Approches !
APOCRYPHES.
OEUVRES
COMPLÈTES DE VOLTAIRE
DICTIONNAIRE
PHILOSOPHIQUE
Du mot grec qui signifie caché. On remarque
très bien dans le Dictionnaire
encyclopédique que les divines Écritures
pouvaient être à la fois sacrées
et apocryphes: sacrées, parce qu'elles sont
indubitablement dictées par Dieu même;
apocryphes, parce qu'elles étaient
cachées aux nations et même au peuple
juif.
Qu'elles fussent caché
avant la traduction grecque faite dans Alexandrie sous
les Ptolémées, c'est une
vérité reconnue. Josèphe
l'avoue(1) dans la réponse qu'il fit à
Apion, après la mort d'Apion; et son aveu n'en
a pas moins de poids, quoiqu'il prétende le
fortifier par une fable. Il dit dans son histoire(2)
que les livres juifs étant tous divins, nul
historien, nul poète étranger n'en avait
jamais osé parler. Et immédiatement
après avoir assuré que jamais personne
n'osa s'exprimer sur les lois juives, il ajoute que
l'historien Théopompe ayant eu seulement le
dessein d'en insérer quelque chose dans son
histoire, Dieu le rendit fou pendant trente jours;
qu'ensuite, ayant été averti dans un
songe qu'il n'était fou que pour avoir voulu
connaître les choses divines et les faire
connaître aux profanes, il en demanda pardon
à Dieu, qui le remit dans son bon sens.
Josèphe, au même
endroit, rapporte encore qu'un poète
nommé Théodecte ayant dit un mot des
Juifs, dans ses tragédies, devint aveugle, et
que Dieu ne lui rendit la vue qu'après qu'il
eut fait pénitence.
Quant au peuple juif, il est
certain qu'il y eut des temps où il ne put lire
les divines Écritures, puisqu'il est dit dans
le quatrième livre des Rois(3),et dans le
deuxième des Paralipomènes(4),que sous
le roi Josias on ne les connaissait pas, et qu'on en
trouva par hasard un seul exemplaire dans un coffre
chez le grand prêtre Helcias ou Helkia.
Les dix tribus qui furent
dispersées par Salmanasar n'ont jamais reparu;
et leurs livres, si elles en avaient, ont
été perdus avec elles. Les deux tribus
qui furent esclaves à Babylone, et qui
revinrent au bout de soixante et dix ans, n'avaient
plus leurs livres, ou du moins ils étaient
très rares et très défectueux,
puisque Esdras fut obligé de les
rétablir. Mais quoique ces livres fussent
apocryphes pendant la captivité de Babylone,
c'est-à-dire cachés, inconnus au peuple,
ils étaient toujours sacrés; ils
portaient le sceau de la Divinité ils
étaient, comme tout le monde en convient, le
seul monument de vérité qui fût
sur la terre.
Nous appelons aujourd'hui
apocryphes les livres qui ne méritent aucune
créance, tant les langues sont sujettes au
changement.
Les catholiques et les
protestants s'accordent à traiter d'apocryphes
en ce sens, et à rejeter: La prière de
Manassé, roi de Juda, qui se trouve dans le
quatrième livre des Rois; Le troisième
et le quatrième livre des Machabées; Le
quatrième livre d'Esdras; quoiqu'ils soient
incontestablement écrits par des Juifs; mais on
nie que les auteurs aient été
inspirés de Dieu ainsi que les autres Juifs.
Les autres livres juifs, rejetés par les seuls
protestants, et regardés par conséquent
comme non inspirés par Dieu même, sont:
La Sagesse, quoiqu'elle soit écrite du
même style que les Proverbes;
L'Ecclésiastique, quoique ce soit encore le
même style; Les deux premiers livres des
Machabées, quoiqu'ils soient écrits par
un Juif; mais ils ne croient pas que ce Juif ait
été inspiré de Dieu; Tobie,
quoique le fond en soit édifiant. Le judicieux
et profond Calmet affirme qu'une partie de ce livre
fut écrite par Tobie père, et l'autre
par Tobie fils, et qu'un troisième auteur
ajouta la conclusion du dernier chapitre, laquelle dit
que le jeune Tobie mourut à l'âge de
quatre-vingt-dix-neuf ans, et que ses enfants
l'enterrèrent gaiement.
Le même Calmet, à
la fin de sa préface, s'exprime ainsi(5):
« Ni cette histoire en elle-même, ni la
manière dont elle est racontée, ne
portent en aucune manière le caractère
de fable ou de fiction. S'il fallait rejeter toutes
les histoires de l'Écriture où il
paraît du merveilleux et de l'extraordinaire,
où serait le livre sacré que l'on
pourrait conserver?... »
Judith, quoique Luther
lui-même déclare « que ce livre est
beau, bon, saint, utile, et que c'est le discours d'un
saint poète et d'un prophète
animé du Saint-Esprit, qui nous instruit,
etc.(6) »
Il est difficile, à la
vérité, de savoir en quel temps se passa
l'aventure de Judith, et où était
située la ville de Béthulie. On a
disputé aussi beaucoup sur le degré de
sainteté de Judith; mais le livre ayant
été déclaré canonique au
concile de Trente, il n'y a plus à disputer.
Baruch, quoiqu'il soit écrit du style de tous
les autres prophètes. Esther. Les protestants
n'en rejettent que quelques additions après le
chapitre dix; mais ils admettent tout le reste du
livre encore que l'on ne sache pas qui était le
roi Assuérus, personnage principal de cette
histoire.
Daniel. Les protestants en
retranchent l'aventure de Suzanne et des petits
enfants dans la fournaise; mais ils conservent le
songe de Nabuchodonosor et son habitation avec les
bêtes. De la vie de Moïse, livre apocryphe
de la plus haute antiquité. L'ancien livre qui
contient la vie et la mort de Moïse, paraît
écrit du temps de la captivité de
Babylone. Ce fut alors que les Juifs
commencèrent à connaître les noms
que les Chaldéens et les Perses donnaient aux
anges.
C'est là qu'on voit les
noms de Zinghiel, Samael, Tsakon, Lakah et beaucoup
d'autres dont les Juifs n'avaient fait aucune mention.
Le livre de la mort de Moïse paraît
postérieur. Il est reconnu que les Juifs
avaient plusieurs vies de Moïse très
anciennes, et d'autres livres indépendamment du
Pentateuque. Il y était appelé Moni, et
non pas Moïse; et on prétend que mo
signifiait de l'eau, et ni la particule de. On le
nomma aussi du nom général Melk; on lui
donna ceux de Joakim, Adamosi, Thetmosi; et surtout on
a cru que c'était le même personnage que
Manéthon appelle Ozarziph.
Quelques-uns de ces vieux
manuscrits hébraïques furent tirés
de la poussière des cabinets des Juifs vers
l'an 1517. Le savant Gilbert Gaulmin, qui
possédait leur langue parfaitement, les
traduisit en latin vers l'an 1635. Ils furent
imprimés ensuite et dédiés au
cardinal de Bérulle. Les exemplaires sont
devenus d'une rareté extrême. Jamais le
rabbinisme, le goût du merveilleux,
l'imagination orientale, ne se
déployèrent avec plus
d'excès.
Fragment de la vie de
Moïse. Cent trente ans après
l'établissement des Juifs en Égypte, et
soixante ans après la mort du patriarche
Joseph, le pharaon eut un songe en dormant. Un
vieillard tenait une balance: dans l'un des bassins
étaient tous les habitants de l'Égypte,
dans l'autre était un petit enfant, et cet
enfant pesait plus que tous les Égyptiens
ensemble. Le pharaon appelle aussitôt ses
shotim, ses sages. L'un des sages lui dit: « O
roi! cet enfant est un Juif qui fera un jour bien du
mal à votre royaume. Faites tuer tous les
enfants des Juifs, vous sauverez par là votre
empire, si pourtant on peut s'opposer aux ordres du
destin. »
Ce conseil plut à
Pharaon: il fit venir les sages-femmes, et leur
ordonna d'étrangler tous les mâles dont
les Juives accoucheraient.... Il y avait en
Égypte un homme nommé Amram, fils de
Kehat, mari de Jocebed, soeur de son frère.
Cette Jocebed lui donna une fille nommée Marie,
qui signifie persécutée, parce que les
Égyptiens descendants de Cham
persécutaient les Israélites descendants
de Sem. Jocebed accoucha ensuite d'Aaron, qui signifie
condamné à mort, parce que le pharaon
avait condamné à mort tous les enfants
juifs. Aaron et Marie furent préservés
par les anges du Seigneur, qui les nourrirent aux
champs, et qui les rendirent à leurs parents
quand ils furent dans l'adolescence.
Enfin Jocebed eut un
troisième enfant: ce fut Moïse, qui par
conséquent avait quinze ans de moins que son
frère. Il fut exposé sur le Nil. La
fille du pharaon le rencontra en se baignant, le fit
nourrir, et l'adopta pour son fils, quoiqu'elle ne
fût point mariée.
Trois ans après, son
père le pharaon prit une nouvelle femme; il fit
un grand festin; sa femme était à sa
droite, sa fille était à sa gauche avec
le petit Moïse. L'enfant, en se jouant, lui prit
sa couronne et la mit sur sa tête. Balaam le
magicien, eunuque du roi, se ressouvint alors du songe
de Sa Majesté. « Voilà, dit-il, cet
enfant qui doit un jour vous faire tant de mal;
l'esprit de Dieu est en lui. Ce qu'il vient de faire
est une preuve qu'il a déjà une
idée de vous détrôner. Il faut le
tuer sur-le-champ. » Cette idée plut
beaucoup au pharaon.
On allait tuer le petit
Moïse lorsque Dieu envoya sur-le-champ son ange
Gabriel déguisé en officier du pharaon,
et qui lui dit: « Seigneur, il ne faut pas faire
mourir un enfant innocent qui n'a pas encore
l'âge de discrétion; il n'a mis votre
couronne sur sa tête que parce qu'il manque de
jugement. Il n'y a qu'à lui présenter un
rubis et un charbon ardent; s'il choisit le charbon,
il est clair que c'est un imbécile qui ne sera
pas dangereux; mais s'il prend le rubis, c'est signe
qu'il y entend finesse, et alors il faut le tuer.
»
Aussitôt on apporte un
rubis et un charbon; Moïse ne manque pas de
prendre le rubis; mais l'ange Gabriel, par un
léger tour de main glisse le charbon à
la place de la pierre précieuse. Moïse mit
le charbon dans sa bouche, et se brûla la langue
si horriblement qu'il en resta bègue toute sa
vie; et c'est la raison pour laquelle le
législateur des Juifs ne put jamais articuler.
Moïse avait quinze ans et
était favori du pharaon. Un Hébreu vint
se plaindre à lui de ce qu'un Égyptien
l'avait battu après avoir couché avec sa
femme. Moïse tua l'Égyptien. Le pharaon
ordonna qu'on coupât la tête à
Moïse. Le bourreau le frappa; mais Dieu changea
sur-le-champ le cou de Moïse en colonne de
marbre, et envoya l'ange Michaël, qui en trois
jours de temps conduisit Moïse hors des
frontières.
Le jeune Hébreu se
réfugia auprès de Nécano, roi
d'Éthiopie, qui était en guerre avec les
Arabes. Nécano le fit son général
d'armée, et après la mort de
Nécano, Moïse fut élu roi et
épousa la veuve. Mais Moïse, honteux
d'épouser la femme de son seigneur, n'osa jouir
d'elle, et mit une épée dans le lit
entre lui et la reine. Il demeura quarante ans avec
elle sans la toucher. La reine, irritée,
convoqua enfin les états du royaume
d'Éthiopie, se plaignit de ce que Moïse ne
lui faisait rien, et conclut à le chasser, et
à mettre sur le trône le fils feu roi.
Moïse s'enfuit dans le
pays de Madian chez le prêtre Jéthro. Ce
prêtre crut que sa fortune était faite
s'il remettait Moïse entre les mains du pharaon
d'Égypte, et il commença par le faire
mettre dans un cul de basse-fosse, où il fut
réduit au pain et à l'eau. Moïse
engraissa à vue d'oeil dans son cachot.
Jéthro en fut tout étonné. Il ne
savait pas que sa fille Séphora était
devenue amoureuse du prisonnier, et lui portait
elle-même des perdrix et des cailles avec
d'excellent vin. Il conclut que Dieu protégeait
Moïse et ne le livra point au pharaon.
Cependant le prêtre
Jéthro voulut marier sa fille; il avait dans
son jardin un arbre de saphir sur lequel était
gravé le nom de Jaho ou Jéhova. Il fit
publier dans tout le pays qu'il donnerait sa fille
à celui qui pourrait arracher l'arbre de
saphir. Les amants de Séphora se
présentèrent: aucun d'eux ne put
seulement faire pencher l'arbre. Moïse, qui
n'avait que soixante et dix-sept ans, l'arracha tout
d'un coup sans efforts. Il épousa
Séphora, dont il eut bientôt un beau
garçon nommé Gersom.
Un jour en se promenant il
rencontra Dieu (qui se nommait auparavant Sadaï,
et qui alors s'appelait Jéhova) dans un buisson
et Dieu lui ordonna d'aller faire des miracles
à la cour du pharaon: il partit avec sa femme
et son fils. Ils rencontrèrent chemin faisant,
un ange qu'on ne nomme pas, qui ordonna à
Séphora de circoncire le petit Gersom avec un
couteau de pierre. Dieu envoya Aaron sur la route;
mais Aaron trouva fort mauvais que son frère
eût épousé une Madianite; il la
traita de p.... et le petit Gersom de bâtard; il
les renvoya dans leur pays par le plus court.
Aaron et Moïse s'en
allèrent donc tout seuls dans le palais du
pharaon. La porte du palais était gardée
par deux lions d'une grandeur énorme. Balaam,
l'un des magiciens du roi, voyant venir les deux
frères, lâcha sur eux les deux lions;
mais Moïse les toucha de sa verge, et les deux
lions, humblement prosternés,
léchèrent les pieds d'Aaron et de
Moïse. Le roi, tout étonné, fit
venir les deux pèlerins devant tous ses
magiciens. Ce fut à qui ferait le plus de
miracles.
L'auteur raconte ici les dix
plaies d'Égypte à peu près comme
elles sont rapportées dans l'Exode. Il ajoute
seulement que Moïse couvrit toute l'Égypte
de poux jusqu'à la hauteur d'une coudée,
et qu'il envoya chez tous les Égyptiens des
lions, des loups, des ours, des tigres, qui entraient
dans toutes les maisons, quoique les portes fussent
fermées aux verrous, et qui mangeaient tous les
petits enfants.
Ce ne fut point, selon cet
auteur, les Juifs qui s'enfuirent par la mer Rouge, ce
fut le pharaon qui s'enfuit par ce chemin avec son
armée; les Juifs coururent après lui,
les eaux se séparèrent à droite
et à gauche pour les voir combattre; tous les
Égyptiens, excepté le roi, furent
tués sur le sable. Alors ce roi, voyant bien
qu'il avait affaire à forte partie, demanda
pardon à Dieu. Michaël et Gabriel furent
envoyés vers lui; ils le transportèrent
dans la ville de Ninive, où il régna
quatre cents ans.
De la mort de Moïse Dieu
avait déclaré au peuple d'Israël
qu'il ne sortirait point de l'Égypte à
moins qu'il n'eût retrouvé le tombeau de
Joseph. Moïse le retrouva, et le porta sur ses
épaules en traversant la mer Rouge. Dieu lui
dit qu'il se souviendrait de cette bonne action, et
qu'il l'assisterait à la mort.
Quand Moïse eut
passé six-vingts ans, Dieu vint lui annoncer
qu'il fallait mourir, et qu'il n'avait plus que trois
heures à vivre. Le mauvais ange Samaël
assistait à la conversation. Dès que la
première heure fut passée, il se mit
à rire de ce qu'il allait bientôt
s'emparer de l'âme de Moïse, et
Michaël se mit à pleurer. « Ne te
réjouis pas, méchante bête, dit le
bon ange au mauvais; Moïse va mourir, mais nous
avons Josué à sa place. »
Quand les trois heures furent
passées, Dieu commanda à Gabriel de
prendre l'âme du mourant. Gabriel s'en excusa,
Michaël aussi. Dieu, refusé par ces deux
anges, s'adresse à Zinghiel. Celui-ci ne voulut
pas plus obéir que les autres: « C'est
moi, dit-il, qui ai été autrefois son
précepteur, je ne tuerai pas mon disciple.
» Alors Dieu, se fâchant, dit au mauvais
ange Samaël: « Eh bien, méchant,
prends donc son âme. » Samaël, plein
de joie, tire son épée et court sur
Moïse. Le mourant se lève en
colère, les yeux étincelants: «
Comment, coquin! lui dit Moïse, oserais-tu bien
me tuer, moi qui étant enfant ai mis la
couronne d'un pharaon sur ma tête, qui ai fait
des miracles à l'âge de quatre-vingts
ans, qui ai conduit hors d'Égypte soixante
millions d'hommes, qui aicoupé la mer Rouge en
deux, qui ai vaincu deux rois si grands que du temps
du déluge l'eau ne leur venait qu'à
mi-jambe! va-t'en, maraud, sors de devant moi tout
à l'heure. »
Cette altercation dura encore
quelques moments. Gabriel, pendant ce temps-là,
prépara un brancard pour transporter
l'âme de Moïse; Michaël, un manteau de
pourpre; Zinghiel, une soutane. Dieu lui mit les deux
mains sur la poitrine, et emporta son âme.
C'est à cette histoire que l'apôtre saint
Jude fait allusion dans son Épître,
lorsqu'il dit que l'archange Michaël disputa le
corps de Moïse au diable. Comme ce fait ne se
trouve que dans le livre que je viens de citer, il est
évident que saint Jude l'avait lu, et qu'il le
regardait comme un livre canonique.
La seconde histoire de la mort
de Moïse est encore une conversation avec Dieu.
Elle n'est pas moins plaisante et moins curieuse que
l'autre. Voici quelques traits de ce dialogue.
MOÏSE. Je vous prie,
Seigneur, de me laisser entrer dans la terre promise,
au moins pour deux ou trois ans. DIEU. Non mon
décret porte que tu n'y entreras pas.
MOÏSE. Que du moins on m'y porte après ma
mort. DIEU. Non, ni mort ni vif. MOÏSE.
Hélas! bon Dieu, vous êtes si
clément envers vos créatures, vous leur
pardonnez deux ou trois fois; je n'ai fait qu'un
péché, et vous ne me pardonnez pas!
DIEU. Tu ne sais ce que tu dis, tu as commis six
péchés.... Je me souviens d'avoir
juré ta mort ou la perte d'Israël; il faut
qu'un de ces deux serments s'accomplisse. Si tu veux
vivre, Israël périra. MOÏSE.
Seigneur, il y a là trop d'adresse, vous tenez
la corde par les deux bouts. Que Moïse
périsse plutôt qu'une seule âme
d'Israël. Après plusieurs discours de la
sorte, l'écho de la montagne dit à
Moïse: « Tu n'as plus que cinq heures
à vivre. » Au bout des cinq heures Dieu
envoya chercher Gabriel, Zinghiel, et Samaël.
Dieu promit à Moïse de l'enterrer, et
emporta son âme.
Quand on fait réflexion que presque toute la
terre a été infatuée de pareils
contes, et qu'ils ont fait l'éducation du genre
humain, on trouve les fables de Pilpaï, de
Lokman, d'Ésope, bien raisonnables.
Livres apocryphes de la
nouvelle loi. Cinquante Évangiles, tous assez
différents les uns des autres, dont il ne nous
reste que quatre entiers, celui de Jacques, celui de
Nicodème, celui de l'enfance de Jésus,
et celui de la naissance de Marie. Nous n'avons des
autres que des fragments et de légères
notices.
Le voyageur Tournefort,
envoyé par Louis XIV en Asie, nous apprend que
les Géorgiens ont conservé
l'Évangile de l'enfance, qui leur a
été probablement communiqué par
les Arméniens (Tournefort, lett. XIX). Dans les
commencements, plusieurs de ces Évangiles,
aujourd'hui reconnus comme apocryphes, furent
cités comme authentiques, et furent même
les seuls cités. On trouve dans les Actes des
apôtres ces mots que prononce saint Paul(7):
« Il faut se souvenir des paroles du seigneur
Jésus; car lui-même a dit: « Il vaut
mieux donner que recevoir. »
Saint Barnabé, où
plutôt saint Barnabas, fait parler ainsi
Jésus-Christ dans son Épître
catholique(8): « Résistons à toute
iniquité, et ayons-la en haine.... Ceux qui
veulent me voir et parvenir à mon royaume,
doivent me suivre par les afflictions et par les
peines. »
Saint Clément, dans sa
seconde Épître aux Corinthiens, met dans
la bouche de Jésus-Christ ces paroles: «
Si vous êtes assemblés dans mon sein, et
que vous ne suiviez pas mes commandements(9), je vous
rejetterai, et je vous dirai: Retirez-vous de moi, je
ne vous connais pas; retirez-vous de moi, artisans
d'iniquité. »
Il attribue ensuite ces paroles
à Jésus-Christ: « Gardez votre
chair chaste et le cachet immaculé, afin que
vous receviez la vie éternelle(10). »
Dans les Constitutions
apostoliques, qui sont du iie siècle, on trouve
ces mots: « Jésus-Christ a dit: «
Soyez des agents de change honnêtes.
»
Il y a beaucoup de citations
pareilles, dont aucune n'est tirée des quatre
Évangiles reconnus dans l'Église pour
les seuls canoniques. Elles sont pour la plupart
tirées de l'Évangile selon les
Hébreux, Évangile traduit par saint
Jérôme, et qui est aujourd'hui
regardé comme apocryphe.
Saint Clément le Romain
dit, dans sa seconde Épître: « Le
Seigneur étant interrogé quand viendrait
son règne, répondit: « Quand deux
feront un, quand ce qui est dehors sera dedans, quand
le mâle sera femelle, et quand il n'y aura ni
femelle ni mâle. »
Ces paroles sont tirées
de l'Évangile selon les Égyptiens, et le
texte est rapporté tout entier par saint
Clément d Alexandrie. Mais à quoi
pensait l'auteur de l'Évangile égyptien,
et saint Clément lui-même? les paroles
qu'il cite sont injurieuses à
Jésus-Christ; elles font entendre qu'il ne
croyait pas que son règne advînt. Dire
qu'une chose arrivera « quand deux feront un,
quand le mâle sera femelle, » c'est dire
qu'elle n'arrivera jamais. C'est, comme nous disons:
« La semaine des trois jeudis, les calendes
grecques; » un tel passage est bien plus
rabbinique qu'évangélique.
Il y eut aussi des Actes des
apôtres apocryphes: saint Épiphane les
cite(11). C'est dans ces actes qu'il est
rapporté que saint Paul était fils d'un
père et d'une mère idolâtres, et
qu'il se fit Juif pour épouser la fille de
Gamaliel; et qu'ayant été refusé,
ou ne l'ayant pas trouvée vierge, il prit le
parti des disciples de Jésus. C'est un
blasphème contre saint Paul.
Des autres livres apocryphes du
ier et du iie siècle. I. Livre d'Énoch,
septième homme après Adam, lequel fait
mention de la guerre des anges rebelles sous leur
capitaine Semexia contre les anges fidèles
conduits par Michaël. L'objet de la guerre
était de jouir des filles des hommes, comme il
est dit à l'article ANGE(12).
II. Les Actes de sainte
Thècle et de saint Paul, écrits par un
disciple nommé Jean, attaché à
saint Paul. C'est dans cette histoire que
Thècle s'échappe des mains de ses
persécuteurs pour aller trouver saint Paul,
déguisée en homme. C'est là
qu'elle baptise un lion; mais cette aventure fut
retranchée depuis. C'est là qu'on trouve
le portrait de Paul: Statura brevi, calvastrum,
cruribus curvis, surosum, superciliis junctis, naso
aquilino, plenum gratia Dei. Quoique cette histoire
ait été recommandée par saint
Grégoire de Nazianze, par saint Ambroise, et
par saint Jean Chrysostome, etc., elle n'a eu aucune
considération chez les autres docteurs de
l'Église.
III. La Prédication de
Pierre. Cet écrit est aussi appelé
l'Évangile, la Révélation de
Pierre. Saint Clément d'Alexandrie en parle
avec beaucoup d'éloge; mais on s'aperçut
bientôt qu'il était d'un faussaire qui
avait pris le nom de cet apôtre.
IV. Les Actes de Pierre,
ouvrage non moins supposé.
V. Le testament des douze
patriarches. On doute si ce livre est d'un Juif ou
d'un chrétien. Il est très vraisemblable
pourtant qu'il est d'un chrétien des premiers
temps; car il est dit, dans le Testament de
Lévi, qu'à la fin de la septième
semaine il viendra des prêtres adonnés
à l'idolâtrie, bellatores, avari, scribae
iniqui, impudici, pueroruin corruptores et pecorum;
qu'alors il y aura un nouveau sacerdoce; que les cieux
s'ouvriront; que la gloire du Très Haut, et
l'esprit d'intelligence et de sanctification
s'élèvera sur ce nouveau prêtre.
Ce qui semble prophétiser Jésus-Christ.
VI. La lettre d'Abgar,
prétendu roi d'Édesse, à
Jésus-Christ, et la Réponse de
Jésus-Christ au roi Abgar. On croit en effet
qu'il y avait du temps de Tibère un toparque
d'Édesse qui avait passé du service des
Perses à celui des Romains; mais son commerce
épistolaire a été regardé
par tous les bons critiques comme une chimère,
VII. Les Actes de Pilate, les
Lettres de Pilate à Tibère sur la mort
de Jésus-Christ; la Vie de Procula, femme de
Pilate.
VIII. Les Actes de Pierre et de
Paul, où l'on voit l'histoire de la querelle de
saint Pierre avec Simon le magicien: Abdias, Marcel et
Hégésippe ont tous trois écrit
cette histoire. Saint Pierre dispute d'abord avec
Simon à qui ressuscitera un parent de
l'empereur Néron, qui venait de mourir: Simon
le ressuscite à moitié, et saint Pierre
achève la résurrection. Simon vole
ensuite dans l'air, saint Pierre le fait tomber, et le
magicien se casse les jambes. L'empereur Néron,
irrité de la mort de son magicien, fait
crucifier saint Pierre la tête en bas, et fait
couper la tête à saint Paul, qui
était du parti de saint Pierre.
IX. Les Gestes du bienheureux
Paul, apôtre et docteur des nations. Dans ce
livre, on fait demeurer saint Paul à Rome, deux
ans après la mort de saint Pierre. L'auteur dit
que quand on eut coupé la tête à
Paul, il en sortit du lait au lieu de sang, et que
Lucina, femme dévote, le fit enterrer à
vingt milles de Rome, sur le chemin d'Ostie, dans sa
maison de campagne.
X. Les Gestes du bienheureux
apôtre André. L'auteur raconte que saint
André alla prêcher dans la ville des
Myrmidons, et qu'il y baptisa tous les citoyens. Un
jeune homme, nommé Sostrate, de la ville
d'Amazée, qui est du moins plus connue que
celle des Myrmidons, vint dire au bienheureux
André: « Je suis si beau que ma
mère a conçu pour moi de la passion;
j'ai eu horreur pour ce crime exécrable, et
j'ai pris la fuite; ma mère en fureur m'accuse
auprès du proconsul de la province de l'avoir
voulu violer. Je ne puis rien répondre; car
j'aimerais mieux mourir que d'accuser ma mère.
» Comme il parlait ainsi, les gardes du proconsul
vinrent se saisir de lui. Saint André
accompagna l'enfant devant le juge, et plaida sa
cause: la mère ne se déconcerta point;
elle accusa saint André lui-même. d'avoir
engagé l'enfant à ce crime. Le proconsul
aussitôt ordonne qu'on jette saint André
dans la rivière; mais l'apôtre ayant
prié Dieu, il se fit un grand tremblement de
terre, et la mère mourut d'un coup de tonnerre.
Après plusieurs aventures de ce genre, l'auteur
fait crucifier saint André à Patras.
XI. Les Gestes de saint Jacques
le Majeur. L'auteur le fait condamner à la mort
par le pontife Abiathar à Jérusalem, et
il baptise le greffier avant d'être
crucifié.
XII. Les Gestes de saint Jean
l'évangéliste. L'auteur raconte
qu'à Éphèse, dont saint Jean
était évêque. Drusilla, convertie
par lui, ne voulut plus de la compagnie de son mari
Andronic, et se retira dans un tombeau. Un jeune homme
nommé Callimaque, amoureux d'elle, la pressa
quelquefois dans ce tombeau même de condescendre
à sa passion. Drusilla, pressée par son
mari et par son amant, souhaita la mort, et l'obtint.
Callimaque, informé de sa perte, fut encore
plus furieux d'amour; il gagna par argent un
domestique d'Andronic, qui avait les clefs du tombeau;
il y court; il dépouille sa maîtresse de
son linceul, il s'écrie: «
Ce que tu n'as pas voulu
m'accorder vivante, tu me l'accorderas morte. »
Et dans l'excès horrible de sa démence,
il assouvit ses désirs sur ce corps
inanimé. Un serpent sort à l'instant du
tombeau: le jeune homme tombe évanoui, le
serpent le tue; il en fait autant du domestique
complice, et se roule sur son corps. Saint Jean arrive
avec le mari; ils sont étonnés de
trouver Callimaque en vie. Saint Jean ordonne au
serpent de s'en aller; le serpent obéit. Il
demande au jeune homme comment il est
ressuscité; Callimaque répond qu'un ange
lui était apparu et lui avait dit: « Il
fallait que tu mourusses pour revivre chrétien.
» Il demanda aussitôt le baptême, et
pria saint Jean de ressusciter Drusilla.
L'apôtre ayant
sur-le-champ opéré ce miracle,
Callimaque et Drusilla le supplièrent de
vouloir bien aussi ressusciter le domestique.
Celui-ci, qui était un païen
obstiné, ayant été rendu à
la vie, déclara qu'il aimait mieux remourir que
d'être chrétien; et en effet il remourut
incontinent. Sur quoi saint Jean dit qu'un mauvais
arbre porte toujours de mauvais fruits.
Aristodème, grand
prêtre d'Éphèse, quoique
frappé d'un tel prodige, ne voulut pas se
convertir: il dit à saint Jean: «
Permettez que je vous empoisonne, et si vous n'en
mourez pas, je me convertirai. » L'apôtre
accepte la proposition: mais il voulut qu'auparavant
Aristodème empoisonnât deux
Éphésiens condamnés à
mort. Aristodème aussitôt leur
présenta le poison; ils expirèrent
sur-le-champ. Saint Jean prit le même poison,
qui ne lui fit aucun mal. Il ressuscita les deux
morts, et le grand prêtre se convertit.
Saint Jean ayant atteint
l'âge de quatre-vingt-dix-sept ans,
Jésus-Christ lui apparut, et lui dit: « Il
est temps que tu viennes à mon festin avec tes
frères. » Et bientôt après
l'apôtre s'endormit en paix.
XIII. L'Histoire des
bienheureux Jacques le Mineur, Simon et Jude,
frères. Ces apôtres sont en Perse, y
exécutent des choses aussi incroyables que
celles que l'auteur rapporte de saint André.
XIV. Les Gestes de saint
Matthieu, apôtre et évangéliste.
Saint Matthieu va en Éthiopie dans la grande
ville de Nadaver; il y ressuscite le fils de la reine
Candace, et il y fonde des Églises
chrétiennes.
XV. Les Gestes du bienheureux
Barthélemi dans l'Inde. Barthélemi va
d'abord dans le temple d'Astarot. Cette déesse
rendait des oracles, et guérissait toutes les
maladies; Barthélemi la fait taire, et rend
malades tous ceux qu'elle avait guéris. Le roi
Polimius dispute avec lui; le démon
déclare devant le roi qu'il est vaincu. Saint
Barthélemi sacre le roi Polimius
évêque des Indes.
XVI. Les Gestes du bienheureux
Thomas, apôtre de l'Inde. Saint Thomas entre
dans l'Inde par un autre chemin, et y fait beaucoup
plus de miracles, que saint Barthélemi; il est
enfin martyrisé, et apparaît a Xiphoro et
à Susani.
XVII. Les Gestes du bienheureux
Philippe. Il alla prêcher en Scythie. On voulut
lui faire sacrifier à Mars; mais il fit sortir
un dragon de l'autel, qui dévora les enfants
des prêtres; il mourut à
Hiérapolis, à l'âge de
quatre-vingt-sept ans. On ne sait quelle est cette
ville; il y en avait plusieurs de ce nom. Toutes ces
histoires passent pour être écrites par
Abdias, évêque de Babylone, et sont
traduites par Jules Africain.
XVIII. A cet abus des saintes
Écritures on en a joint un moins
révoltant, et qui ne manque point de respect au
christianisme comme ceux qu'on vient de mettre sous
les yeux du lecteur. Ce sont les liturgies
attribuées à saint Jacques, à
saint Pierre, à saint Marc, dont le savant
Tillemont a fait voir la fausseté.
XIX. Fabricius met parmi les
écrits apocryphes l'Homélie
attribuée à saint Augustin, sur la
manière dont se forma le Symbole: mais il ne
prétend pas sans doute que le Symbole, que nous
appelons des apôtres, en soit moins sacré
et moins véritable. Il est dit dans cette
Homélie, dans Rufin, et ensuite dans Isidore,
que dix jours après l'ascension, les
apôtres étant renfermés ensemble
de peur des Juifs, Pierre dit: Je crois en Dieu le
Père tout-puissant; André, Et en
Jésus-Christ son Fils; Jacques, Qui a
été conçu du Saint-Esprit; et
qu'ainsi chaque apôtre ayant prononcé un
article, le Symbole fut entièrement
achevé. Cette histoire n'étant point
dans les Actes des apôtres, on est
dispensé de la croire; mais on n'est pas
dispensé de croire au Symbole, dont les
apôtres ont enseigné la substance. La
vérité ne doit point souffrir des faux
ornements qu'on a voulu lui donner.
XX. Les Constitutions
apostoliques(13).On met aujourd'hui dans le rang des
apocryphes les Constitutions des saints apôtres,
qui passaient autrefois pour être
rédigées par saint Clément le
Romain. La seule lecture de quelques chapitres suffit
pour faire voir que les apôtres n'ont eu aucune
part à cet ouvrage. Dans le chapitre IX, on
ordonne aux femmes de ne se laver qu'à la
neuvième heure. Au premier chapitre du second
livre, on veut que les évêques soient
savants: mais du temps des apôtres il n'y avait
point de hiérarchie, point
d'évêques attachés à une
seule Église. Ils allaient instruire de ville
en ville, de bourgade en bourgade; ils s'appelaient
apôtres, et non pas évêques, et
surtout ils ne se piquaient pas d'être savants.
Au chapitre II de ce second livre, il est dit qu'un
évêque ne doit avoir « qu'une femme
qui ait grand soin de sa maison; » ce qui ne sert
qu'à prouver qu'à la fin du premier, et
au commencement du second siècle, lorsque la
hiérarchie commença à
s'établir, les prêtres étaient
mariés.
Dans presque tout le livre les
évêques sont regardés comme les
juges des fidèles, et l'on sait assez que les
apôtres n'avaient aucune juridiction. Il est dit
au chapitre XXI, qu'il faut écouter les deux
parties; ce qui suppose une juridiction
établie. Il est dit au chapitre XXVI: «
L'évêque est votre prince, votre roi,
votre empereur, votre Dieu en terre. » Ces
expressions sont bien fortes pour l'humilité
des apôtres.
Au chapitre XXVIII. « Il
faut dans les festins des agapes donner au diacre le
double de ce qu'on donne à une vieille; au
prêtre le double de ce qu'on donne au diacre;
parce qu'ils sont les conseillers de
l'évêque et la couronne de
l'Église. Le lecteur aura une portion en
l'honneur des prophètes, aussi bien que le
chantre et le portier. Les laïques qui voudront
avoir quelque chose doivent s'adresser à
l'évêque par le diacre. »
Jamais les apôtres ne se
sont servis d'aucun terme qui répondit à
laïque, et qui marquât la différence
entre les profanes et les prêtres. Au chapitre
XXXIV. « Il faut révérer
l'évêque comme un roi, l'honorer comme le
maître, lui donner vos fruits, les ouvrages de
vos mains, vos prémices, vos décimes,
vos épargnes, les présents qu'on vous a
faits, votre froment, votre vin, votre huile, votre
laine, et tout ce que vous avez. Cet article est fort.
Au chapitre LVII. « Que
l'Église soit longue, qu'elle regarde l'orient,
qu'elle ressemble à un vaisseau, que le
trône de l'évêque soit au milieu;
que le lecteur lise les livres de Moïse, de
Josué, des Juges, des Rois, des
Paralipomènes, de Job, etc. »
Au chapitre XVII du livre III.
« Le baptême est donné pour la mort
de Jésus, l'huile pour le Saint-Esprit. Quand
on nous plonge dans la cuve, nous mourons; quand nous
en sortons, nous ressuscitons. Le père est le
Dieu de tous; Christ est fils unique Dieu, fils
aimé, et seigneur de gloire. Le saint souffle
est Paraclet envoyé de Christ, docteur
enseignant, et prédicateur de Christ. »
Cette doctrine serait aujourd'hui exprimée en
termes plus canoniques.
Au chapitre VII du livre V, on
cite des vers des sibylles sur l'avènement de
Jésus et sur sa résurrection. C'est la
première fois que les chrétiens
supposèrent des vers des sibylles, ce qui
continua pendant plus de trois cents années.
Au chapitre XXVIII du livre VI,
la pédérastie et l'accouplement avec les
bêtes sont défendus aux fidèles.
Au chapitre XXIX, il est dit « qu'un mari et une
femme sont purs en sortant du lit, quoiqu'ils ne se
lavent point. » Au chapitre V du livre VIII, on
trouve ces mots: « Dieu tout-puissant, donne
à l'évêque par ton Christ la
participation du Saint- Esprit. »
Au chapitre VI. «
Recommandez-vous au seul Dieu par Jésus-Christ,
» ce qui n'exprime pas assez la divinité
de Notre-Seigneur. Au chapitre XII, est la
constitution de Jacques, frère de
Zébédée. Au chapitre XV. Le
diacre doit prononcer tout haut: « Inclinez-vous
devant Dieu par le Christ. » Ces expressions ne
sont pas aujourd'hui assez correctes.
XXI. Les canons apostoliques.
Le sixième canon ordonne qu'aucun
évêque ni prêtre ne se
sépare de sa femme sous prétexte de
religion; que s'il s'en sépare, il soit
excommunié; que s'il persévère,
il soit chassé. Le viie, qu'aucun prêtre
ne se mêle jamais d'affaires
séculières. Le xixe, que celui qui a
épousé les deux soeurs ne soit point
admis dans le clergé.
Les xxie et xxiie, que les
eunuques soient admis à la prêtrise,
excepté ceux qui se sont coupé à
eux-mêmes les génitoires. Cependant
Origène fut prêtre malgré cette
loi. Le lve, si un évêque, ou un
prêtre, ou un diacre, ou un clerc, mange de la
chair où il y ait encore du sang, qu'il soit
déposé. Il est assez évident que
ces canons ne peuvent avoir été
promulgués par les apôtres.
XXII. Les Reconnaissances de
saint Clément et Jacques, frère du
Seigneur, en dix livres, traduites du grec en latin
par Rufin. Ce livre commence par un doute sur
l'immortalité de l'âme: Utrumne sit mihi
aliqua vita post mortem, an nihil omnino postea sim
futurus(14)?
Saint Clément,
agité par ce doute, et voulant savoir si le
monde était éternel, ou s'il avait
été créé, s'il y avait un
Tartare et un Phlégéton, un Ixion et un
Tantale, etc., etc., voulut aller en Égypte
apprendre la nécromancie; mais ayant entendu
parler de saint Barnabé qui prêchait le
christianisme, il alla le trouver dans l'Orient, dans
le temps que Barnabé célébrait
une fête juive. Ensuite il rencontra saint
Pierre à Césarée avec Simon le
magicien et Zachée. Ils disputèrent
ensemble, et saint Pierre leur raconta tout ce qui
s'était passé depuis la mort de
Jésus. Clément se fit chrétien,
mais Simon demeura magicien.
Simon devint amoureux d'une
femme qu'on appelait la Lune, et en attendant qu'il
l'épousât, il proposa à saint
Pierre, à Zachée, à Lazare,
à Nicodème, à Dosithée, et
à plusieurs autres, de se mettre au rang de ses
disciples. Dosithée lui répondit d'abord
par un grand coup de bâton; mais le bâton
ayant passé au travers du corps de Simon, comme
au travers de la fumée, Dosithée l'adora
et devint son lieutenant; après quoi Simon
épousa sa maîtresse, et assura qu'elle
était la lune elle-même descendue du ciel
pour se marier avec lui.
Ce n'est pas la peine de
pousser plus loin les Reconnaissances de saint
Clément. Il faut seulement remarquer qu'au
livre IX il est parlé des Chinois sous le nom
de Seres, comme des plus justes et des plus sages de
tous les hommes; après eux viennent les
brachmanes, auxquels l'auteur rend la justice que
toute l'antiquité leur a rendue. L'auteur les
cite comme des modèles de
sobriété, de douceur, et de justice.
XXIII. La lettre de saint
Pierre à saint Jacques et la lettre de saint
Clément au même saint Jacques,
frère du Seigneur, gouvernant la sainte
Église des Hébreux à
Jérusalem et toutes les Églises. La
lettre de saint Pierre ne contient rien de curieux,
mais celle de saint Clément est très
remarquable; il prétend que saint Pierre le
déclara évêque de Rome avant sa
mort, et son coadjuteur; qu'il lui imposa les mains,
et qu'il le fit asseoir dans sa chaire
épiscopale, en présence de tous les
fidèles. « Ne manquez pas, lui dit-il,
d'écrire à mon frère Jacques
dès que je serai mort. »
Cette lettre semble prouver
qu'on ne croyait pas alors que saint Pierre eût
été supplicié, puisque cette
lettre attribuée à saint Clément
aurait probablement fait mention du supplice de saint
Pierre. Elle prouve encore qu'on ne comptait pas Clet
et Anaclet parmi les évêques de Rome.
XXIV. Homélies de saint
Clément, au nombre de dix-neuf. Il raconte,
dans sa première Homélie, ce qu'il avait
déjà dit dans les Reconnaissances, qu'il
était allé chercher saint Pierre avec
saint Barnabé à Césarée,
pour savoir si l'âme est immortelle, et si le
monde est éternel.
On lit dans la seconde
Homélie, n° 38, un passage bien plus
extraordinaire; c'est saint Pierre lui-même qui
parle de l'Ancien Testament. Et voici comme il
s'exprime: « La loi écrite contient
certaines choses fausses contre la loi de Dieu,
créateur du ciel et de la terre: c'est ce que
le diable a fait pour une juste raison; et cela est
arrivé aussi par le jugement de Dieu, afin de
découvrir ceux qui écouteraient avec
plaisir ce qui est écrit contre lui, etc., etc.
»
Dans la sixième
Homélie, saint Clément rencontre Apion,
le même qui avait écrit contre les Juifs
du temps de Tibère; il dit à Apion qu'il
est amoureux d'une Égyptienne, et le prie
d'écrire une lettre en son nom à sa
prétendue maîtresse, pour lui persuader,
par l'exemple de tous les dieux, qu'il faut faire
l'amour. Apion écrit la lettre, et saint
Clément fait la réponse au nom de
l'Égyptienne; après quoi il dispute sur
la nature des dieux.
XXV. Deux Épîtres
de saint Clément aux Corinthiens. Il ne
paraît pas juste d'avoir rangé ces
épîtres parmi les apocryphes. Ce qui a pu
engager quelques savants à ne les pas
reconnaître, c'est qu'il y est parlé du
« phénix d'Arabie qui vit cinq cents ans,
et qui se brûle en Égypte dans la ville
d'Héliopolis. » Mais il se peut
très bien faire que saint Clément ait
cru cette fable que tant d'autres croyaient, et qu'il
ait écrit des lettres aux Corinthiens.
On convient qu'il y avait alors
une grande dispute entre l'Église de Corinthe
et celle de Rome. L'Église de Corinthe, qui se
disait fondée la première, se gouvernait
en commun; il n'y avait presque point de distinction
entre les prêtres et les séculiers encore
moins entre les prêtres et
l'évêque; tous avaient également
voix délibérative; du moins plusieurs
savants le prétendent. Saint Clément dit
aux Corinthiens, dans sa première
Épître: « Vous qui avez jeté
les premiers fondements de la sédition, soyez
soumis aux prêtres, corrigez-vous par la
pénitence, et fléchissez les genoux de
votre coeur; apprenez à obéir.,, Il
n'est point du tout étonnant qu'un
évêque de Rome ait employé ces
expressions.
C'est dans la seconde
Épître qu'on trouve encore cette
réponse de Jésus-Christ que nous avons
déjà rapportée, sur ce qu'on lui
demandait quand viendrait son royaume des cieux.
« Ce sera, dit-il, quand deux feront un, que ce
qui est dehors sera dedans, quand le mâle sera
femelle, et quand il n'y aura ni mâle ni
femelle. » XXVI. Lettre de saint Ignace le martyr
à la Vierge Marie et la Réponse de la
Vierge à saint Ignace.
A MARIE QUI A PORTÉ
CHRIST, SON DÉVOT IGNACE.
« Vous deviez me consoler,
moi néophyte et disciple de votre Jean; J'ai
entendu plusieurs choses admirables de votre
Jésus, et j'en ai été
stupéfait. Je désire de tout mon coeur
d'en être instruit par vous qui avez toujours
vécu avec lui en familiarité, et qui
avez su tous ses secrets. Portez-vous bien, et
confortez les néophytes qui sont avec moi, de
vous et par vous, Amen. » RÉPONSE DE LA
SAINTE VIERGE, A IGNACE, SON DISCIPLE
CHÉRI.L'humble servante de Jésus-Christ.
« Toutes les choses que vous avez apprises de
Jean sont vraies, croyez-les, persistez-y, gardez
votre voeu de christianisme, conformez-lui vos moeurs
et votre vie; je viendrai vous voir avec Jean, vous et
ceux qui sont avec vous. Soyez ferme dans la foi,
agissez en homme; que la sévérité
de la persécution ne vous trouble pas; mais que
votre esprit se fortifie, et exulte en Dieu votre
sauveur, Amen. »
On prétend que ces
lettres sont de l'an 116 de notre ère vulgaire;
mais elles n'en sont pas moins fausses et moins
absurdes: ce serait même une insulte à
notre sainte religion, si elles n'avaient pas
été écrites dans un esprit de
simplicité qui peut faire tout pardonner.
XXVII. Fragments des
apôtres. On y trouve ce passage: « Paul,
homme de petite taille au nez aquilin, au visage
angélique, instruit dans le ciel, a dit
à Plantilla la Romaine avant de mourir: «
Adieu, Plantilla, petite plante de salut
éternel; connais ta noblesse, tu es plus
blanche que la neige, tu es enregistrée parmi
les soldats du Christ, tu es héritière
du royaume céleste. » Cela ne
méritait pas d'être réfuté.
XXVIII. Onze Apocalypses, qui
sont attribuées aux patriarches et
prophètes, à saint Pierre, à
Cérinthe, à saint Thomas, à saint
Étienne protomartyr, deux à saint Jean,
différentes de la canonique, et trois à
saint Paul. Toutes ces Apocalypses ont
été éclipsées par celle de
saint Jean.
XXIX. Les Visions, les
Préceptes, et les Similitudes d'Hermas: Hermas
paraît être de la fin du Ier
siècle. Ceux qui traitent son livre d'apocryphe
sont obligés de rendre justice à sa
morale. Il commence par dire que son père
nourricier avait vendu une fille à Rome. Hermas
reconnut cette fille après plusieurs
années, et l'aima, dit-il, comme sa soeur: il
la vit un jour se baigner dans le Tibre, il lui tendit
la main, et la tira du fleuve, et il disait dans son
coeur: « Que je serais heureux si j'avais une
femme semblable à elle pour la beauté et
pour les moeurs! »
Aussitôt le ciel
s'ouvrit, et il vit tout d'un coup cette même
femme, qui lui fit une révérence du haut
du ciel, et lui dit: « Bonjour, Hermas. »
Cette femme était l'Église
chrétienne. Elle lui donna beaucoup de bons
conseils. Un an après, l'esprit le transporta
au même endroit où il avait vu cette
belle femme, qui pourtant était une vieille;
mais sa vieillesse était fraîche, et elle
n'était vieille que parce qu'elle avait
été créée dés le
commencement du monde, et que le monde avait
été fait pour elle.
Le livre des Préceptes
contient moins d'allégories; mais celui des
Similitudes en contient beaucoup.
« Un jour que je
jeûnais, dit Hermas, et que j'étais assis
sur une colline, rendant grâces à Dieu de
tout ce qu'il avait fait pour moi, un berger vint
s'asseoir à mes côtés, et me dit:
« Pourquoi êtes-vous venu ici de si bon
matin? C'est que je suis en station, lui
répondis-je. Qu'est-ce qu'une station? me dit
le berger. C'est un jeûne. Et qu'est-ce que ce
jeûne? C'est ma coutume.
« Allez, me
répliqua le berger, vous ne savez ce que c'est
que de jeûner, cela ne fait aucun profit
à Dieu; je vous apprendrai ce que c'est que le
vrai jeûne agréable à la
Divinité(15). Votre jeûne n'a rien de
commun avec la justice et la vertu. Servez Dieu d'un
coeur pur; gardez ses commandements; n'admettez dans
votre coeur aucun désir coupable. Si vous avez
toujours la crainte de Dieu devant les yeux, Si vous
vous abstenez de tout mal, ce sera là le vrai
jeûne, le grand jeûne dont Dieu vous saura
gré. »
Cette piété
philosophique et sublime est un des plus singuliers
monuments du Ier siècle. Mais ce qui est
étrange, c'est qu'à la fin des
Similitudes le berger lui donne des filles très
affables, valde affabiles, chastes et industrieuses,
pour avoir soin de sa maison, et lui déclare
qu'il ne peut accomplir les commandements de Dieu sans
ces filles, qui figurent visiblement les vertus. Ne
poussons pas plus loin cette liste; elle serait
immense si on voulait entrer dans tous les
détails. Finissons par les Sibylles.
XXX. Les Sibylles. Ce qu'il y
eut de plus apocryphe dans la primitive Église,
c'est la prodigieuse quantité de vers
attribués aux anciennes sibylles en faveur des
mystères de la religion chrétienne.
Diodore de Sicile(16) n'en reconnaissait qu'une, qui
fut prise dans Thèbes par les Épigones,
et qui fut placée à Delphes avant la
guerre de Troie. De cette sibylle, c'est-à-dire
de cette prophétesse, on en fit bientôt
dix. Celle de Cumes avait le plus grand crédit
chez les Romains, et la Sibylle Érythrée
chez les Grecs.
Comme tous les oracles se
rendaient en vers, toutes les sibylles ne
manquèrent pas d'en faire; et pour donner plus
d'autorité à ces vers, on les fit
quelquefois en acrostiches. Plusieurs chrétiens
qui n'avaient pas un zèle selon la science, non
seulement détournèrent le sens des
anciens vers qu'on supposait écrits par les
sibylles, mais ils en firent eux-mêmes, et, qui
pis est, en acrostiches. Ils ne songèrent pas
que cet artifice pénible de l'acrostiche ne
ressemble point du tout à l'inspiration et
à l'enthousiasme d'une prophétesse. Ils
voulurent soutenir la meilleure des causes par la
fraude la plus maladroite. Ils firent donc de mauvais
vers grecs, dont les lettres initiales signifiaient en
grec, Jésus, Christ, Fils, Sauveur; et ces vers
disaient « qu'avec cinq pains et deux poissons il
nourrirait cinq mille hommes au désert, et
qu'en ramassant les morceaux qui resteront il
remplirait douze paniers. »
Le règne de mille ans,
et la nouvelle Jérusalem céleste, que
Justin avait vue dans les airs pendant quarante nuits,
ne manquèrent pas d'être prédits
par les sibylles. Lactance, au ive siècle,
recueillit presque tous les vers attribués aux
sibylles, et les regarda comme des preuves
convaincantes. Cette opinion fut tellement
autorisée, et se maintint si longtemps, que
nous chantons encore des hymnes dans lesquelles le
témoignage des sibylles est joint aux
prédictions de David:
Solvet saeclum in favilla,
Teste David cum sibylla.
Ne poussons pas plus loin la
liste de ces erreurs ou de ces fraudes, on pourrait en
rapporter plus de cent; tant le monde fut toujours
composé de trompeurs et de gens qui
aimèrent à se tromper. Mais ne
recherchons point une érudition si dangereuse.
Une grande vérité approfondie vaut mieux
que la découverte de mille mensonges.
Toutes ces erreurs, toute la
foule des livres apocryphes, n'ont pu nuire à
la religion chrétienne, parce qu'elle est
fondée, comme on sait, sur des
vérités inébranlables. Ces
vérités sont appuyées par une
Église militante et triomphante, à
laquelle Dieu a donné le pouvoir d'enseigner et
de réprimer. Elle unit dans plusieurs pays
l'autorité spirituelle et la temporelle. La
prudence, la force, la richesse, sont ses attributs;
et quoiqu'elle soit divisée, quoique ses
divisions l'aient ensanglantée, on la peut
comparer à la république romaine,
toujours agitée de discordes civiles, mais
toujours victorieuse.
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