EXTRAIT DU DISCOURS PARFAIT
(NH VI, 8) Traduit du copte par Jean-Pierre Mahé Bibliothèque copte de Nag Hammadi, sous la direction de Louis Painchaud, Wolf-Peter Funk et Paul-Hubert Poirier,
à luniversité de Laval, Québec, Canada.
Trismégiste dialogue avec Asclépius dans le sanctuaire dun temple égyptien . Tat et Ammon assistent silencieusement à lentretien)
I. LHOMME ET LE DIVIN
1° Lhomme et le Dieu suprême
Le mystère de fécondité
(TRISMÉGISTE) (65) (Ascl 21 ) Et si tu veux contempler la réalité de ce mystère, regarde limage merveilleuse de lunion consommée par le mâle et la femelle : une fois arrivée à son terme, la semence jaillit. Alors , la femelle reçoit la puissance du mâle et le mâle, de son côté, reçoit pour lui la puissance de la femelle, car tel est bien leffet de la semence ! Cest pourquoi le mystère de lunion est accompli en secret, de crainte que les deux sexes ne semblent indécents à la foule qui ne sait pas vraiment à quoi sen tenir en cette matière.
En effet, cest en particulier que chacun transmet son principe générateur. Car, pour ceux qui ignorent ce quest vraiment cette uvre, si elle se produit en leur présence, elle devient un objet de raillerie et dincrédulité ! Pourtant, tout au contraire, il sagit de mystères sacrés en paroles et en actes non seulement on ne saurait les entendre, mais on ne saurait non plus les voir.
La science et la gnose, remèdes de lâme
Aussi, les gens de cette espèce, les ignorants, sont des blasphémateurs, des athées et des impies. (Ascl 22) Quant à ceux de lautre sorte, les hommes pieux, ils ne sont pas nombreux, mais bien peu quon puisse dénombrer ! La raison pour laquelle la malice se rencontre en beaucoup, cest quils nont pas la science des choses qui existent réellement. Car la gnose des choses qui existent réellement est, en vérité, le remède aux vices de la matière. Cest pourquoi la science est issue de la gnose. Or, quand il y a de lignorance et que la science fait défaut à lâme humaine, les vices y persistent et nont point de remède, tandis que la malice les accompagne, à la façon dune blessure irrémédiable. Cette blessure gangrène lâme, qui sempuantit, rongée aux vers par la malice.
La création de lhomme
Toutefois, Dieu est innocent de ces maux, car il a envoyé aux hommes la gnose et la science. (ASCLÉPIUS 26) Ô Trismégiste, est-ce seulement aux hommes quil les a envoyées ? (TRISMÉGISTE) Oui, ô Asclépius, il ne les a envoyées quà eux ! Mais il vaut la peine que nous te disions pourquoi cest seulement aux hommes, quil a accordé en grâce la gnose et la science, comme leur part de sa bonté.
Maintenant donc, écoute : Le Dieu, Père et Seigneur, a créé lhomme après les dieux, et il la tiré de (67) lélément matériel. Comme il a introduit dans sa fabrication la matière en quantité égale à son souffle, les vices y demeurent. De là, ils se répandent sur son corps, car il ne saurait subsister sans user de cette matière comme nourriture, lui qui est un être vivant. Puisquil est mortel, il est en outre inévitable que des désirs lui viennent hors de propos et lui fassent du mal.
Mais les dieux, qui sont tirés dune matière pure, nont pas besoin de science ni de gnose. Car limmortalité des dieux est pour eux la science et la gnose : puisquils sont tirés dune matière pure, cest elle qui leur a tenu lieu de gnose et de science, conformément à la Nécessité. Lhomme, au contraire, Dieu la distingué, il la établi dans la science et la gnose. Pour les raisons que nous avons dites avant, il a porté ces facultés à leur perfection afin que, grâce à elles, lhomme éloignât les vices et les malices dici-bas, selon sa divine volonté.
2° Lhomme et les dieux-astres
La nature mortelle de lhomme, Dieu la menée vers limmortalité. lhomme est devenu bon et immortel, ainsi que je lai dit. Dieu lui a créé en effet, deux natures : limmortelle et la mortelle ; et il est arrivé ainsi selon la volonté (68 ) de Dieu, que lhomme est supérieur aux dieux, car les dieux, pour leur part, sont seulement immortels, mais les hommes, eux, sont immortels et mortels à la fois. Cest pourquoi lhomme est devenu parent des dieux, et ils ont mutuellement connaissance de leurs affaires, avec certitude. Les dieux, de leur côté, connaissent ce qui est aux hommes, et les hommes connaissent ce qui est aux dieux.
(Ascl 23) Je ne parle cependant, ô Asclépius, que des hommes qui ont reçu la science et la gnose : quant à ceux qui en sont dépourvus, il vaut mieux que nous nen disions rien de fâcheux, car, puisque nous sommes consacrés aux dieux il nous sied de tenir des propos épurés.
3° Lhomme créateur de dieux sur terre
Puisque nous en sommes venus à parler de la communion des dieux et des hommes, apprends, , ô Asclépius, ce que lhomme aura de puissance grâce à cela ! De même, en effet, que le Père, Seigneur du Tout, fait des dieux, ainsi lhomme, de son côté cet être qui vit au ras du sol, ce mortel qui ressemble également à Dieu lui aussi, à son tour, il fait des dieux ! Non seulement il est fortifié, mais il fortifie, non seulement il est divinisé, mais il fait des dieux ! Admires-tu cela, ô Asclépius, ou es-tu, toi aussi, incrédule comme la foule ?
(ASCLÉPIUS) (69 ) Ô Trismégiste, je ne trouve pas de paroles à répondre ; je te crois bien quand tu parles, mais je suis stupéfait de ce que tu dis là, et je compte lhomme pour bienheureux davoir reçu cette grande puissance !
(TRISMÉGISTE) De fait, lui qui est plus grand que tous ces êtres, ô Asclépius, il est digne dadmiration ! Ce qui nous apparaît pour lengeance des dieux et nous en tombons daccord, ainsi que tout un chacun cest quelle est tirée dune matière pure. Leurs corps sont donc uniquement des têtes. Mais ce que les hommes façonnent, cest la ressemblance des dieux. Puisque les hommes sont tirés du dernier élément de la matière, et que ce qui est façonné est issu de lessence inférieure des hommes, non seulement ces dieux ont des têtes, mais aussi toutes les autres parties du corps, à la ressemblance de leurs auteurs. De même que Dieu a voulu que lhomme intérieur fût fait à son image, de même, pour sa part, lhomme fait des dieux sur terre, à sa ressemblance.
(ASCLÉPIUS) (Ascl 24) Ô Trismégiste, nest-ce pas des statues que tu parles ?(TRISMÉGISTE) Ô Asclépius, cest toi qui parles de « statues » !
Tu vois comme, toi aussi, ô Asclépius, tu es incrédule à légard de la parole quand tu dis, à-propos dêtres qui ont en eux âme et souffle : « les statues » ! Elles qui accomplissent de si grands miracles ! Tu dis, à propos dêtres qui délivrent des prédictions : « les statues » ! Elles qui causent (70) des maladies et qui les guérissent, qui envoient aussi les épidémies !
II. PRÉDICTION SUR LÉGYPTE ET SES DIEUX
1° Annonce dune catastrophe
DÉPART DES DIEUX
Ne sais-tu pas, ô Asclépius, que lÉgypte est une image du ciel, bien plutôt la demeure du ciel et de toutes les puissances qui sont dans le ciel ? Sil nous convient de dire la vérité, notre pays est le temple du monde ! Il ne faut pas non plus que tu ignores quun temps viendra où les Égyptiens sembleront avoir déployé en vain leur zèle envers la divinité, et leur application toute entière au culte divin sera méprisé. En effet, la divinité toute entière quittera lÉgypte et remontera au ciel, et lÉgypte sera veuve, elle sera désertée des dieux.
Invasion étrangère
Car les étrangers entreront en Égypte et ils domineront sur elle. LÉgypte, et, avant tout, les Égyptiens, seront empêchés de rendre un culte à Dieu. Bien plus, ils encourront le suprême châtiment, comme quiconque, parmi eux, sera pris à honorer Dieu pieusement. Et en ce jour-là ce pays, qui est pieux au-dessus de tous les pays, se verra devenir impie. Il ne sera plus rempli de temples, mais rempli de tombeaux et il ne sera plus rempli de dieux, mais de cadavres. O Égypte, Égypte ! Mais tes dévotions passeront pour des fables, et tes cultes divins, (71) nul ny croira plus, bien quil sagisse duvres prodigieuses et de paroles saintes. Or, si tes mots qui font merveille ne sont plus que des pierres gravées, alors le barbare lemportera contre toi, ô Égyptien, par sa piété : quil soit Scythe ou Indien, ou tout autre du même genre !
Mais pourquoi même parler de lÉgyptien ? Car ceux-ci quitteront eux-aussi lÉgypte. Une fois, en effet, que les dieux auront abandonné lÉgypte et seront remontés au ciel, alors, tous les Égyptiens périront et lÉgypte sera vidée des dieux et des Égyptiens. Et toi, ô fleuve ! Un jour viendra où tu couleras de sang, plutôt que deau ; quant aux cadavres, ils iront jusquà sentasser au-dessus des digues ! Pourtant, on ne pleurera pas le mort autant que le vivant : pour celui-ci, on ne le reconnaîtra comme Égyptien quà sa langue et en sy prenant à deux fois (Ascl 25) à quoi bon pleurer, ô Asclépius car il aura tout lair dun étranger, daprès son comportement !
Inversion des valeurs
Mais la divine Égypte endurera des maux encore plus grands que ceux-là : LÉgypte, lamante des dieux, la demeure des dieux, lécole de la piété, deviendra limage de limpiété ! Alors, en ce jour-là, lunivers ne sera plus admiré. (72 ) ...... et limpiété. On ne ladorera plus quand nous disons : « il est aussi beau que bon, et il ny en a jamais eu un semblable ni pareil spectacle ! » Au contraire, le voilà qui risque de devenir un fardeau pour tous les hommes. Cest pourquoi, on le méprisera, ce monde magnifique créé par Dieu, uvre qui na pas sa pareille, réalisation pleine de vertu, spectacle multiforme, chorégie exercée sans envie, remplie de tout objet de contemplation ! On préférera les ténèbres à la lumière et lon préférera la mort à la vie. Personne nélèvera plus son regard vers le ciel ; mais lhomme pieux sera compté pour fou, lhomme impie sera honoré comme un sage, le couard sera compté pour vaillant et lon châtiera lhomme de bien comme un malfaiteur.
Quant à lâme et aux choses de lâme, ainsi quà celles de limmortalité et au reste de ce que je vous ai dit, ô Tat, Asclépius et Ammon, non seulement on pensera quil sagit là de choses ridicules, mais encore, on les bafouera. Bien plus, croyez-moi sur ce point, les spirituels de cette sorte encourront, pour leur vie, le suprême péril. Une loi nouvelle sera établie : (73) rien de saint, rien de pieux, rien de digne du ciel ni des dieux célestes ne sentendra ni ne se croira plus.
CATASTROPHE COSMIQUE
Ils sen iront alors, les génies bienfaisants, et les mauvais anges resteront avec les hommes, se joignant à eux pour les entraîner au mal en toute impudence, à limpiété, aux guerres, aux brigandages, leur enseignant ce qui est contre nature. En ces jours-là, la terre naura plus dassise et lon ne naviguera plus sur la mer, on ne connaîtra plus les étoiles au ciel. Toute voix sainte ou parole de Dieu, on sera forcé de sen taire, et lair sera malade. (Ascl 26) Telle est la vieillesse du monde : athéisme et déshonneur, dédain de toute parole de bien !
2° Rétablissement de lordre
Renaissance du monde
Quand cela se produit, ô Asclépius, alors le Seigneur, Père et Dieu, Démiurge du Premier Dieu unique, commence par observer ce qui est arrivé. Puis, dressant contre les désordre, son conseil qui est le bien, il extirpe lerreur et retranche la malice : tantôt il la consume dans un feu violent, et tantôt, il lécrase sous les guerres et les pestilences, jusquà ramener (74) et rétablir son univers à létat ancien, de sorte quil paraisse à nouveau digne dadoration et démerveillement et que Dieu lui-même soit glorifié comme Créateur de cette uvre Telle est donc la naissance du monde : le rétablissement de la nature des choses saintes et bonnes, qui se produira par leffet du mouvement circulaire du temps qui na jamais eu de commencement.
La volonté divine
Car la volonté de Dieu na pas de commencement, non plus que sa nature, qui est sa volonté. En effet, la nature de Dieu, cest la volonté, et sa volonté, cest le bien.
(ASCLÉPIUS) Ô Trismégiste, son conseil, est-ce sa volonté ?
(TRISMÉGISTE) Oui, ô Asclépius, puisque sa volonté est dans son conseil. En effet, ce quil a, ce nest pas dans la déficience quil le veut : étant de partout Plénitude, il veut ce quil possède en plénitude et cest tous les biens quil possède. Or, lobjet de sa volonté, il le veut, et il a le bien quil veut ; donc il a le Tout. Ainsi, Dieu conçoit sa volonté et le monde, qui est bon, est limage dun Dieu bon.
Hiérarchie des dieux
(ASCLÉPIUS) Ô Trismégiste, est-ce que le monde est bon ?
(TRISMÉGISTE) Ô Asclépius, il est bon, comme je vais te lenseigner. De même, en effet, (75) que pour tous les genres et individus qui sont au monde, tous ces bienfaits, lintellect, lâme et la vie proviennent de Dieu, de même le Soleil dispense les biens dans la matière : les changements de latmosphère, et la beauté de la maturation des fruits et tout ce quil y a de semblable. Cest pourquoi Dieu règne au-dessus de la cime du ciel : il est partout et regarde partout. Mais, au lieu qui est sien, il ny a ni ciel ni étoiles ; il est bien éloigné des corps ! Quant au Démiurge, il domine le lieu qui est entre la terre et le ciel. Cest lui quon appelle Zeus, cest-à-dire la Vie. Et Zeus-Ploutonios, cest lui qui est Seigneur sur la terre et la mer. Mais il ne détient pas la nourriture de tous les vivants mortels, car cest Korè qui porte les moissons. Ces puissances, en tout temps, exercent leur pouvoir tout autour de la terre ; celles des autres dieux, en tout temps, sur tout ce qui existe.
Retour des dieux tutélaires
Mais ils se retireront de là-bas, les Seigneurs de la terre, et ils sétabliront dans une ville située à lextrémité de lÉgypte, que lon construira du côté du soleil couchant : tous les hommes y entreront soit ceux qui arriveront par mer, soit ceux qui arriveront par la terre ferme !
(ASCLÉPIUS) Ô Trismégiste, pour linstant, ces dieux-là, où seront-ils établis ?
(TRISMÉGISTE) Ô Asclépius, dans la grande ville qui est sur la montagne (76)de Libye . Mais en voilà assez sur cette question.
III. LAU-DELÀ ET LE JUGEMENT DES ÂMES
Ne pas craindre la mort
Il nous faut maintenant parler de la mort, car la mort effraie la foule comme le plus grand mal, par ignorance de la réalité. En fait, la mort survient comme le détachement des souffrances du corps, et une fois accompli le nombre dannées imparti aux jointures du corps. Le nombre est en effet la jointure du corps, et le corps meurt quand il ne peut plus soutenir lêtre humain. Voici donc ce quest la mort : dissolution du corps et suppression de la sensibilité corporelle. Il ne faut craindre ni lune ni lautre, mais bien plutôt ceci, que lon ignore par incrédulité.
Le jugement
(ASCLÉPIUS) Quest-ce donc, ô Trismégiste, que lon ignore et qui laisse incrédule ?
(TRISMÉGISTE) Écoute, ô Asclépius ! Il y a un Grand Démon que le Grand Dieu a préposé comme inspecteur ou juge des âmes humaines. Or, Dieu la installé au milieu de lair, entre la terre et le ciel. Quand donc lâme sortira du corps, inéluctablement, elle rencontrera ce Démon. Alors, il fera rebrousser chemin à cet homme, lexaminant sur la façon dont il aura agi durant sa vie : et, sil trouve quil a accompli avec piété toutes les uvres en vue desquelles il est venu au monde, cet homme-là, il le placera (77) dans la région qui lui sied ....... le fait retourner Mais sil voit,...... quun tel homme a passé sa vie dans les uvres mauvaises, il lattrape au moment où il prend son essor vers les hauteurs, et il le précipite vers le bas, en sorte que le voilà suspendu dans le ciel inférieur, où on lui inflige un grand châtiment ;
Lenfer aérien
Or, cet homme-là sera privé de son espérance, demeurant en grande affliction : et cette âme-là na pu trouver assiette ni sur terre, ni dans le ciel, mais elle a abouti dans la mer aérienne, là où il y a un grand feu, avec de leau glacée, ainsi que des traînées de flammes et un grand tourment, où les corps se voient supplicier, jamais semblablement entre eux : tantôt ils sont précipités dans des eaux courantes, tantôt ils sont jetés au fond du feu, qui doit les anéantir. Toutefois, je ne dirai pas que cest là la mort de lâme car voilà quelle serait délivrée du mal mais cest là une sentence de mort.
Ô Asclépius, il faut croire à ces peines, et tu dois bien les redouter, de crainte que nous ny tombions. Car, pour les incrédules, ils sont impies et ils pèchent. Mais après, ils seront contraints dy croire. En effet, il ny aura plus seulement des discours à entendre, mais ils subiront la réalité même : aussi bien, ils ne croyaient pas quils endureraient cela !
Équité des sentences
(ASCLÉPIUS) Nest-ce pas seulement (78) la loi humaine qui punit les péchés des hommes, ô Trismégiste ?
(TRISMÉGISTE) Tout dabord, Asclépius, tout ce qui est terrestre est mortel et corps ........ qui sont mauvais. Toute forme qui , est bonne auprès des gens de cette sorte. Car les choses de ces lieux-ci, ne ressemblent pas à celles de là-bas. Comme les génies ........ les hommes, méprisent ................ de là-bas nest pas de même espèce. Mais, en réalité, les dieux de ce lieu-là puniront spécialement le coupable qui est resté caché ici-bas, lui infligeant chaque jour un rude châtiment.
(ASCLÉPIUS) O Trismégiste, de quelle nature est limpiété la plus grande ?
(TRISMÉGISTE) Ne penses-tu donc pas, ô Asclépius, que si quelquun vole un objet dans un temple, il se comporte en impie, car cest un brigand que lhomme de cette espèce, et un voleur et de cette affaire-là, dieux et hommes en sont affligés ? Mais les choses dici-bas et celles de lautre lieu, ne les compare pas entre elles !
Supplice des âmes perverses
Or, je veux te tenir ce propos comme un mystère, car il ne recevra absolument aucun crédit : les âmes qui sont entièrement remplies de méchanceté ne seront pas admises à circuler dans lair, mais seront établies dans les lieux relevant des démons qui ont abondance de supplices. En tout temps ils sont pleins de sang et de meurtre et leur nourriture, cest les larmes, le deuil et le sanglot !
(ASCLÉPIUS) Ô Trismégiste, qui sont-ils ?
(TRISMÉGISTE) Ô Asclépius, ceux quon appelle les « Étrangleurs » et ceux qui roulent les âmes du haut des collines vers le bas, et ceux qui leur donnent le fouet, qui les jettent à leau, qui les jettent au feu, et qui travaillent aux tourments des hommes et à leur malheur ! Car ces maux-là ne sont pas conçus dune âme divine, ni dune âme raisonnable et humaine, mais ils sortent du plus mauvais de la malice.
La piété, unique sauvegarde
Or, il ny a quune seule sauvegarde, et qui est de soi nécessaire, cest la piété ; car sur lhomme pieux, saint et vénérable, ni mauvais génie, ni Fatalité ne sauraient jamais dominer ou avoir prise ! Dieu, en effet, protège de tout mal lhomme qui est ainsi véritablement pieux. Le seul et unique bien parmi les hommes, cest la piété.
Notes sur le Discours Parfait
Létat de conservation du codex est variable et ces deux textes présentent quelques lacunes sur la plupart des feuillets. Tous deux sont rédigés en sahidique, un dialecte copte, le Logos Teleios aurait été écrit en grec mais la date de sa composition est inconnue. La notice du scribe a été rédigée en copte et écrite par le même scribe qui a copié le reste du codex VI. La première publication moderne des Définitions hermétiques, préservées dans six manuscrits arméniens copiés entre le XIIIe et le XVIe siècle, eut lieu en 1956. La première traduction en langue française a été faite par le professeur Mahé en 1976, sa traduction dans ce présent volume constituant une révision de son premier travail. La langue originale de ce texte aurait été le grec, et le professeur Mahé date cette traduction en arménien du milieu du VIe siècle.
La notice du scribe est assez brève. Pour le professeur Mahé, le scribe sadresse à des interlocuteurs quil connaît pour poser une question précise, il déclare hésiter sur le texte quil convient de recopier, désirant sinformer dabord de voeux et des besoins des futurs lecteurs. Après avoir analysé cette notice, il émet lhypothèse que celle-ci fournit quelques explications sur la diffusion des écrits hermétiques, la date de leur traduction copte et sur les usagers de la Bibliothèque copte de Nag Hammadi.
Le texte grec en partie perdu du Logos Teleios, et traduit en latin dans lAsclepius, correspond aux pages 152-200 du volume. La version latine est donnée avec le texte copte et sa traduction française. Ce texte, prétendument un dialogue entre Hermès Trismégiste et son disciple Asclépius, commence avec une surprenante comparaison très explicite entre une union charnelle et la transmission de mystères sacrés (65,35). Cette association est également présente dans le texte 7 du codex VI, mais de façon beaucoup moins explicite. Suit une discussion sur lorigine et la nature de lhomme. Dans cette discussion, les humains sont dits supérieurs aux dieux, parce quils sont à la fois mortels et immortels. Limmortalité sacquiert par lapprentissage et la connaissance. Ce passage semble être une défense du culte des idoles.
Par la suite, lÉgypte est exaltée comme étant une image du ciel (70,), mais le texte prédit de terribles choses pour cette terre. Le dialogue prend prétendument place dans un passé lointain, son auteur utilise cette fiction pour donner son opinion sur des événements passés : la désacralisation de la terre dÉgypte et son abandon par les dieux (71,). Dans le passage suivant, Hermès se lamente sur le monde qui deviendra bientôt un fardeau pour lhomme alors quil était une si belle chose (71,). Cependant, après ces fléaux, une régénération du monde est à venir «et telle est la naissance du monde[ .], le rétablissement des choses saintes et bonnes» (74,). Le texte fini par la description du grand démon qui a été assigné «pour être inspecteur ou juge des âmes humaines» (76,). En quittant son corps, lâme monte vers le ciel où elle rencontre le grand démon. Si lâme est bonne, elle pourra continuer son ascension, mais «les âmes qui sont entièrement remplies de méchanceté ne seront pas admises à circuler dans lair, mais seront établies dans les lieux (relevant) des démons» et seront punies cruellement (78,).
Les Définitions hermétiques sont, comme leur nom le suggère, une série de définitions et une brève discussion sur des concepts et des entités incluant la nature de Dieu, de lâme, de lhomme, et de lintellect. Dans sa structure, ce texte utilise une série de questions rhétoriques et auxquelles il répond par des formules dogmatiques. Les idées y sont développées très souvent par association et par progression de mots-clés et dimages. Dans sa discussion de lhermétisme en général et de ces deux textes en particulier, le professeur Mahé couvre différents aspects et propose plusieurs hypothèses nouvelles, notamment sur les origines de lhermétisme. Il soumet lidée que la littérature hermétique était très bien structurée et que chaque sentence exprimait un concept fondamental ayant une structure et une interprétation propres. Cependant, quelles que soient ces sentences et les figures primitives de la sagesse employées, elles forment les bases pour toutes les spéculations hermétiques ultérieures. Pour le professeur Mahé, celles-ci, tantôt mythologiques, théologiques ou philosophiques, sont secondaires. Pour lui, elles résultent de traditions spéculatives et restent présentes dans tous les écrits ultérieurs. Sa démonstration de lexistence de ces sentences et son analyse de leur nature et de leurs fonctions sappuie sur une impressionnante sélection de sources provenant aussi bien de la littérature ancienne de sagesse égyptienne que des textes bibliques, en passant par la rhétorique hellénistique et les textes de Nag Hammadi. Le professeur Mahé discute également du contenu eschatologique du Logos Teleios dans le contexte des nombreux matériaux eschatologiques trouvés à Nag Hammadi. Cela lui permet détendre sa discussion à lintérêt que ce matériel avait pour les lecteurs de la Bibliothèque copte de Nag Hammadi pour soutenir que celui-ci résidait dans des éléments ascétiques, eschatologiques et dans le caractère de révélation de ces textes.
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