LÉPÎTRE
APOCRYPHE DE JACQUES
Traduit du copte par Donald Rouleau
Bibliothèque copte de Nag Hammadi, sous la
direction de Louis Painchaud, Wolf-Peter Funk et
Paul-Hubert Poirier,
à luniversité de Laval,
Québec, Canada.
PROLOGUE DE LA LETTRE
Cest Jacques qui écrit à ( ?)
[. Paix à toi de la part de la Paix, Amour
de la part de lAmour, Grâce de la part de
la Grâce, Foi de la part de la Foi, Vie de la
part de la Vie sainte ! Puisque tu mas
prié de tenvoyer un écrit secret
qui ma été
révélé, à moi ainsi
quà Pierre, par le Seigneur, je nai
pu certes te le refuser, ni te parler de vive voix,
mais je lai écrit en lettres
hébraïques et je te lai
envoyé, à toi seul, mais en tant que
serviteur du salut des saints. Applique-toi et
garde-toi de divulguer cet écrit à
beaucoup, lui que le Sauveur na pas voulu
divulguer à nous tous, ses douze disciples. Ils
seront cependant bienheureux, ceux qui seront
sauvés par la foi en ce discours ! Je tai
aussi fait parvenir, il y a dix mois, un autre
écrit secret que mavait
révélé le Sauveur. Mais
celui-là, dune part, considère-le
ainsi comme mayant été
révélé à moi, Jacques.
LOBJET DE LA LETTRE : LA
RÉVÉLATION
Apparition de
Jésus
Et alors que les douze disciples étaient une
fois tous assis ensemble, et quils se
rappelaient ce que le Sauveur avait dit à
chacun deux, soit en secret, soit ouvertement,
et quils le fixaient dans des livres pour
ma part, jécrivais ce qui se trouve dans
ce livre , voici que le Sauveur apparut. Il est
passé parmi nous, nous lui étions
attentifs, et cinq cent cinquante jours après
quil fut ressuscité dentre les
morts, nous lui avons dit : « Es-tu parti,
tes-tu éloigné de nous ? » Et
Jésus dit : « Non, mais je men vais
au lieu doù je suis venu. Si vous voulez
venir avec moi, venez ! » Tous répondirent
en disant : « Si tu nous lordonnes, nous
viendrons ! »
Mise à part de Jacques
et de Pierre
Il dit : « En vérité, je vous le
dis : jamais personne nentrera dans le Royaume
des cieux si je lui en donne lordre, mais parce
que vous êtes emplis. Quant à vous,
laissez-moi Jacques et Pierre, afin que je les
emplisse ! » Et après quil eût
appelé ces deux-là, il les prit à
part et il ordonna aux autres de vaquer à leurs
occupations.
La recherche de la vraie
plénitude
Le Sauveur dit : « Vous avez été
pris en pitié, [.......] [
......] devenir disciples. Il écrivirent
livres comme si [ .......] à vous aussi
[ ......] soin et [comme [ ....]
ils ont entendu et de la même façon
.......] il nont pas compris. Ne voulez-vous
pas être emplis ? Et votre coeur est ivre. Ne
voulez-vous pas devenir sobres ? Désormais
donc, ayez honte alors que vous êtes
éveillés et que vous êtes
endormis. Souvenez-vous que, vous, vous avez su le
Fils de lhomme. Et lui, vous lui avez
parlé et lui, vous lavez
écouté ! Malheur à ceux qui ont
vu le Fils de lhomme ! Ils seront heureux ceux
qui nont pas vu lhomme, qui ne se sont pas
joints à lui, qui ne lui ont pas parlé
et qui nont rien entendu de lui ! À vous
est la Vie ! Sachez donc quil vous a
guéris alors que vous étiez malades,
pour que vous deveniez rois. Malheur à ceux qui
se sont remis de leur maladie parce quils
retourneront de nouveau à la maladie !
Bienheureux ceux qui nont pas été
malades et qui ont connu le soulagement avant
dêtres malades ! À vous est le
Royaume de Dieu ! Cest pourquoi je vous dis :
« Soyez6 emplis et ne laissez aucune place vide
en vous ! Il pourra se moquer de vous, celui qui
viendra ».
Alors Pierre répondit : « Voilà
trois fois que tu nous as dit : Soyez emplis !
, mais nous sommes emplis ». Le Sauveur
répondit, il dit : « Cest pourquoi
je vous ai dit : Soyez emplis afin que
vous ne soyez pas diminués. Car ceux qui sont
diminués ne seront pas sauvés. Bonne, en
effet, est la plénitude et mauvaise, la
diminution. De même, donc, que ta diminution est
bonne et que ta plénitude, au contraire, est
mauvaise, ainsi celui qui est empli diminue et celui
qui est diminué, il ne semplit pas, comme
semplit celui qui est diminué et celui
qui est empli, lui aussi, il devient parfait
suffisamment. il est donc nécessaire de
diminuer dans la mesure où il est possible
dêtre emplis et de vous emplir dans la
mesure où il est possible de diminuer, afin que
vous puissiez vous emplir davantage. Soyez donc emplis
de lEsprit, mais diminués de la raison :
car la raison est lâme, elle est aussi
psychique ».
La condition des disciples
face à la souffrance et à la
mort
Je répondis et lui dis : « Seigneur,
nous pouvons tobéir, si tu le veux, car
nous avons abandonné nos pères
mâles, nos mères et nos villages et nous
tavons suivi. Indique-nous donc la façon
de ne pas être éprouvés par le
Diable mauvais ». Le Seigneur répondit et
dit : « Quelle sera votre récompense,
étant donné que vous faites la
volonté du Père, et que vous ne recevez
rien de lui en part de don tandis que vous êtes
éprouvés par Satan ? Mais si vous
êtes opprimés par Satan et
persécutés et que vous faites sa du
Père volonté, je le dis : Il vous aimera
et il vous rendra égaux à moi et il
pensera à votre sujet que vous êtes
devenus bien-aimés dans sa providence selon
votre choix.
Ne cesserez-vous donc pas daimer la chair et
de craindre la souffrance ? Ou ne savez-vous pas que
vous navez pas encore été
maltraités ni encore accusés injustement
ni encore enfermés dans une prison, ni encore
condamnés illégalement, ni encore
crucifiés sous un faux prétexte, ni
ensevelis dans le parfum, comme moi-même je
lai été par le Malin ? Vous osez
ménager la chair, ô vous, pour qui
lEsprit est un mur qui vous entoure ! Si vous
réfléchissez sur le monde, depuis
combien de temps il existait au moment où vous
êtes tombés, et combien de temps,
après vous, il demeurera encore, vous trouverez
que votre vie est éphémère et que
vos souffrances sont dune seule heure. Les bons,
en effet, nentreront pas dans le monde.
Méprisez donc la mort et souciez-vous de la
Vie. Rappelez-vous ma croix et ma mort, et vous vivrez
».
Je répondis et lui dis : « Seigneur, ne
nous parle pas de la croix et de la mort ; celles-ci,
en effet, sont loin de toi ! »
Le Seigneur répondit et dit : « En
vérité, je vous le dis : Personne ne
sera sauvé, sil na foi ma croix.
Car ceux qui auront cru en ma croix, à eux est
le Royaume de Dieu. Soyez donc à la recherche
de la mort comme les morts qui cherchent la Vie, car
à ceux-là se révèle ce
quils cherchent. Mais de quoi se soucient-ils ?
Si vous examinez la mort, elle vous enseignera
lélection. Car je vous le dis : Personne
ne sera sauvé de ceux qui craignent la mort. En
effet, le royaume de la mort appartient à ceux
qui se tuent. Soyez meilleurs que moi, rendez-vous
semblables au Fils de lEsprit Saint ! »
La condition des disciples
vis-à-vis du Sauveur et des uns
vis-à-vis des autres
Alors je lui demandai, moi : « Seigneur,
comment pourrons-nous prophétiser pour ceux qui
nous demandent de prophétiser pour eux ?
Nombreux, en effet, sont ceux qui nous sollicitent et
qui tendent loreille vers nous pour entendre une
parole de notre part ».
Le Seigneur répondit et dit : « Ne
savez-vous pas quon a tranché la
tête de la prophétie avec Jean ? »
Mais moi, je dis : « Seigneur, est-il donc
possible denlever la tête de la
prophétie ? » Le Seigneur me dit : «
Si vous savez ce quest « la tête
», et que la prophétie sort de la
tête, comprenez ce que signifie : « On lui
a enlevé la tête ». Je vous ai
dabord parlé en paraboles et vous ne
compreniez pas. Maintenant à nouveau, je vous
parle en langage clair et vous ne saisissez pas. Or,
vous, vous étiez pour moi une parabole en
langage parabolique, et clairs en langage clair.
Hâtez-vous de vous sauver, sans quon vous
en prie. Mais préparez-vous vous-mêmes
et, si cest possible, devancez-moi,
moi-même. Car cest de cette façon
que le Père vous aimera.
Haïssez lhypocrisie et la pensée
mauvaise ! Car cest la pensée mauvaise
qui engendre lhypocrisie. Lhypocrisie,
elle, est éloignée de la
vérité. Ne laissez pas
dépérir le Royaume des cieux ! Car il
ressemble à une branche de dattier dont les
fruits se sont répandus autour delle.
Elle a produit des feuilles et lorsquelles ont
éclos, elles ont fait se dessécher la
moelle. Ainsi en est-il du fruit qui a
été produit à partir de cette
racine unique : lorsquil fut planté, des
fruits ont été engendrés par
beaucoup de pousses. Ce serait certes une bonne chose,
sil y avait maintenant possibilité de
produire pour toi de nouveaux plants sans elle.
Puisque jai déjà été
glorifié en cela avant ce temps, pourquoi me
retenez-vous, alors que jai hâte de partir
?
Après la fin, en effet, vous mavez
contraint à rester auprès de vous encore
dix-huit jours à cause des paraboles.
Cétait suffisant pour des hommes : ils
ont écouté lenseignement et ils
ont compris « les Bergers », « la
Semence », « la Construction », «
les Lampes des vierges », « le Salaire des
travailleurs », « les Didrachmes et la Femme
». Soyez empressés pour le verbe. Car le
verbe, certes, son état est premièrement
la foi, le deuxième, cest la
charité, le troisième, ce sont les
oeuvres. Cest delles, en effet, que
provient la Vie. Car le verbe ressemble à un
grain de froment : une fois que quelquun
la semé, il y a mis sa confiance, et,
quand il a poussé, il la aimé,
parce quil a vu de nombreux grains à la
place dun seul, et lorsquil a
travaillé, il fut sauvé, layant
rangé comme nourriture. En outre, il en a
réservé pour semer. Cest ainsi
également quil vous est possible de
recevoir le Royaume des cieux. Celui-ci, à
moins de le recevoir par la Connaissance, vous ne
pourrez le trouver. Voilà pourquoi je vous dis
: « Soyez vigilants, nerrez pas ! Et
à maintes reprises, je vous ai dit, à
vous et à vos compagnons, et également
à toi-même, Jacques, je lai dit :
Sauve-toi . Et je tai
ordonné de me suivre, et je tai instruit
de la conduite à tenir en présence des
magistrats.
Voyez : Je suis descendu, jai parlé,
jai été maltraité,
jai porté ma couronne, lorsque je nous ai
sauvés. Je suis descendu, en effet, pour
habiter avec vous, afin que, vous aussi, vous
demeuriez avec moi. Et ayant trouvé vos maisons
sans toit, jai demeuré dans les maisons
qui pourraient me recevoir au moment où je
descendrais. Cest pourquoi obéissez-moi
ô mes frères.
Comprenez ce quest la grande Lumière.
Le Père na pas besoin de moi. Un
père, en effet, na pas besoin de son
fils, mais cest le fils qui a besoin du
père. Cest vers lui que je me hâte,
car le Père du Fils na pas besoin de
vous.
Écoutez le Verbe, comprenez la Connaissance,
aimez la Vie, et personne ne vous persécutera,
ni personne ne vous opprimera hormis vous seuls.
Ô misérables, ô infortunés,
ô contrefacteurs de la Vérité,
ô falsificateurs de la Connaissance, ô
transgresseurs de lEsprit ! Maintenant encore,
vous persistez à écouter, alors
quil vous convient de parler depuis le
début ? Maintenant encore, vous persistez
à dormir alors quil vous faut veiller
depuis le début afin que le Royaume des cieux
vous accueille.
Oui vraiment, je vous le dis : « Il est plus
facile à un homme pur de tomber dans
limpureté et à un homme de
lumière de tomber dans lobscurité
quà vous de régner ou non. Je me
suis souvenu de vos larmes, de votre deuil, et de
votre chagrin : ils sont loin de nous. Maintenant
donc, ô vous qui êtes hors de
lhéritage du Père, pleurez
là où il le faut, gémissez et
proclamez le bien puisque le Fils monte bel et bien !
Oui vraiment, je vous le dis : Si javais
été envoyé vers ceux qui
mécoutent et si je leur avais
parlé, je ne serais jamais descendu sur la
terre.
Maintenant donc, ayez-en honte désormais.
Voici que je méloignerai de vous ; je
partirai et je ne veux plus demeurer davantage avec
vous de même que, vous aussi, vous ne
lavez pas voulu. Maintenant donc, suivez-moi en
toute hâte. Cest pourquoi je vous le dis,
cest pour vous que je suis descendu. Cest
vous les bien-aimés. Cest vous qui allez
devenir cause de la Vie en plusieurs. Invoquez le
Père, suppliez Dieu souvent et il vous
exaucera. Bienheureux celui qui vous a vus avec lui,
alors quil était proclamé parmi
les anges et quil était glorifié
parmi les saints ! À vous est la Vie !
Réjouissez-vous et exultez comme fils de Dieu.
Sauvegardez la volonté afin que vous soyez
sauvés. Acceptez de moi un blâme et
sauvez-vous. Jintercède pour vous
auprès du Père et il vous pardonnera
beaucoup ».
Et lorsque nous avons entendu cela, nous sommes
devenus joyeux, car nous avions été
attristés de ce que nous avions dit
dabord. Mais lorsquil nous vit nous
réjouir, il dit : « Malheur à vous,
qui avez besoin dun défenseur. Malheur
à vous, qui avez besoin de la grâce.
Bienheureux seront-ils ceux qui auront parlé
avec assurance et se seront acquis pour
eux-mêmes la grâce ! Rendez-vous
semblables à des étrangers. Car comment
sont-ils face à votre ville ? Pourquoi
êtes-vous troublés, puisque vous vous
bannissez vous-mêmes et vous vous
éloignez de votre ville ? Pourquoi
abandonnez-vous vous-mêmes votre demeure, la
préparant pour ceux qui veulent y habiter ?
Ô vous qui êtes bannis et fugitifs,
malheur à vous, parce que vous serez repris
!
Ou, peut-être, pensez-vous du Père
quil est ami des hommes, ou quil se laisse
persuader par des prières, ou quil fait
grâce à lun pour lautre, ou
quil soutient quelquun qui cherche ? Il
connaît, en effet, leur volonté et aussi
ce dont la chair a besoin, parce que ce nest pas
elle qui désire lâme. Sans
lâme, en effet, le corps ne pèche
pas, de même que lâme nest pas
sauvée sans lesprit. Mais, si
lâme est sauvée sans le mal, et si
est sauvé également lesprit, le
corps devient sans péché. Car cest
lesprit qui vivifie lâme. Cest
au contraire le corps qui la tue,
cest-à-dire que cest
elle-même qui se tue. En vérité je
vous le dis : « Il ne pardonnera le
péché à aucune âme, ni le
grief à la chair, car aucun de ceux qui auront
porté la chair ne sera sauvé. Vous
pensez sans doute que beaucoup ont trouvé le
Royaume des cieux. Bienheureux celui qui sest vu
quatrième dans les cieux ! »
Quand nous entendîmes cela, nous nous
attristâmes. Et lorsquil vit que nous nous
attristions, il dit : « Cest pourquoi je
vous le dis : Afin que vous vous connaissiez. Car le
Royaume des cieux est semblable à un épi
de blé qui a poussé dans un champ et,
lorsque celui-ci a mûri, il a répandu son
fruit et de nouveau il a rempli le champ
dépis pour une autre année.
Vous-mêmes aussi, empressez-vous de faucher pour
vous un épi de vie, afin que vous soyez emplis
du Royaume. Et aussi longtemps que je suis avec vous,
attachez-vous à moi et obéissez-moi.
Mais quand je méloignerai de vous,
souvenez-vous de moi ! Et souvenez-vous de moi parce
que jétais auprès de vous sans que
vous mayez connu. Bienheureux seront ceux qui
mont connu ! Malheur à ceux qui ont
entendu et qui nont pas cru ! Bienheureux seront
ceux qui nont pas vu, mais qui ont cru! Et de
nouveau encore, je vous convaincs, car je me
révèle à vous bâtissant une
maison qui vous est utile, puisque vous trouvez abri
près delle, de même quelle
pourra soutenir la maison de vos voisins, si elle
menaçait de sécrouler.
Oui en vérité, je vous le dis :
Malheur à ceux à cause de qui jai
été envoyé ici-bas ! Bienheureux
ceux qui vont remonter auprès du Père !
À nouveau, je vous réprimande, ô
vous qui existez. Rendez-vous semblables à ceux
qui nexistent pas, afin que vous soyez avec ceux
qui nexistent pas. Ne permettez pas que le
Royaume des cieux devienne désert en vous ! Ne
soyez pas orgueilleux, à propos de la
Lumière illuminatrice, mais soyez tels envers
vous-mêmes que moi-même jai
été envers vous ! Je me suis
livré pour vous à la malédiction,
afin que vous aussi soyez sauvés ».
Conclusion du dialogue et
ultimes recommandations du Seigneur
Alors Pierre répondit à cela, il dit
: « Tantôt, tu nous exhortes au Royaume des
cieux ; tantôt, aussi, tu nous en
détournes, Seigneur. Tantôt, tu nous
persuades et tu nous attires à la foi, et tu
nous promets la Vie ; tantôt, aussi, tu nous
repousses hors du Royaume des cieux ». Mais le
Seigneur répondit, il nous dit : « Je vous
ai donné la foi à maintes reprises ;
bien plus je me suis manifesté à toi,
ô Jacques, et vous ne mavez pas connu.
À nouveau, maintenant encore, je vous vois vous
réjouir de nombreuses fois ; et alors que vous
êtes joyeux à cause de la promesse de la
Vie, vous vous attristez, dautre part, et vous
vous affligez, si lon vous instruit au sujet du
Royaume. Mais vous, par la Foi et la Connaissance,
vous avez reçu pour vous la Vie.
Méprisez donc le rejet, si vous en entendez
parler ; mais si vous entendez la promesse, exultez
davantage. Oui, en vérité, je vous le
dis : Celui qui recevra la Vie et qui croira au
Royaume ne le quittera jamais, pas même si le
Père voulait len chasser. Ces
choses-là, je veux vous les dire
jusquà ce point.
Mais maintenant, je vais remonter vers le lieu
doù je suis venu. Mais vous, quand je me
suis hâté de partir, vous mavez
rejeté et, au lieu de maccompagner, vous
mavez poursuivi. Prêtez plutôt
attention à la gloire qui mattend et,
quand vous aurez ouvert votre coeur, écoutez
les hymnes qui mattendent là-haut dans
les cieux. Car il mest nécessaire
aujourdhui que je memplisse à la
droite de mon Père. Or la dernière
parole, je vous lai dite. Je vais me
séparer de vous. Un char spirituel ma en
effet enlevé et dès maintenant je vais
me dévêtir pour me revêtir. Mais
attention ! Bienheureux sont ceux qui ont
annoncé la Bonne Nouvelle du Fils avant
quil fût descendu de telle sorte que, si
je venais, je puisse monter ! Trois fois bienheureux
sont ceux qui ont été proclamés
par le Fils avant quils ne viennent à
lexistence de telle sorte quil y ait part
pour vous avec eux ». Quand il eut dit ces
choses, il sen alla.
Quant à nous, nous nous sommes mis à
genoux. Moi et Pierre, nous rendîmes
grâces et nous élevâmes notre coeur
vers les cieux. Nous entendîmes de nos oreilles
et nous vîmes de nos yeux le bruit de la guerre
et une sonnerie de trompette et un grand tumulte. Et
quand nous sommes passés au-delà de ce
lieu-là, nous avons élevé notre
intellect davantage encore, et nous avons vu de nos
yeux, et nous avons entendu de nos oreilles, des
hymnes et des louanges angéliques, et une
allégresse danges, et des Grandeurs
célestes chantaient des hymnes et, nous aussi,
nous exultions.
Après cela, nous avons voulu élever
encore notre esprit jusquà
proximité de la Grandeur. Et lorsque nous
sommes montés, il ne nous a pas
été permis de rien voir ni entendre. Car
le reste des disciples nous a appelés. Ils nous
ont demandé : « Quavez-vous entendu
de la part du Maître ? Et que vous a-t-il dit ?
Et où est-il allé ? » Et nous leur
avons répondu : « Il est monté et
il nous a donné la main droite, et il nous a
promis à tous la Vie et il nous a
dévoilé des fils qui viendront
après nous, nous ordonnant de les aimer comme
si nous devions 2 être sauvés à
cause de ceux-là ». Et lorsquils
eurent entendu, ils crurent, certes, à leur
vie, mais ils furent en colère à cause
de ceux qui seront engendrés. Comme je ne
voulais pas cependant les précipiter dans une
occasion de chute, jenvoyai chacun deux
à un endroit différent. Quant à
moi, je suis monté à Jérusalem
priant pour avoir une part avec les bien-aimés,
ceux qui seront manifestés.
CONCLUSION DE LA LETTRE
Et je prie pour que le commencement vienne de toi.
Telle est, en effet, la façon dont je pourrai
être sauvé, dans la mesure où
ceux-là seront illuminés par moi, par ma
foi, et par une autre qui est meilleure que la mienne.
En effet, je souhaite que la mienne soit
diminuée. Efforce-toi donc de leur ressembler
et prie afin dacquérir une part avec eux.
Car en dehors des choses que jai dites, le
Sauveur ne nous a pas dévoilé de
révélation au sujet de ceux-là.
Nous proclamons en fait que cest avec eux
à qui on a prêché quil y a
part, ceux dont le Seigneur a fait ses enfants.
Notes sur
lépître apocryphe de
Jacques
LÉpître apocryphe de Jacques est
un des trois textes du codex I de la
bibliothèque copte de Nag Hammadi qui sont
présentés sans titre (les deux autres
sont lÉvangile de vérité et
le Traité sur la résurrection). Dans un
cas comme celui-là, où le
véritable titre ne nous est pas parvenu, le
titre «moderne» doit être choisi pour
refléter les propriétés du texte.
Ce texte se présente comme une lettre
envoyée par un disciple appelé Jacques,
probablement Jacques le juste, le frère du
Seigneur, à un destinataire dont le nom est
perdu. Cette lettre est un enseignement secret que
Jésus aurait transmis à Jacques et
à Pierre. Le sujet de cette
révélation est notamment la façon
de parvenir au salut et dentrer au Royaume des
cieux.
LÉpître apocryphe de Jacques est
le second écrit du codex I. Il est
précédé de la Prière de
lApôtre Paul et suivi de
lÉvangile de vérité, du
Traité sur la résurrection et du
Traité tripartite. Elle présente des
lacunes, particulièrement en début de
page. Cest notamment le cas des huit
premières pages et des pages onze à
seize. Lécrit est rédigé en
subakhmîmique, un dialecte copte. Selon D.
Rouleau, la traduction du grec en copte a pu
être réalisée au début du
IVe siècle, mais loriginal aurait
été rédigé en grec et il a
pu être écrit à Alexandrie, ou du
moins y avoir circulé.
Le texte commence comme une lettre envoyée
par Jacques à un destinataire dont le nom est
perdu. Cette lettre aurait dabord
été écrite en hébreu
(1,15-16). Ce destinataire est prié par
lauteur de la lettre de garder le secret sur
lenseignement quelle contient (1,20-25).
À partir de la page 2, dont le début est
considérablement abîmé, ce qui
rend incertain le commencement de laction,
commence le dialogue de révélation qui
occupe le reste de lépître. Les
douze disciples se rassemblent après la
crucifixion de Jésus, échangent et
écrivent tout ce quils se rappellent de
ses enseignements. Le texte affirme que Jésus
leur a enseigné pendant 550 jours puis,
à la fin de cette période, il a
appelé Jacques et Pierre pour leur livrer un
enseignement secret. Il les encourage à
être «emplis de lEsprit» et
insiste sur la nécessité de souffrance
(4,19) par laquelle on peut gagner lamour du
Père et être semblable au fils de
lEsprit (6,19- 20). En réponse à
Jacques, Jésus déclare que le temps des
prophéties est terminé et que lon
doit posséder la connaissance pour trouver le
Royaume des cieux (6,29-30 ; 8,23-27). Le thème
de lindépendance est également
important dans cette révélation, les
disciples ne doivent pas simplement se reposer sur le
Christ mais doivent eux-mêmes prendre
linitiative. Le Seigneur les invite à
parler au lieu de se taire et à rester
éveillés au lieu de dormir (9,18-10,6).
Tout au long de la révélation, le Christ
sexprime en paraboles, utilisant des images
courantes dans ce type de discours et notamment dans
certains évangiles canoniques et
lÉvangile de Thomas. Il finit son
discours sur trois images très fortes.
Pour lui, le Royaume des cieux est semblable
à un épi de blé à partir
duquel tout un champ de blé peut être
produit, mais on doit faire attention à ce que
ce champ ne devienne pas un désert (13,17-23).
A la fin du discours, Pierre se plaint de
lambiguïté des enseignements de
Jésus, celui-ci le réprouve fortement
(13,27-36). Lindépendance du vrai croyant
est à nouveau mise de lavant quand
Jésus affirme que même le Père ne
pourrait bannir du Royaume quelquun qui a
reçu la Vie et la Foi (14,15- 19). Après
ces paroles, Jésus se retire (15,6). Jacques et
Pierre rendent grâce (15,6-13). Leurs intellects
continuent leur ascension et ils perçoivent des
louanges angéliques (15,19), mais cette
ascension est interrompue par larrivée
des autres disciples (14,23-34). À la fin du
texte, Jacques exprime lespoir que ceux
quil illuminera deviennent à leur tour
aussi grands que lui (16,8-19).
Comme nous lavons vu,
lÉpître apocryphe de Jacques est
une lettre qui rapporte une révélation,
elle même présentée sous la forme
dun dialogue. Dans son introduction et son
commentaire, D. Rouleau analyse la structure de cette
lettre, discute ses plus importants thèmes,
envisage quand, pourquoi, et pour qui elle a
été écrite, et met en
lumière sa relation avec dautres textes.
Il ne met pas en question lunité de
lécrit, dont il propose un plan
très complexe. Il ny aperçoit rien
du caractère valentinien quun grand
nombre de chercheurs ont voulu y relever, sans
quil lui dénie pour autant toute
parenté avec le gnosticisme. Il met
également bien en contraste lopposition
des rôles dévolus à Jacques et
à Pierre ; le premier répond à la
communauté des vrais disciples, tandis que le
second représente lincompréhension
de la Grande Église, rejetée par
lauteur, qui polémique cependant contre
elle sans animosité. D. Rouleau voit dans cette
polémique une opposition aux structures
hiérarchiques et aux mécanismes
institutionnels de médiation du salut. Il
apparaît bien ici que lÉpître
apocryphe de Jacques est avant tout polémique,
comme plusieurs des textes de Nag Hammadi, et que
cest en fonction de sa visée
polémique quelle doit être lue et
comprise.
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