Encore
un théologien condamné par
le Vatican.
Claude Geffré
Révélée par Le Monde dans son
édition du 9 mai, la récente
mésaventure survenue à Claude
Geffré, l’un des théologiens
français les plus reconnus au niveau
international, met une fois de plus en
évidence la
véritable mise sous
tutelle de la théologie catholique par
les instances disciplinaires de l’Église
romaine. Deux jours avant de s’envoler pour la
République démocratique du Congo, où
il devait recevoir un doctorat honoris causa de la
faculté de théologie de Kinshasa, ce
dominicain spécialiste du dialogue des religions
s’est vu conseiller par le doyen de cette
faculté de rester à Paris. La
Congrégation romaine pour l’Éducation
catholique, dont le préfet, le cardinal
polonais Zénon Grocholewski, présidait
justement à Kinshasa un colloque sur « la
théologie et l’avenir des
sociétés », s’opposait en
effet à ce que le théologien reçoive
ce diplôme honorifique. « C’est à
la fois surprenant et blessant, confie Claude
Geffré. Je n’avais pas l’impression
d’être particulièrement mal jugé
par mes pairs. Les échos qui me sont parvenus sur
mon dernier livre (1) sont même très
positifs. »
L’intervention de la congrégation
pour l’Éducation catholique, après
consultation de la congrégation pour la Doctrine
de la foi, peut aussi être considérée
comme un camouflet pour la faculté de
théologie de Kinshasa et notamment son doyen,
Léonard Santedi Kinkupu, pourtant membre de la
Commission théologique internationale. Cet
aréopage de quarante spécialistes de haut
niveau est chargé, selon les termes officiels,
« d’aider le Saint-Siège, et
principalement la Congrégation pour la doctrine de
la foi dans l’examen de questions doctrinales
d’importance majeure ».
Recentrage idéologique
Qu’est-il précisément
reproché à Claude Geffré ?
Lui-même n’en sait officiellement toujours
rien. Contrairement à l’usage, le
Maître de l’Ordre dominicain dont
dépend le théologien n’aurait pas non
plus été avisé des raisons de cette
intervention de la congrégation pour
l’Éducation catholique. Mais on peut penser
qu’en ces temps de recentrage idéologique les
travaux de Claude Geffré sur le pluralisme
religieux ne plaisent guère au Vatican. Avec
d’autres théologiens, notamment africains ou
asiatiques, mais aussi le jésuite belge Jacques
Dupuis (habitué des avertissements de la
Congrégation pour la doctrine de la foi), Claude
Geffré a développé une
théologie qui distingue «
l’universalité du Mystère du Christ
», nullement remise en cause, et «
l’universalité du christianisme comme
religion historique ».
En d’autres termes : sans renoncer à la
validité de la médiation du Christ pour
toute l’humanité, il faudrait admettre
l’idée d’une certaine relativité
du christianisme historique tel qu’il existe et a
existé, et accepter de le mettre à
l’épreuve, notamment dans le dialogue avec
d’autres cultures et religions. L’idée
n’a rien en soi d’hérétique et
s’inscrit dans le droit fil de Vatican II. Mais elle
détonne par rapport au positionnement romain, et
en particulier celui de Benoît XVI, qui, inquiet du
risque « relativiste », n’a de cesse
d’insister sur l’unicité de la
Vérité, nécessairement portée
hier et aujourd'hui par l’Église catholique,
apostolique et romaine.
Mondialisation
L’enjeu n’est pas seulement théorique.
L’universalité inhérente à la
nature même du christianisme peut-elle
prévaloir à travers un modèle
unique, ultra-centralisé et finalement très
européen du catholicisme? A l’heure de la
mondialisation et des recompositions culturelles qui
l’accompagnent, cette question, que pose
indirectement, avec d’autres, Claude Geffré,
semble donner le vertige aux responsables du Vatican.
(1) De Babel à Pentecôte, essais de
théologie religieuse, Le Cerf, 2006
Claude Geffré, o.p.
La prétention du
christianisme à l'universel: Implications
missiologiques
Dans le concert des religions du
monde, le christianisme semble faire figure
d’exception. Non seulement, comme toute religion, il
prétend à une certaine universalité
dans la mesure où il propose un message de salut
qui s’adresse à tout être humain. Mais
son message est nécessairement universel dans la
mesure où il se réfère tout entier
à la médiation historique de Jésus
Christ qui coïncide avec l’irruption de
l’Absolu même qui est Dieu. Aucune autre
religion n’a la prétention de se
réclamer d’un fondateur qui n’est pas
seulement un prophète, un envoyé de Dieu ou
un médiateur mais le Fils même de Dieu. Si
depuis les origines, l’Église vit avec la
conscience d’une mission universelle à
l’égard du monde entier, ce n’est pas
seulement par obéissance à l’ordre de
mission de Jésus : "Allez donc : de toutes les
nations faites des disciples, les baptisant au nom du
Père, du Fils et du Saint Esprit...". C’est
parce qu’elle ne peut pas faire autrement que
d’annoncer qu’en Jésus de Nazareth, le
Règne de Dieu est advenu pour tout être
humain.
Aucun chrétien ne peut
contester la vocation universelle de
l’Église. Mais nous savons mieux
aujourd’hui que nous ne devons pas nous
réclamer trop vite de l’universalité
du salut en Jésus Christ pour justifier la
prétention universaliste du christianisme comme
religion historique. Une telle prétention
n’est pas seulement un obstacle à un dialogue
loyal sur un plan d’égalité avec les
autres religions du monde. Elle contredit notre nouvelle
expérience de la particularité
chrétienne.
À la fin du XIXème
siècle, aux beaux temps du colonialisme, certains
responsables d’Église croyaient
sincèrement que le christianisme balayerait
progressivement les autres religions. Or nous constatons
que de grandes religions comme l’islam et les
religions de l’Orient demeurent vivantes et
même se renouvellent, sans parler de leur
séduction nouvelle auprès des populations
du premier monde, Europe et Amérique du Nord. Un
pluralisme religieux apparemment insurmontable constitue
le principal défi pour l’Église au
seuil du troisième millénaire. Et
même si, grâce à un réseau de
communication toujours plus performant,
l’Évangile est porté à la
connaissance de tout être humain, la mission de
l’Église est loin de connaître un
succès mondial. Comme le disait Jean Paul II dans
l’encyclique Redemptoris missio : "Au terme du
deuxième millénaire, un regard
d’ensemble sur l’humanité montre que la
mission de l’Église en est encore à
ses débuts". S’il est vrai que la
mondialisation constitue une chance pour la mission de
l’Église, il est incontestable aussi que les
hommes de notre temps ont une conscience beaucoup plus
vive de la relativité historique du christianisme
alors qu’ils connaissent mieux les richesses des
autres traditions religieuses.1 Et il convient
d’ajouter que cette conscience de la
relativité historique du christianisme
coïncide avec un recul de la civilisation
occidentale dans le monde. Alors que durant des
siècles la culture dominante du christianisme fut
celle du monde gréco-romain, nous sommes
aujourd’hui les témoins d’un nouvel
âge de l’Église
caractérisé par un polycentrisme culturel
de plus en plus effectif.2
Jusqu’ici, je n’ai fait
que restituer la nouvelle expérience historique de
l’Église au début du XXIème
siècle. Mais c’est pour des motifs proprement
théologiques que la prétention à
l’universel du christianisme fait l’objet
d’un débat crucial. Comment comprendre cette
universalité alors que depuis Vatican II
l’Église porte un jugement positif sur les
autres traditions religieuses et discerne en elles des
semences de bonté, de vérité et
même de sainteté ? Le concile ne va pas
jusqu’à désigner les religions non
chrétiennes comme des "voies de salut", mais il
nous dit clairement que l’Église "regarde
avec un respect sincère ces manières
d’agir et de vivre, ces règles et ces
doctrines qui, quoiqu’elles diffèrent en
beaucoup de points de ce qu’elle-même tient et
propose, cependant apportent un rayon de la
vérité qui illumine tous les hommes"
(Nostra aetate, n° 2).
Dans les quelques réflexions
qui suivent, il s’agira de prendre au sérieux
la particularité historique du christianisme et
donc sa relativité sans renoncer à sa
vocation universelle, mondiale, catholique. Comme nous
aurons l’occasion de le vérifier, la
véritable universalité s’enracine
toujours dans une particularité concrète.
Ce qui est vrai dans l’ordre de la culture
l’est aussi dans l’ordre du religieux. Nous
commencerons par porter un regard rétrospectif sur
les prétentions à l’universel de
l’Église du passé. Nous pourrons
ensuite à la lumière des plus
récents développements de la
Théologie des religions établir les
discernements nécessaires entre
l’universalité du Christ lui-même et
l’universalité du christianisme comme
religion mondiale. Il faudra alors
réfléchir sur les formes et le style de la
mission. La mission permanente de l’Église,
c’est d’annoncer que Dieu sauve tout homme en
Jésus Christ. Mais cette vocation universelle
s’accomplit selon des modalités nouvelles.
L’Église doit continuer à annoncer
Jésus Christ tout en témoignant de
l’avènement du Règne de Dieu hors de
ses frontières.
La prétention
chrétienne à l’universel à
l’épreuve de l’histoire
Il n’est pas question de
survoler vingt siècles de christianisme pour
dénoncer après bien d’autres les
fausses prétentions à l’universel dont
l’Église a pu se rendre coupable. Il
s’agit d’essayer de comprendre comment,
contrairement au message évangélique sous
le signe de la gratuité du don de Dieu, le
christianisme historique a pu véhiculer ce que
l’on peut appeler une "idéologie unitaire",
c’est-à-dire la volonté d’imposer
comme universelle la vérité absolue dont il
est le témoin et de réaliser dès
ici-bas l’unité du Règne de Dieu et de
l’histoire profane.3 Aujourd’hui même, on
ne peut apprécier la portée de la mission
universelle de l’Église qu’à la
lumière d’une réflexion sur les
rapports de l’Église et de l’histoire.
Comment affirmer une efficacité du christianisme
dans l’histoire ou encore une responsabilité
de l’Église dans le monde et maintenir en
même temps la gratuité du message
chrétien?
On ne peut réfléchir
sur les rapports de l’Église et de
l’histoire sans évoquer le messianisme
chrétien qui n’a de sens que par rapport au
messianisme paradoxal de Jésus qui est à la
fois en continuité et en rupture avec le
messianisme d’Israël.4 Ce dernier
désigne l’ensemble des croyances relatives
à la venue d’un Messie envoyé par Dieu
qui rétablira la justice, la paix et
l’innocence première. Quoiqu’il en soit
de l’attente eschatologique d’un Royaume de
justice et de paix qui dépasse l’horizon de
cette histoire, le messianisme juif est un messianisme
royal et même nationaliste. Jésus va prendre
ses distances par rapport à des attentes
terrestres trop immédiates : la restauration du
royaume d’Israël. Au lieu d’un messianisme
politique, terrestre et nationaliste, il veut instaurer
un messianisme spirituel, céleste et universel.
Mais les choses ne sont pas si simples. Même si son
Royaume n’est pas de ce monde, il veut anticiper le
Règne de Dieu ici-bas grâce au
témoignage rendu à
l’Évangile.
Comme pour souligner
l’ambiguïté du messianisme qui se
réclame de Jésus, on constate qu’au
long de l’histoire de l’Église les
figures historiques du messianisme chrétien ont
été très diverses. Alors que le
messianisme désigne une puissance qui travaille
à la transformation du monde et de
l’histoire, la tendance dominante du christianisme
durant des siècles fut plutôt
d’affirmer la doctrine du mépris du monde
(contemptus mundi)5 et de conclure à la
vanité d’une histoire vouée à
la perdition. À la suite de certains historiens,
on peut distinguer quatre figures historiques du rapport
de l’Église à l’histoire : le
millénarisme, la chrétienté, le
dualisme et le messianisme.6
Le millénarisme ou la
croyance en un retour du Christ pour un règne de
mille ans conjugue l’espérance messianique
d’Israël avec une visée
résolument universaliste.7 En dépit de la
naïveté de ses représentations, le
millénarisme est réapparu plusieurs fois
durant les trois premiers siècles de
l’Église naissante. Il était
l’expression de l’idéologie
spontanément universaliste du groupe Église
qui se réclamait de la royauté du Christ
sur le monde. Il est plus important de
s’arrêter sur deux tournants historiques
importants du point de vue du rapport entre le
messianisme de Jésus et l’histoire, à
savoir ce qui commence avec la conversion de Constantin,
c’est-à-dire l’idéal de la
chrétienté et ce qui s’inaugure avec
le concile de Vatican II qui aura lui-même deux
issues assez différentes que l’on peut
caractériser comme le dualisme et le messianisme
.
Le rêve de la
chrétienté
Au début du IVème
siècle, la conversion de Constantin inaugure un
nouveau destin historique du christianisme, ce que
l’on a pu appeler le Césaro-papisme (un
unique Dieu, un empereur, un empire qui coïncide
avec les frontières de l’Église).
Grâce à cet événement
contingent de la conversion, l’Église a
conscience de pouvoir réaliser le rêve du
prophétisme biblique et du messianisme
chrétien : établir le Règne de Dieu
dans les chemins de l’histoire et réaliser
l’unité du monde et de l’histoire sous
la royauté du Christ ressuscité. Il y a
donc une coïncidence providentielle entre le
Règne de Dieu annoncé et le mouvement
effectif de l’histoire. La prétention
à l’universel du christianisme se
vérifie et l’idéologie unitaire qui va
hanter la mémoire de l’Église durant
des siècles se met en place.
L’empereur converti introduit
la loi du Christ comme loi de la nouvelle
société politique. Le christianisme est
promu comme religion d’État et le pouvoir qui
avait jusqu’ici persécuté les
chrétiens se met au service de leurs
idéaux. La raison politique se fait
l’alliée de l’Évangile pour
établir une société fraternelle qui
soit comme l’anticipation de la Jérusalem
future. L’Église comme société
parfaite constitue le modèle auquel doit se
référer toute société humaine
et tous les aspects de la vie humaine sont
subordonnés à une fin religieuse.
C’est entre le XIème siècle et le
XVème (de Grégoire VII aux papes
d’Avignon) que la chrétienté
occidentale atteint son apogée.
Malgré les effets
bénéfiques de la chrétienté
dans le sens d’une humanisation de l’homme et
d’une certaine fraternité, les
résultats de la chrétienté demeurent
très ambigus.8 On aboutit à une confusion
de la société civile et de la
société religieuse qui ne respecte pas la
libre autonomie de chacun dans le domaine religieux.
Quand la politique des empereurs favorisait
l’unité et l’expansion de
l’Église, les évêques trouvaient
tout naturel d’user du bras séculier contre
les hérétiques et les schismatiques.
Puisque la vérité absolue
révélée en Jésus Christ est
nécessaire au salut de tout homme, tous les moyens
sont bons pour maintenir ces hommes dans la
vérité ou les contraindre d’y
adhérer. On voit ici poindre
l’idéologie de la vérité
obligatoire au détriment des droits de la
conscience.
Il convient d’ajouter que dans
la perspective de la chrétienté, il y a une
telle survalorisation du salut des âmes dans un
salut au-delà de l’histoire que cette
dernière n’est pas vraiment prise au
sérieux dans son autonomie : elle est
privée de toute capacité messianique. On
aboutit à un messianisme spirituel qui
s’accommode très bien de la violence de
l’histoire. La doctrine dite du "mépris du
monde" d’origine monastique l’emporte sur toute
spiritualité adaptée à ce que peut
être un état de vie dans le
monde.
Avec la Révolution
française et l’abolition de l’Ancien
Régime, il y eut une remise en cause radicale de
l’idéal de la chrétienté. Mais
en fait durant tout le XIXème siècle, on
assiste à des mouvements de restauration qui
continuent de trouver dans l’idéal de la
chrétienté médiévale et son
idéologie universaliste un point de
référence obligée. Qu’il
suffise d’évoquer les erreurs
condamnées par le Syllabus de Pie IX en 1864. Les
libertés modernes sont rejetées et
l’idée d’une société
laïque complètement indépendante de
l’Église apparaît comme une trahison de
la foi et une subversion de l’idéal
d’une union de l’Église et du monde sous
l’unique royauté du Christ.
Le tournant de Vatican
II
Déjà dans les
années 50, aux États-Unis et dans les
démocraties occidentales, on décèle
la recherche d’une nouvelle forme de présence
de l’Église à la société
qui remette en cause l’idéologie unitaire, en
particulier l’idée même d’une
société chrétienne comme forme
nécessaire de la relation entre
l’Église et l’histoire. Mais c’est
Vatican II, surtout dans les deux grands textes de Lumen
gentium et de Gaudium et spes et dans La
Déclaration sur La liberté religieuse, qui
consacre la fin de la chrétienté et qui
définit un nouveau rapport de l’Église
avec l’histoire profane. 9
D’une part,
l’Église n’est plus définie comme
Societas perfecta mais comme un Peuple en marche vers le
Royaume. On insiste moins sur la dimension juridique et
sociétaire de l’Église que sur sa
dimension sacramentaire et exodale. D’autre part,
l’Église reconnaît l’autonomie de
la société et l’indépendance du
pouvoir politique par rapport au pouvoir religieux. On
renonce à l’idéal d’une
cité chrétienne et pour la première
fois on accepte l’idée d’une
société civile comme société
laïque, démocratique et pluraliste. On
renonce à l’idée même d’un
statut privilégié accordé au
catholicisme comme religion d’État.
Société pluraliste dit
nécessairement pluralité des opinions, des
croyances et respect de la liberté de conscience
et de la liberté religieuse.
Vatican II inaugure ainsi un
nouveau rapport entre le Christ toujours vivant et
l’histoire. Alors que depuis Augustin,
l’Église portait un jugement pessimiste sur
l’histoire profane comme histoire de la perdition,
on commence à reconnaître l’autonomie
de l’histoire universelle dans sa différence
avec l’histoire sainte. L’Église
n’est pas l’unique productrice de sens dans
l’ordre religieux, moral et culturel.
L’histoire laissée à elle-même
est porteuse de sens et elle pose des questions à
l’Église. Dieu parle aux hommes non seulement
par l’Écriture et par les grands textes de la
tradition dogmatique, mais par les ‘signes des
temps’. L’Église doit donc être
dans une attitude d’écoute et de dialogue.
"L’Église n’ignore pas tout ce
qu’elle a reçu de l’histoire et de
l’évolution du genre humain"(GS 26). La
mission de l’Église est de témoigner
de la Bonne Nouvelle et de la venue du Règne sans
exercer un pouvoir direct sur les
sociétés.
Mais en fait, cette prise au
sérieux de l’histoire dans son autonomie,
c’est-à-dire une histoire qui a son sens en
elle-même et qui dénonce
l’idéologie universaliste de la
chrétienté, va avoir à
l’époque moderne deux issues très
différentes que j’ai déjà
désignées comme le dualisme et le
messianisme.
1. Le dualisme
On se félicite avec une
certaine complaisance de la distinction du temporel et du
spirituel, du séculier et du spécifique
religieux chrétien, de l’histoire profane et
de l’histoire du salut, de l’Église et
du monde. C’est le beau temps des théologies
optimistes du travail et des réalités
terrestres. C’est le succès aussi de ce
qu’on a appelé la "théologie de la
sécularisation", c’est-à-dire
d’une théologie qui non seulement accepte la
sécularisation moderne comme un fait
inéluctable mais qui en donne une justification
à partir de la doctrine biblique de la
création et d’une théologie de
l’incarnation.10 La sécularisation moderne ne
serait que l’aboutissement du mouvement de
désacralisation dont les prophètes
d’Israël ont été les initiateurs
contre toute forme de sacré et
d’idolâtrie. Cette théologie qui est un
héritage lointain de la doctrine protestante des
deux Règnes risque d’aboutir à une
privatisation du christianisme et à une
hypertrophie de l’intériorité comme
seul lieu d’avènement du Règne de
Dieu. L’histoire concrète est
abandonnée à elle-même et on se
méfie de tout messianisme chrétien comme
nouvelle version de l’idéologie universaliste
du temps de la chrétienté. En fait,
l’histoire a perdu son effectivité
messianique et on peut se demander si à
l’époque moderne, surtout en Europe, la
sécularisation ne consacre pas l’échec
historique du christianisme en tant que dynamisme
effectif sur le cours de l’histoire.
2. Le messianisme
L’autre issue de Vatican II,
c’est le messianisme ou plutôt la
redécouverte du messianisme. Il y a eu
déjà tout au long de l’histoire des
mouvements proprement messianiques,
c’est-à-dire des courants spirituels qui
croient à une transformation de l’histoire
à partir de l’utopie chrétienne
d’une fraternité universelle, comme certaines
communautés monastiques, les frères du
libre Esprit ou au XIIème siècle le
mouvement inspiré par Joachim de Flore. Mais au
XXème siècle, ce sont les théologies
de la libération nées en Amérique
latine et qui ont de plus en plus des versions
parallèles en Afrique et en Asie qui ont
contribué à une redécouverte de la
dimension messianique du christianisme. Elles refusent le
dualisme aussi bien dans sa version pessimiste,
c’est-à-dire une condamnation du monde et une
indifférence à l’histoire profane au
nom d’une conception purement spiritualiste et
eschatologique du salut, que dans sa version optimiste
comme les théologies modernes de la
sécularisation qui se réfugient dans une
conception privée du christianisme. Sous
prétexte que l’Église ne fait pas de
politique, on insiste uniquement sur la conversion
individuelle et on néglige la dimension sociale et
politique de l’Évangile qui ne
s’accommode pas de n’importe quelles structures
injustes.
En insistant sur la dimension
messianique du christianisme, les théologiens de
la libération prétendent prolonger la
prédication des prophètes
d’Israël qui affirmaient que l’oppression
n’est pas une fatalité historique mais un
produit de l’histoire. Le messianisme de
Jésus est un messianisme paradoxal parce que
s’il renonce aux visées nationalistes du
messianisme d’Israël, il n’aboutit pas
pour autant à un messianisme purement spirituel.
La prédication de Jésus l’a conduit
à la mort parce qu’il a été
fidèle à l’image d’un Dieu
libérateur qui déloge les puissants de leur
trône et exalte les faibles. La libération
historique des hommes est donc une partie
intégrante du salut. Il faut chercher une
articulation entre l’histoire et le Royaume mais en
renonçant à la prétention d’une
domination universelle de l’Église sur son
environnement social et politique. Par le
témoignage des chrétiens et de tous les
hommes de bonne volonté, l’histoire
concrète peut devenir une anticipation du
Règne de Dieu qui vient.
Ce détour par
l’histoire n’était pas inutile pour
dénoncer l’illusion d’une fausse
universalité du christianisme qui est tout
à la fois contraire à la pratique de
Jésus, qui se relativise par rapport au Royaume
qu’il annonce et qui révèle un Dieu
différent de l’idée commune de Dieu,
celle qui peut servir de caution à une
idéologie unitaire. Nous avons vu comment le
rêve de la chrétienté quant à
un contrôle autoritaire de toutes les
sphères sociales, politiques et morales de la
société s’est effondré à
la fois sous le choc de la Réforme et de la
division de l’Église et sous l’effet de
l’émancipation politique et culturelle qui
coïncide avec l’avènement de la raison
moderne. Ce deuil d’une ambition universaliste ne
doit pas conduire à la marginalisation de
l’Église et à un renoncement à
sa vocation missionnaire. Mais avant de voir comment ce
nouveau destin du christianisme dans le monde nous invite
à inventer un nouveau style de la présence
de l’Église dans le monde, il nous faut
encore réfléchir théologiquement
à la particularité historique du
christianisme dans son rapport au mystère du
Christ. C’est toujours dans et à partir
d’une particularité concrète que
l’on peut vérifier la catholicité du
christianisme comme religion mondiale.11
Universalité du
mystère du Christ et particularité
chrétienne
L’Église catholique
n’a pas attendu Vatican II pour dépasser une
interprétation rigoureuse du fameux adage : "Hors
de l’Église pas de salut".12 La plupart des
théologiens ont donc rejeté un
ecclésiocentrisme étroit pour adopter un
inclusivisme christologique qui était
déjà sous-jacent à plusieurs textes
du concile au moins sous la forme de ce qu’on
appelle la théologie de l’accomplissement.13
Le Christ porte à leur accomplissement les valeurs
positives dont les autres traditions religieuses peuvent
déjà être porteuses. Mais pour faire
droit aux exigences du pluralisme religieux et pour
favoriser un dialogue sur un plan
d’égalité entre le christianisme et
les autres religions, on constate une tendance largement
répandue à prendre ses distances à
l’égard d’un christianocentrisme trop
affirmé. Surtout en Asie, face aux
difficultés de la mission et en fonction
d’une meilleure connaissance de la richesse du
patrimoine spirituel des grandes religions de
l’Orient, certains théologiens sont
tentés d’adopter une position dite pluraliste
qui coïncide avec un théocentrisme radical
selon lequel toutes les religions tournent autour de ce
soleil qu’est la Réalité
dernière de l’univers, qu’on la nomme
Dieu ou non.14
Il semble que le seul moyen de
désabsolutiser le christianisme comme religion
universelle de salut et de prendre au sérieux la
portée salutaire des autres religions soit de
remettre en question l’universalité du salut
en Jésus Christ. Et puisque c’est en tant
même que Verbe fait chair que Jésus est
l’unique médiateur entre Dieu et les hommes,
on interprétera le langage de l’incarnation
comme un langage métaphorique pour désigner
l’ouverture exceptionnelle de Jésus à
Dieu. Sans aller jusque là, certains
théologiens rappellent que Dieu seul sauve et que
puisque Dieu travaille au salut de tous les hommes
à travers d’autres médiations que le
Christ, il faut renoncer à considérer le
Christ comme la cause exclusive et constitutive du salut
de tous les hommes.15
On doit observer tout de suite
qu’il est possible de maintenir avec toute la
tradition l’universalité du salut en
Jésus Christ et donc de professer un inclusivisme
constitutif tout en défendant un pluralisme
inclusif qui respecte ce que chaque tradition a de propre
dans l’ordre du salut. Il ne faut donc pas confondre
l’universalité du Christ et
l’universalité du christianisme. Depuis le
concile, la théologie est prête à
reconnaître la portée salutaire des autres
religions, mais pour autant que celles-ci ont un lien
secret avec cette voie spéciale et unique
qu’est la médiation du Christ. Je parlerai
volontiers avec d’autres théologiens de
médiations dérivées .
L’enseignement de l’encyclique Redemptoris
missio est explicite à cet égard : "Le
concours de médiations de type et d’ordre
divers n’est pas exclu, mais celles-ci tirent leur
sens et leur valeur uniquement de celle du Christ et ne
peuvent être parallèles et
complémentaires" (n° 5). Et comme je le
montrerai plus loin, cette prétention
chrétienne n’a rien d’insultant pour les
autres traditions chrétiennes car elle respecte la
part d’irréductible de chaque religion que
nous ne sommes nullement contraints de considérer
comme de l’implicite ou de l’anonyme
chrétien.
Finalement, ce n’est pas en
édulcorant le scandale de l’incarnation et la
portée centrale de l’événement
Jésus Christ pour le salut de tout homme que nous
favoriserons le dialogue interreligieux et que nous
manifesterons le mieux le caractère non
impérialiste de l’universalisme
chrétien. Au moment même où nous
confessons que Jésus Christ est l’unique
source du salut, c’est le paradoxe même de
l’incarnation, c’est-à-dire la
manifestation de l’Absolu dans et par une
particularité historique qui nous invite à
ne pas absolutiser le christianisme comme voie exclusive
de salut. Nous sommes devenus très sensibles
à la particularité historique du
christianisme au sein des religions du monde alors que la
prétention universaliste du christianisme
n’est pas vérifiée historiquement.
Mais il faut comprendre cette particularité dans
la logique même du mystère de
l’incarnation. Le christianisme est
congénitalement une religion dialogale.16 Ce
n’est pas une question de tolérance à
l’âge du dialogue interreligieux. C’est
une question de nature.... Je voudrais le manifester
rapidement en référence au paradoxe de
l’incarnation, au scandale de la croix et en
renouvelant notre compréhension de
l’accomplissement en Jésus Christ de toute
l’histoire religieuse de
l’humanité.
Le paradoxe du Christ comme
universel concret
Pour écarter une fausse
compréhension de l’universalisme
chrétien, il faudrait déployer toutes les
implications du mystère de Christ compris comme
Universel concret pour reprendre la belle expression de
Nicolas de Cuse. Depuis les temps apostoliques, nous
confessons Jésus comme Christ,
c’est-à-dire comme Messie Fils de Dieu. Mais
nous maintenons la distance entre Jésus et son
Père, c’est-à-dire nous prenons au
sérieux la particularité historique de
l’humanité de Jésus comme icône
du Dieu invisible. Jésus est bien la figure
absolue de l’amour de Dieu. Mais Dieu ne peut se
manifester qu’en termes non divins, dans
l’humanité concrète et contingente
d’un homme particulier. Conformément à
l’affirmation très forte de saint Paul, "En
lui habite toute la plénitude de la
divinité, corporellement" (Col 2,9), nous croyons
que la plénitude de Dieu habite en Jésus.
Mais cette identification de Dieu en Jésus nous
renvoie à l’identification de Dieu en
lui-même qui demeure un mystère
inaccessible. Selon notre manière imparfaite de
connaître, l’humanité
particulière de Jésus de Nazareth ne peut
être la traduction adéquate des richesses
contenues dans la plénitude du mystère de
Dieu. Ou alors, Jésus ne serait déjà
plus une icône mais une idole. En d’autres
termes, en référence à la
règle d’or de Chalcédoine, sans
confusion ni séparation, nous ne pouvons pas
confondre l’élément historique et
contingent de Jésus et son élément
christique et divin.
Comme Ernst Troeltsch au
siècle dernier, Paul Tillich a cherché
à prendre ses distances à
l’égard d’une conception absolutiste du
christianisme de type hégélien. Mais il ne
le fait pas au nom de l’histoire des religions, il
le fait au nom même du paradoxe de la foi. Le
paradoxe absolu consiste dans le ‘non’ absolu
et le ‘oui’ absolu que Dieu prononce sur la
même personne. Cela se vérifie dans le cas
de la personne même du Christ et dans le cas du
christianisme comme religion de la
révélation parfaite et finale de
Dieu.
La personne de Jésus comme
manifestation historique du Logos invisible et universel
réalise l’identité entre
l’absolument universel et l’absolument
concret.17 Le paradoxe consiste en ce que le Christ comme
être pleinement historique est dans une union
indéfectible avec Dieu alors que l’histoire
est sous le signe de la chute et de la séparation
avec Dieu. L’intérêt de la
démarche de Tillich qui est indissociable de sa
doctrine christologique sur Jésus comme New Being
est de montrer que loin d’être contraire
à sa portée universelle, c’est la
particularité historique de
l’événement Jésus de Nazareth
qui en est la condition de possibilité. Non
seulement le Christ donne son sens à
l’histoire mais il la porte : il est au centre de
l’histoire comme événement de salut
universel.
Cette loi du paradoxe absolu se
vérifie aussi dans le christianisme comme religion
de la révélation finale sur Dieu. Toute
particularité historique dans sa prétention
à l’inconditionnel est sous le jugement de
cet inconditionnel qui est Dieu. Le paradoxe consiste
à affirmer que puisque le christianisme
prétend être la religion de la
révélation parfaite sur Dieu, il exclut
toute inconditionnalité de la part d’une voie
de révélation particulière à
commencer par la sienne propre. C’est justement
parce que le christianisme revendique à juste
titre d’être la religion de la
révélation finale qu’aucun des
christianismes historiques depuis vingt siècles ne
peut prétendre définir l’essence du
christianisme comme religion de la
révélation dernière sur Dieu. Cette
vision audacieuse nous aide à dépasser une
prétention naïve du christianisme qui se
réclamerait de l’absolu de Jésus
Christ pour revendiquer le monopole de toute
vérité religieuse sur le mystère de
Dieu et la relation de l’homme à Dieu. On
rejoint ainsi la vision traditionnelle des Pères
de l’Église qui considéraient
l’économie du Verbe incarné comme le
sacrement d’une économie plus vaste, celle du
Verbe éternel qui coïncide avec
l’histoire religieuse de
l’humanité.
Un christianisme sous le signe
de la kénose de Dieu
Le paradoxe du Christ comme
l’unité de l’absolument universel et de
l’absolument concret ne prend sa signification
ultime qu’à la lumière d’une
théologie de la Croix.18 Le Christ n’a pas
gardé jalousement son égalité avec
Dieu mais il s’est dépouillé en
prenant la condition de serviteur et il s’est
abaissé jusqu’à la mort sur une croix
(Phil 2, 6-8). La croix a une valeur symbolique
universelle. Elle est le symbole d’une
universalité toujours liée au sacrifice
d’une particularité. Jésus meurt
à sa particularité juive pour
renaître par la résurrection en figure
d’universalité concrète, en figure de
Christ. Le Christ ressuscité libère la
personne de Jésus de Nazareth d’un
particularisme qui l’aurait fait la
propriété d’un groupe particulier, la
première communauté de ses
disciples.
Ce mystère de la
kénose donne sa note distinctive au christianisme
parmi les religions du monde et nous aide à
exorciser tout venin d’absolutisme dans sa
prétention légitime à
l’universel. C’est le tombeau vide,
l’absence du fondateur qui a permis
l’avènement du corps de l’Église.
De même qu’il n’y a pas
d’expérience chrétienne sans
conscience d’une Origine absente, il n’y a pas
de pratique chrétienne sans conscience d’un
manque qui est la condition d’un rapport à
l’autre, à l’étranger, au
différent.19
Cette dialectique de la
particularité et de son dépassement par
l’ouverture à l’autre nous permet de
repenser l’articulation entre le message
chrétien et la pluralité des traditions
religieuses et culturelles. À l’encontre de
tout impérialisme dans l’ordre de la
vérité et de l’expérience
religieuse, il s’agirait pour chaque
communauté chrétienne et pour le
christianisme tout entier d’être le signe de
ce qui lui manque. L’expérience
chrétienne ne se substitue pas aux autres
expériences humaines authentiques qu’elles
soient religieuses ou non, mais elle leur confère
un sens inédit. L’identité
chrétienne coïncide avec
l’expérience d’une
Altérité, celle de Dieu et
l’altérité de toute autre
vérité ou pratique qui n’est pas
déjà englobée dans le système
chrétien. À la différence d’une
identité qui est sous le signe d’une
unité de perfection, l’identité
chrétienne est de l’ordre du devenir, du
consentement à l’autre et du service de celui
qui devient mon prochain. La vérité
elle-même peut devenir une idole hors de la
charité, disait Pascal. La vérité
dont témoigne le christianisme, loin
d’être une vérité englobante et
close sur elle-même se définit en termes de
relation et même de manque. On dira volontiers,
dans l’horizon du dialogue interreligeux,
qu’elle n’est ni exclusive, ni inclusive de
toute autre vérité, mais qu’elle est
relative au sens de relationnelle à toute autre
semence de vérité d’ordre religieux ou
culturel.
Un accomplissement non
totalitaire
L’événement
Jésus Christ coïncide avec la
révélation définitive sur le
mystère de Dieu et le christianisme comme religion
de la révélation finale accomplit toutes
les semences de vérité, de bonté et
même de sainteté qui peuvent se trouver
disséminées dans les religions du monde. Il
s’agit là d’une vérité
incontestable, mais à la lumière d’une
réflexion encore tâtonnante sur les rapports
d’Israël et de l’Église, il
s’agirait de réinterpréter dans un
sens non totalitaire la notion
d’accomplissement.
Depuis le concile de Vatican II, la
plupart des théologiens sont prêts à
reconnaître dans le judaïsme comme religion de
l’élection un irréductible qui ne se
laisse pas intégrer dans l’Église au
plan de l’histoire qui continue. Même si on ne
peut pas identifier purement et simplement le rapport
entre les deux Testaments et le rapport entre le
judaïsme et le christianisme, la manière dont
le Nouveau Testament accomplit la Loi et les
prophètes demeure très éclairante.20
Cela n’a jamais voulu dire que le premier Testament
serait dépourvu de sens en dehors de son
achèvement. Le nouveau Testament ne remplace pas
le premier au sens où il l’abolirait. Il faut
plutôt comprendre la Nouveauté de
l’Évangile comme une ‘rupture
instauratrice’ d’un sens inédit qui
n’abolit pas la Loi et les prophètes. De
même, l’Église accomplit les promesses
de l’ancienne Alliance, mais elle ne se substitue
pas à Israël et on doit éviter de
parler de l’Église en termes de nouvel
Israël.
Le schisme originaire de
l’Église naissante et d’Israël est
donc l’indice d’un dialogue potentiel qui est
inscrit dans l’acte de naissance du christianisme
comme nouvelle religion. Il faut comprendre la
particularité chrétienne comme une
altérité qui n’abolit pas mais qui
ouvre à un rapport avec l’autre en lui
conférant sa légitimité. Même
s’il s’agit d’une analogie encore
lointaine, on semble autorisé à dire que le
rapport de l’Église au judaïsme a une
valeur de paradigme quant au rapport actuel du
christianisme aux autres religions. De même que
l’Église n’intègre pas et ne
remplace pas Israël, de même elle
n’intègre pas et ne remplace pas la part
d’irréductible dans l’ordre religieux
dont une autre tradition religieuse peut être
porteuse.
Nous avons coutume de dire que les
religions non chrétiennes, en dépit de
leurs limites, sont porteuses de valeurs implicitement
chrétiennes qui trouvent dans le christianisme
leur accomplissement parfait. Une telle dialectique de la
‘préparation’ et de
l’accomplissement ne respecte pas assez la part
d’irréductible propre à chaque
tradition religieuse, celui-là même pouvant
relever de l’action secrète de l’Esprit
de Dieu qui souffle où il veut. Nous sommes donc
invités à réinterpréter dans
un sens non totalitaire la catégorie incontestable
d’accomplissement et à montrer que toutes les
semences de vérité, de bonté et de
sainteté manifestées tout au long de
l’histoire religieuse de l’humanité
trouveront leur accomplissement dans la plénitude
du mystère du Christ mais de telle sorte que leur
altérité irréductible soit
respectée. J’éviterai ainsi de parler
de valeurs implicitement chrétiennes qui ne
trouveraient leur explicitation parfaite que dans le
christianisme. Je parlerai plus volontiers de valeurs
christiques qui sans doute peuvent enrichir notre
intelligence de la singularité chrétienne
mais qui ne sont pas nécessairement
intégrables au christianisme. Ce dernier ne peut
avoir en effet l’ambition de totaliser toutes les
vérités d’ordre religieux dont
témoigne l’histoire religieuse de
l’humanité. Et le voudrait-il, il risquerait
de compromettre ce qui relève de son génie
propre.
Ainsi, alors que nous portons un
jugement positif sur le pluralisme religieux, nous ne
pouvons plus aussi facilement que dans le passé
conclure à l’universalité du
christianisme à partir de
l’universalité de Jésus Christ. On
doit prendre au sérieux la particularité et
la contingence historiques du christianisme. Mais en
même temps, on doit maintenir un certain universel,
de l’ordre de ce que j’appelle volontiers la
christianité,21 auquel tout homme et toute femme
participent en vertu même du dessein
créateur et sauveur de Dieu qui a voulu
récapituler toutes choses en Jésus Christ.
Pour reprendre les catégories usuelles, il est
possible de concilier un christocentrisme constitutif et
un pluralisme inclusif. C’est dire que l’on
peut éviter de faire appel à un
théocentrisme indéterminé tout en
prenant ses distances à l’égard de ce
que certains rejettent comme une forme de
christianomonisme.
La mission universelle de
l’Église dans le contexte du dialogue
interreligieux
L’Église doit
être à l’écoute des "signes des
temps". Nous avons vu pourquoi l’Église avait
dû renoncer au rêve de la
chrétienté. En fait, elle peut exercer sa
mission universelle sans prétendre instaurer une
société politique qui soit une anticipation
du Royaume. D’autre part, nous avons une conscience
plus vive de la particularité historique du
christianisme. L’Église n’a pas le
monopole du salut advenu en Jésus Christ. En vertu
même du dessein de Dieu et de
l’universalité du mystère du Christ,
le Règne de Dieu peut advenir à sa
manière dans les autres traditions religieuses de
l’humanité. Cela nous interroge
nécessairement au seuil du troisième
millénaire sur le sens et la nature de la
mission.
Sans pouvoir traiter comme il
conviendrait cet immense sujet, je voudrais insister au
moins sur trois points qui sont directement en lien avec
la vocation universelle du christianisme. Je parlerai
successivement de la distance entre l’Église
et le Royaume, sur les rapports entre
évangélisation et inculturation à la
fin de l’eurocentrisme et sur la vocation mondiale
du christianisme dans le contexte de la
mondialisation.
Église et Royaume
J’ai cru pouvoir refuser
d’absolutiser le christianisme dans la mesure
même où il est la religion de la
révélation dernière et parfaite de
Dieu. L’inconditionnalité de Dieu met en
question la prétention à l’universel
de cette voie contingente qu’est le christianisme.
Il faut en dire autant de l’Église dans son
rapport au Royaume et dans la ligne de Vatican II
développer la dimension sacramentaire de
l’Église. Même si le concile ne parle
pas explicitement de l’Église comme
"sacrement du Royaume", on peut légitimement
utiliser ce vocabulaire dans la mesure où Lumen
gentium affirme que l’Église est "en quelque
sorte le sacrement, c’est-à-dire à la
fois le signe et le moyen de l’union intime avec
Dieu et de l’unité de tout le genre humain"
(LG n° 1). Il est vrai que plusieurs textes du
concile tendent encore à identifier — comme
c’était généralement le cas
avant le concile — l’Église et le
Règne de Dieu déjà présent
dans l’Église. Mais dans la perspective
d’un jugement positif sur le dialogue
interreligieux, on trouve dans l’encyclique de Jean
Paul II, Redemptoris missio, un texte important qui
affirme nettement une distinction entre
l’Église et le Règne de Dieu
déjà présent dans l’histoire
:
Il est donc vrai que la
réalité commencée du Royaume peut se
trouver également au-delà des limites de
l’Église, dans l’humanité
entière, dans la mesure où celle-ci vit
‘les valeurs évangéliques’ et
s’ouvre à l’action de l’Esprit qui
souffle où il veut et comme il veut (cf. Jn 3,8) ;
mais il faut ajouter aussitôt que cette dimension
temporelle du Royaume est incomplète si elle ne
s’articule pas avec le Règne du Christ
présent dans l’Église et
destiné à la plénitude
eschatologique» (n° 20).
On souligne ainsi un
décentrement de l’Église par rapport
à elle-même. L’Église est toute
relative à l’Absolu du Royaume. Elle est non
seulement le signe efficace du Royaume comme
plénitude eschatologique mais aussi le signe du
Royaume qui advient dans le coeur des hommes et des
femmes qui vivent déjà des valeurs
évangéliques, c’est-à-dire sans
le savoir, de l’Esprit du Christ. Ces derniers, sans
faire partie de l’Église, sont
déjà membres du Royaume de Dieu.22 Certes,
la présence du Règne de Dieu dans
l’Église demeure privilégiée
puisque elle a reçu du Christ la plénitude
des moyens du salut. C’est pourquoi il faut dire que
ceux qui accèdent au salut et appartiennent
déjà au Règne en dehors de
l’Église sont cependant ordonnés
à l’Église corps du Christ (cf. Lumen
gentium , n° 16).
Si on identifie purement et
simplement l’Église et le Règne de
Dieu présent dans l’histoire, alors la
mission évangélisatrice de
l’Église demeure centrée avant tout
sur l’annonce aux ‘autres’ de Jésus
Christ comme Sauveur universel. Mais si on maintient la
distance entre l’Église et le Royaume, alors
il faut inclure dans la mission de l’Église
le dialogue interreligieux et toutes les tâches qui
sont au service de la libération intégrale
de l’homme et de l’avènement de la
justice et de la paix dans le monde. Le dialogue
n’est pas seulement un préalable à la
mission, il est déjà un dialogue de salut
comme l’atteste le document Dialogue et annonce.23
L’ ‘autre’ doit être respecté
comme quelqu’un qui peut-être a
déjà répondu à l’appel
de Dieu et appartient au Royaume de Dieu. Il s’agit
du respect du même mystère de salut en
Jésus Christ, même si ce mystère
l’atteint par des voies différentes. Tous
ensemble sont appelés à construire le
Règne de Dieu qui advient dans
l’histoire.
Contrairement aux conclusions
hâtives de certains, la mission n’a rien perdu
de son urgence même si la théologie
postconciliaire ne met plus un lien étroit entre
l’appartenance à l’Église et la
grâce du salut en Jésus Christ. Lorsque la
mission n’est pas polarisée sur la conversion
de l’ ‘autre’ à tout prix comme si
son salut dépendait exclusivement de son
changement de religion, elle garde tout son sens comme
manifestation de l’amour de Dieu, comme incarnation
de l’Évangile dans le temps, comme
témoignage rendu au Royaume de Dieu qui advient
chaque fois que les valeurs évangéliques
sont honorées. C’est le cas en particulier
quand les agents de la mission se trouvent
affrontés à une grande religion non
chrétienne comme l’islam ou
l’hindouisme. En fait, la présence
silencieuse par la prière, la pratique des
béatitudes, le dialogue sincère avec les
membres de cette autre religion assurent la mission de
l’Église comme sacrement du Royaume qui
vient. La mission permanente de l’Église, ce
n’est pas l’extension quantitative des membres
de l’Église comme si elle était au
service d’elle-même. C’est bien
plutôt, en dialogue avec tous les hommes de bonne
volonté, de manifester et de promouvoir le Royaume
de Dieu qui a commencé de s’inaugurer
dès le premier instant de la création et
qui continue d’advenir dans l’histoire bien
au-delà des frontières de
l’Église de la terre.
Évangélisation et
inculturation
Le défi pour la mission de
l’Église à l’aube du
XXIème siècle, ce n’est pas seulement
la permanence et la vitalité des grandes religions
du monde, c’est aussi l’existence de grandes
cultures comme la culture africaine, la culture
asiatique, la culture amérindienne, qui sont
encore trop étrangères à la culture
dominante du christianisme depuis vingt siècles.
L’Évangile a une vocation catholique,
c’est-à-dire mondiale : il doit pouvoir
devenir le bien de tout homme et de toute femme. Durant
des siècles, le message chrétien a
été pensé et reformulé sous
le signe de la tension entre ces deux villes
emblématiques que sont Jérusalem et
Athènes. Mais de plus en plus,
l’Église est invitée à prendre
en compte un tertium quid, à savoir l’autre
non occidental qui n’est ni juif, ni grec. De
même que l’Évangile en vertu de sa
vocation universelle a surmonté la dualité
du juif et du grec, il doit dépasser la
dualité de l’occidental et du non occidental.
Jésus a fait tomber le mur entre Israël et
les nations (Éph 2,14). Concrètement, cela
veut dire qu’aujourd’hui il faut faire tomber
le mur entre le gentil et le «barbare». Depuis
Vatican II, le passage de l’eurocentrisme au
polycentrisme à l’intérieur de
l’Église coïncide avec
l’avènement de l’âge post-colonial
et de la mondialisation. Ainsi, pour la première
fois dans l’histoire du christianisme,
l’inculturation au nom de l’universalité
de l’Évangile pourrait ne pas coïncider
avec l’emprise d’une culture
dominante.
J’ai cru pouvoir dire que
Jésus est mort à sa particularité
pour renaître en figure d’universalité
concrète. Analogiquement, il est permis de penser
que l’Église ne peut accomplir son
universalité conformément au dynamisme de
l’Esprit qu’en prenant une distance critique
à l’égard des figures historiques
privilégiées qu’elle a revêtues
au cours des siècles. Mais il convient de
dénoncer une certaine illusion. Contrairement au
rêve des théologiens libéraux du
XIXème siècle, il n’existe pas une
essence chimiquement pure du christianisme. Dès
les origines, il s’agit d’un christianisme
inculturé, c’est-à-dire qui a pris le
risque d’une incarnation dans les schèmes et
les catégories de la pensée
sémitique et de la culture grecque. La foi est
transculturelle, mais elle n’existe pas en dehors
d’un certain véhicule culturel. C’est
pourquoi il est illusoire d’imaginer un
christianisme qui cesserait d’être occidental
pour devenir africain ou asiatique en fonction des
grandes mutations de l’histoire, en particulier la
fin de l’européocentrisme. Il faut
plutôt favoriser une rencontre créatrice
entre les ressources de l’Occident chrétien
et les valeurs propres des cultures non occidentales qui
sont elles-mêmes inséparables de grandes
traditions religieuses.24
En vertu du lien indissociable
entre culture et religion, il est de plus en plus
difficile d’envisager l’inculturation du
message chrétien dans des civilisations autres que
l’Occident sans évoquer la rencontre avec une
grande tradition religieuse. C’est surtout vrai dans
le Sud-Est asiatique. La nouveauté de
l’Évangile peut être en rupture avec
les pesanteurs de l’homme pécheur et avec les
éléments d’une tradition religieuse
qui ne favorisent pas l’obéissance à
Dieu. Mais comme nous l’avons vu, une tradition
religieuse peut être aussi porteuse d’un
irréductible dans l’ordre religieux qui ne
sera pas nécessairement aboli mais
métamorphosé par l’esprit du Christ.
Il est donc très difficile d’établir
une distinction tranchée entre des
éléments culturels qui pourraient
être gardés et des éléments
religieux qu’il faudrait rejeter. Toute la question
est de savoir si c’est l’Évangile
lui-même qui est récusé ou le faux
scandale d’un véhicule à la fois
culturel et religieux complètement étranger
aux hommes et aux femmes auxquels il est annoncé.
Face au défi de cultures et de religions
différentes, l’Église ne peut
être fidèle à sa mission universelle
qu’en opérant une conversion et un
discernment entre les éléments fondamentaux
du message chrétien et puis des
éléments plus contingents qui
relèvent de la culture à laquelle il
s’est trouvé historiquement associé.
Le fait que, durant vingt siècles, la figure
privilégiée du christianisme ait
été occidentale ne préjuge pas de
l’avènement d’autres figures du
christianisme au cours du troisième
millénaire.
L’universalité du
christianisme dans le contexte de la mondialisation
La mondialisation qui est
indissociable de la révolution informatique
représente une chance incontestable pour la
diffusion de l’Évangile jusqu’aux
extrémités de la terre. Mais dans la mesure
où la mondialisation est sous le signe de la loi
du marché, elle engendre en fait une
pauvreté croissante pour des millions et des
millions d’êtres humains. Par ailleurs, le
double écueil de la mondialisation, c’est
à la fois l’extension à
l’échelle planétaire d’un
modèle d’homme de plus en plus uniforme qui
nivelle les ressources anthropologiques et religieuses
des cultures locales et, par réaction, des
crispations identitaires qui conduisent à des
nationalismes exacerbés et des fanatismes
religieux.
L’Église n’a pas
la prétention de proposer un modèle
alternatif qui rende la terre plus habitable et la
communauté humaine plus conviviale. Mais dans la
mesure où elle témoigne de
l’Évangile, elle peut exercer un rôle
de contre-culture à l’égard d’une
certaine déshumanisation de l’homme et
adresser un avertissement prophétique face aux
injustices criantes d’une société qui
est de plus en plus sous le signe de la seule loi du
profit et sacrifie le social à
l’économique. L’Église doit
témoigner de la Bonne Nouvelle du salut en
Jésus Christ comme libération du
péché et de la mort éternelle. Elle
témoigne donc d’une espérance
au-delà des limites de cette histoire et fait la
preuve que le christianisme ne s’épuise pas
dans son utilité pour le monde. Mais en même
temps, dans la fidélité au messianisme de
Jésus, l’Église a une
responsabilité historique quant à la figure
de ce monde. Concrètement, cela veut dire que
l’Église ne peut justifier sa
prétention universaliste que si elle épouse
les causes universelles de l’humanité
contemporaine : le combat pour la justice, la
défense et la promotion des droits de
l’homme, la sauvegarde de la création, le
respect de la vie, le souci prioritaire des plus
défavorisés. Nous retrouvons ici la fameuse
"option préférentielle pour les pauvres"
qui est le plus sûr moyen d’écrire une
histoire humaine qui travaille mystérieusement
à l’avènement du Royaume de
Dieu.
L’Église n’est pas
seulement le sacrement du Royaume à venir.
Déjà ici-bas, comme on l’a dit plus
haut, elle est «le sacrement,
c’est-à-dire à la fois le signe et le
moyen de l’unité de tout le genre
humain» (Lumen gentium, n° 1). À
l’heure de la mondialisation, le christianisme ne
réalisera sa vocation mondiale que si
l’Église peut servir de paradigme quant
à l’unité de la famille humaine. Il
s’agit en effet de favoriser l’émergence
d’un type d’unité qui respecte les
particularités légitimes d’ordre
anthropologique et culturel. Toute culture
particulière qui est au service de l’humain
authentique a une portée universelle. C’est
le seul moyen d’échapper au double danger,
soit d’une globalisation de plus en plus univoque,
soit d’un éclatement qui risque de conduire
à la dispersion de Babel. L’Église de
la Pentecôte qui raconte les mêmes merveilles
de Dieu dans la diversité des cultures a la
vocation redoutable d’être le modèle de
cette humanité de demain. Claude
Geffré
Notes :
1 J’ai déjà
cherché à manifester la vocation mondiale
de l’Évangile dans le nouveau contexte de la
mondialisation et du dialogue des religions et des
cultures dans mon étude "Pour un christianisme
mondial", Recherches de Sciences religieuses,
Janvier-Mars 1998, pp. 53-75.
2 J.B. Metz a souvent eu recours
à cette expression de polycentrisme culturel pour
désigner un nouvel âge de l’histoire de
l’Église qui coïncide avec
l’événement du concile de Vatican II :
voir surtout "Unité et pluralité.
Problèmes et perspectives de
l’inculturation", Concilium 224 (1989) pp.
87-96.
3 Pour une première approche
à la fois historique et théologique de la
tentation absolutiste d’une certaine pratique
ecclésiale, on peut se reporter au Numéro
spécial de Concilium, "Vraie et fausse
universalité du christianisme", 155,
1980.
4 J’emprunte l’expression
de messianisme paradoxal à Ch. Duquoc dans
Messianisme de Jésus et discrétion de Dieu,
Genève, Labor et Fides, 1994. Pour une
étude à la fois biblique et
théologique de la notion de messianisme, on se
reportera avec profit à son article "Le
Messianisme de Jésus" dans Catholicisme, n°
9, col. 19-28, Paris, 1980.
5 Cf. M. de Certeau, L. Cognet, J.
Daniélou, La notion de mépris du monde dans
la tradition spirituelle occidentale, Paris, Éd.
du Cerf, 1965.
6 Je reprends ici les quatre
figures historiques à partir desquelles Ch. Duquoc
tente d’interpréter l’histoire des
relations entre l’Église et le monde, cf. op.
cit. p. 130.
7 Cf. J. Le Goff, article
"Millénarisme"dans Encyclopaedia Universalis,
Paris, 1968.
8 Au sujet des
ambiguïtés de la Chrétienté, on
aura tout intérêt à se reporter
à la brève esquisse historique que retrace
A. Weiler, "La Chrétienté et les autres",
Concilium 220 (1988) p. 129-140.
9 Sur la césure historique
introduite par Vatican II, on lira avec profit la
synthèse récente de Ch. Theobald, "Le
devenir de la théologie catholique depuis le
concile Vatican II" dans Histoire du christianisme, Vol.
13, "Crises et renouveau (de 1968 à nos jours)",
Paris, Desclée, 2000, p. 169-217.
10 Je me permets de renvoyer
à mon article "Sécularisation" dans le
Dictionnaire de Spiritualité , T. 15, Paris,
Beauchesne, 1989.
11 Je recommande volontiers
l’essai original de G. Ruggeri, "Pour une logique de
la particularité chrétienne", dans Cultures
et théologies en Europe (J. Vermeylen, dir.),
Paris, Éd. du Cerf, 1995, p. 77-108.
12 On trouvera une étude
historique très complète de la
portée de cet adage dans J. Dupuis, Vers une
théologie chrétienne du pluralisme
religieux, coll. "Cogitatio Fidei" 2000, Paris,
Éd. du Cerf, 1997, Ch.III.
13 Comme représentants de
cette théologie avant et pendant le concile de
Vatican II, on peut citer les grands noms d’Henri de
Lubac, Yves Congar et Karl Rahner.
14 Pour une présentation et
une évaluation critique des principaux
théologiens asiatiques, on consultera utilement
l’ouvrage de M. Fédou, Regards asiatiques sur
le Christ, Paris, Desclée, 1998.
15 C’est la position en
particulier du théologien américain Roger
Haight (cf. Jesus Symbol of God, 1999) et du
théologien indien, Michael Amaladoss (cf.
"Jésus Christ, le seul Sauveur, et la mission",
Spiritus, n° 159, 2000).
16 J’avais déjà
proposé cette expression dans mon étude en
marge de l’oeuvre de Michel de Certeau, "Le non lieu
de la théologie chez Michel de Certeau" dans
Michel de Certeau ou la différence
chrétienne (Cl. Geffré éd.), Paris,
Éd. du Cerf, coll. "Cogitatio Fidei" 165, 1991, p.
159-180.
17 Cf. cette affirmation de P.
Tillich : "The Logos doctrine as the doctrine of the
identity of the absolutely concrete with the absolutely
universal is not one theological doctrine among others;
it is the only possible foundation of a christian
theology which claims to be the theology", Systematic
Theology, The University of Chicago Press, 1963, vol. I,
p. 17. J’ai essayé de manifester
l’originalité et la portée de la
christologie de Paul Tillich pour le dialogue
interreligieux dans mon étude : "Paul Tillich et
l’avenir de l’oecuménisme
interreligieux", Rev. des Sciences phil. et théol.
77 (1993) pp. 3-22.
18 Je suis revenu à nouveau
sur cette dimension importante pour toute
théologie des religions dans un article
récent : "Le pluralisme religieux et
l’indifférentisme ou le vrai défi de
la théologie chrétienne", Revue
théologique de Louvain , 31, 2000, pp.
3-32.
19 En introduisant ici la
catégorie typiquement psychanalytique de manque,
je m’inspire des travaux de Michel de Certeau : voir
en particulier son article «La rupture
instauratrice» repris dans l’ouvrage La
faiblesse de croire , Paris, Le Seuil, 1987, p.
183-226.
20 J. Moingt, "Une théologie
de l’exil", dans Michel de Certeau ou la
différence chrétienne, op. cit., pp.
131-156.
21 J’ai tenté de
m’expliquer sur ce que j’entends par
christianité dans mon dernier livre Profession
théologien. Entretiens avec Gw. Jarczyk. Quelle
pensée chrétienne pour le XXIème
siècle ? Paris, Albin Michel, 1999.
22 Sur ce point, je renvoie
volontiers à l’étude nuancée de
J. Dupuis, "L’Église, le Règne de Dieu
et les autres" dans Penser la foi. Mélanges
offerts à Joseph Moingt (J. Doré et Ch.
Theobald éd.), Paris, Éd. du Cerf, 1993,
pp. 327-349.
23 Cf. Cl. Geffré, "La
mission de l’Église comme dialogue de salut",
Lumière et Vie, n° 205, pp. 33-46.
24 J’ai déjà eu
l’occasion de m’exprimer plusieurs fois sur
cette exigence de l’inculturation du christianisme
dans le contexte actuel de l’Église. Voir en
particulier : "La rencontre du christianisme et des
cultures", Revue d’Éthique et de
théologie morale. Le Supplément, n°
192, mars 1995, pp. 69-91.
Réf. : Texte de
l’auteur. (Conférence donnée à
Rome le 18 octobre 2000, lors du congrès
missiologique internationale, tenu à
l’Université Pontificale
Urbaniana.)