LOGDOADE ET LENNÉADE
(NH VI, 6)
Traduit du copte par Jean-Pierre Mahé Bibliothèque copte de Nag Hammadi, sous la direction de Louis Painchaud, Wolf-Peter Funk et Paul-Hubert Poirier, à luniversité de Laval, Québec, Canada.
Discours de lOgdoade et lEnnéade
Préambule
(FILS) Mon père,tu mas promis hier de conduire mon intellect jusque dans lOgdoade et de me conduire ensuite moi-même jusque dans lEnnéade. Tu as dit : cest lordre de la tradition.
(HERMÈS) Oui, mon enfant, cest bien lordre ; mais la promesse fut faite selon la condition humaine. Je te lai bien dit dès que jeus commencé de te faire cette promesse ; je te lai dit, si tu ten souviens, à chaque degré.
Entretien sur la régénération spirituelle et la race des élus
Quand jeus reçu lEsprit grâce à la Puissance, je te transmis lénergie : car, si lintellection relève de toi, cest en moi, pour ainsi dire, que la Puissance est conçue. En effet, lorsque jeus conçu par la source qui coule en moi, je lengendrai.
(FILS) Mon père, tu mas bien exposé chaque propos. Pourtant, je suis déconcerté par ce propos que tu as tenu à linstant. Tu as dit en effet : « cest la Puissance qui est en moi ». Il répondit :
(HERMÈS) Je lai engendrée comme on engendre les enfants.
(FILS) Mon Père, ai-je donc beaucoup de frères, si tu me comptes parmi les descendances ?
(HERMÈS) Parfaitement, mon enfant, ce bien se compte par ...................en tout temps. Cest pourquoi, mon enfant, il test nécessaire que tu connaisses tes frères et que tu les honores bien, comme il convient, car ils sont issus du même Père. En effet, chaque descendance, je lai appelée, je lui ai donné un nom, puisquelles sont engendrées comme des enfants.
(FILS) Mon père, ont-ils donc, eux aussi, leurs mères ?
(HERMÈS) Mon enfant, ce sont des mères spirituelles, car il sagit des énergies qui font croître aussi les âmes : cest pourquoi je dis quelles sont immortelles.
(FILS) Ta parole est vraie ; elle ne prête plus à contradiction désormais. Ô mon père, commence le discours de lOgdoade et de lEnnéade, et mets-moi, moi aussi, au nombre de mes frères.
(HERMÈS) Prions, mon enfant, le Père du Tout, avec tes frères qui sont mes fils, afin quil dispense lEsprit, et que je parle.
(FILS) Comment prie-t-on, mon père, en union avec les descendances ? Je souhaite obéir, mon père, mais.....
(HERMÈS) Mon enfant. .....Cependant cela nest ni une nécessité ni une loi] mais cela repose en elle et ......... Or il est juste que tu te souviennes du progrès en sagesse qui sest produit en toi grâce aux livres. Mon enfant, compare-toi au premier âge : comme les petits, tu as posé les questions les plus déraisonnables, les plus irréfléchies.
(FILS) Mon père, le progrès et la prescience qui me sont advenus présentement grâce aux livres sont arrivés à surpasser la déficience qui était en moi tout dabord.
(HERMÈS) Mon enfant, quand tu concevras par lintelligence la réalité de ce que tu dis, tu trouveras tes frères priant avec toi, eux qui sont mes fils.
(FILS) Mon père, mon intelligence ne conçoit rien dautre que la beauté qui mest advenue grâce aux livres, celle que tu appelles beauté de lâme.
(HERMÈS) Lédification sest opérée en toi par degrés. Puisse tadvenir lintellection et tu seras instruit.
(FILS) Jai reconnu par lintelligence, mon père, chacune des descendances, plus
particulièrement la 55 matière ? ........ elles]sont dans..............
llumination mystique
(HERMÈS) 2 Mon fils, ..... par des louanges de la part de ceux qui ont reçu laccroissement.
(FILS) Mon père, quant au propos que tu as tenu, jen recevrai de toi la puissance. Suivant ce qui a été dit, prions tous deux, mon père.
(HERMÈS) (récitant une sorte de préface liturgique) Mon enfant, cest convenance Que, de toute notre pensée, de tout notre coeur et de toute notre âme, Nous priions Dieu, et lui demandions Que le don de lOgdoade sétende jusquà nous, Et que chacun de nous reçoive par là ce qui lui est propre : À toi il appartient de saisir par lintelligence, Et à moi de pouvoir exprimer le discours Grâce à la source qui coule en moi.
Prière dinvocation
(FILS) Prions, mon père. (Hermès et son fils, ensemble) Je tinvoque, toi qui es Celui qui domine sur le royaume de la Puissance, Celui dont le Verbe se fait naissance de lumière ; et dont les paroles sont immortelles, éternelles, inaltérables ! Celui dont le vouloir engendre la vie manifestée, en tout lieu ; et dont la nature donne forme à lessence ! Cest de Lui que se meuvent [56] les âmes de lOgdoade et les anges. Car cest Lui dont le Verbe sétend vers chacun de ceux qui existent ; Sa Providence parvient jusquà chacun dans le Lieu. Il engendre chacun, lui qui a partagé lÉon entre les Esprits. Il a créé toutes choses, Lui qui est son propre contenant et soutient tous les êtres en sa plénitude !
Dieu invisible, à qui lon sadresse en silence, Dont limage se meut en se gouvernant Et se gouverne en se mouvant ! Puissant de la Puissance, Toi qui es plus grand que la grandeur, Plus glorieux que les gloires ! Zôxathazô, Zôzazôth, Seigneur, accorde-nous une sagesse issue de ta Puissance parvenant jusquà nous, afin que nous nous fassions part mutuellement de la contemplation de lOgdoade et de lEnnéade.
Déjà nous avons atteint lHebdomade, car nous sommes pieux, nous gouvernant dans ta Loi, et ta volonté, nous laccomplissons toujours. En effet, nous avons marché dans [57] ta voie et nous avons laissé derrière nous la malice, afin que nous fassions advenir la contemplation. Seigneur, accorde-nous la vérité dans limage, accorde-nous, par lEsprit, de voir la forme de limage qui est sans déficience reçois de nous la réplique du Plérôme par notre action de grâces et reconnais lEsprit qui est en nous.
Car cest par Toi que le Tout a été animé ; Car cest de Toi, lInengendré, quest issu lEngendré. La génération de Celui-qui-sengendre-lui-même se produit par Toi, comme génération de tous les êtres engendrés. Reçois de nous le sacrifice de discours que nous faisons monter vers Toi de tout notre coeur et de toute notre âme et d toute notre force. Sauve ce qui est en nous, Et donne-nous la sagesse immortelle.
Première vision
(HERMÈS) Embrassons-nous lun lautre, mon enfant, avec amour. (Tandis quils sembrassent silencieusement, Hermès a une vision.)
Réjouis-toi de ceci ! Car déjà, venant dEux, la Puissance qui est lumière arrive jusquà nous !
(FILS) Je vois, oui, je vois des profondeurs indicibles !
(HERMÈS) Comment te le dirais-je, [58] mon enfant, commence dès maintenant à tendre vers les lieux ! Comment te parlerais-je du Tout ? Je suis lIntellect et je vois un autre Intellect qui met lâme en mouvement. Je vois Celui qui me ravit en une sainte extase. Tu me donnes puissance. Je me vois moi-même. Je veux parler. Une crainte me retient. Jai trouvé, moi, le Principe de la Puissance qui est au-dessus de toutes les Puissances et qui lui-même na pas de principe. Je vois une source vibrante de vie. Je lai dit, ô mon enfant, je suis lIntellect. Jai contemplé ! Il est impossible à la parole de révéler cela. En effet, toute lOgdoade, ô mon enfant, avec les âmes qui sont en elle et les anges chantent des hymnes en silence. Mais à moi, lIntellect, ils me sont intelligibles.
(FILS) De quelle façon chantent-ils ?
(HERMÈS) Te voici au point quon ne pourra plus te parler.
Prière à Hermès divinisé
(FILS) Je fais silence, ô mon Père. Je désire te chanter un hymne en silence.
(HERMÈS) Chante-le-moi donc, car je suis lIntellect.
(FILS) LIntellect mest intelligible, Hermès, celui que lon ne peut interpréter, Car il se retranche en lui-même ! Mais, je me réjouis, ô mon Père, voyant que tu souris, Et le Tout (59 ) se réjouit ! Cest pourquoi, il nest pas de créature Qui puisse être privée de ta vie. Car cest toi le Seigneur des citoyens en tout lieu. Ta providence est une sauvegarde. Je tinvoque, Père, Éon des Éons, Esprit, Être divin, Qui, en outre, répands en esprit leau de pluie sur chacun ! Que men dis-tu, ô mon Père, Hermès ?
(HERMÈS) De cela, je ne dis rien, ô mon enfant : il est juste, en effet, devant Dieu, que nous taisions ce qui est caché.
(FILS) Ô Trismégiste, ne permets pas que mon âme soit veuve de la contemplation, Être divin, car tu as pouvoir sur toute chose, comme maître de tout le lieu !
(HERMÈS) Reviens à laction de grâces, ô mon enfant, et exprime tout cela en silence. Demande ce que tu veux en silence.
Deuxième vision
(Le fils se recueille quelques instants en silence) Quand il eut terminé de rendre grâces, il sécria :
(FILS) Père, Trismégiste, que dirai-je ? Nous avons reçu cette lumière et, moi, je vois cette même vision à lintérieur de toi ! Et je vois lOgdoade avec les âmes qui sont en elle, et les anges chantent leurs hymnes à lEnnéade et à ses Puissances. Et je le vois, Lui, pourvu de toutes leurs Puissances, et qui crée (60 ) dans lEsprit !
Action de grâces
(HERMÈS) Il est bien que nous fassions désormais silence. Ne va pas, précipitamment parler de la vision ! Désormais, il convient de chanter des hymnes au Père, jusquau jour de quitter ce corps.
(FILS) Ce que tu dis-là, ô mon Père, je veux le dire moi aussi. Je chante un hymne du fond de mon coeur.
(HERMÈS) Puisque tu as atteint le repos, vaque à laction de grâces, car tu as trouvé ce que tu cherchais.
(FILS) Mais comment faut-il, ô mon Père, que je rende grâces, puisque mon coeur est plein à déborder ?
(HERMÈS) Il te faut pourtant faire monter ton action de grâces jusquà Dieu et quelle soit ensuite en ce livre impérissable.
(FILS) Je ferai monter laction de grâces. Du fond de mon coeur,Pour prier le terme du Tout Et le Principe du Principe, De la quête des hommes, la trouvaille immortelle, Celui qui fait naître la Lumière et la Vérité, Celui qui sème le Verbe, Lamour de la vie éternelle ! Nul discours caché ne saurait parler de toi, Seigneur ! Cest pourquoi mon Intellect Veut te chanter ses hymnes chaque jour. Je suis linstrument de ton Esprit, LIntellect est ton plectre, Et ton conseil joue sur moi un psaume. Je me vois (61) moi-même. Jai reçu puissance de toi, Car ton amour est venu jusquà nous.
(HERMÈS) Bien, ô mon enfant !
(FILS) Ô grâce ! Après cela je rends grâces En te chantant un hymne, Car jai été vivifié par toi, Quand tu eus fait de moi un sage. Je te rends grâces, Jinvoque du fond du coeur ton Nom mystérieux : Tu es Celui qui est avec lEsprit. Je te chante mon hymne pieusement.
ÉPILOGUE
Monument commémoratif
(HERMÈS) Ce livre, ô mon enfant, écris-le pour le Temple de Diospolis en caractères hiéroglyphiques en le dédiant à lOgdoade qui révèle lEnnéade.
(FILS) Je le ferai, ô mon Père comme tu me le prescris maintenant. Ô mon Père, le texte du livre, lécrirai-je sur des stèles couleur turquoise ?
(HERMÈS) Ô mon enfant, ce livre, il convient de lécrire sur des stèles couleur turquoise en caractères hiéroglyphiques, car cest lIntellect lui-même qui est devenu leur protecteur. (62) Cest pourquoi, jordonne que ce discours soit gravé sur de la pierre et que tu le mettes à lintérieur de mon parvis, sous la surveillance de huit gardiens et des Neuf du Soleil. Que les gardiens mâles, à droite, soient à visage de grenouilles et que les femelles, à gauche, soient à visage de chats. Place en outre une pierre de lait en dessous des tables couleur turquoise, qui soit de forme quadrangulaire et écris le Nom sur la table de pierre couleur saphir, en caractères hiéroglyphiques. Ô mon enfant, tu placeras cette pierre quand je serai dans la constellation de la Vierge, et le Soleil, dans la première moitié du jour, quand quinze degrés mauront dépassé.
(FILS) Ô mon Père, toutes 21 les paroles que tu dis, je les 22 accomplirai avec zèle.
Imprécation prophylactique
(HERMÈS) Écris donc une imprécation sur le livre, afin que le Nom ne soit pas détourné à des fins mauvaises par ceux qui liront le livre et quils ne luttent pas non plus contre les oeuvres de la Destinée. Quils se soumettent plutôt à la Loi de Dieu, sans lavoir transgressée en rien, mais quavec pureté ils demandent à Dieu sagesse et gnose. Et quiconque (63) naura pas été tout dabord engendré par Dieu, en usant des Leçons Générales et des Leçons Détaillées, ne pourra pas lire ce qui est écrit dans ce livre, bien que sa conscience soit pure en ce qui le concerne, quil ne commette rien de laid et ny consente nullement. Cependant, parcourant chaque degré, il entrera dans la voie dimmortalité et ainsi, il parviendra à lIntellection de lOgdoade qui révèle lEnnéade.
(FILS) Cest ce que je ferai, ô mon Père.
(HERMÈS) Voici la formule : « Je conjure quiconque lira ce livre saint, Par le ciel et la terre, et le feu et leau,
Par les Sept Ousiarques Et lEsprit démiurgique qui est en eux, Par le Dieu Inengendré, Celui-qui-sengendre-lui-même Et lEngendré, Quil respecte ce qua dit Hermès ! Car pour ceux qui respecteront cette imprécation, Dieu se joindra à eux, Ainsi que tous les dieux que nous avons nommés. Mais ceux qui passeront outre à cette imprécation, Que, sur la tête de chacun dentre eux, Sabatte la colère de chacun des dieux sus-nommés ! » Voilà qui est vraiment parfait, ô mon enfant.
Notes sur lOgdoade et lEnnéade Le sixième écrit du codex VI nous entraîne au coeur du mystère hermétique de régénération. Le titre de lécrit, figurant sur la première ligne (52, 1), a été accidentellement arraché. En se fondant sur lobjet principal du discours, indiqué en 53, 23-26, on peut restituer Le Discours de lOgdoade et lEnnéade, ou une dénomination équivalente.
Il sagit dun dialogue entre un maître et son disciple. Le disciple appelle son maître «mon père» et, à plusieurs reprises, «Hermès» (58, 28 ; 59, 11 ; 63, 24) ou «Trismégiste» (59, 15.24) ; le maître appelle son disciple «mon enfant», sans le désigner par un autre nom. On sait quil existe dautres écrits, parmi les enseignements adressés à Tat, où le nom du disciple napparaît pas dans les répliques du dialogue. Mais on observe vite une différence essentielle. Le disciple qui apparaît ici nest plus un débutant. Hermès lui a déjà expliqué la totalité de ses Leçons générales et de ses Leçons détaillées (63, 1-2). Il ne lui reste plus quà franchir létape finale, qui nest pas de simple savoir mais engage toute sa personne. Cest une initiation à lOgdoade et à lEnnéade divines qui doit le régénérer, faire de lui un homme nouveau, directement inspiré par lIntellect divin. On comprend donc quil ne saurait être question ici dun enseignement ordinaire. Il ne sagit pas de transmettre un savoir, mais une expérience ou, plus exactement, une attitude spirituelle, une profonde disposition intérieure. La base de cette attitude est la prière de louanges (55, 4 ; 57, 10 ; 59, 20 cor. ; 60, 9.14.18) qui élève lâme et la prépare à la contemplation silencieuse. Aussi bien, la partie centrale du discours nest composée que de prières entrecoupées de visions extatiques et lenseignement du maître sannonce dès le début (52, 27) comme une pédagogie de la prière. Si lon ajoute que la puissance spirituelle qui opère la régénération est transmise par un baiser (57, 26) échangé entre le père et le fils, symbole du don gratuit de lamour divin, on concevra loriginalité dun enseignement qui tient beaucoup plus de la pratique, de la formation spirituelle et de linitiation aux mystères que de la théorie.
Ce dialogue se révèle un document de première importance, aussi bien pour létude des sources de certains écrits gnostiques de Nag Hammadi que pour éclairer, par un témoignage vivant, la vie interne des communautés de parfaits et de spirituels, lesprit de leurs pratiques et de leurs rites dinitiation. Cest, en tout cas, un des exemples les plus nets où un cérémonial gnostique soit évoqué concrètement dans tous ses détails.
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