abusivement trop distante ou manquant de naturel ; - aux enfants (autorités parentale et communautaire, mode de vie, scolarité) ;

- aux fondateurs, aux responsables (autorité, pouvoir et contre-pouvoir, formation, suivi en Église) ; - au fonctionnement du groupe, à l'entrée dans la communauté (conditions d'admission) et à la sortie (modalités de départ) ; - aux relations à la société civile (statuts, législation et protection sociale, fiscale) ; - à l'ecclésialité : relation à l'Église locale, à ses services (insertion et articulation) ; articulation entre relation au diocèse et relation à Rome.

Les plaintes et dérives sont diverses : - Certaines sont caractéristiques du fait communautaire lui-même, d'autres sont liées à la spécificité des mouvements de Réveil en christianisme ; - Certaines relèvent de l'ecclésiologie, d'autres du respect des droits de l'Homme et de la législation française ; - Beaucoup ne relèvent pas du pénal. Elles sont plutôt assimilables aux dérives sectaires propres au militantisme religieux et à l'appartenance à un groupe confessant (exclusivisme, endoctrinement, élitisme, manichéisme, prosélytisme, tension avec la famille).

C'est dire que : - ce ne sont pas des groupes totalitaires trompeurs (comme le sont les sectes criminogènes couramment dénoncées) ; - que ces groupes croient bien faire, et au nom de Dieu (c'est donc dans cette logique qu'il conviendrait de chercher des voies de solution) ; - qu'une saine anthropologie, cadrée dans une ecclésiologie de communion, assainirait ces situations ; - et que, lorsqu'on a saisi un médiateur, des dialogues francs et amicaux ont pu s'établir sur ces points avec les groupes concernés.

La question cruciale du recours des personnes

Les plaignants sont en difficulté.

La plupart des personnes connaissant ces problèmes les gardent pour elles. C'est qu'en général, elles ne savent pas à qui s'adresser. Elles ne peuvent le faire auprès de ces groupes, en général unanimistes. Et elles ignorent tout des institutions et rouages de l'Église.

D'autre part, il est difficile pour des personnes qui se sont investies totalement dans leur engagement dans la communauté aux plans affectif et spirituel, d'entrer dans une démarche de plainte qui les ramène constamment à leurs désillusions et à leur crédulité.

Enfin, il leur est difficile de déposer plainte auprès de l'autorité responsable, contre une communauté reconnue dans et par cette autorité, diocésaine ou romaine. Le désir qui les anime n'est pas de vengeance, mais de prévention pour que d'autres personnes ne souffrent pas des dols qu'ils ont connus. Ils souhaitent aussi être entendus et accueillis par la « grande Église ». C'est souvent parce qu'ils n'ont pu exprimer leur souffrance qu'ils vont malheureusement la « crier » ailleurs, et que plusieurs sont tentés de saisir les médias ou d'autres instances.

Mais à quelle porte frapper ? À quelle autorité dans l'Église s'adresser ?

Le Responsable ou le Fondateur de la communauté ? L'évêque diocésain local, l'évêque ayant reconnu à l'origine la communauté ? La Congrégation des Religieux, le Conseil pour les Laïcs ? L'Officialité diocésaine ? La Nonciature apostolique ? Car la responsabilité ecclésiale (surtout à l'égard des groupes nouveaux) est fort diversifiée, surtout aux yeux du profane, comme le seraient les instances de recours.

2. Des voies de solution

Des régulations fondamentales

Les nouvelles communautés ont la chance de disposer, au sein de l'Église, de nombreux moyens de régulation : Magistère, tradition, Droit canonique, expérience des autres communautés. Il semblerait utile de favoriser ces régulations. Il serait en particulier intéressant que les Ordres et Congrégations de religieux et religieuses qui ont une histoire, une réflexion et une expérience éprouvées, soient mis à contribution pour aider ces groupes. Entre leur naissance et leur reconnaissance, ils pourraient être conseillés, aidés, par une instance de « sages ». On note, par exemple, que certaines difficultés avec les familles tiennent à l'adoption par une communauté d'une spiritualité du XIXe siècle égarée dans le XXe.

Dans l'immédiat, on a la possibilité de conseiller aux personnes, dans une progression des recours : - d'informer tout d'abord le responsable du groupe, de la communauté, - de recourir à l'évêque du lieu, - de recourir, à Rome, à la Congrégation des Instituts de Vie consacrée et Sociétés de Vie apostolique ou au Conseil pour les Laïcs,

Plus spécialement, de recourir au Tribunal ecclésiastique (Officialité diocésaine ou régionale), pour instruire le dossier, à charge et à décharge, en auditant les intéressés. Le jugement, au terme, peut aller du non-lieu à la condamnation à réparation s'il y a eu dol, ou à l'obligation faite aux responsables de changer telle pratique déviante ou délictueuse.

Certaines de ces instances commencent aussi à fonctionner, avec d'autres Services d'Église, comme des instances neutres et bienveillantes, lieux de parole et d'écoute, qui accueillent les personnes en plainte ou en souffrance, recueillent leurs témoignages et leurs questions. C'est sans doute un service à développer.

3. Des critères de discernement d'éventuelles dérives sectaires

On le voit, le dossier est difficile, car l'action à mener comporte deux versants apparemment antinomiques. Il s'agit, à la fois, de défendre les groupes catholiques accusés sans discernement, et de « faire le ménage » en cernant les dérives existantes. Mais, dans la conjoncture, il y a une certaine urgence.

Quelques considérants préalables

Comme tout groupe humain, des Communautés, nouvelles ou anciennes, de l'Église catholique, dénoncées comme à tendances sectaires, peuvent être tenues pour telles si l'on sait avancer un dossier fondé... Mais en tenant certaines règles de justice, de discernement et de bon sens dans la dénonciation, à savoir :

- Les groupes reconnus par l'Église relèvent d'abord de la vigilance pastorale de l'évêque, et il conviendrait au moins d'entendre celui-ci (surtout quand ils récusent collectivement l'accusation), avant de jeter la suspicion sur tel groupe. Le premier recours d'une famille ou d'une personne contre un groupe, s'il est justifié, peut se faire - rappelons-le encore une fois - auprès du Tribunal ecclésiastique diocésain, qui a compétence et expérience en la matière ;

- L'Église catholique possède son propre droit interne (qui est la protection du faible) pour régir le fonctionnement de l'autorité et réguler celui du groupe : le Droit canon ; - Les dérives toujours possibles dans un groupe peuvent tenir à une personne particulière, qui doit alors être dénoncée ; il ne s'ensuit pas qu'elle soit à imputer collectivement à l'Institution à laquelle la personne appartient ;

- L'intensité d'une adhésion, les renoncements qu'elle entraîne, le caractère émotionnel des rencontres du groupe, même étonnants, ne sont pas pour autant signes de manipulation mentale. Il n'est pas requis pour être « normal » de s'aligner sur tous les fonctionnements de la société dite « normale » ou sur le purement rationnel ; sinon il faudrait condamner tous les mystiques.

Quelques critères de discernement pour identifier les « tendances sectaires » et discerner entre les groupes

a) Comment fonctionne le pouvoir ? À qui appartient-il ? Qui l'a confié au leader ? Quel est son champ d'exercice (déborde-t-il sur le for interne) ? Est-il contrôlé, et comment ? La dérive sectaire s'appelle l'oppression. b) Comment circule le savoir ? Qui détient l'information dans le groupe ? Quelle place est faite à la parole de chacun ? Est-ce seulement le leader qui « sait » ? Le groupe a-t-il l'assurance d'avoir toujours raison contre quiconque, se sent-il investi de mission de faire la leçon à tous les autres groupes (d'Église par exemple). Les dérives s'appellent suffisance et endoctrinement.

c) Comment se gère l'avoir ? D'où vient l'argent, qui en a le contrôle, à qui va-t-il ? L'adepte retrouvera-t-il des moyens de vivre s'il quitte le groupe ? La dérive s'appelle l'exploitation. d) Comment sont vécues les relations ? - dans le groupe (liberté d'échange entre membres et respect des différences) ;

- avec les autres groupes (ecclésiaux par exemple). Pense-t-il se suffire à lui-même, centré sur son développement ? La dérive s'appelle fermeture. Tout groupe, religieux ou non, mais aussi toute communauté d'Église, pourrait se confronter utilement à ces critères.

 (*) Texte publié dans le SNOP du 15 janvier. (1) J'en suis moi-même membre adhérent depuis sa fondation car, indépendamment du dérapage que je signale ici, elle remplit un rôle utile dans la société. J'en donne un exemple à la note 4. (2) Le livre prend quelques précautions pour se protéger juridiquement. En caractères minuscules, page 28, il est indiqué que certaines obédiences religieuses et philosophiques ont été mentionnées parce que, « même non sectaires en elles-mêmes, elles sont indispensables à la compréhension de la dérive sectaire qui prend naissance à partir d'elles ». Et, de même, on peut supposer, au détour d'une phrase (p. 18) que la sélection et les définitions des termes religieux concerneraient « des mots constamment récurrents dans la prose sectaire ». Mais personne ne lira ces minuscules notations ambiguës. Le Dico sera reçu par tout le monde comme il se définit : un dictionnaire exhaustif, rigoureusement et officiellement informé, des « sectes » en France. Les recensions des médias en témoignent. (3) D'aucuns s'étonneront aussi de voir sélectionner telles associations de citoyens, pour dénoncer d'autres groupes de citoyens en portant des accusations aussi graves.

La documentation catholique N° 2245 du 1/04/2001 - L'Église en France- page321-


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