Les grandes lignes de la
nécessaire réforme de
l'Eglise
Juan José Tamayo Acosta est directeur de
la Chaire de Théologie et Sciences des Religions "
Ignacio Ellacuría " de l'Université Carlos
III, à Madrid. Il est aussi le
secrétaire général de l'Association
œcuménique Jean XXIII des théologiens
et théologiennes espagnols. Il prononça
cette conférence à Antequera (Malaga) le 29
juin 2002.
Le point de départ de cette conférence
fut la publication d'un article intitulé " Un
Concile pour le XXIème siècle " paru dans
le quotidien EL PAÍS, reproduit dans de nombreux
médias en Espagne et en Amérique latine et
qui a suscité un très large écho
parmi les communautés de base et les mouvements
chrétiens critiques ainsi que parmi certains
groupes inquiets de l'orientation
néo-conservatrice de l'Église catholique
aujourd'hui.
Dans une première partie, je choisirai quelques
périodes de l'histoire du christianisme pour
montrer comment l'idée de la réforme de
l'Église n'est pas de notre invention mais qu'elle
est née avec le christianisme et forme un courant
permanent au sein de l'Église tout au long de son
histoire bimillénaire. Dans la seconde j'exposerai
les points sur lesquels je crois que doit se centrer la
réforme de l'Église aujourd'hui.
1. LES RÉFORMES ONT TOUJOURS
EXISTÉ
Les mouvements de réforme ont toujours
existé dans l'histoire du christianisme comme dans
celle de la politique, de l'économie ou de la
culture. Le christianisme lui-même surgit comme
mouvement de réforme à l'intérieur
du judaïsme. Nous ne pouvons oublier que les
racines du christianisme sont juives. Ce qui se passe,
c'est que, très vite et à partir du
IVème siècle, avec la reconnaissance de
l'Église comme religion officielle de l'Empire
romain, le christianisme prend un virage
anti-judaïque qui n'est pas en concordance avec ses
origines. En réalité, le christianisme est
né à un moment de grande vitalité et
de large pluralisme au sein du judaïsme. Les
mouvements de réforme ou de rénovation du
judaïsme étaient assez nombreux au temps de
Jésus. Parmi eux, il convient de citer le
mouvement pénitentiel conduit par Jean Baptiste,
les groupes appelés thérapeutiques et, bien
entendu, le mouvement de réforme que met en marche
Jésus de Nazareth.
1.1. La réforme de Jésus
Jésus fut un Juif convaincu vivant son
expérience de foi dans la tradition religieuse de
son peuple, de ses pères et mères,
patriarches et matriarches, mais en
liberté (plus loin, je parlerai des femmes
comme protagonistes revitalisantes de cette
réforme). Jésus est en syntonie avec
quelques unes des traditions libératrices de la
religion d'Israël: l'exode, le prophétisme,
la tradition sapientielle, l'expérience orante des
psalmistes, les femmes qui animèrent la foi du
peuple. Et toujours, en lien avec la foi d'Abraham, le
père des croyants des trois religions
monothéistes: judaïsme, christianisme et
islam.
Jésus critique tout ce qui dans la
religion asservit, aliène, tue. Il critique les
traditions déshumanisantes. Il met en
question ce qui ne contribue pas à la
libération de la personne, comme la pratique de la
loi, du temple, du sabbat, etc., parce qu'elle ne
s'accompagne pas de la pratique de la justice. Il corrige
les lois qui font passer l'observance de la règle
avant l'attention à l'être humain dans le
besoin. Dans la critique de la religion, Jésus est
en avance de beaucoup de siècles sur la critique
moderne que vont faire ceux qu'on a appelés les
maîtres du soupçon.
Jésus introduit une innovation fondamentale
dans le judaïsme légaliste et
patriarcalisé. Il met en marche un mouvement
alternatif de croyants et de disciples, d'adeptes et
sympathisant(e)s comme germe du Royaume de Dieu.
Mouvement marginal qui suit un marginal et
tente de faire de sa cause une réalité.
Deux des plus justes définitions de Jésus
de Nazareth sont celles qui donnent leur titre à
deux œuvres qui ont contribué puissamment
dans la dernière décennie à la
redécouverte du Jésus historique, l'une
connue sous le nom de A Marginal Jew, Rethinking the
Historical Jesus, du bibliste nord américain John
P. Meier, l'autre Jésus: vie d'un paysan juif, de
John D.Crossan, également bibliste nord
américain du groupe de recherche "Jesus Seminar".
Jésus lutte à partir de sa situation
marginale contre la marginalisation de personnes et
groupes par la religion ou la société juive
et par le pouvoir impérial. Quelques
années plus tard, c'est Paul,
considéré par nombre d'historiens et de
penseurs comme le vrai fondateur du christianisme, qui
radicalise et mène à son terme cette
Réforme, libérant les croyants venus du
monde païen de l'observance des pratiques
juives. A partir de sa rencontre avec le
Ressuscité, il découvre comment en
Jésus de Nazareth, la loi est remplacée par
la grâce, l'esclavage de la loi par la
liberté de l'Esprit et les traditions du
judaïsme par l'Évangile. La
résurrection se présente comme
l'alternative face au pouvoir destructeur de la mort.
Mais la radicalisation du projet aboutit à une
rupture avec la tradition religieuse du judaïsme et,
après Paul, les théologiens et les
dirigeants de l'Église vont présenter le
judaïsme comme adversaire du christianisme. Ce qui
est une perversion du projet originaire du Juif
Jésus.
1.2. Réforme Protestante
Une seconde période historique qui me
paraît importante pour ce thème est ce qui
se rapporte à la Réforme Protestante au
XVIème siècle. Le phénomène
de la Réforme est précédé
d'une étape de pré-réforme et suivie
de l'étape de la Contre-réforme catholique.
En ce moment même nous sommes en pleine
Contre-réforme. Le Moyen-Âge est un flux
constant de mouvements de réforme dont les
objectifs, les projets et propositions convergent
fondamentalement.
Un des objectifs de tous les mouvements
médiévaux de réforme est la
décléricalisation du christianisme, par ce
que le cléricalisme est vu comme une des plus
graves perversions voire un des phénomènes
les plus traumatiques qui aient défiguré le
visage de l'Église et en aient changé le
cap. Durant une bonne partie de l'histoire du
christianisme, l'Église fut
identifiée au clergé et avec raison, du
fait que celui-ci s'était approprié
très tôt l'ecclésialité qui
appartenait au peuple de Dieu tout entier.
Autre objectif, le protagonisme des laïcs dans
les divers domaines et par-dessus tout dans la
prédication de l'Évangile, à partir
de l'égalité de tous les chrétiens
et chrétiennes de par le baptême.
Dans tous les mouvements de réforme il y a
un appel à la conversion de l'Église
aux pauvres, aux marginalisés et exclus, qui
étaient à l'époque la
majorité. Le moment où ces trois
objectifs sont sur le point de devenir
réalité est la Réforme Protestante,
portée par des théologiens doués
d'une grande vision et d'une profonde lucidité
comme Luther, Calvin et Zwingli et d'autres moins connus
comme Thomas Müntzer, qualifié à juste
titre par Ernst Bloch de "théologien de la
révolution" dans une œuvre portant ce
titre.
Quels sont les principaux changements
qu'entraîne la Réforme protestante pour le
christianisme?
Le premier est celui de la subjectivité. Nous
sommes au XVIème siècle, en pleine
Renaissance, et la valeur par excellence qui monte dans
cette culture est la subjectivité. La foi n'est
pas un phénomène institutionnel mais une
option personnelle, une expérience du croyant dans
sa relation à Dieu, qui implique la personne dans
sa totalité, sans compartiments étanches.
C'est pourquoi il faut la vivre dans
l'intériorité et dans la profondeur de
l'être pour qu'elle puisse rayonner à
l'extérieur. Cela, que nous devons pour une bonne
part à la Réforme protestante et qui encore
aujourd'hui dans le christianisme institutionnel, est
insuffisamment valorisé, étant donné
que nous vivons en pleine époque de christianisme
institutionnel et hiérarchique.
La Réforme souligne, en second lieu, la
centralité de la Bible, qui eut des effets
positifs dans toute l'Église. Grâce à
elle aujourd'hui la Bible est à la portée
de tout le monde. La Bible comme parole de Dieu est
au-dessus du magistère, au-dessus des
déclarations papales, au-dessus des ordres et des
normes de la hiérarchie ecclésiastique. La
Bible, pas comme lettre morte mais comme texte vivant,
interprété à partir de la
subjectivité propre et non selon la grille des
instances supérieures. C'est là un
élément qui, dans l'Église
catholique n'est pas encore en vigueur. Le poids du
magistère reste décisif et
déterminant à l'heure d'interpréter
les textes de l'Ecriture.
Prenons un exemple. Selon le magistère
officiel, chacun des sept sacrements a un texte
littéral sur lequel se fonde son institution.
Le baptême: "Je te baptise au nom du Père et
du Fils..." La pénitence: "Tout ce que lieras sur
la terre, sera lié dans le ciel..." L'Eucharistie:
"Ceci est mon corps... Ceci est mon sang." Et ainsi de
suite (jusqu'aux chanoines qui se considéraient
comme institués par le Christ au jardin des
Oliviers quand Jésus, les trouvant endormis,
leur dit: "Dormez et reposez-vous maintenant").
[rires]
Le troisième apport de la Réforme
protestante au christianisme est son sens
congrégationiste, communautaire. La
communauté est le centre de la vie religieuse des
Églises protestantes tant dans le culte que dans
le service de la parole. C'est elle qui a la
décision à l'heure d'élire le
pasteur de la communauté en fonction des besoins
de la communauté, selon un processus soigneusement
mis au point de sélection et sans
interférences d'instances supérieures.
Fondamentale dans la Réforme protestante me
paraît l'importance accordée à la
théologie de la croix dans la ligne paulinienne
("Je ne veux prêcher que le Christ, ce
Crucifié"), face à la théologie
triomphaliste de la gloire du catholicisme avec le
symbole du Pantocrator dominant les porches des
églises. Luther en arrive à dire que la
croix est le principe de toute théologie. A la
suite de Luther et de Paul, Moltmann parle du "Dieu
crucifié" et de la croix comme critique de toute
théologie chrétienne. Cependant, je crois
que Luther ne tira pas les conséquences
révolutionnaires de cette théologie dans le
domaine politique et social.
1.3. Réforme du concile Vatican II
La troisième coupe historique que j'aimerais
faire est celle de la Réforme du concile
Vatican II (Rome, 1962-1965), impulsée par un
pape prophétique, Jean XXIII (Pape et
prophète? N'est-ce pas une contradiction? Dans le
cas de Jean XXIII au moins, non), après une
étape de pré-réforme qui commence au
lendemain de la Seconde Guerre Mondiale dans le domaine
théologique, liturgique et biblique pour culminer
avec la Réforme conciliaire. On peut
considérer Vatican II comme le mouvement de
réforme le plus important qui se soit produit dans
l'Église catholique depuis le XVIème
siècle. Trente fut un concile de
Contre-réforme et Vatican I, de
réaffirmation de la catholicité face
à la modernité. Jean XXIII, avec une vision
historique que n'a eue, je crois, aucun pape aux
XXème et XIXème siècles, pas
même Léon XIII avec Rerum novarum, orienta
l'Église vers l'option pour les pauvres et les
exclus et vers le changement à l'intérieur
de la communauté chétienne.
Il y a un texte de Jean XXIII qui est très
peu connu et presque jamais cité, où se
trouve à mon avis la clé et la base de la
Théologie de la Libération et de l'option
pour les pauvres. Dans un discours prononcé le 1er
septembre 1962, il affirme: "L'Église de
Jésus-Christ est Église de tous, mais pour
les pays sous-développés elle est
l'Église des pauvres." Ce texte marquait
l'orientation à suivre par le concile mais peu
nombreux furent les pères conciliaires qui
s'engagèrent dans cette voie. L'un d'eux est le
cardinal Lercaro qui, dans un mémorable discours
prononcé dans la salle conciliaire, affirma que
les pauvres sont les vrais sujets de
l'évangélisation et que l'option pour les
pauvres était celle que devait suivre le concile.
Mais bien vite les évêques oublièrent
cette orientation pour centrer leurs débats autour
de deux autres questions, aussi de grand
intérêt: la rénovation interne de
l'Église et le dialogue avec le monde moderne.
Ici, ils firent des apports importants. Dans l'ordre
interne ils posèrent les bases d'une
démocratisation de l'Église. Avec le temps,
ce programme resta lettre morte. Jamais n'a pu se
produire le "changement structurel de l'Église",
dont se faisait l'avocat le théologien Karl Rahner
dans un livre splendide ainsi intitulé, qui garde
la même actualité que quand il
l'écrivit il y 30 ans. Durant l'actuel pontificat
on a renforcé les pratiques autoritaires et la
structure hiérarchico-patriarcale de
l'Église et on a oublié le printemps
ecclésial de Vatican II
Les trois moments du processus,
pré-réforme, réforme,
contre-réforme, sont discernables dans l' attitude
adoptée par la hiérarchie romaine à
l'égard de théologiens mêmes qui
firent Vatican II. Dans l'encyclique Humani generis
(1950), comparable en intolérance et en
anti-modernisme au Syllabus, Pie XII condamne
sévèrement les théologiens qui
tentaient de développer leur réflexion
chrétienne en dialogue avec la modernité.
Il condamne l'évolutionnisme, les mouvements
historico-critiques, le retour aux sources du
christianisme, etc. Quelques uns d'entre eux sont
expulsés de leur chaire (Chenu, Congar, de
Lubac…). Et voilà les théologiens
mêmes, condamnés par Pie XII à cause
de Humani Generis appelés 10 ans plus tard par
Jean XXIII pour conduire et fonder théologiquement
la réforme de l'Église. Vatican II fut plus
un concile de théologiens que
d'évêques, en dépit d'une
importantissime dimension pastorale. Une partie des
contenus des documents de Vatican II sont extraits des
œuvres de Rahner, Häring, González Ruiz,
Chenu, Congar entre autres. Et pourtant ces
mêmes théologiens appelés par Jean
XXIII comme experts du concile, tombent sous la
suspicion durant le pontificat de Jean Paul II et
sont de nouveau condamnés, sans que, à ce
jour se soit produite leur réhabilitation. Le cas
le plus emblématique est celui de Hans Küng,
théologien de Jean XXIII et, presque quatre
lustres plus tard, expulsé de la chaire de
théologie de Tübingen! Une université
civile!
La réforme de Vatican II, enfin,
débouche sur son contraire: la
contre-réforme et la restauration de Jean Paul ll
et du cardinal Ratzinger avec la nécessaire
collaboration de l'Opus Dei et des nouveaux mouvements
religieux de tendance néo-confessionnelle.
2. RÉFORME DE L'ÉGLISE
D'AUJOURD'HUI
Un peu plus de quarante ans après Vatican II le
besoin se fait sentir d'une nouvelle Réforme qui
en reprenne l'esprit et aille au-delà, tentant de
répondre aux nouveaux problèmes. Je vais
présenter quelques unes des directions dans
lesquelles devrait avancer la Réforme de
l'Église aujourd'hui.
2.1. Démocratisation radicale de
l'Église
Le premier aspect est la démocratisation
radicale de l'Église. C'est un thème
prioritaire. La démocratisation radicale passe par
la démocratie représentative quoiqu'elle ne
s'y réduise ni s'y limite. Il me paraît
fondamental de prendre ceci en compte. Parce que, si
notre projet de démocratisation ne se traduit pas
en structures démocratiques concrètes, Il
faut parler ouvertement de démocratie à
l'intérieur de l'Église. De plus, c'est
Vatican II qui pose les bases pour les mettre en pratique
au chapitre 2 de la Constitution sur l'Église,
quand il définit celle-ci comme Peuple de Dieu.
Mais ce même concile doit être lu de
façon critique, parce que c'est dans ses propres
textes que se situe la contradiction. Si, au chapitre 2,
il parle du Peuple de Dieu, au suivant il
réaffirme la structure hiérarchique de
l'Église par volonté divine. A la fin de la
Constitution sur l'Église, le concile ratifie la
définition de l'infaillibilité du pape de
Vatican I, à la lumière de laquelle doivent
être interprétés les documents
conciliaires. (Ce fut une idée de Paul VI,
personnalité habitée par le doute, comme on
le sait, qui faisait un petit pas en avant et deux grands
pas en arrière). Il en résulte que les
documents cités, approuvés par tous les
évêques du monde, sont
interprétés et appliqués selon son
critère totalement personnel par le pape, qui a le
dernier mot. Le pape au-dessus du concile! Alors à
quoi bon un concile? Quelle autorité s'attache
à ses conclusions? Ainsi disparaît toute
possibilité de réforme.
A l'actif de Paul VI, il faut citer les encycliques
sociales innovatrices Populorum progressio et Octogesima
adveniens, mais à son passif il faut placer
Humanae Vítae, qu'il publia contre l'avis des
assesseurs mêmes comme Häring, et la fameuse
phrase ultramontaine : " La fumée de l'enfer est
entrée dans l'Église. "
En somme, Vatican II présente
l'Église comme peuple de Dieu, mais
n'établit pas de canaux pour que ce peuple exprime
son opinion, intervienne dans les décisions et
élise ses représentants. C'est un peuple
menotté, muet, sans voix ni vote. Les seuls qui
ont droit de vote sont les cardinaux, pour élire
le pape, et les évêques dans leurs
conférences épiscopales respectives, pour
en élire les responsables.
C'est pourquoi il faut donner un contenu concret
à la démocratie dans l'Église. Ce
contenu se traduit dans les priorités suivantes:
Créer un tissu communautaire de base. Le
tissu communautaire de base est aujourd'hui très
affaibli, tandis que croissent numériquement et se
renforcent les nouveaux mouvements religieux
néo-conservateurs de tendance spiritualiste
(Néo-catéchuménat, Communion et
Libération, Légionnaires du Christ..) Et ne
parlons pas de l'Opus Dei, qui contrôle les
coulisses du catholicisme officiel. Il est
nécessaire de continuer à créer des
réseaux communautaires chrétiens de base
engagés dans les divers lieux de marginalisation
et d'exclusion. Il faut entretenir, alimenter les
réseaux qui existent. Nous ne pouvons nous
contenter de maintenir ce qui est là. Il faut
chercher de nouveaux espaces où puissent surgir
des tissus communautaires avec une sève
nouvelle.
A partir de ce tissu il est nécessaire de
mettre en marche un processus conciliaire, dans la ligne
du programme du courant Somos Iglesia, qui a reçu
l'appui d'un collectif de 40 évêques en
majorité latino-américains. C'est une
des idées fondamentales que j'exposais dans
l'article " Un Concile pour le vingt et unième
siècle ". Nous ne pouvons demander un concile de
style traditionnel: célébré à
Rome, convoqué par le pape et avec la seule
participation des cardinaux, archevêques,
évêques et supérieurs religieux
majeurs. Cela renforce la structure hiérarchico-
autoritaire de l'Église. La mise en marche d'un
processus conciliaire requiert un mouvement communautaire
vivant et fort. Si celui-ci est faible, le processus
conciliaire sera contrôlé par la
hiérarchie et son prolongement, les mouvements
néo-conservateurs.. Il doit être un
processus constituant ou, si on veut, recréateur
de l'Église dans le nouveau contexte social et
culturel. Et avec capacité de décision. Il
faut récupérer la vieille thèse
conciliaire de quelques conciles du XVème
siècle. Le concile au-dessus du pape!
Le concile peut être un espace
privilégié de dialogue, de débat et
de confrontation entre tendances plurielles,
d'argumentation et de consensus, toujours dans le respect
du désaccord, qui a aussi ses droits; mais sans
exclusion.
La nécessité de
démocratiser l'Église naît de
l'égalité radicale de tous les
chrétiens et chrétiennes en tant
que fils et filles de Dieu, baptisés et
baptisées, disciples hommes et femmes. Dieu ne
discrimine pas selon le genre, la culture, l'ethnie ou la
classe sociale. Le baptême non plus, sacrement
d'inclusion et non d'exclusion. Par lui, chrétiens
et chrétiennes, nous avons tous et toutes la
même dignité. Tous les baptisés ont
un trait commun: ils suivent Jésus et sont ses
disciples. S'il devait y avoir quelque différence
entre eux, elle serait fonction de la radicalité
de l'engagement à la suite de Jésus, mais
non du statut ou du rang.
Cette égalité radicale implique
d'éliminer les oppositions sur lesquelles se
structure aujourd'hui l' Église.
Premièrement, l'opposition clercs-laïcs:
l'existence de clercs renvoie tout droit à
l'existence de laïcs comme subordonnés;
l'existence de laïcs renvoie à l'existence de
clercs comme ceux qui protègent les droits des
laïcs. Et cela est un piège, parce que les
clercs ne concèdent de droits ni ne les
protègent mais se les approprient et les
enlèvent aux chrétiens et
chrétiennes. J'ai toujours été
contre une théologie du laïcat, parce qu'elle
renvoie à une théologie du
clergé. L'opposition clercs-laïcs doit
être abolie parce qu'elle génère en
soi dépendance et subordination chez celles et
ceux qu'on appelle les "laïcs" et être
remplacée par le binôme
communauté-ministères.
Église enseignante-enseignée: une
seconde opposition à éliminer à la
racine. C'est une de celles qui m'indignent le plus parce
qu'elle part de l'idée que dans
l'Église il y a des personnes qui savent tout et
généralement coïncident avec ceux qui
commandent; aux évêques on donne le
titre de docteurs au moment de la consécration
épiscopale, quoiqu'ils ne soient pas même
licenciés; on voit que l'Esprit Saint, qui leur
arrive avec l'imposition de la mitre, leur souffle le
savoir, chose qui ne nous arrive pas à nous, le
commun des mortels, qui avons à étudier
beaucoup pour savoir un tout petit peu. Il y a des gens
qui ne savent rien et qui peuvent dire beaucoup à
ceux qui ont le bâton de commandement, même
s'ils sont docteurs. Selon cette division, il y a
une Église savante et une autre
analphabète. Et la seconde, il faut la
maintenir dans son ignorance parce que c'est le meilleur
moyen de la garder soumise. Le savoir donne le pouvoir,
et l'ignorance l'impuissance. Dans la communauté
chrétienne, tous nous apprenons et tous nous
enseignons. Dans l'Église il n'y a ni seigneurs ni
maîtres. Jésus défend d'appeler
quiconque seigneur et maître, si ce n'est Dieu. Il
dit que les premiers seront les derniers et que ceux qui
commandent doivent servir, en commençant par
donner eux-mêmes l'exemple.
La troisième opposition à
supprimer est celle de hiérarchie-peuple,
la plus enracinée peut-être dans
l'imaginaire collectif des chrétiens. Il s'agit,
également, d'une opposition contraire à
l'esprit et à la pratique du mouvement
égalitaire de Jésus.
La démocratisation de l'Église requiert
de maintenir toujours vivante la dialectique
consensus-dissentiment, sans diaboliser ceux qui
vivent, pensent et agissent d'une autre manière,
" incorrectement " - aux yeux de l'orthodoxie,
s'entend - ni absolutiser le point de vue officiel. La
dissidence et l'hétérodoxie ont aussi leurs
droits, et les dissidents ont le droit de les exercer
dans un climat de liberté. En outre, le droit au
dissentiment et à la dissidence est inscrit au
cœur même du christianisme. Il convient qu'il
y ait des hétérodoxes, recommandait saint
Paul. Dans le même sens s'exprime le philosophe
Ernst Bloch, qui ouvre son livre L'Athéisme dans
le christianisme avec un aphorisme qui pour moi s'est
converti en impératif catégorique: " Le
meilleur de la religion est qu'elle crée des
hérétiques. " Pas pour les brûler ou
les anathématiser mais pour tenir compte de leurs
points de vue. En effet ce qui dans un premier
temps est regardé comme déviation, est bien
des fois une vision anticipatrice de quelque chose qui
finit par recueillir l'acceptation
générale.
2.2 Elaboration d'une déclaration des droits
et devoirs des chrétiens et chrétiennes
dans la communauté.
Sans une déclaration et une
réglementation des droits humains, la
démocratie n'est pas possible. Et ce
déficit est un des plus graves de l'Église
catholique. Pourquoi une déclaration? Parce que
croyants et croyantes, nous sommes majeurs et adultes et
que nous avons des droits auxquels nous ne pouvons
renoncer, sauf à vouloir rester des mineurs
à vie dans le domaine de la foi. Dans une
communauté de frères et de sœurs comme
la communauté chrétienne, il faut
éliminer tout paternalisme, qui prolonge
indéfiniment l'état de minorité.
" Nous voulons les droits humains dans l'
Église, nous les voulons tous et nous les voulons
maintenant. " Ce pourrait être un bon
slogan revendicatif à exercer ensuite dans les
faits, même s'ils ne nous sont pas reconnus, parce
qu'ils sont inscrits dans la nature même de la
personne et de l'être chrétien et sont
inaliénables.
Il est nécessaire de retrouver la structure
charismatique et ministérielle de l'Église.
Les charismes et les ministères sont constitutifs
de toute l'Église et de toute la
Communauté. Et le critère à prendre
en compte pour leur exercice est le service et la
disponibilité. En aucun cas le genre ni la classe
sociale ni la culture ni la couleur de la peau ni la
provenance géographique. La communauté
chrétienne a besoin d'animateurs de la foi non de
hiérarques, de serviteurs non de
seigneurs, d'êtres humains adultes non de personnes
sacrées, de témoins de l'amour de Dieu
parmi nos semblables non de représentants
diplomatiques.
A la lumière de ces critères il faut
réviser les fondements théologico-bibliques
des actuels ministères ecclésiaux, et
surtout de ceux appelés " ordonnés ",
et de leur exercice, pour voir dans quelle mesure ils
répondent à l'esprit et à la
pratique de service des origines du christianisme. Il est
urgent de le faire pour ne pas considérer comme "
Révélation " ce qui est le fruit d'une
convention humaine d'une autre époque n'ayant rien
à voir avec la nôtre, ni pour donner pour
historiquement consolidé quelque chose qui est, je
crois, une déformation. De surcroît,
l'histoire ne saurait être l'argument
définitif pour maintenir des formes
déterminées de ministère qui sont
contraires au projet égalitaire de Jésus de
Nazareth.
2.3. Nouvelles formes de ministère
Il est nécessaire de réinventer de
nouvelles formes de ministère, dans
lesquelles on élimine les incompatibilités
comme " ministère et sexualité ", "
sacerdoce et vie en couple " et d'établir un autre
régime d'incompatibilités, par exemple,
entre " ministère et usure " (qui ne serait pas
mal venue dans quelques diocèses espagnols, comme
ceux de Valladolid, Bilbao...), " ministère et
rationalité économique
néo-libérale ", " ministère et
alliance avec le pouvoir ", " ministère et sexisme
"", etc. Actuellement, c'est sur les premières
incompatibilités qu'est mis l'accent, tandis que
les secondes sont considérées sans
importance. Or ce sont celles-ci et non celles-là
qui sont établies dans l'Évangile avec une
radicalité inusitée. Jésus dit qu'on
ne peut servir Dieu et l'Argent (Mammon, avec une
majuscule: l'argent converti en idole). Dans
l'Évangile il n'y a pas un seul interdit qui
empêche de jouir du corps, de la sexualité,
de l'amour.
2.4. Perspective de genre
La réforme de l'Église doit se faire
à partir de la perspective de genre. Sans elle
nous aurions une Église réformée,
démocratique, ouverte à la
modernité, engagée avec les pauvres, mais
en définitive patriarcale, où l'exercice du
pouvoir, l'interprétation des textes, la raison
théologique, la vérité seraient aux
mains des hommes selon la logique androcentrique,
considérée comme le canon de toute
logique.
L'analyse de genre est utilisée aujourd'hui
dans tous les champs de l'activité humaine, du
savoir et de la science, de la politique et de
l'économie, etc. La mondialisation est objet
d'étude selon la clé de genre, pour
démontrer que l'inégalité qu'elle
génère affecte plus les femmes que les
hommes. Au XXIIème Congrès de
théologie [de l'Association Jean XXIII,
ndtr] sur CHRISTIANISME ET MONDIALISATION il y eut
une conférence intitulée " Mondialisation
et inégalité dans la perspective de genre
". Les études du PNUD (Programme des Nations-Unies
pour le développement) sur la pauvreté et
le développement ont depuis longtemps
intégré la catégorie de genre.
Le lieu où cette variable s'applique le
moins est l'Église catholique. Il faut
commencer à le faire de façon normale tant
dans les études sociologiques et
théologiques que dans l'organisation même de
l'Église. Pourquoi? Non pour fomenter une guerre
pour le pouvoir entre les hommes et les femmes, ni pour
exclure quiconque. Tout au contraire: comme
catégorie inclusive.
L'utilisation de la catégorie de genre nous
conduit, en premier lieu, à reconstruire le
mode de penser androcentrique présent dans la
réflexion théologique et dans
l'organisation patriarcale (" kiriarchique ", comme dit
Elisabeth Schüssler Fiorenza) de l'Église
catholique. Une analyse du dogme de la Trinité,
central dans le christianisme à partir de la
catégorie de genre permet de découvrir que
nous sommes devant une doctrine patriarcale du
début à la fin. La doctrine catholique de
la Trinité est un exemple achevé du
patriarcat à l'état pur. En Dieu,
représenté comme masculin, il y a trois
personnes toutes trois masculines, Père, Fils et
Esprit Saint, même si en hébreu l'esprit
(ruah) est féminin. Zéro féminin
dans le mystère de la Trinité (là
peut-être gît le mystère!).
Tous les attributs que la vieille
théodicée et la théologie
traditionnelle appliquaient à Dieu étaient
des attributs de mâle: tout-puissant, omniscient,
créateur, omniprotecteur. Jésus est le fils
mâle du Dieu mâle et il ne peut être
représenté dignement que par des
mâles. Les titres attribués à
Jésus sont ceux du pouvoir de la lignée
masculine. De même les fêtes en son honneur:
Christ-roi, qui clôt l'année liturgique,
Jésus Christ-Prêtre Suprême et
Éternel Prêtre (Fête-Dieu). Et ainsi
de suite.
L'Esprit Saint, quoique représenté sous
la forme d'une colombe, est détenu dans
l'Église catholique par les mâles, qui
croient disposer de lui et le contrôler en
exclusivité. Ce sont les hiérarques
mâles qui discernent l'authenticité des
charismes, les manifestations de l'Esprit qui se donnent
chez les chrétiens et les chrétiennes.
Alors, l'Église se structure à l'image et
ressemblance de la Trinité. Le concile Vatican II
dans la Constitution Lumen gentium part
précisément de cette idée:
l'Église dans le mystère de la Très
Sainte Trinité.
2.5. Chemins d'inclusion des femmes
Le second temps est la reconstruction et l'inclusion.
Nous pouvons commencer par nous demander quels sont les
chemins incorrects d'inclusion des femmes dans une
Église démocratique. Il y a des
chemins inadéquats qu'il ne faudrait pas suivre et
des chemins adéquats par où il faudrait
passer. Parmi les inadéquats, il y en a deux.
L'accès des femmes au ministère
ordonné dans sa configuration patriarcale
actuelle: loin d'inclure les femmes dans la
communauté chrétienne, il pourrait
renforcer encore le modèle patriarcal
d'Église et de ministère. Il est
nécessaire de revoir de façon critique tant
le fondement théologique du ministère
ordonné que les formes de son exercice
aujourd'hui.
L'association faite entre la femme et la conception
classique du service. C'est un piège gros comme
une cathédrale. Pourquoi? Parce qu'on continue
à l'intérioriser, assumant et donnant pour
bon le stéréotype qui établit une
relation intrinsèque entre être femme et
servir, se sacrifier, prendre soin des autres, toutes
fonctions qu'on considère comme inhérentes
au fait d'être femme. Non, le service n'est pas un
charisme spécifique des femmes. C'est une fonction
commune aux hommes et aux femmes qui désirent
vivre dans la voie de Jésus, dans toute sa
radicalité.
Parmi les chemins adéquats pour l'inclusion
vient en premier la visibilité, qui doit
être à la base de tout projet
égalitaire dans la communauté
chrétienne. Ce qui ne se voit pas n'existe pas.
Si les femmes sont exclues de l'autel et de la chaire,
c'est parce que ce sont des lieux visibles,
représentatifs, significatifs, importants, lieux
d'autorité et de prestige, lieux de la parole. Et
les mâles clercs se refusent à les partager
avec les femmes, comme avec les mâles
laïcs.
Autre chemin adéquat, qui va avec la
visibilité: l'accès direct des femmes aux
textes fondamentaux de la foi, et d'abord à la
Bible, où l'on peut trouver des pratiques
véritablement en faveur de la libération de
la femme des entraves auxquelles elle se voit soumise
dans une culture androcentrique. La lecture de la Bible
selon une herméneutique du soupçon, en
clé de genre, fait émerger et venir
à la lumière tout ce qui dans la Bible est
occulté ou dissimulé ou que l'
herméneutique androcentrique a
éliminé. Ce que le texte biblique et les
interprétations postérieures ont
réprimé doit émerger. Et ce n'est
pas seulement la tache des femmes théologiennes
mais de théologiens et théologiennes
travaillant à la construction du nouveau paradigme
dans lequel il faut articuler la perspective de genre
avec d'autres perspectives comme l'ethnie, la classe, la
culture, la religion, etc. L'étude de la Bible, de
la théologie et de l'histoire de l'Église
à partir de la perspective de genre nous oblige
aussi à nous impliquer, nous autres mâles,
dans ce processus de déconstruction et de
reconstruction.
Autre chemin adéquat: l'entrée des
femmes dans les " ministères et charismes "
n'ayant pas de raison d'être " ordonnés ",
et encore moins contrôlés par des
mâles clercs. Les théologiens
représentant les institutions
ecclésiastiques ont l'habitude de se
réclamer de Jésus de Nazareth pour poser
limites sur ce point. Or ces limites ne
sont pas dues à Jésus de Nazareth. Elles
ont été imposées par les
hiérarques eux-mêmes. Les conditions
requises pour l'exercice des ministères et des
charismes dans la communauté chrétienne ont
à voir avec la disponibilité, la libre
option de la personne et la capacité de servir,
non avec le genre.
Le protagonisme et la capacité de
décision des femmes n'ont pas de raison
d'obéir aux normes et modèles patriarcaux.
Un exemple extraordinaire de liberté de
décision a été donné par un
couvent de sœurs bénédictines qui
décida démocratiquement de participer
à un congrès sur l'ordination des femmes,
alors que le Vatican le leur avait interdit.
Les décisions prises démocratiquement
par une communauté sont valides et au-dessus des
ordres supérieurs qui prétendent limiter la
liberté de décision. C'est le chemin
à suivre non seulement dans la vie religieuse mais
dans la vie et l'activité de toutes les
communautés chrétiennes.
2.5. Désoccidentalisation du christianisme
Il faut inculturer le christianisme dans les
différentes traditions culturelles ou il est
implanté. Aujourd'hui, le christianisme est
occidental. Dans le langage courant on parle
indistinctement de civilisation chrétienne et
d'Occident comme formant un tout. L'un et l'autre
sont interchangeables et difficilement séparables:
l'Occident est chrétien et le christianisme est
occidental. Et cela constitue une contradiction à
sa racine même, parce que le christianisme ne
naît pas comme religion occidentale mais
plutôt comme une religion orientale. Il s'est
désorientalisé et s'est
occidentalisé à l'extrême. Il en
subit une perte considérable
d'universalité.
Avec cette conception du christianisme,
l'évangélisation se convertit en un acte
d'expansion territoriale et de prosélytisme de la
culture et de la religion majoritaire d'Occident. Les
christianismes des autres aires culturelles sont
réduits à l'état de simple
succursale, de copie ou d'imitation de la foi
chrétienne telle qu'elle se pense,
s'élabore théologiquement et se vit en
Occident. Le véritable christianisme est
l'occidental. Qu'ensuite il y ait une église
chrétienne en Inde ou en Haïti, celle-ci doit
s'adapter au modèle d'église occidental. Et
plus elle s'adapte, plus elle est authentique.
Un des exemples les plus scandaleux de cette
occidentalisation fut -et demeure encore aujourd'hui- la
destruction des cultures et religions indigènes
menée jusqu'au bout par le christianisme au long
d'une bonne partie de son histoire en Asie, en
Amérique latine, en Afrique, etc. J'ai entendu
des prêtres indigènes d'Amérique
latine raconter comment, pour être ordonnés
prêtres ils durent passer par un processus de
désindigénisation. A l'entrée au
séminaire ils durent renoncer à leurs
croyances, à leurs rites, à leur culture,
parce que le christianisme colonial les
considérait comme superstitions. Ils
n'étaient ordonnés prêtres
qu'après avoir réussi à abandonner
leurs croyances et leur culture et après avoir
fait une déclaration d'adhésion
inconditionnelle aux croyances chrétiennes
entendues l'occidentale. Tout reste d'attitude
indigène était réprimé
jusqu'à ce qu'il n'en reste plus la moindre trace.
Et, quand ils récupérèrent
l'identité indigène, ils durent faire le
chemin inverse: se libérer des formes occidentales
du christianisme, reformuler et vivre la foi selon leur
clé culturelle propre.
Je crois nécessaire de mettre en question ce
modèle de christianisme occidental
parce qu'il n'est pas authentiquement universel mais
impérial. Pour cela il faut
commencer par critiquer sévèrement le vieux
concept de mission, derrière lequel se trouve un
projet colonisateur contraire à la liberté
de l'Évangile et au pluralisme religieux, qui est
un des faits majeurs de notre temps. L'attitude face
à ce pluralisme ne peut être l'imposition
des croyances d'une religion et d'une culture
déterminées à des communautés
qui possèdent une autre culture et vivent d'autres
religions, c'est le dialogue interculturel et
interreligieux. Il faut enterrer
définitivement les vieilles thèses de notre
ecclésiologie, comme le "hors de l'Église
point de salut", "l'Église catholique est l'unique
dépositaire de la vérité", "l'erreur
n'a pas de droits", "Jésus Christ est
l'unique médiateur de salut", encore
profondément enracinées dans l'imaginaire
collectif des chrétiens et très
présentes dans l'Église officielle. Si
c'est de "vérité" qu'il s'agit, il est
raisonnable qu'il y ait plus de vérité dans
toutes les religions que dans une seule. Si c'est de
"manifestations de Dieu" qu'il s'agit, avec l'histoire en
main on peut démontrer que Dieu s'est
révélé sous de multiples formes et
à travers une pluralité de
médiateurs.
Pour les chrétiens, le médiateur de
salut est Jésus de Nazareth le Christ
Libérateur, mais nous ne pouvons l'imposer aux
croyants des autres religions, pas plus qu'ils ne peuvent
nous imposer leurs médiateurs. Les attitudes
religieuses les plus cohérentes sont le respect
des croyances des autres, le dialogue entre croyants des
diverses traditions religieuses, la prière en
commun, le travail conjoint à des projets de
coopération à partir du critère
éthique de l'option pour les exclus, qui est
présent dans toutes les religions, dans le
débat théologique, etc. Il existe
déjà de très riches
expériences de spiritualité
interreligieuse, de théologies macro-
œcuméniques, de collaborations sur le terrain
social, etc. Cependant, ce n'est pas le chemin suivi par
le Vatican, qui condamne les théologiens,
théologiennes et les communautés
chrétiennes qui vivent leur foi chrétienne
et travaillent intellectuellement en dialogue avec
d'autres cultures et d'autres religions.
2.6. Localisation sociale correcte
La Réforme de l'Église implique de se
situer correctement, de savoir d'où on agit et
pour qui. La Réforme doit se réaliser
à depuis un lieu social déterminé.
Toutes les Réformes ont été
menées à bien à partir d'un lieu
social déterminé: le tournant constantinien
au IVème siècle est venu du pouvoir
politique, qui reconnut le catholicisme comme religion
protégée; la Réforme
grégorienne au Moyen-Âge, d'en haut, de la
papauté, pour affirmer le pouvoir papal face au
pouvoir impérial et au-dessus de lui. La
Réforme anglicane a eu lieu à partir de la
position privilégiée du monarque Henri
VIII. La Réforme protestante triompha, dans une
certaine mesure, avec l'appui des princes. Le lieu
d'où Vatican II entendit réformer
l'Église catholique est le Premier Monde.
Je crois que la réforme de
l'Église du XXIème siècle ne
doit venir ni de Rome ni de Wittenberg. Elle doit
se faire à partir du monde de l'exclusion dans
toutes ses dimensions: sociale, culturelle, ethnique,
religieuse, de genre, qui est le lieu social prioritaire
des chrétiens. Et elle doit se faire avec et dans
les mouvements qui luttent contre l'exclusion: mouvements
sociaux, mouvements de résistance globale,
mouvements des droits humains, mouvements des sans terre,
mouvements indigènes, etc.
Trad. H.Tournès [revue par
l'auteur] Le texte de cette conférence peut
être librement diffusé, l'auteur
souhaitant connaître la diffusion faite
Mail-to jjtamayo@terra.es