P. Jon Sobrino
Commentaires en fin de page
de soeur Claire Marie et de Edmond
Savajol.
L'option préférentielle pour les
pauvres et l'universalité de la mission de
l'Église
Notification
de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi au
P. Jon Sobrino, S.J.
Le P. Jon Sobrino, jésuite salvadorien
d'origine espagnole, a écrit, en 1991,
un ouvrage intitulé
Jésus-Christ libérateur. Lecture
historico-théologique de Jésus de Nazareth
(Madrid) et, en 1999, La foi en Jésus-Christ.
Essai du point de vue des victimes (San Salvador). Ces
publications ont suscité des interrogations de la
part de la Congrégation pour la Doctrine de la
Foi. Le but de cette Notification est d'énoncer la
doctrine de l'Église à propos de certains
aspects des vérités doctrinales concernant
les points abordés dans ces livres. Elle est
accompagnée d'une notice explicative.
Introduction
1. Après un premier examen des volumes
Jésus-Christ libérateur. Lecture
historico-théologique de Jésus de Nazareth
(Jésus-Christ) et La foi en Jésus-Christ.
Essai du point de vue des victimes (La foi) du P. Jon
Sobrino S.J., la Congrégation pour la Doctrine
de la Foi, à cause des imprécisions
et erreurs qu'elle y a trouvées, a pris la
décision, au mois d'octobre 2001, d'entreprendre
une étude ultérieure et approfondie des
œuvres en question. Étant donnée la
large diffusion de ces écrits et leur usage dans
les séminaires et autres centres d'études,
surtout en Amérique latine, il a été
décidé de mener cette étude selon la
« Procédure d'urgence »
réglementée par les articles 23-27 de
l'Agendi Ratio in Doctrinarum Examine.
Suite à cet examen, a été
envoyé à l'Auteur, au mois de juillet 2004,
par l'intermédiaire du R.P. Peter Hans Kolvenbach
S.J., Supérieur général de la
Compagnie de Jésus, un catalogue des propositions
erronées ou dangereuses trouvées dans les
livres mentionnés.
Au mois de mars 2005, le P. Jon Sobrino a fait
parvenir à la Congrégation une
Réponse au texte de la Congrégation pour la
Doctrine de la Foi, laquelle a été
examinée lors de la Session ordinaire du 23
novembre 2005. Il a été constaté
que, bien que l'Auteur ait nuancé partiellement sa
pensée sur quelques points, la Réponse
n'était pas satisfaisante, puisque demeuraient, en
substance, les erreurs qui avaient donné lieu
à l'envoi du catalogue de propositions
mentionné précédemment. Même
si la préoccupation de l'Auteur pour le sort des
pauvres est appréciable, la Congrégation
pour la Doctrine de la Foi se voit dans l'obligation
d'indiquer que les œuvres citées du P.
Sobrino présentent, sur certains points, des
divergences notables avec la foi de l'Église.
C'est pourquoi il a été
décidé de publier la présente
Notification, afin de pouvoir offrir aux fidèles
un critère de jugement sûr, fondé sur
la doctrine de l'Église, au sujet des affirmations
contenues dans les livres cités ou dans d'autres
publications de l'Auteur. Il convient de noter que, dans
certaines occasions, les propositions erronées se
situent dans des contextes où d'autres expressions
paraissent les contredire (1), mais elles ne peuvent
être justifiées pour autant. La
Congrégation ne prétend pas émettre
de jugement sur les intentions subjectives de l'Auteur,
mais il est de son devoir d'attirer l'attention sur
certaines propositions qui ne sont pas en
conformité avec la doctrine de l'Église.
Les propositions en question concernent : 1) les
présupposés méthodologiques
énoncés par l'Auteur, sur lesquels il fonde
sa réflexion théologique, 2) la
divinité de Jésus-Christ, 3) l'incarnation
du Fils de Dieu, 4) la relation entre Jésus-Christ
et le Règne de Dieu, 5) la conscience personnelle
de Jésus-Christ et 6) la valeur salvatrice de sa
mort.
I. Présupposés
méthodologiques
2. Dans son ouvrage, Jésus-Christ
libérateur, le P. Jon Sobrino affirme : « La
christologie latino-américaine [...]
décide que son lieu, comme réalité
substantielle, sont les pauvres de ce monde, et cette
réalité est celle qui doit être
présente et transversale à n'importe quel
lieu catégoriel où elle se réalise
» (p. 47). Et il ajoute : « Les pauvres
questionnent au sein de la communauté la foi
christologique et lui donnent son sens fondamental
» (p. 50) ; l'« Église des pauvres
est [...] le lieu ecclésial de la
christologie, étant une réalité
configurée par les pauvres » (p. 51).
« Le lieu social est donc le plus décisif
pour la foi, le plus décisif pour configurer le
mode de penser christologique et celui qui exige et
facilite la rupture épistémologique
» (p. 52).
Bien que reconnaissant l'estime due au souci des
pauvres et des opprimés, dans les phrases
citées, cette « Église des pauvres
» se situe dans le lieu correspondant au lieu
théologique fondamental, qui est uniquement la foi
de l'Église ; c'est en elle que n'importe quel
autre lieu théologique trouve son juste
positionnement épistémologique.
Le lieu ecclésial de
la christologie ne peut être l'« Église
des pauvres » mais la foi apostolique transmise par
l'Église à toutes les
générations. Le
théologien, de par sa vocation particulière
dans l'Église, doit toujours garder à
l'esprit que la théologie est la science de la
foi. D'autres points de départ pour l'œuvre
théologique courent le risque de l'arbitraire et
finissent par affaiblir les contenus de la foi même
(2).
3. Le manque d'attention due aux sources, bien que
l'Auteur affirme les considérer comme «
normatives », donne lieu aux problèmes
concrets de sa théologie sur lesquels nous
reviendrons plus loin. En particulier, les affirmations
du Nouveau Testament sur la divinité du Christ, sa
conscience filiale et la valeur salvatrice de sa mort, ne
bénéficient en fait pas toujours de
l'attention qui leur est due. Ces questions sont
traitées dans les paragraphes ci-dessous.
Est criante également la manière dont
l'Auteur traite des grands Conciles de l'Église
ancienne, lesquels, selon lui, se seraient
progressivement allégés des contenus du
Nouveau Testament. Ainsi, par exemple, l'affirmation :
« Ces textes sont utiles au plan
théologique, en plus d'être normatifs, mais
ils sont également limités, voire
dangereux, comme on le reconnaît aujourd'hui sans
difficulté » (La foi, 405-406). De fait,
il faut reconnaître le caractère
limité des formules dogmatiques, qui n'expriment,
ni ne peuvent exprimer tout ce que contiennent les
mystères de la foi, et qui doivent être
interprétées à la lumière de
l'Écriture Sainte et de la Tradition. Mais il n'y
a aucun fondement à parler de la
dangerosité de ces formules, étant des
interprétations authentiques du donné
révélé.
Le développement
dogmatique des premiers siècles de
l'Église, y compris les grands conciles, est
considéré par le P. Sobrino comme ambigu et
même négatif. Il ne nie pas le
caractère normatif des formulations, mais, en
même temps, il ne leur reconnaît pas
davantage de valeur qu'au cadre culturel qui les a vues
naître. Il ne tient pas compte du fait que le sujet
trans-temporel de la foi est l'Église croyante et
que les énoncés des premiers conciles ont
été acceptés et vécus par
toute la communauté ecclésiale.
L'Église continue de professer le Credo issu des
Conciles de Nicée (en 325) et de Constantinople
(en 381). Les quatre premiers Conciles
œcuméniques sont acceptés par la
grande majorité des Églises et
communautés ecclésiales d'Orient et
d'Occident. Si elles se sont servies des termes et des
concepts propres à la culture de leur temps ce
n'était pas pour s'y adapter ; les Conciles n'ont
pas signifié une hellénisation du
christianisme, mais plutôt le contraire. Avec
l'inculturation du message chrétien, la culture
grecque elle-même a subi une transformation de
l'intérieur et a pu se convertir en un instrument
au service de l'expression et de la défense de la
vérité biblique.
II. La divinité de
Jésus-Christ
4. Diverses affirmations de l'Auteur tendent à
diminuer la portée des passages du Nouveau
Testament qui affirment que Jésus est Dieu :
« Jésus est intimement lié à
Dieu, il faudrait exprimer sa réalité en
quelque sorte comme une réalité qui est de
Dieu (cf. Jn 20, 28) » (La foi, 216). En
référence à Jn 1, 1 il affirme :
« Avec le texte de Jean [...] au sujet du
logos il n'est pas dit encore, au sens strict, qu'il soit
Dieu (consubstantiel au Père), mais à son
sujet est affirmé quelque chose qui sera
très important pour parvenir à cette
conclusion, sa préexistence, laquelle n'est pas
connotée de manière purement temporelle,
mais dit la relation avec la création et relie le
logos à l'action spécifique de la
divinité » (La foi, 469). Selon l'Auteur,
dans le Nouveau Testament, la divinité de
Jésus n'est pas affirmée clairement, mais
on trouve seulement les présupposés en ce
sens : « Dans le Nouveau Testament [...] se
trouvent des expressions qui, en germe, mèneront
à la confession de foi en la divinité de
Jésus » (La foi, 468-469). « À
l'origine on ne parlait pas de Jésus comme Dieu
pas plus que de la divinité de Jésus, ceci
n'est arrivé qu'après un long temps
d'explication croyante, très probablement
après la chute de Jérusalem » (La foi,
214).
Soutenir qu'en Jn 20, 28, il est dit que Jésus
est « de Dieu » est une erreur évidente,
quand dans ce passage il est appelé «
Seigneur » et « Dieu ». De même, en
Jn 1, 1, il est dit que le Logos est Dieu. Dans de
nombreux autres textes Jésus est mentionné
comme Fils et comme Seigneur (3). La divinité de
Jésus a fait l'objet de la foi de l'Église
depuis les origines, bien avant qu'au Concile de
Nicée ne soit proclamée sa
consubstantialité avec le Père. Le fait que
ce terme ne soit pas utilisé ne signifie pas que
l'on n'affirme pas la divinité de Jésus au
sens strict, au contraire de ce que l'Auteur paraît
insinuer.
Avec ses assertions au sujet de la divinité de
Jésus qui n'aurait été
affirmée qu'après un long temps de
réflexion croyante et ne se trouverait qu'en germe
dans le Nouveau Testament, l'Auteur, évidemment,
ne la nie pas non plus, mais il ne l'affirme pas avec la
clarté requise, et donne prise au soupçon
selon lequel le développement dogmatique, porteur
selon lui de caractéristiques ambiguës,
serait parvenu à cette formulation sans une
continuité claire avec le Nouveau Testament.
Mais la divinité de Jésus est clairement
attestée dans les passages du Nouveau Testament
auxquels nous avons fait référence. Les
nombreuses déclarations conciliaires en ce sens
(4) se situent dans la continuité avec ce qui,
dans le Nouveau Testament, est affirmé de
manière explicite et pas seulement « en germe
». La confession de la divinité de
Jésus-Christ est un point absolument essentiel de
la foi de l'Église depuis ses origines et se
trouve attestée depuis le Nouveau Testament.
III. L'incarnation du Fils de Dieu 5. Le P. Sobrino
écrit : « D'un point de vue dogmatique il
faut affirmer, et de manière tout à fait
radicale, que le Fils (la deuxième personne de la
Trinité) assume toute la réalité de
Jésus, et bien que la formulation dogmatique
n'explique jamais le fait de cet être
affecté par l'humain, la thèse est
radicale. Le Fils expérimente l'humanité,
la vie, le destin et la mort de Jésus »
(Jésus-Christ, 308).
Dans ce passage l'Auteur établit une
distinction entre le Fils et Jésus qui
suggère au lecteur la présence de deux
sujets dans le Christ : le Fils assume la
réalité de Jésus ; le Fils
expérimente l'humanité, la vie, le destin
et la mort de Jésus. Il n'en découle pas
clairement que le Fils est Jésus et que
Jésus est le Fils. Dans la teneur littérale
de ces phrases, le P. Sobrino reflète la
théologie dite de l'homo assumptus, laquelle est
incompatible avec la foi catholique qui affirme
l'unité de la personne de Jésus-Christ dans
les deux natures, divine et humaine, selon les
formulations des Conciles d'Éphèse (5), et
surtout de Chalcédoine qui affirme : « nous
enseignons tous unanimement que nous confessons un seul
et même Fils, notre Seigneur Jésus-Christ,
le même parfait en divinité, et le
même parfait en humanité, le même
vraiment Dieu et vraiment homme (composé) d'une
âme raisonnable et d'un corps, consubstantiel au
Père selon la divinité et le même
consubstantiel à nous selon l'humanité, en
tout semblable à nous sauf le péché
(cf. He 4, 15) avant les siècles engendré
du Père selon la divinité, et aux derniers
jours le même (engendré) pour nous et pour
notre salut de la Vierge Marie, Mère de Dieu selon
l'humanité, un seul et même Christ, Fils,
Seigneur, l'unique engendré, reconnu en deux
natures, sans confusion, sans changement, sans division
et sans séparation » (6). Le Pape Pie XII
s'est exprimé de la même manière dans
son Encyclique Sempiternus Rex : « ... le Concile de
Chalcédoine, pleinement d'accord avec celui
d'Éphèse, affirme clairement que l'une et
l'autre nature de notre Rédempteur s'unissent
“ dans une seule et même personne et
subsistance ”, et défend d'admettre deux
individus dans le Christ, de telle sorte qu'à
côté du Verbe soit placé un homo
assumptus jouissant d'une entière autonomie »
(7).
6. Une autre difficulté dans la vision
christologique du P. Sobrino provient de sa
compréhension insuffisante de la communicatio
idiomatum. En effet, selon lui, « la
compréhension adéquate de la communicatio
idiomatum » serait la suivante : « l'humain
limité parle de Dieu, mais le divin
illimité ne parle pas de Jésus » (La
foi, 408 ; cf. 500).
En réalité, l'unité de la
personne du Christ « en deux natures »,
affirmée par le Concile de Chalcédoine, a
pour conséquence immédiate la dite
communicatio idiomatum, c'est-à-dire, la
possibilité de rapporter les
propriétés de la divinité à
l'humanité et vice versa. C'est déjà
en vertu de cette possibilité que le Concile
d'Éphèse définissait Marie comme
theotókos : « Si quelqu'un ne confesse pas
que l'Emmanuel est Dieu en vérité et que
pour cette raison la sainte Vierge est Mère de
Dieu (car elle a engendré charnellement le Verbe
de Dieu fait chair) qu'il soit anathème »
(8). « Si quelqu'un répartit entre deux
personnes ou hypostases les paroles contenues dans les
Évangiles et les écrits des Apôtres,
qu'elles aient été prononcées par
les saints sur le Christ ou par lui sur lui-même,
et lui attribue les unes comme à un homme
considéré séparément à
part du Verbe issu de Dieu, et les autres au seul Verbe
issu du Dieu Père parce qu'elles conviennent
à Dieu, qu'il soit anathème » (9).
Ainsi qu'il découle facilement de ces textes, la
« communication des idiomes » s'applique dans
les deux sens, l'humain parle de Dieu et le divin de
l'homme. D'ailleurs le Nouveau Testament affirme que
Jésus est Seigneur (10), et que par lui toutes
choses ont été créées (11).
Dans le langage chrétien il est possible de dire,
et l'on dit par exemple, que Jésus est Dieu, qu'il
est créateur et tout-puissant. Et le Concile
d'Éphèse a consacré l'usage qui
appelle Marie la mère de Dieu. C'est pourquoi il
n'est pas correct de dire que le divin illimité ne
parle pas de Jésus. Cette affirmation de l'Auteur
serait compréhensible uniquement dans le contexte
de la christologie de l'homo assumptus où
l'unité de la personne de Jésus n'est pas
clairement établie : il est évident que les
attributs divins ne pourraient se dire d'une personne
humaine. Mais cette christologie n'est absolument pas
compatible avec l'enseignement des Conciles
d'Éphèse et de Chalcédoine sur
l'unité de la personne en deux natures. La
compréhension de la communicatio idiomatum que
l'Auteur présente révèle donc une
conception erronée du mystère de
l'incarnation et de l'unité de la personne de
Jésus-Christ.
IV. Jésus-Christ et le Royaume de
Dieu
7. Le P. Sobrino développe une vision propre de
la relation entre Jésus et le Royaume de Dieu. Ce
point est d'un intérêt particulier dans ses
ouvrages. Selon l'Auteur, la personne de Jésus,
comme médiateur, ne peut être
absolutisée, mais doit être
contemplée dans sa relation au Royaume de Dieu,
qui est évidemment considéré comme
distinct de Jésus lui-même : « Cette
relation historique sera analysée plus loin de
manière détaillée, mais disons pour
le moment que ce rappel est important [...]
lorsqu'on absolutise le Christ médiateur en
ignorant sa relation constitutive à la
médiation, le Royaume de Dieu »
(Jésus-Christ, 32). « Avant tout il faut
établir la distinction entre médiateur et
médiation de Dieu. Le Royaume de Dieu, pour parler
formellement, n'est pas autre chose que la
réalisation de la volonté de Dieu pour ce
monde, ce que nous appelons médiation. À
cette médiation [...] est associée
une personne (ou un groupe) qui l'annonce et l'initie, et
que nous appelons médiateur. En ce sens l'on peut
et doit dire que, selon la foi, est apparu
déjà le médiateur définitif,
ultime et eschatologique du Royaume de Dieu, Jésus
[...]. C'est dans cette perspective que peuvent
également être comprises les belles paroles
d'Origène appelant le Christ l'autobasilée
de Dieu, le Royaume de Dieu en personne, paroles
importantes qui décrivent bien le caractère
ultime du médiateur personnel du royaume, mais
dangereuses si elles adaptent le Christ à la
réalité du royaume »
(Jésus-Christ, 147). « Médiateur et
médiation sont liés, donc, par essence,
mais ne sont pas identiques. Il y a toujours un
Moïse et une terre promise, un Mgr Romero et une
justice désirée. Les deux, ensemble,
expriment la totalité de la volonté de
Dieu, mais ne sont pas identiques »
(Jésus-Christ, 147). D'autre part la condition de
médiateur de Jésus lui vient uniquement de
son humanité : « La possibilité
d'être médiateur, ne vient donc pas au
Christ d'une réalité ajoutée
à l'humanité, mais de l'exercice même
de l'humanité » (La foi, 253).
L'Auteur affirme certes l'existence d'une relation
spéciale entre Jésus-Christ
(médiateur) et le Royaume de Dieu
(médiation), en ce qui concerne Jésus, le
médiateur définitif, ultime et
eschatologique du Royaume. Mais dans les passages
cités, Jésus et le Royaume se distinguent
de telle manière que le lien entre les deux se
trouve privé de son contenu particulier et de sa
singularité. Le lien essentiel existant entre le
médiateur et la médiation n'est pas
expliqué correctement selon ses propres mots. En
outre l'affirmation que la possibilité
d'être médiateur revient au Christ par
l'exercice de son humanité exclut que sa condition
de Fils de Dieu soit d'importance pour sa mission
médiatrice.
Il n'est pas suffisant de parler d'un lien intime ou
d'une relation constitutive entre Jésus et le
Royaume ou d'un « caractère ultime du
médiateur », si cela nous renvoie à
une réalité distincte de lui-même.
Jésus-Christ et le Royaume, en un certain sens,
s'identifient : en la personne de Jésus le Royaume
s'est déjà rendu présent. Cette
identité a été mise en relief depuis
l'époque patristique (12). Le Pape Jean-Paul II
affirme dans l'Encyclique Redemptoris Missio : «
C'est sur l'annonce de Jésus-Christ, avec qui
s'identifie le Royaume, qu'est centrée la
prédication de l'Église primitive »
(13). « Non seulement le Christ a annoncé le
Royaume, mais c'est en lui que le Royaume lui-même
s'est rendu présent et s'est accompli » (14).
« Le Royaume de Dieu n'est pas un concept, une
doctrine, un programme (...), mais il est avant tout une
Personne qui a le visage et le nom de Jésus de
Nazareth, image du Dieu invisible. Si l'on détache
le Royaume de Jésus, on ne prend plus en
considération le Royaume de Dieu qu'il a
révélé » (15).
D'autre part, le caractère singulier et unique
de la médiation du Christ a toujours
été affirmé dans l'Église.
Grâce à sa condition de « Fils unique
de Dieu », il est la « révélation
définitive que Dieu fait de lui-même »
(16). C'est pourquoi sa médiation est unique,
singulière, universelle et insurpassable : «
l'on peut et doit dire que Jésus-Christ a, pour le
genre humain et son histoire, une signification et une
valeur singulière et unique, qui lui est propre,
exclusive, universelle et absolue. Jésus est, en
effet, le Verbe de Dieu fait homme pour le salut de tous
» (17).
V. La conscience personnelle de
Jésus-Christ
8. Le P. Sobrino affirme, citant L. Boff, que «
Jésus a été un croyant
extraordinaire et a eu la foi. La foi a été
le mode de vie de Jésus »
(Jésus-Christ, 203). Et il ajoute de son
côté : « Cette foi décrit la
totalité de la vie de Jésus »
(Jésus-Christ, 206). L'Auteur justifie sa position
par le texte de He 12, 2 : « La lettre [aux
Hébreux] dit, dans une formule lapidaire, avec
une clarté qui n'a pas son pareil dans le Nouveau
Testament, que Jésus est relié au
mystère de Dieu dans la foi. Jésus est
celui qui a vécu la foi de manière
originaire et en plénitude (12, 2) » (La foi,
256). Il ajoute encore : « Pour ce qui est de la
foi, Jésus est présenté, dans sa
vie, comme un croyant comme nous, frère au plan
théologique, puisqu'il ne lui a pas
été épargné d'en passer par
là. Mais il est présenté
également comme un grand frère, parce qu'il
a vécu la foi de manière originaire et en
plénitude (12, 2). Et il est le modèle,
celui sur qui nous devons garder les yeux fixés
pour vivre notre propre foi » (La foi, 258).
La relation filiale de Jésus avec le
Père, dans sa singularité non reproductible
n'apparaît pas clairement dans les passages
cités ; et même, ces affirmations tendraient
plutôt à l'exclure. En considérant
l'ensemble du Nouveau Testament, il ne peut être
soutenu que Jésus soit « un croyant comme
nous ». Dans l'évangile de Jean, il est
question de la « vision » que Jésus a du
Père : « Celui qui vient d'auprès de
Dieu : celui-là a vu le Père » (18).
De la même manière l'intimité unique
et singulière de Jésus avec le Père
se trouve attestée dans les évangiles
synoptiques (19).
La conscience filiale et messianique de Jésus
est la conséquence directe de son ontologie de
Fils de Dieu fait homme. Si Jésus avait
été un croyant comme nous, même de
manière exemplaire, il n'aurait pu être le
révélateur véritable qui nous montre
le visage du Père. Les liens sont évidents
entre ce point et ce qui a été dit dans la
partie IV sur la relation entre Jésus et le
Royaume, et ce qui sera dit plus loin dans la partie VI
sur la valeur salvatrice que Jésus attribue
à sa propre mort. Dans la réflexion de
l'Auteur disparaît de fait le caractère
unique de la médiation et de la
révélation de Jésus, qui de cette
manière se voit réduit à la
condition de révélateur telle que nous
pouvons l'attribuer aux prophètes ou aux
mystiques.
Jésus, le Fils de Dieu fait chair, jouit d'une
connaissance intime et immédiate de son
Père, d'une « vision » qui certainement
va bien au-delà de la foi. L'union hypostatique et
sa mission de révélation et de
rédemption requièrent la vision du
Père et la connaissance de son plan de salut.
C'est ce que disent les textes évangéliques
cités plus haut.
Cette doctrine a été exprimée
dans divers textes récents du Magistère :
« Une telle connaissance tout aimante, dont le divin
Sauveur nous a poursuivis dès le premier instant
de son Incarnation, dépasse l'effort le plus
ardent de tout esprit humain : par la vision bienheureuse
dont il jouissait déjà, à peine
conçu dans le sein de sa divine Mère »
(20).
Avec une terminologie quelque peu différente,
le Pape Jean-Paul II insiste également sur la
vision du Père : « Ses yeux [de
Jésus] restent fixés sur le
Père. C'est bien en raison de la connaissance et
de l'expérience que lui seul a de Dieu que,
même en ce moment de ténèbres, il
voit de manière limpide la gravité du
péché et qu'il souffre pour lui. Lui seul,
qui voit son Père et en jouit pleinement, mesure
en plénitude ce que signifie résister par
le péché à l'amour du Père
» (21).
Le Catéchisme de l'Église catholique
parle de la connaissance immédiate que
Jésus a du Père : « C'est en premier
lieu le cas de la connaissance intime et immédiate
que le Fils de Dieu fait homme a de son Père
» (22). « De par son union à la Sagesse
divine en la personne du Verbe incarné, la
connaissance humaine du Christ jouissait en
plénitude de la science des desseins
éternels qu'il était venu
révéler » (23).
La relation de Jésus avec Dieu ne s'exprime pas
correctement en disant qu'il était un croyant
comme nous. Au contraire, c'est précisément
l'intimité et la connaissance directe et
immédiate qu'il a du Père, qui lui permet
de révéler aux hommes le mystère de
l'amour divin. C'est ainsi seulement qu'il peut nous y
introduire.
VI. La valeur salvatrice de la mort de
Jésus
9. Certaines affirmations du P. Sobrino laissent
à penser que, selon lui, Jésus n'a pas
attribué à sa mort une valeur salvatrice :
« Disons dès le départ que le
Jésus historique n'a pas interprété
sa mort de manière salvatrice, selon les
modèles sotériologiques
élaborés ensuite par le Nouveau Testament :
sacrifice expiatoire, satisfaction vicariale
[...]. En d'autres termes, il n'existe pas de
données laissant à penser que Jésus
ait conféré un sens absolument transcendant
à sa propre mort, comme l'a fait ensuite le
Nouveau Testament » (Jésus-Christ, 261).
« Dans les textes évangéliques, on ne
trouve pas de manière indubitable la signification
accordée par Jésus à sa propre mort
» (ibidem). « ...on peut dire que Jésus
va vers la mort avec confiance et la voit comme un acte
de service ultime, plutôt comme un exemple efficace
et motivant pour d'autres que comme un mécanisme
de salut pour d'autres. Être fidèle jusqu'au
bout, c'est cela être humain »
(Jésus-Christ, 263).
Dans un premier temps l'affirmation de l'Auteur
paraît limitée, dans le sens où
Jésus n'aurait pas attribué à sa
mort une valeur salvatrice selon les catégories
utilisées plus tard par le Nouveau Testament. Mais
ensuite on affirme qu'il n'existe pas de données
permettant de penser que Jésus ait
conféré un sens absolument transcendant
à sa propre mort. Il est dit seulement qu'il va
vers la mort avec confiance et qu'il lui attribue une
valeur exemplaire motivante pour d'autres. De cette
manière, les nombreux passages du Nouveau
Testament mentionnant la valeur salvatrice de la mort du
Christ (24) se trouvent privés de tout lien avec
la conscience du Christ pendant sa vie terrestre. Ne sont
pas pris en considération les passages
évangéliques dans lesquels Jésus
attribue à sa mort une signification de l'ordre du
salut ; en particulier Mc 10, 45 (25) « le Fils de
l'homme lui-même n'est pas venu pour être
servi mais pour servir et donner sa vie en rançon
pour la multitude » ; ou encore les paroles de
l'institution de l'Eucharistie : « ceci est mon
sang, le sang de l'alliance, qui va être
répandu pour une multitude » (26). De nouveau
apparaît ici la difficulté dont il a
été fait mention plus haut, quant à
l'usage que le P. Sobrino fait du Nouveau Testament. Les
données néotestamentaires cèdent le
pas à une hypothétique reconstitution
historique, qui est erronée.
10. Mais le problème ne se réduit pas
à la conscience avec laquelle Jésus aurait
affronté sa mort et à la signification
qu'il lui aurait donnée. Le P. Sobrino expose
également son point de vue quant à la
signification sotériologique qu'il convient
d'attribuer à la mort du Christ : « Le salut
consiste en l'apparition sur Terre de ce que Dieu
désire que soit l'être humain [...].
Jésus fidèle jusqu'à la croix est
alors sauveur au moins en ce sens : il est la
révélation de l'homo verus,
c'est-à-dire d'un être humain dans lequel se
trouveraient accomplies les caractéristiques d'une
vraie nature humaine [...]. Le fait même
que soit révélé, contre toute
attente, l'humain en vérité est
déjà bonne nouvelle, et pour cette raison,
est déjà en soi oeuvre de salut
[...]. Ainsi la croix de Jésus comme point
culminant de toute sa vie peut être comprise comme
salvatrice. Cette efficacité salvatrice se montre
davantage à la manière d'une cause
exemplaire que d'une cause efficace. Mais cela
n'enlève rien à son efficacité
[...]. Il ne s'agit donc pas d'une
causalité efficace, mais d'une causalité
exemplaire » (Jésus-Christ, 293-294).
Bien sûr il faut concéder toute sa valeur
à l'efficacité de l'exemple du Christ, que
le Nouveau Testament mentionne explicitement (27). C'est
une dimension de la sotériologie qu'il ne faut pas
oublier. Mais on ne peut réduire
l'efficacité de la mort de Jésus à
l'exemple, ou, selon les mots de l'Auteur, à
l'apparition de l'homo verus, fidèle à Dieu
jusqu'à la croix. Le P. Sobrino utilise dans le
texte mentionné des expressions comme « au
moins » et « plutôt », qui
paraissent laisser la porte ouverte à d'autres
considérations. Mais à la fin, cette porte
se ferme avec une négation explicite : il ne
s'agit pas de causalité efficace, mais de
causalité exemplaire. La rédemption
paraît se réduire à l'apparition de
l'homo verus, manifesté dans la
fidélité jusqu'à la mort. La mort du
Christ est exemplum et non sacramentum (don). La
rédemption se réduit au moralisme. Les
difficultés christologiques déjà
relevées en lien avec le mystère de
l'incarnation et la relation avec le Royaume affleurent
à nouveau ici. Seule l'humanité entre en
jeu, et non le Fils de Dieu fait homme pour nous et pour
notre salut. Les affirmations du Nouveau Testament, de la
Tradition et du Magistère de l'Église
concernant l'efficacité de la rédemption et
du salut opérés par le Christ ne peuvent se
réduire au bon exemple qu'il nous a donné.
Le mystère de l'incarnation, de la mort et de la
résurrection de Jésus-Christ, le Fils de
Dieu fait homme, est la source unique et
inépuisable de la rédemption de
l'humanité, dont l'efficacité
s'opère dans l'Église au moyen des
sacrements.
Le Concile de Trente affirme dans le Décret sur
la justification : « ...le Père
céleste “ Père des miséricordes
et Dieu de toute consolation ” (2 Co 1, 3)
[...] envoya aux hommes, quand vint la
bienheureuse “ plénitude des temps ” (Ep
1, 10 ; Ga 4, 4), le Christ Jésus, son Fils, pour
racheter les Juifs sujets de la loi (Ga 4, 5), pour
“faire aussi atteindre la justice aux païens
qui ne la cherchaient pas” (Rm 3, 25) et pour que
tous “reçussent la qualité de fils
adoptifs” (Ga 4, 5). C'est lui que “Dieu a
établi victime propitiatoire en son sang ;
moyennant la foi, pour nos péchés” (Rm
3, 25) “non seulement pour les nôtres, mais
pour ceux du monde entier” (1 Jn 2, 2) »
(28).
Le même décret affirme que la cause
méritoire de la justification est Jésus,
Fils unique de Dieu « “ qui alors que nous
étions ennemis ” (Rm 5, 10), “ à
cause de l'extrême amour dont il nous a
aimés ” (Ep 2, 4) a mérité
notre justification par sa très sainte Passion sur
le bois de la croix et a satisfait pour nous à
Dieu son Père » (29).
Le Concile Vatican II enseigne : « Le Fils de
Dieu dans la nature humaine qu'il s'est unie, a
racheté l'homme en triomphant de la mort par sa
mort et sa résurrection, et il l'a
transformé en une créature nouvelle (cf. Ga
6, 15 ; 2 Co 5, 17). En effet, en communiquant son Esprit
à ses frères, qu'il rassemblait de toutes
les nations, il a fait d'eux, mystiquement comme son
Corps. Dans ce Corps, la vie du Christ se répand
dans les croyants que les sacrements, d'une
manière mystérieuse et réelle,
unissent au Christ souffrant et glorifié »
(30).
Le Catéchisme de l'Église catholique
indique quant à lui : « Ce dessein divin de
salut par la mise à mort du Serviteur, le Juste,
avait été annoncé par avance dans
l'Écriture comme un mystère de
rédemption universelle, c'est-à-dire de
rachat qui libère les hommes de l'esclavage du
péché. saint Paul professe, dans une
confession de foi qu'il dit avoir reçue que “
le Christ est mort pour nos péchés selon
les Écritures ” (1 Co 15, 3). La mort
rédemptrice de Jésus accomplit en
particulier la prophétie du Serviteur souffrant.
Jésus lui-même a présenté le
sens de sa vie et de sa mort à la lumière
du Serviteur souffrant » (31).
Conclusion
11. La théologie naît de
l'obéissance à l'impulsion de la
vérité qui tend à se communiquer et
de l'amour qui désire connaître toujours
davantage celui qui aime, Dieu lui-même, dont nous
avons reconnu la bonté par l'acte de foi (32).
C'est pourquoi la réflexion théologique
ne peut avoir d'autre matrice que la foi de
l'Église. C'est à partir de la foi
ecclésiale seulement, que le théologien
peut acquérir, en communion avec le
Magistère, une intelligence plus profonde de
la Parole de Dieu contenue dans l'Écriture et
transmise par la Tradition vivante de
l'Église (33).
La vérité
révélée par Dieu lui-même en
Jésus-Christ, et transmise par
l'Église, constitue donc le principe
normatif ultime de la théologie (34) et nulle
autre instance ne peut la surpasser. Dans sa
référence à cette source
éternelle, la théologie est fontaine d'une
authentique nouveauté et lumière pour les
hommes de bonne volonté. C'est pourquoi, la
recherche théologique donnera des fruits d'autant
plus abondants et mûrs, pour le bien de tout le
Peuple de Dieu et de toute l'humanité qu'elle se
sera inscrite dans le courant de vie qui, grâce
à l'action de l'Esprit Saint, procède des
Apôtres et a été enrichi par la
réflexion croyante des générations
qui nous ont précédés. C'est
l'Esprit Saint qui introduit l'Église dans la
plénitude de la vérité (35), et
c'est seulement dans la docilité à ce
« don d'en haut » que la théologie est
vraiment ecclésiale et au service de la
vérité.
Le but de la présente Notification est
précisément de faire remarquer à
tous les fidèles la fécondité d'une
réflexion théologique qui n'ait pas peur de
se développer dans le flux vital de la Tradition
ecclésiale.
Le Souverain Pontife Benoît XVI, durant
l'Audience accordée au sous-signé cardinal
Préfet le 13 octobre 2006, a approuvé la
présente Notification, décidée en
Session ordinaire du Dicastère, et a
ordonné sa publication.
Donné à Rome, au siège de la
Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le 26
novembre 2006, en la fête de N.S.
Jésus-Christ, Roi de l'Univers.
William cardinal LEVADA, Préfet Angelo AMATO,
S.D.B., archevêque titulaire de Sila,
Secrétaire
Qui est Jon Sobrino ?
Jésuite salvadorien d'origine espagnole,
Jon Sobrino est né le 27 décembre 1938
à Barcelone où sa famille nationaliste
basque avait migré durant la guerre civile.
Entré très jeune, à 18 ans, dans la
Compagnie de Jésus, il quitte son pays d'origine
pour rejoindre, en 1957, le Salvador, petit pays
d'Amérique centrale. Sa formation humaine et
spirituelle le conduit à Saint Louis
(États-Unis) pour des études
d'ingénieur puis en Allemagne pour la
théologie. Revenu au Salvador, il enseigne
à l'Université jésuite
centro-américaine José Simeón
Cañas, dont il a contribué à la
fondation.
Malgré des oppositions initiales, il se
rapproche progressivement de Mgr Oscar Romero,
archevêque de San Salvador, très
affecté par le premier assassinat d'un
jésuite en 1977 et qui sera lui même
tué alors qu'il célébrait la messe
le 24 mars 1980. Le P. Sobrino travaille aussi avec le P.
Ignacio Ellacuría assassiné avec
cinq autres jésuites et deux femmes laïcs, en
1989 par un groupe para-militaire d'extrême droite.
Le P. Sobrino, membre de cette même
communauté religieuse, échappe à ce
meurtre à cause d'un déplacement pour une
conférence. Cette proximité avec les
exactions commises pendant la guerre civile le pousse
à se placer du côté des victimes.
Auteur prolifique, il enseigne la christologie et
l'ecclésiologie. Parmi ses ouvrages, il faut
noter : Jésus-Christ en Amérique latine. Sa
signification pour la foi et la christologie (Cerf,
1986). Ses autres livres n'ont pas été
traduits en français si ce n'est un petit ouvrage
sur Mgr Romero (Fidélité, 1996).
Aujourd'hui, la Congrégation pour la Doctrine
de la Foi pointe son étude essentiellement sur
deux de ses ouvrages : Jésus-Christ
libérateur. Lecture
historico-théologique de Jésus de Nazareth
(Madrid, 1991) et La foi en Jésus-Christ.
Essai du point de vue des victimes (San Salvador, 1999)
(voir la notification et la notice explicative). Au cours
de la procédure, une correspondance s'est
établie entre le dicastère et le
théologien. Mais avant la publication du document
romain, le P. Sobrino, estimant que sa pensée
était mal interprétée, n'a pas
accepté de revenir sur ses écrits. Il a
envoyé une longue lettre au P. Peter Hans
Kolvenbach, Préposé général
des Jésuites, à qui il a
déclaré : « je ne me sens absolument
pas représenté dans le jugement global de
la notification. Pour cela il ne me paraît pas
honnête d'y souscrire ». Si la notification
romaine ne comporte aucune sanction, l'archevêque
de San Salvador, Mgr Francisco
Sáenz Lacalle, membre de l'Opus Dei, a
interdit pour l'instant au P. Sobrino d'enseigner et de
publier d'autres ouvrages.
Début de la procédure sur le P. Jon
Sobrino
Notice explicative de la Congrégation pour la
Doctrine de la Foi
Au moment de publier la notification sur les ouvrages
du P. Jon Sobrino, le 15 mars, la Congrégation
pour la Doctrine de la Foi a joint à ce premier
document une notice explicative dans laquelle elle expose
le déroulement et les règles de la
procédure appliquée au théologien,
conformément aux normes de l'Église et du
dicastère concerné.
Texte original espagnol dans l'Osservatore Romano du
15 mars (*)
1. L'intérêt de l'Église pour
les pauvres
La fonction propre de la Congrégation pour la
Doctrine de la Foi est de promouvoir et protéger
la doctrine sur la foi et les coutumes dans tout le monde
catholique (1). C'est ainsi qu'elle cherche à
servir la foi du Peuple de Dieu et en particulier de ses
membres les plus simples et les plus pauvres. La
préoccupation pour les personnes les plus simples
et pauvres est, depuis les origines, un des traits
caractéristiques de la mission de l'Église.
S'il est certain, comme l'a rappelé
également le Saint Père, que « la
première pauvreté des peuples est de ne pas
connaître le Christ » (2), alors tous les
hommes ont droit à la connaissance du Seigneur
Jésus, « espérance des nations et
sauveur des peuples », et à plus forte raison
chaque chrétien à droit à une
connaissance adéquate, authentique et
intégrale de la vérité que
l'Église confesse et exprime au sujet du Christ.
C'est ce droit même qui fonde le devoir
correspondant du magistère de l'Église
d'intervenir chaque fois que la vérité est
mise en péril ou niée.
Pour toutes ces raisons,
la Congrégation s'est vue dans l'obligation de
publier la Notification jointe sur certains ouvrages du
P. Jon Sobrino S.J. dans lesquels ont été
trouvées diverses propositions erronées ou
dangereuses pouvant causer du tort aux fidèles. Le
P. Sobrino, dans ses ouvrages, manifeste une
préoccupation pour la situation des pauvres et des
opprimés, en particulier en Amérique
latine. Cette préoccupation est certainement celle
de l'Église tout entière. La
Congrégation pour la Doctrine de la Foi
elle-même, dans son Instruction Libertatis
conscientia sur la liberté chrétienne et la
libération, indiquait que « la misère
humaine attire la compassion du Christ Sauveur qui a
voulu s'en charger et s'identifier avec « les plus
petits de ses frères » (cf. Mt 25, 40.45)
» et que « l'option
préférentielle pour les pauvres, loin
d'être un signe de particularisme ou de sectarisme,
manifeste l'universalité de l'être et de la
mission de l'Église. Cette option n'est pas
exclusive. C'est la raison pour laquelle l'Église
ne peut l'exprimer à travers des catégories
sociologiques ou idéologiques réductrices,
qui feraient de cette préférence une option
partisane et de nature conflictuelle » (3).
Auparavant déjà, la même
Congrégation, dans l'Instruction Libertatis
nuntius sur certains aspects de la théologie de la
libération, avait observé que les
avertissements sur ce courant théologique contenus
dans le document ne pouvaient, ni être
interprétés comme un reproche envers ceux
qui désiraient être fidèles à
l'« option préférentielle pour les
pauvres », ni de quelque manière servir
d'excuse à ceux qui se montrent
indifférents aux très graves
problèmes de misère et d'injustice (4).
Ces affirmations font
apparaître avec clarté la position de
l'Église dans ce problème complexe : «
Les inégalités iniques et les oppressions
de tout type qui affectent aujourd'hui des millions
d'hommes et de femmes sont en contradiction ouverte avec
l'Évangile du Christ et face à elles aucun
chrétien ne peut garder la conscience tranquille.
L'Église, docile à l'Esprit, avance
fidèlement sur les chemins de la libération
authentique. Ses membres sont conscients de ses
faiblesses et de ses lenteurs dans cette recherche. Mais
une multitude de chrétiens, depuis le temps des
Apôtres, ont consacré leurs forces et leur
vie à la libération de toute forme
d'oppression et à la promotion de la
dignité humaine. L'expérience des saints et
l'exemple de tant d'œuvres de service au prochain
constituent une stimulation et un éclairage pour
les initiatives de libération qui s'imposent
aujourd'hui » (5).
2. Procédure
pour l'examen des doctrines
La Notification mentionnée ci-dessus a
été élaborée après un
examen attentif des écrits du P. Sobrino selon la
procédure établie pour l'examen des
doctrines. La manière dont la Congrégation
pour la Doctrine de la Foi procède pour se faire
une opinion sur des écrits qui apparaissent
problématiques, peut s'expliquer
brièvement. Lorsque la Congrégation
considère que les écrits d'un auteur
précis présentent des difficultés au
point de vue doctrinal, de telle manière qu'il en
découle ou peut en découler un dommage
grave pour les fidèles, elle entame une
procédure définie par le Règlement
du 29 juin 1997, approuvé en son temps par le Pape
Jean-Paul II (6).
La procédure
ordinaire prévoit de demander leur avis à
quelques experts en la matière. L'avis de ces
derniers, ainsi que toutes les notes pouvant servir
à l'examen de la situation, sont ensuite soumis
à la considération de la Consulte, instance
de la Congrégation constituée d'experts des
différentes disciplines théologiques. Tout
le déroulement, y compris le compte-rendu des
discussions, le vote général ou les votes
particuliers des Consultateurs quant à l'existence
éventuelle dans les écrits d'erreurs
doctrinales ou d'opinions dangereuses, est soumis
à l'examen de la Session ordinaire de la
Congrégation, composée des cardinaux et
évêques membres du Dicastère,
laquelle examine minutieusement la question et
décide s'il convient ou non d'interpeller
l'Auteur. La décision de la Session Ordinaire est
soumise à l'approbation du Souverain Pontife. S'il
est décidé de procéder à
l'interpellation, la liste de propositions
erronées ou dangereuses est communiquée,
par l'Ordinaire, à l'Auteur, lequel dispose d'un
délai de trois mois francs pour répondre.
Si la Session ordinaire considère que la
réponse est suffisante, la procédure
s'arrête là. Dans le cas contraire, les
mesures adéquates sont prises. L'une d'entre elles
peut consister en la publication d'une Notification dans
laquelle sont exposées en détail les
propositions erronées ou dangereuses
trouvées dans les écrits de l'Auteur.
Lorsque l'on considère que les écrits
sont de toute évidence erronés et que leur
divulgation pourrait entraîner ou entraîne
d'ores et déjà un dommage grave pour les
fidèles (7) la procédure est
abrégée. Une Commission d'experts est
nommée, chargée de déterminer
quelles sont les propositions erronées ou
dangereuses. Le rapport de cette Commission est soumis
à la Session ordinaire de la Congrégation.
Dans le cas où les propositions sont jugées
effectivement erronées ou dangereuses,
après approbation par le Saint-Père, il est
transmis, toujours par le biais de l'Ordinaire, à
l'Auteur lui-même pour qu'il les corrige dans un
délai de deux mois francs. Sa réponse est
examinée par la Session Ordinaire, qui adopte les
mesures opportunes.
3. Le cas particulier du P. Sobrino . Dans le cas
présent, la Notification elle-même indique
les étapes effectuées selon la
procédure d'urgence. Cette procédure a
été choisie en raison entre autres de la
large diffusion, surtout en Amérique latine, des
ouvrages du P. Jon Sobrino. De graves manques autant du
point de vue méthodologique que du contenu ont
été mis en évidence. Sans reproduire
ici les détails contenus dans la Notification, il
faut noter que, parmi les manques au plan
méthodologique se trouve l'affirmation selon
laquelle l'Église des pauvres est le lieu
ecclésial de la christologie et lui donne son
orientation fondamentale, oubliant que l'unique «
lieu ecclésial » valide dans la christologie,
comme dans la théologie en général,
est la foi apostolique, transmise par l'Église
à toutes les générations. Le P.
Sobrino tend à réduire la valeur normative
des affirmations du Nouveau Testament et des grands
Conciles de l'Église ancienne. Ces erreurs de
« indole » vérifier
méthodologique aboutissent à des
conclusions non conformes à la foi de
l'Église au sujet des points centraux de cette
même foi : la divinité de
Jésus-Christ, l'incarnation du Fils de Dieu, la
relation de Jésus avec le Royaume de Dieu, sa
conscience personnelle, la valeur salvatrice de sa
mort.
À ce sujet, la Congrégation pour la
Doctrine de la Foi écrivait : « une
réflexion théologique
développée à partir d'une
expérience particulière peut constituer un
apport très positif, car elle permet de mettre en
évidence des aspects de la Parole de Dieu dont
toute la richesse n'a pas encore été
pleinement perçue. Mais afin que cette
réflexion soit vraiment une lecture de
l'Écriture, et non une projection sur la Parole de
Dieu d'un sens qui n'y est pas contenu, le
théologien sera attentif à
interpréter l'expérience dont il part
à la lumière de l'expérience de
l'Église même. Cette expérience de
l'Église brille d'un éclat singulier et
avec toute sa pureté dans la vie des saints. Il
revient aux Pasteurs de l'Église, en communion
avec le Successeur de Pierre, d'en discerner
l'authenticité » (8).
C'est pourquoi, avec cette Notification nous
espérons offrir aux pasteurs et aux fidèles
un critère sûr, fondé sur la doctrine
de l'Église pour un jugement droit concernant ces
questions, qui sont d'une grande importance aussi bien au
plan théologique que pastoral.
(*) Traduction de Christine Lang
Soeur Claire Marie
de Lausanne nous dit dans son site Katutura le samedi
24 mars 2007:
" Enfin et ce qui me fait
particulièrement plaisir et qui m’encourage,
c’est ce qui suit, selon l’agence apic :
« Les
Missionnaires de Bethléem Immense (MBI) en Suisse
sont également consternés par le jugement
prononcé à Rome contre le théologien
de la libération Jon Sobrino. Il est surtout
reproché au jésuite d'avoir davantage
décrit Jésus comme un accompagnateur des
hommes que comme un sauveur divin, note le responsable de
MBI, Joseph Gähwiler, dans un
communiqué.
La vision selon
laquelle la divinité de Jésus se montre
justement dans sa solidarité avec les plus pauvres
est fondamentale pour la théologie de la
libération, ainsi que pour la Mission de
Bethléem Immense. La conception de Jésus
solidaire, développée par Sobrino, est
inséparablement liée avec l'option pour les
plus pauvres et les réprimés, selon MBI.
L'archevêque Oscar Romero, dont Sobrino
était le conseiller théologique, a
vécu cette vision jusqu'au martyr.
L'option pour les pauvres est-elle
prise au sérieux?
»http://katutura.blogspot.com/2007_03_01_archive.html
Merci
Le développement
dogmatique des premiers siècles de
l'Église, y compris les grands conciles, est
considéré par le P. Sobrino comme ambigu et
même négatif..
C'est un fait
historique que nul historien ne conteste.
Pourquoi cette manière
de faire du Vatican : toujours titiller, condamner ? Le
Christ condamnait-il ?
Il n'a excomunié
personne , ni canonisé personne. !
Le Saint-Esprit
n'utiliserait-il que l'Eglise Catholique Romaine en sa
hiérarchie pour atteindre les
hommes?
Edmond Savajol