Polycarpe

évêque de Smyrne 69 - 156 Disciple de St Jean. Subit le martyr sous Trajan


LETTRE DE POLYCARPE DE SMYRNE AUX PHILIPPIENS

Polycarpe et les presbytres qui sont avec lui à l'Église de Dieu qui séjourne comme une étrangère à Philippes ; que la miséricorde et la paix vous soient données en plénitude par le Dieu tout-puissant et Jésus-Christ notre Sauveur.

1, 1 J'ai pris grande part à votre joie, en notre Seigneur Jésus-Christ, quand vous avez reçu les images de la véritable charité, et que vous avez escorté, comme il vous convenait < de le faire>, ceux qui étaient enchaînés de ces liens dignes des saints, qui sont les diadèmes de ceux qui ont été vraiment choisis par Dieu et notre Seigneur. 2. Et < je me réjouis de ce> que la racine vigoureuse de votre foi, dont on parle depuis les temps anciens, subsiste jusqu'à maintenant et porte des fruits en Notre Seigneur Jésus Christ, qui a accepté pour nos péchés d'aller au-devant de la mort ; " Dieu l'a ressuscité en le délivrant des douleurs de l'enfer " (Ac 2, 24) ; 3. " sans le voir, vous croyez en lui, avec une joie ineffable et glorieuse " (1 P 1, 8) à laquelle beaucoup désirent parvenir, et vous savez que " c'est par grâce que vous êtes sauvés, non par vos oeuvres " (Ep 2, 5, 8-9), mais par le bon vouloir de Dieu par Jésus-Christ.

II, 1. " Aussi, ceignez vos reins et servez Dieu dans la crainte " (1 P 1, 13 ; Ps 2, 11) et la vérité, laissant de côté les bavardages vides, et l'erreur de la foule, " croyant en celui qui a ressuscité notre Seigneur Jésus-Christ d'entre les morts, et lui a donné la gloire " (1 P 1, 21) et un trône à sa droite. " A lui tout est soumis, au ciel et sur la terre " (Ph 2, 10 ; 3, 21) ; à lui obéit tout ce qui respire, il viendra " juger les vivants et les morts " (Ac 10,42), et Dieu demandera compte de son sang à ceux qui refusent de croire en lui . 2. " Celui qui l'a ressuscité " d'entre les morts, " nous ressuscitera aussi " (2 Co 4,14), si nous faisons sa volonté et si nous marchons selon ses commandements, et si nous aimons ce qu'il a aimé, nous abstenant de toute injustice, cupidité, amour de l'argent, médisance, faux témoignage, " ne rendant pas mal pour mal, malédiction pour malédiction, 3. nous souvenant des enseignements du Seigneur qui dit : " Ne jugez pas, pour ne pas être jugés ; pardonnez, et l'on vous pardonnera ; faites miséricorde pour recevoir miséricorde ; la mesure avec laquelle vous mesurerez servira aussi pour vous " (cf. Mt 5, 3, 10 ; Lc 6, 36-38), et " bienheureux les pauvres et ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume de Dieu est à eux " (Mt 5, 3, 10 ; cf. Lc 6, 20).

III, 1. Ce n'est pas de moi-même, frères, que je vous écris ceci sur la justice, mais c'est parce que vous m'y avez invité les premiers ; 2. car ni moi ni un autre tel que moi ne pouvons approcher de la sagesse du bienheureux et glorieux Paul, qui, étant parmi vous, parlant face à face aux hommes d'alors enseigna avec exactitude et avec force la parole de vérité, et après son départ vous écrivit une lettre ; si vous l'étudiez attentivement, vous pourrez vous élever dans la foi qui vous a été donnée: 3. < la foi > est notre mère à tous, elle est suivie de l'espérance et précédée de l'amour pour Dieu et le Christ et pour le prochain. Celui qui demeure en ces vertus a accompli les commandements de la justice ; car celui qui a la charité est loin de tout péché.

IV, 1. Le principe de tous les maux, c'est l'amour de l'argent (cf. 1 Tm 6, 10). Sachant donc que " nous n'avons rien apporté dans le monde et que nous n'en pourrons non plus rien emporter " (1 Tm 6, 7), armons-nous " des armes de la justice " (2 Co 6, 7), et apprenons d'abord nous-mêmes à marcher dans les commandements du Seigneur. 2. Ensuite, apprenez à vos femmes <à marcher> dans la foi qui leur a été donnée, dans la charité, dans la pureté, à chérir leurs maris en toute fidélité, à aimer tous les autres également en toute chasteté, à donner à leurs enfants l'éducation dans la crainte de Dieu. 3. Que les veuves soient sages dans la foi qu'elles doivent au Seigneur, qu'elles intercèdent sans cesse pour tous, qu'elles soient éloignées de toute calomnie, médisance, faux témoignage, amour de l'argent, et de tout mal, sachant qu'elles sont l'autel de Dieu ; il examinera tout attentivement, et rien ne lui échappe de nos pensées, de nos sentiments, " des secrets de notre coeur " (1 Co 14, 25).

V, 1. Sachant donc que " l'on ne se moque pas de Dieu " (Ga 6, 7), nous devons marcher d'une façon digne de ses commandements et de sa gloire. 2. De même, que les diacres soient sans reproche devant sa justice: ils sont les serviteurs de Dieu et du Christ, et non des hommes : ni calomnie, ni duplicité, ni amour de l'argent ; qu'ils soient chastes en toutes choses, compatissants, zélés, marchant selon la vérité du Seigneur qui s'est fait le serviteur de tous. Si nous lui sommes agréables en ce temps présent, il nous donnera en échange le temps à venir, puisqu'il nous a promis de nous ressusciter d'entre les morts, et que, si notre conduite est digne de lui, " nous régnerons nous aussi avec lui " (2 Tm 2, 12), si du moins nous avons la foi. 3. De même, que les jeunes gens soient irréprochables en toutes choses, veillant avant tout à la pureté, réfrénant tout le mal qui est en eux. Il est bon, en effet, de retrancher les désirs de ce monde, car tous " les désirs font la guerre à l'esprit " (1 P 2, 11), et " ni les fornicateurs, ni les efféminés, ni les infâmes, n'auront part au royaume de Dieu " (1 Co 6, 9-10), ni ceux qui font le mal. C'est pourquoi ils doivent s'abstenir de tout cela, et être soumis aux presbytres et aux diacres comme à Dieu et au Christ. Les vierges doivent vivre avec une conscience sans reproche et pure.

VI, 1. Les presbytres, eux aussi, doivent être compatissants, miséricordieux envers tous ; qu'ils ramènent les égarés, qu'ils visitent tous les malades, sans négliger la veuve, l'orphelin, le pauvre ; mais qu'ils ne croient pas trop vite du mal de quelqu'un et ne soient pas raides dans leurs jugements, sachant que nous sommes tous débiteurs du péché. 2. Si donc nous prions le Seigneur de nous pardonner, nous devons nous aussi pardonner ; car nous sommes sous les yeux de notre Seigneur et Dieu, et qui nous ont prêché l'Évangile et les prophètes qui nous ont annoncé la venue du Seigneur ; soyons zélés pour le bien, évitons les scandales, les faux frères, et ceux qui portent hypocritement le nom du Seigneur et qui égarent les têtes vides.

VII, 1. " Quiconque, en effet, ne confesse pas que Jésus-Christ est venu dans la chair, est un antéchrist " (cf. 1 Jn 4, 2-3), et celui qui ne confesse pas le témoignage de la croix est du diable, et celui qui détourne les dits du Seigneur selon ses propres désirs, et qui nie la résurrection et le jugement, est le premier-né de Satan. 2. C'est pourquoi abandonnons les vains discours de la foule et les fausses doctrines, et revenons à l'enseignement qui nous a été transmis dès le commencement ; restons sobres pour < pouvoir > prier (cf. 1 P 4, 7), persévérons dans les jeûnes, suppliant dans nos prières le Dieu qui voit tout de ne pas nous soumettre à la tentation (Mt 6, 1), car, le Seigneur l'a dit, " l'esprit est prompt, mais la chair est faible " (Mt 26, 41).

VIII, 1. Soyons donc sans cesse fermement attachés à notre espérance et au gage de notre justice, le Christ Jésus, (1 P 2, 22) ; mais pour nous, pour que nous vivions en lui, il a tout supporté. 2. Soyons donc les imitateurs de sa patience, et si nous souffrons pour son nom, rendons-lui gloire. C'est ce modèle qu'il nous a présenté en lui-même, et c'est cela que nous avons cru.

IX, 1. Je vous exhorte donc tous à obéir à la parole de justice, et à persévérer dans la patience que vous avez vue de vos yeux, non seulement dans les bienheureux Ignace, Zosime et Rufus, mais aussi en d'autres qui étaient de chez vous, et en Paul lui-même et les autres Apôtres ; 2. persuadés que tous ceux-là n'ont pas couru en vain (Ga 1, 2 ; Ph 2, 16), mais bien dans la foi et la justice, et qu'ils sont dans le lieu qui leur était dû près du Seigneur avec qui ils ont souffert. " Ils n'ont pas aimé le siècle présent " (cf. 2 Tm 4, 10), mais bien celui qui est mort pour nous, et que Dieu a ressuscité pour nous.

X, 1. Demeurez donc en ces < sentiments >, et suivez l'exemple du Seigneur, fermes et inébranlables dans la foi, aimant vos frères, vous aimant les uns les autres, unis dans la vérité, vous attendant les uns les autres dans la douceur du Seigneur, ne méprisant personne. 2. Quand vous pouvez faire le bien, ne différez pas, car " l'aumône délivre de la mort " (Tb 12, 9). " Soyez tous soumis les uns les autres, gardant une conduite irréprochable parmi les Païens, pour que vos bonnes oeuvres " (1 P 2, 12) vous attirent la louange, et que le Seigneur ne soit pas blasphémé à cause de vous. 3. " Mais malheur à celui qui fait blasphémer le nom du Seigneur " (Is 52, 5). Enseignez à tous la sagesse dans laquelle vous vivez vous-mêmes.

XI, 1. J'ai été bien peiné au sujet de Valens, qui avait été quelque temps presbytre chez vous, <de voir> qu'il méconnaît à ce point la charge qui lui avait été donnée. Je vous avertis donc de vous abstenir de l'avarice et d'être chastes et vrais. Abstenez-vous de tout mal. 2. Celui qui ne peut pas se diriger lui-même en ceci, comment peut-il y exhorter les autres ? Si quelqu'un ne s'abstient pas de l'avarice, il se laissera souiller par l'idolâtrie, et sera compté parmi les païens qui " ignorent le jugement du Seigneur " (Jr 5, 4), ou " ignorons-nous que les saints jugeront le monde ", comme l'enseigne Paul (1 Co 6, 2) ? 3. Pour moi, je n'ai rien remarqué ou entendu dire de tel à votre sujet, vous chez qui a travaillé le bienheureux Paul, vous qui êtes au comm encement de sa lettre. C'est de vous en effet qu'il " se glorifie devant toutes les Églises " (2 Th 1, 4) qui, seules alors, connaissaient Dieu, nous autres nous ne le connaissions pas encore. 4. Ainsi donc, je suis bien peiné pour lui et pour son épouse ; (2 Th 3, 15), mais rappelez-les comme des membres souffrants et égarés, pour sauver votre corps tout entier. Ce faisant, vous vous faites grandir vous-mêmes.

XII, 1. Je suis assuré que vous êtes très versés dans les Saintes Lettres et que rien ne vous en est ignoré : moi je n'ai pas ce don. Il me suffit de vous dire, comme il est dit dans ces Écritures: " Mettez-vous en colère et ne péchez pas ", et " que le soleil ne se couche pas sur votre colère " (cf. Ps 4, 5 ; Ep 4, 26). Heureux qui s'en souvient ; je crois qu'il en est ainsi pour vous. 2. Que Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, et lui-même, le grand prêtre éternel, le fils de Dieu, Jésus-Christ, vous fassent grandir dans la foi et dans la vérité, en toute douceur et sans colère, en patience et longanimité, endurance et chasteté ; qu'il vous donne part à l'héritage de ses saints, et à nous-mêmes avec vous, et à tous ceux qui sont sous le ciel, qui croient en notre Seigneur Jésus-Christ et en son Père qui l'a ressuscité d'entre les morts. 3. Priez tous les saints. Priez aussi pour les rois, pour les autorités et les princes, et pour ceux qui vous persécutent et vous haïssent, et pour les ennemis de la croix ; ainsi le fruit que vous portez sera visible à tous, et vous serez parfaits en lui.

XIII, 1. Vous m'avez écrit, vous et Ignace, pour que si quelqu'un va en Syrie, il emporte aussi votre lettre ; je le ferai si je trouve une occasion favorable, soit moi-même, soir celui que j'enverrai pour vous représenter avec moi. 2. Comme vous nous l'avez demandé, nous vous envoyons les lettres d'Ignace, celles qu'il nous a adressées et toutes les autres que nous avons chez nous ; elles sont jointes à cette lettre, et vous pourrez en tirer grand profit, car elles renferment foi, patience, et toute édification qui se rapporte à notre Seigneur. Faites-nous savoir ce que vous aurez appris de sûr d'Ignace et de ses compagnons.

XIV. Je vous écris ceci par Crescens, que je vous ai récemment recommandé et que je vous recommande encore maintenant. Il s'est conduit chez nous de façon irréprochable, et je crois qu'il fera de même chez vous. Je vous recommande aussi sa soeur quand elle viendra chez vous. Portez-vous bien dans le Seigneur Jésus-Christ et dans sa grâce, avec tous les vôtres. Amen.


LE MARTYRE DE POLYCARPE : LETTRE DE L'ÉGLISE DE SMYRNE

L'Église de Dieu qui séjourne à Smyrne à l'Église te Dieu qui séjourne à Philomelium et à toutes les communautés de la sainte Église catholique qui séjournent en tout lieu : que la miséricorde, la paix et l'amour de Dieu le Père et de notre Seigneur Jésus-Christ vous soient données en plénitude (cf. Jude 2).

1, 1. Nous vous écrivons, frères, au sujet des martyrs et du bienheureux Polycarpe, qui, par son martyre, a pour ainsi dire mis le sceau à la persécution en la faisant cesser. Presque tous les événements antérieurs sont arrivés pour que le Seigneur nous montre encore une fois un martyre conforme à l'Évangile. 2. Comme le Seigneur, en effet, Polycarpe a attendu d'être livré, pour que nous aussi nous soyons ses imitateurs, sans regarder seulement à notre intérêt, mais aussi à celui du prochain (cf. Ph 2, 4). Car c'est le fait d'une charité vraie et solide que de ne pas chercher seulement à se sauver soi-même, mais aussi à sauver tous les frères.

II, 1. Bienheureux donc et généreux tous ces martyres qui sont arrivés selon la volonté te Dieu. Car il nous faut être assez pieux pour attribuer à Dieu la puissance sur toutes choses. 2. Qui n'admirerait la générosité te ces héros, leur patience, leur amour pour le Maître ? Déchirés par les fouets, au point qu'on pouvait voir la constitution de leur chair jusqu'aux veines et aux artères intérieures, ils demeuraient fermes si bien que les spectateurs eux-mêmes en gémissaient de compassion. Ils en vinrent à un tel degré de courage que pas un d'entre eux ne dit un mot ni ne poussa un soupir. Ils nous montrèrent à tous que dans leurs tortures les généreux martyrs du Christ n'étaient plus dans leur corps, ou plutôt que le Seigneur était là qui s'entretenait avec eux. 3. Attentif à la grâce du Christ, ils méprisaient les tortures de ce monde, et en une heure ils achetaient la vie éternelle. Le feu même des bourreaux inhumains était froid pour eux, car ils avaient devant les yeux la pensée d'échapper au feu éternel qui ne s'éteint pas, et des yeux te leur coeur ils regardaient les biens réservés à la patience, biens que l'oreille n'a pas entendus, que l'oeil n'a pas vus, auxquels le coeur de l'homme n'a pas songé (1 Co 2, 9 ; cf. Is 64, 3), mais que le Seigneur leur a montrés, à eux qui n'étaient plus des hommes, mais déjà des anges. 4. De même ceux qui avaient été condamnés aux bêtes enduraient te terribles supplices ; on les étendit sur des coquillages piquants, et on leur fit subir toutes sortes de tourments variés pour les amener à renier, si possible, par ce supplice prolongé.

III, 1. Le diable machinait contre eux toutes sortes de supplices, mais grâce à Dieu, il ne put l'emporter contre aucun d'entre eux. Le généreux Germanicus fortifiait leur timidité par sa constance ; il fut admirable dans la lutte contre les bêtes ; le proconsul voulait le fléchir et lui disait d'avoir pitié de sa jeunesse ; mais il attira sur lui la bête en lui faisant violence, voulant être plus vite délivré de cette vie injuste et inique. 2. Alors toute la foule, étonnée devant le courage de la sainte et pieuse race des chrétiens, s'écria : " A bas les athées ; faites venir Polycarpe. "

IV. Mais l'un d'entre eux, nommé Quintus, un Phrygien récemment arrivé de Phrygie, fut pris de peur à la vue des bêtes. C'est lui qui avait entraîné quelques frères à se présenter spontanément avec lui devant le juge. Le proconsul, par ses prières instantes, réussit à le persuader de jurer et de sacrifier. C'est pourquoi, frères, nous ne louons pas ceux qui se présentent d'eux-mêmes, puisque ce n'est pas l'enseignement de l'Évangile.

V, 1. Quant à l'admirable Polycarpe, tout d'abord il ne se troubla pas à ces nouvelles, mais il voulait rester en ville ; mais la plupart cherchaient à le persuader de s'éloigner secrètement. Il se retira donc dans une petite propriété située non loin de la ville, avec un petit nombre < de compagnons> ; nuit et jour il ne faisait que prier pour tous les hommes et pour les Églises du monte entier, comme c'était son habitude. 2. Et étant en prière, il eut une vision, trois jours avant d'être arrêté : il vit son oreiller entièrement brûlé par le feu ; et se tournant vers ses compagnons il leur dit : " Je dois être brûlé vif. "

VI, 1. Comme on continuait à le chercher, il passa dans une autre propriété, et aussitôt arrivèrent ceux qui le cherchaient. Ne le trouvant pas, ils arrêtèrent deux petits esclaves, et l'un d'eux, mis à la torture, avoua. 2. Il lui était donc impossible d'échapper, puisque ceux qui le livraient étaient dans sa maison ; et l'irénarque, qui avait reçu le même nom qu'Hérode, était pressé de le conduire au stade ; ainsi lui, il accomplirait sa destinée, en entrant en communion avec le Christ, tandis que ceux qui l'avaient livré recevraient le châtiment de Judas lui-même.

VII, 1. Prenant avec eux l'esclave,--c'était un vendredi vers l'heure tu souper--, les policiers et les cavaliers, armés comme à l'ordinaire, partirent comme pour courir " après un bandit " (cf. Mt 26, 55). Et tard, dans la soirée, survenant tous ensemble, ils le trouvèrent couché dans une petite chambre à l'étage supérieur. Il pouvait encore s'en aller dans une autre propriété, mais il ne le voulut pas et dit : " Que la volonté de Dieu soit faite. " 2. Apprenant donc que les agents étaient là, il descendit et causa avec eux ; ils s'étonnaient de son âge et de son calme, et de toute la peine qu'on prenait pour arrêter un homme aussi âgé. Aussitôt, à l'heure qu'il était, il leur fit servir à manger et à boire autant qu'ils voulaient ; il leur demanda < seulement > de lui donner une heure pour prier à son gré. 3. Ils le lui accordèrent, et debout, il se mit à prier, rempli de la grâce de Dieu au point que deux heures durant il ne put s'arrêter de parler, et que ceux qui l'entendaient en étaient étonnés et que beaucoup se repentirent d'être venus arrêter un si saint vieillard.

VIII, 1. Quant enfin, il cessa sa prière, dans laquelle il avait rappelé tous ceux qu'il avait jamais rencontrés, petits et grands, illustres ou obscurs, et toute l'Église catholique répandue par toute la terre, l'heure étant venue de partir, on le fit monter sur un âne, et on l'emmena vers la ville ; c'était jour de grand sabbat. 2. L'irénarque Hérode et son père Nicétès vinrent au-devant de lui, et le firent monter dans leur voiture ; assis à côté de lui, ils essayaient de le persuader en disant : " Quel mal y a-t-il à dire : César est Seigneur, à sacrifier, et tout le reste, pour sauver sa vie ? " Lui, d'abord, ne répondit pas, et, comme ils insistaient, il dit : " Je ne ferai pas ce que vous me conseillez. " 3. Alors, ne réussissant pas à le persuader, ils lui dirent toutes sortes d'injures, et il le firent descendre de la voiture si précipitamment qu'il se déchira le devant de la jambe. Sans se retourner, et comme si rien ne lui était arrivé, il marchait allègrement ; il allait vers le stade, et il y avait un tel tumulte dans le stade que personne ne pouvait s'y faire entendre.

IX, 1. Quand Polycarpe entra dans le stade, une voix du ciel se fit entendre : " Courage, Polycarpe, et sois un homme. " Personne ne vit celui qui parlait, mais la voix, ceux des nôtres qui étaient là l'entendirent.

Enfin, on le fit entrer, et le tumulte fut grand quant le public apprit que Polycarpe était arrêté. 2. Le proconsul se le fit amener et lui demanda si c'était lui Polycarpe. Il répondit que oui, et le proconsul cherchait à le faire renier en lui disant : " Respecte ton grand âge " et tout le reste qu'on a coutume de dire en pareil cas ; " Jure par la fortune de César, change d'avis, dis : A bas les athées. " Mais Polycarpe regarda d'un oeil sévère toute cette foule de païens impies dans le stade, et fit un geste de la main contre elle, puis soupirant et levant les yeux, il dit : " A bas les athées. " 3. Le proconsul insistait et disait : " Jure, et je te laisse aller, maudis le Christ " ; Polycarpe répondit : " Il y a quatre-vingt six ans que je le sers, et il ne m'a fait aucun mal ; comment pourrais-je blasphémer mon roi qui m'a sauvé ? "

X, 1. Et comme il insistait encore et disait : " Jure par la fortune de César ", Polycarpe répondit : " Si tu t'imagines que je vais jurer par la fortune de César, comme tu dis, et si tu fais semblant de ne pas savoir qui je suis, écoute <je te le dis> franchement : Je suis chrétien. Et si tu veux apprendre de moi la doctrine du christianisme, donne-moi un jour, et écoute-moi. " 2. Le proconsul répondit : " Persuade cela au peuple. " Polycarpe reprit : " Avec toi, je veux bien discuter ; nous avons appris en effet à donner aux autorités et aux puissances établies par Dieu le respect convenable, si cela ne nous fait pas tort. Mais ceux-là, je ne les estime pas si dignes que je me défende devant eux. "

XI, 1. Le proconsul dit : " J'ai des bêtes, et je te livrerai à elles si tu ne changes pas d'avis. " Il dit : " Appelle-les, il est impossible pour nous de changer d'avis pour passer du mieux au pire, mais il est bon de changer pour passer du mal à la justice. " 2. Le proconsul lui répondit : Je te ferai brûler par le feu puisque tu méprises les bêtes, si tu ne changes pas d'avis. " Polycarpe lui dit : " Tu me menaces d'un feu qui brûle un moment et peu de temps après s'éteint ; car tu ignores le feu du jugement à venir et du supplice éternel réservé aux impies. Mais pourquoi tarder ? Va, fais ce que tu veux. "

XII, 1. Voilà ce qu'il disait et beaucoup d'autres choses encore ; il était tout plein de force et de joie et son visage se remplissait de grâce. Non seulement il n'avait pas été abattu ni troublé par tout ce qu'on lui disait, mais c'était au contraire le proconsul qui était stupéfait ; il envoya son héraut au milieu du stade proclamer trois fois : " Polycarpe s'est déclaré chrétien. " 2. A ces paroles du héraut, toute la foule des païens et des Juifs, établis à Smyrne, avec un déchaînement de colère, se mit à pousser de grands cris : " Voilà le docteur de l'Asie, le père des chrétiens, le destructeur de nos dieux ; c'est lui qui enseigne tant de gens à ne pas sacrifier et à ne pas adorer. " En disant cela, ils poussaient des cris et demandaient à l'asiarque Philippe de lâcher un lion sur Polycarpe. Celui-ci répondit qu'il n'en avait pas le droit, puisque les combats de bêtes étaient terminés. 3. Alors il leur vint à l'esprit de crier tous ensemble : " Que Polycarpe soit brûlé vif ! " Il fallait que s'accomplît la vision qui lui avait été montrée : pendant sa prière, voyant son oreiller en feu, il avait dit d'un ton prophétique aux fidèles qui étaient avec lui : " Je dois être brûlé vif " (V, 2).

XIII, 1. Alors les choses allèrent très vite, en moins de temps qu'il n'en fallait pour les dire : sur-le-champ la foule alla ramasser dans les ateliers et dans les bains du bois et des fagots,--les Juifs surtout y mettaient de l'ardeur, selon leur habitude. 2. Quand le bûcher fut prêt, il déposa lui-même tous ses vêtements et détacha sa ceinture, puis il voulut se déchausser lui-même : il ne le faisait pas auparavant, parce que toujours les fidèles s'empressaient à qui le premier toucherait son corps : même avant son martyre, il était toujours entouré de respect à cause de la sainteté de sa vie. 3. Aussitôt donc, on plaça autour de lui les matériaux préparés pour le bûcher ; comme on allait l'y clouer, il dit : " Laissez-moi ainsi : celui qui me donne la force de supporter le feu, me donnera aussi, même sans la protection de vos clous, de rester immobile sur le bûcher. "

XIV, 1. On ne le cloua donc pas, mais on l'attacha. Les mains derrière le dos et attaché, il paraissait comme un bélier de choix pris d'un grand troupeau pour le sacrifice, un holocauste agréable préparé pour Dieu.

Levant les yeux au ciel, il dit : " Seigneur, Dieu tout-puissant, Père de ton enfant bien-aimé, Jésus-Christ, par qui nous avons reçu la connaissance de ton nom, Dieu des anges, des puissances, de toute la création, et de toute la race des justes qui vivent en ta présence, 2. je te bénis pour m'avoir jugé digne de ce jour et de cette heure, de prendre part au nombre de tes martyrs, au calice de ton Christ, pour la résurrection de la vie éternelle de l'âme et du corps, dans l'incorruptibilité de l'Esprit-Saint. Avec eux, puissé-je être admis aujourd'hui en ta présence comme un sacrifice gras et agréable, comme tu l'avais préparé et manifesté d'avance, comme tu l'as réalisé, Dieu sans mensonge et véritable. 3. Et c'est pourquoi pour toutes choses je te loue, je te bénis, je te glorifie, par le grand prêtre éternel et céleste Jésus-Christ, ton enfant bien-aimé, par qui soit la gloire à toi avec lui et l'Esprit-Saint maintenant et dans les siècles à venir.

XV, 1. Quand il eut fait monter cet Amen et achevé sa prière, les hommes du feu allumèrent le feu. Une grande flamme brilla, et nous vîmes une merveille, nous à qui il fut donné de le voir, et qui avions été gardés pour annoncer aux autres ces événements. 2. Le feu présenta la forme d'une voûte, comme la voile d'un vaisseau gonflée par le vent, qui entourait comme d'un rempart le corps du martyr ; il était au milieu, non comme une chair qui brûle, mais comme un pain qui cuit, ou comme de l'or ou de l'argent brillant dans la fournaise. Et nous sentions un parfum pareil à une bouffée d'encens ou à quelque autre précieux aromate.

XVI, 1. A la fin, voyant que le feu ne pouvait consumer son corps, les impies ordonnèrent au confector d'aller le percer de son poignard. Quand il le fit, jaillit une quantité de sang qui éteignit le feu, et toute la foule s'étonna de voir une telle différence entre les incroyants et les élus. 2. Parmi ceux-ci fut l'admirable martyr de Polycarpe qui fut, en nos jours, un maître apostolique et prophétique, l'évêque de l'Église catholique de Smyrne ; toute parole qui est sortie de sa bouche s'est accomplie ou s'accomplira.

XVII, 1. Mais l'envieux, le jaloux, le mauvais, l'adversaire de la race des justes, voyant la grandeur de son témoignage et sa vie irréprochable dès le début, le voyant couronné de la couronne d'immortalité, et emportant une récompense incontestée, essaya de nous empêcher d'enlever son corps, bien que beaucoup d'entre nous voulussent le faire pour posséder sa sainte chair. 2. Il suggéra donc à Nicétès, le père d'Hérode, le frère d'Akè, d'aller trouver le magistrat pour qu'il ne nous livre pas le corps : " Pour qu'ils n'aillent pas, dit-il, abandonner le crucifié et se mettre à rendre un culte à celui-ci. " Il disait cela à la suggestion insistante des Juifs, qui nous avaient surveillés quand nous voulions retirer le corps du feu. Ils ignoraient que nous ne pourrons jamais ni abandonner le Christ qui a souffert pour le salut de tous ceux qui sont sauvés dans le monde, lui l'innocent pour les pécheurs,--ni rendre un culte à un autre. 3. Car lui, nous l'adorons, parce qu'il est le fils de Dieu; quant aux martyrs, nous les aimons comme disciples et imitateurs du Seigneur, et c'est juste, à cause de leur dévotion incomparable envers leur roi et maître ; puissions-nous, nous aussi, être leurs compagnons et leurs condisciples.

XVIII, 1. Le centurion, voyant la querelle suscitée par les Juifs, exposa le corps au milieu et le fit brûler comme c'était l'usage. 2. Ainsi, nous pûmes plus tard recueillir ses ossements plus précieux que des pierres de grand prix et plus précieux que l'or, pour les déposer en un lieu convenable. 3. C'est là, autant que possible que le Seigneur nous donnera de nous réunir dans l'allégresse et la joie, pour célébrer l'anniversaire de son martyre, de sa naissance, en mémoire de ceux qui ont combattu avant nous, et pour exercer et préparer ceux qui doivent combattre à l'avenir.

XIX, 1. Telle fut l'histoire du bienheureux Polycarpe, qui fut, avec les frères de Philadelphie, le douzième à souffrir le martyre à Smyrne ; mais de lui seul on garde le souvenir plus que des autres, au point que partout les païens eux-mêmes parlent de lui. Il fut non seulement un docteur célèbre, mais aussi un martyr éminent, dont tous désirent imiter le martyre conforme à l'Évangile du Christ. 2. Par sa patience, il a triomphé du magistrat inique, et ainsi il a remporté la couronne de l'immortalité ; avec les Apôtres et tous les justes, dans l'allégresse, il glorifie Dieu, le Père tout-puissant, et bénit notre Seigneur Jésus-Christ, le sauveur de nos âmes et le pilote de nos corps, le berger de l'Église universelle par toute la terre.

XX, 1. Vous aviez désiré être informés avec plus de détail sur ces événements ; pour l'instant, nous vous en avons donné un récit sommaire par notre frère Marcion. Quand vous aurez pris connaissance de cette lettre, transmettez-la aux frères qui sont plus loin pour qu'eux aussi glorifient le Seigneur qui fait son choix parmi ses serviteurs.

2. A celui qui, par sa grâce et par son don, peut nous introduire tous dans son royaume éternel par son fils unique Jésus-Christ, à lui la gloire, l'honneur, la puissance, la grandeur dans les siècles (cf. 1 Tm 6, 16 ; 1 P. 4, 11 ; Jude 25 ; Ap 1,16; 5,13 ; etc.).

Saluez tous les saints (cf. Rm 16, 15; Hé 13, 24; etc.)

Ceux qui sont avec nous vous saluent, et aussi Erariste qui a écrit cette lettre, avec toute sa famille.

XXI. Le bienheureux Polycarpe a rendu témoignage au début du mois de Xanthique, le deuxième jour, le septième jour avant les calendes de mars, un jour de grand sabbat, à la huitième heure. Il avait été arrêté par Hérode, sous le pontificat de Philippe de Tralles, et le proconsulat de Statius Quadratus, mais sous le règne éternel de notre Seigneur Jésus-Christ ; à lui soit la gloire, l'honneur, la grandeur, le trône éternel de génération en génération. Amen.

Appendice. XXII, 1. Nous vous souhaitons bonne santé, frères, marchez selon l'Évangile, dans la parole de Jésus-Christ ; avec lui, gloire à Dieu le Père et au Saint-Esprit, pour le salut des saints élus. C'est ainsi que témoigna le bienheureux Polycarpe ; puissions-nous marcher sur ses traces, et être trouvés avec lui dans le royaume de Dieu.

2. Gaïus a transcrit cette lettre sur le manuscrit d'Irénée, disciple de Polycarpe ; Gaïus a vécu avec Irénée. Et moi, Socrate, je l'ai copiée d'après la copie de Gaïus. La grâce soit avec tous.

3. Et moi, à mon tour, Pionius, je l'ai copiée sur l'exemplaire ci-dessus ; je l'ai recherché, après que le bienheureux Polycarpe me l'eût montré dans une révélation, comme je le raconterai par la suite. J'ai rassemblé les fragments presque détruits par le temps ; que le Seigneur Jésus-Christ me rassemble aussi avec ses élus dans le royaume du ciel ; à lui la gloire avec le Père et le Saint-Esprit dans les siècles des siècles. Amen.

Appendice du manuscrit de Moscou. 1. Gaïus a copié ceci dans les écrits d'Irénée ; il avait vécu avec Irénée, qui fut disciple de saint Polycarpe. 2. Cet Irénée, qui était à Rome à l'époque du martyre de l'évêque Polycarpe, instruisit beaucoup de personnes. On a de lui beaucoup d'écrits très beaux et très orthodoxes ; il y fait mention de Polycarpe, disant qu'il avait été son disciple ; il réfuta vigoureusement toutes les hérésies et nous transmet la règle ecclésiastique et catholique, telle qu'il l'avait reçue du saint. 3. Il dit aussi ceci : Marcion, d'où viennent ceux qu'on appelle les marcionites, ayant un jour rencontré saint Polycarpe, lui dit : " Reconnais-nous, Polycarpe. " Mais lui dit à Marcion : " Je reconnais, je reconnais le premier-né de Satan. " 4. On lit aussi ceci dans les écrits d'Irénée : Au jour et à l'heure où Polycarpe souffrit le martyre à Smyrne, Irénée se trouvant à Rome entendit une voix pareille à une trompette qui disait : Polycarpe a été martyrisé.

5. Comme on l'a dit, c'est donc dans les écrits d'Irénée que Gaïus a copié ceci, et Isocrate à Corinthe l'a transcrit sur la copie de Gaïus. Et moi, Pionius, à mon tour je l'ai copié sur l'exemplaire d'Isocrate, que j'avais recherché d'après une révélation de saint Polycarpe. J'en ai rassemblé les fragments presque détruits par le temps. Que le Seigneur Jésus-Christ me rassemble aussi avec ses élus dans la gloire du ciel ; à lui la gloire avec le Père et le Saint-Esprit dans les siècles des siècles. Amen.


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