L'intercommunion condamnée... Le repas du
Seigneur créateur de division!!
Interview du théologien allemand Gotthold
Hasenhüttl
Le théologien allemand Gotthold
Hasenhüttl a été suspendu de toutes
ses fonctions par son autorité épiscopale,
l'évêque de Trêves, Mer Reinhard
Marx. Son " délit " : il a
célébré le 23 mai 2003 un office
religieux dans l'Église protestante de
Géthsémani à Berlin et y a
invité les fidèles (protestants) " à
participer au repas du Seigneur ". Sur fond de
publication de la dernière encyclique de Jean Paul
II sur l'Eucharistie et qui visait l'Église
allemande sur les problèmes de l'intercommunion,
la réaction des évêques allemands ne
s'est pas fait attendre.
Gotthold Hasenhüttl (69 ans) est
professeur émérite de théologie
systématique à l'Université de la
Sarre (Sarrebruck). Pour avoir invité, lors d'une
Eucharistie célébrée pendant le
Congrès eucharistique des Églises à
Berlin, également des chrétiens non
catholiques à la communion, il a été
suspendu par Reinhard Marx, évêque de
Trêves, de toutes ses fonctions
ministérielles. Sabine Grittner s'est entretenue
avec Gotthold Hasenhüttl.
Interview
Imprimatur : Qui vous a incité à
célébrer cet office religieux ? Un journal
de Berlin vous qualifie de " provocateur agissant en
douceur ". Avez-vous essentiellement voulu provoquer
?
Gotthold Hasenhüttl : Lorsque le "
Mouvement du peuple de l'Église "Nous sommes
Église" " m'a demandé en décembre
2002 si j'accepterais de célébrer un office
oecuménique avec eucharistie selon le rite
catholique et avec communion ouverte à tous, j'ai
aussitôt accepté. Une telle
célébration n'est pour moi que le
résultat pratique de quarante ans d'efforts en
faveur de l'unité des Églises telle que
j'en expose les fondements théoriques dans mon
livre intitulé " Une foi dépouillée
de mythes " publié récemment. C'est une
honte pour le premier congrès oecuménique
(après la Réforme qui remonte à cinq
cents ans) que les Églises ne se soient pas
officiellement lancé une invitation mutuelle au
repas du Seigneur célébré en commun.
Lors de cette Eucharistie avec communion ouverte à
tous, il ne s'est pas agi d'une " provocation " ou d'une
" manifestation politique dans l'Église ", comme
cela a été reproché aux
organisateurs. Inviter au repas du Seigneur tous ceux qui
désireraient être en communion avec
Jésus-Christ, c'est la mission donnée par
le Christ. C'est une triste manipulation politique et une
manifestation de pouvoir que d'abuser de l'Eucharistie
comme moyen d'exclusion.
Imprimatur : Quelle atmosphère a
régné pendant l'office ?
Gotthold Hasenhüttl : Tous ceux qui ont
participé à l'office ont été
saisis de l'atmosphère qui y régnait. On
pouvait sentir la joie dont tous étaient
comblés lors de cette Eucharistie commune qui
n'excluait personne et qui invitait bien plutôt
chacun à une participation active. Pour moi qui
étais le célébrant ce fut un
événement que je n'oublierai jamais. Je
dois aux plus de deux mille participants de nombreux
encouragements sur mon cheminement religieux.
Imprimatur : Quels échos avez-vous recueilli
aussitôt après l'office de la part des
participants ainsi que d'observateurs ?
Gotthold Hasenhüttl : Toutes les
réactions des participants ont été
particulièrement positives, voire enthousiastes.
Comme on ne pouvait s'attendre à voir tant de
chrétiens participer à cet office religieux
en désirant recevoir la nourriture du Seigneur, la
distribution de la communion a pris peut-être trop
de temps. On aurait eu besoin d'un nombre de personnes
encore plus grand pour y procéder.
Imprimatur : Pouvez-vous décrire les
réactions de l'Église officielle ?
Gotthold Hasenhüttl : Il aurait
été souhaitable que l'Église
catholique officielle accueille les offices religieux
célébrés dans l'Église de
Géthsemani comme une voie menant effectivement
à l'unité des Églises.
Malheureusement elle s'est sentie menacée dans sa
volonté de monopoliser le pouvoir et elle a
réagi par le refus. L'argument selon lequel la
cause de l'oecuménisme a pâti de cette
démarche provient d'une attitude
réactionnaire qui veut faire reculer l'histoire et
qui ne laisse aucune chance à l'avenir.
Imprimatur : Y a-t-il, selon vous, des
éléments qui nous séparent dans
notre interprétation du repas ? Dans quelle mesure
ces aspects éventuels de division sont-ils
liés au sens que l'Église catholique donne
au ministère ? Et puis, dans son encyclique "
Ecclesia de eucharistia ", le pape note
expressément que le prêtre " met sa bouche
et sa voix à la disposition de Celui qui les a
prononcés [il s'agit des paroles de
l'Institution] dans la salle où s'est
déroulée la Cène " ?
Gotthold Hasenhüttl : En 1959
déjà, Karl Rahner a écrit qu'il
n'y a pas de différence capitale dans
l'interprétation donnée au repas du
Seigneur par l'Église catholique et
l'Église protestante. Les trois centres de
recherches oecuméniques de Strasbourg, Tubingen et
Bensheim ont, dans la perspective du premier
congrès oecuménique des Églises,
déclaré qu'une communauté
réalisée dans le repas eucharistique est
possible. C'est ce qu'explique Harding Meyer dans les
mélanges pour le soixante-dixième
anniversaire du cardinal Kasper (2003), en
réclamant tout comme pour la doctrine de la
justification (1999) une déclaration commune. Il
est d'autant plus incompréhensible que Monseigneur
Marx rabaisse, selon ce qui est rapporté, la
Cène des protestants au rang d'un " aimable
partage de petits pains ", et corrige et renforce son
propos en soupçonnant les protestants de ne pas
croire à la présence du Christ sous les
espèces du pain et du vin. Comme Bernhard Kroll,
prêtre, n'était visiblement pas de cet avis
mais comme il a reconnu la valeur d'une
célébration protestante en recevant la
Cène, bien que la " succession apostolique " fasse
défaut, il a été " mis en
congé ", ce qui revient en langage clair à
une suspension de ses fonctions ministérielles. Il
doit se retirer dans un monastère (au Moyen
Âge on nommait cela une " détention
claustrale ") pour y passer une " période de
réflexion et de réorientation ". Tant qu'il
ne s'est pas remis au pas, il devra y rester pour mettre
au clair les " questions essentielles ". Et à
cette fin on lui a donné des " accompagnateurs
spirituels et théologiques ". Le cardinal Meisner
dit avec raison : " Un régime totalitaire vit de
rappels à l'ordre. " Elisabeth Raiser,
présidente du Congrès des Églises
protestantes, caractérise les sanctions prises par
Monseigneur Mixa comme un grave préjudice
porté au respect dû à la Cène
protestante. Malheureusement la situation est, à
Trêves, assez semblable à celle de
Eichstätt, puisqu'il est interdit à un
prêtre de célébrer un office
oecuménique (même sans qu'il y ait la
Cène) de même qu'à un autre de prier
dans le Canon non seulement pour l'évêque de
Trêves, mais aussi pour Manfred Kock,
président du Conseil de l'Église
évangélique d'Allemagne.
L'évêque a, lors d'une messe jubilaire
célébrée en septembre pour le
lycée diocésain Willi-Graf (à
Sarrebrück), fait lui-même grouper à
part les élèves protestants, parce qu'il se
refusait à leur distribuer l'Eucharistie.
Imprimatur : Quel sens donne-t-on là
à l'Eucharistie, alors que Jésus-Christ a
voulu être le pain pour le monde, s'est
livré pour tous et alors que nous disons au cours
de la messe : " Prenez et mangez-en tous " et " Prenez et
buvez en tous ". Ces paroles vont-elles être
accusées par un tel comportement d'être
mensongères ?
Gotthold Hasenhüttl : On lit des propos
tout différents dans l'encyclique Ecclesia de
eucharistia ! Nous ne devons avoir aucune réserve
quand nous distribuons l'Eucharistie. Même pour des
personnes qui ne sont pas en pleine communion avec
l'Église catholique, leur démarche peut
être profondément porteuse de salut
lorsqu'elles reçoivent la nourriture du Seigneur
dans une célébration catholique de
l'Eucharistie. Le pape lui-même en a donné
l'exemple. Faudra-t-il que quelques évêques
allemands soient vraiment plus royalistes que ce roi ?
L'argument, au fond le seul, que l'on ne cesse d'avancer
est : il faut d'abord accéder à la
communauté des Églises et c'est ensuite
seulement que la pleine communion eucharistique pourra
exister. Et l'on entend-là par " communauté
", l'institution et sa structure hiérarchique.
Mais déjà le titre de l'encyclique tient un
autre langage : " l'Église vit de l'Eucharistie "
et non l'inverse ! Ou bien (n° 40) : " C'est
l'Eucharistie qui crée la communauté et qui
éduque à la communauté. " Ainsi,
lorsque deux ou trois se rassemblent, où que ce
soit, au nom du Christ, Il est présent parmi eux.
Et lorsqu'ils célèbrent par
conséquent ensemble le repas du Seigneur, cette
démarche est source d'entente et de
communauté dans la foi et c'est seulement en
conséquence que des institutions communes
déterminées pourront prendre un sens. Au
concile de Vatican II il est nettement souligné
(LG. chap.) que la structure hiérarchique de
l'Église est un élément humain et
non divin. Une communauté eucharistique qui se
fonde sur un élément humain ne peut
être bâtie que sur du sable.
Imprimatur : Cet office religieux a-t-il
marqué à votre avis un progrès pour
l'oecuménisme ?
Gotthold Hasenhüttl : Dans l'Église
les progrès arrivent le plus souvent quand on
outrepasse des limites. Même s'il n'a pas
été, du point de vue du droit canon, le
viol d'une frontière, l'office religieux
célébré dans l'église de
Gethsémani a aidé l'oecuménisme
à franchir un pas, ne fût-ce que sous la
forme de réflexions sur de nouvelles
possibilités.
Imprimatur : Vous avez été suspendu
de vos fonctions le 17 juillet par Monseigneur Marx.
Cette réaction de l'Église officielle
était-elle à votre avis inévitable
?
Gotthold Hasenhüttl : Non, pas du tout.
Ces sanctions ne sont justifiées ni par le droit
canon ni par l'encyclique sur l'Eucharistie. Si je n'ai
pas répondu aux voeux de certains
évêques il aurait suffi qu'ils me signifient
leur mécontentement. Il y avait une très
grande marge laissée aux appréciations. Et
pour des raisons dictées par une politique au
service du pouvoir, Monseigneur Marx a choisi la
suspension de mes fonctions. J'ai maintenant porté
plainte auprès du siège apostolique.
Imprimatur : Vous avez donc maintenant fait appel
auprès du siège apostolique, contre la
suspension de vos fonctions. Qu'attendez-vous de cette
démarche ?
Gotthold Hasenhüttl : J'attends que l'on
me fasse justice, car le Nouveau Testament et le droit
canon sont de mon côté. Mais la
manière dont l'affaire sera vue et
décidée au regard de la politique
ecclésiale, c'est là une question à
laquelle nous n'avons pas de réponse.
Imprimatur : Croyez-vous que votre cas fera
époque ? L'oecuménisme
n'intéresse-t-il plus l'Église officielle
?
Gotthold Hasenhüttl : Par peur de perdre
son pouvoir l'Église officielle recourt à
l'exclusion et malmène violemment les
chrétiens protestants. L'attitude de certains
évêques allemands est une régression
pour l'oecuménisme, on retombe ainsi dans la
période antérieure au concile de Vatican
II. J'espère toutefois que par le différend
sur la Cène que l'on a fait surgir, une porte a
été ouverte, donnant accès à
un oecuménisme fécond pour l'avenir.
Imprimatur : Ressentez-vous la suspension de vos
fonctions ministérielles comme un isolement ? Ou
bien existe-t-il une vague de solidarité ?
Gotthold Hasenhüttl : L'attitude d'un bon
nombre de représentants de la hiérarchie me
pèse beaucoup. Et la solidarité incroyable
qui m'est actuellement témoignée est
d'autant plus réconfortante. Elle traverse toutes
les couches populaires et s'étend jusqu'au
président de la République
fédérale qui est un homme engagé
dans les causes religieuses.
Imprimatur : Que souhaitez-vous à
l'Église catholique pour l'avenir ?
Gotthold Hasenhüttl : Je souhaite tout
d'abord que beaucoup de chrétiennes et de
chrétiens appartenant au " Mouvement du peuple de
l'Église "Nous sommes Église" " et à
l'" Initiative "Église à la base" "
coopèrent pour que les structures
sclérosées de cette Église soient
modifiées. Ce serait un pas décisif si
l'Église catholique se considérait comme
une réalisation de l'Église du Christ (et
non pas " integro modo ", c'est-à-dire comme la
seule " Église proprement dite "), et si les
autres Églises pouvaient être
considérées également comme
l'incarnation possible de l'Église du Christ. Dans
le cadre d'un tel dialogue entre partenaires égaux
on pourra trouver aussi un accord concernant des
éléments institutionnels. Le cardinal
Kasper a exprimé la conviction que c'est l'Esprit
de Dieu qui abattra les murs qui séparent les
Églises.
(Traduit de l'allemand par Jean
Courtois, Lyon) La rédaction de GOLIAS, 12
janvier 2006
3129-exclusions-excom.htm
3128-censures.htm
3120_trahicler.html
3123_amoncure.html
3122_pastprotest.html