Église et pouvoir
José
Comblin
José Comblin est né en Belgique en 1923. Il est docteur en théologie de
l’Université de Louvain. Après plusieurs années
de travail au Brésil, il en est banni, en 1972.
Il traverse au Chili mais en 1981 la dictature
de Pinochet lui refuse l’entrée de nouveau. De
retour au Brésil, il voyage un peu partout
pour des rencontres et conférences. Il a été
conseiller de don Helder Camara et du cardinal
Arns, de Sao Paulo, à la Conférence des évêques
de Medellin en 1968 et à celle de Puebla en
1979. Il est l’auteur de plus de 60 livres et de
centaines d’articles.
Le présent texte, transcrit à
partir de conférences prononcées à Santiago,
Chili, en novembre 2005, conserve le « style
oral ».
Il est de plus en plus évident que le principal problème pour
les chrétiens d’aujourd’hui, c’est la question
du pouvoir. C’est la principale nouveauté, le
grand défi que la culture contemporaine adresse
à l’Église après Vatican II. Le Concile n’a pas
parlé de ça. Il a plutôt essayé d’éviter la
question, parce qu’à ce moment là, la question
du pouvoir n’était pas encore un thème dominant
dans la culture occidentale.
Dans Lumen Gentium, le Concile a tenté de ne pas
utiliser le mot pouvoir; quand il parle de la
hiérarchie, il utilise le mot « munus » (tâche),
ou des mots qui signifient le service.
C’est ainsi qu’on évite de toucher à la question
du pouvoir. C’est bien évident qu’on a évité
volontairement le mot pouvoir (sauf à quelques
occasions comme en 18a où les mots « pouvoir
sacré » sont immédiatement atténués par le mot
service).
La hiérarchie tente de mettre le sujet de côté en pensant que
c’est une question incongrue, non pertinente,
mais sa pertinence est plus évidente que jamais.
Le clergé, formé pour manipuler des concepts
édifiants, rejette l’idée que quelque chose
pourrait être motivé par des questions de
pouvoir dans l’Église. On présume que tout se
fait par amour. Même la condamnation des
hérétiques se fait par amour. C’est un service
pour l’Église. Il est clair que, comme pour
toute société humaine, la question du pouvoir
est pertinente dans l’Église. Encore plus, elle
est inévitable.
La relation de pouvoir est encore celle définie par la
chrétienté médiévale. Les formes ont changé,
mais le fond demeure le même.
Dans l’ecclésiologie traditionnelle, depuis les origines au
XIVe siècle, le mot pouvoir occupe le centre du
sujet. Alors, l’Église se définit par les
pouvoirs qui la constituent. Ce qui fait
l’Église, ce sont les pouvoirs de la hiérarchie.
Le mot pouvoir a toujours un sens positif et
seulement positif. Le pouvoir est l’un des
principaux attributs de Dieu, peut-être
l’attribut le plus important, pour le moins dans
la dévotion catholique. Dans la liturgie on
ajoute toujours l’adjectif puissant ou tout
puissant à l’invocation de Dieu. Dieu est le
tout puissant. Le pouvoir de Dieu est totalement
positif. Il est le créateur et le sauveur. C’est
ce qui produit tout ce qui existe et qui conduit
la création, agissant par les moyens du salut.
Maintenant, le pouvoir de Dieu agit à travers les pouvoirs
humains. Dieu n’agit pas sans la médiation des
hommes. Ces médiateurs revêtus d’une
participation au pouvoir de Dieu pour réaliser
les œuvres de Dieu sont la hiérarchie de
l’Église. Le pouvoir de la hiérarchie est
seulement positif, parce que c’est le pouvoir
même de Dieu. On dit que la hiérarchie est la
cause efficiente de l’Église. Elle produit
l’Église car l’action salvatrice de Dieu passe
par cette médiation. Le pouvoir de la hiérarchie
est comparable seulement avec le pouvoir
créateur de Dieu : ce sont eux qui créent
l’Église. C’est le pouvoir sauveur de Dieu : ils
réalisent le salut. Dieu a élu quelques hommes
pour être les sauveurs de l’humanité. Les laïcs
se sauvent par l’intervention de la hiérarchie.
Sans la hiérarchie ils ne sont rien. Ils
reçoivent tout et ne produisent rien.
Ce pouvoir surnaturel de la hiérarchie culmine dans
l’eucharistie. Comme le Pape vient de le
rappeler, le prêtre ordonné prononce les paroles
de la consécration comme s’il était le Christ
lui-même. Le Christ parle par sa bouche et
produit par la bouche du prêtre le miracle de la
transsubstantiation, le plus grand miracle qu’on
puisse imaginer. Le ministre ordonné a la même
force que Dieu, quand il célèbre l’eucharistie.
Les laïcs regardent, admirent, adorent et reçoivent Dieu des
mains du prêtre. Cette théologie est l’image de
l’Église dans l’ecclésiologie traditionnelle qui
est courante jusqu’à Vatican II, même si elle a
été réfutée par les meilleurs biblistes et les
meilleurs historiens catholiques. C’est toujours
la théologie du Pape.
Ce pouvoir est le service de la hiérarchie. Exercer le
pouvoir divin c’est le service que le ministre
ordonné offre à l’Église à laquelle il a donné
vie. Il ne peut y avoir aucune opposition entre
le pouvoir et le service. Le pouvoir est le plus
grand service.
Il est évident que cette identification entre pouvoir et
service ne vient pas du Nouveau Testament. Elle
vient de l’idéologie impériale. Dans cette
idéologie, tout pouvoir est positif parce que
tout pouvoir est service à la société « Dominer
pour servir », voilà la définition de tous les
colonialismes, jusqu’à la guerre en Irak qui est
le plus grand service apporté au peuple irakien.
Les théologiens de ce temps là connaissent très bien tous les
défauts personnels de la hiérarchie, des prêtres
et des diacres. Mais cela ne change pas la
théorie. Les pires prêtres continuent à créer
l’Église par ses sacrements, ses paroles et son
gouvernement. Les abus de pouvoir sont
considérés comme de purs problèmes personnels
qui se solutionnent par la conversion du prêtre.
Ils ne reconnaissent pas que cette situation
n’est pas inévitable, qu’elle est liée en grande
partie au modèle de société qu’on a bien voulu
imposer à l’Église et qu’il s’agit, par le fait
même, d’un problème de politique dans l’Église.
Mais, les membres de la hiérarchie ne peuvent pas être de
purs représentants du pouvoir de Dieu. En
exerçant son pouvoir, ils ne communiquent pas le
message de Dieu, mais plutôt toute la théologie.
En administrant les sacrements, ils manipulent
la religiosité populaire avec sa magie et ses
superstitions. En gouvernant leurs paroisses et
leurs diocèses, ils agissent comme des patrons
d’entreprises. Ils créent une certaine
orientation de l’Église, ils ne créent pas
l’Église produit de l’Esprit Saint, par
l’intermédiaire de tous les chrétiens, chacun
avec son charisme. L’orientation donnée par le
clergé n’est pas corrigée ni améliorée par le
peuple chrétien, elle se transforme en
domination. Alors, le pouvoir devient
domination, comme dans toutes les institutions
humaines. C’est pour ça qu’il existe toujours un
problème politique dans l’Église, qui est le
problème que les membres du clergé sont des
êtres humains et non de purs dépositaires du
pouvoir de Dieu. Leur pouvoir n’est pas comme le
pouvoir de Dieu, pure force créatrice, il n’est
pas un pur don de la vie. Il est aussi
imposition, arbitraire, domination de l’homme
sur l’homme. Pas seulement à cause des vices
personnels, mais par les structures de péché.
La conception médiévale du pouvoir dans l’Église, avec
l’abîme qui s’en suit entre le clergé et le
peuple, est en crise depuis deux siècles, même
si la hiérarchie l’a nié jusqu’à Vatican II et
si plusieurs le nient encore aujourd’hui.
Cette relation est en crise depuis longtemps et la crise
s’est accentuée davantage au XXe siècle. Des
millions de personnes ont abandonné l’Église
catholique et la cause fondamentale, consciente
ou inconsciente, c’est la question du pouvoir.
Avec le Pape actuel, on ne peut même pas
soulever le problème parce que son pouvoir est
plus absolu que le pouvoir de n’importe quel
Pape du passé, incluant le pouvoir de Pie XII.
La hiérarchie nie le problème parce qu’elle sent
qu’elle serait le premier objet de la
contestation. Mais il est évident que la
nouvelle société urbaine, alphabétisée et
culturellement développée, n’accepte pas ce
genre de relation de pouvoir qui est né au Moyen
Âge. Elle ne peut accepter que Dieu réserve sa
médiation à quelques-uns, quand le Nouveau
Testament annonce que l’Esprit Saint est donné à
tous. Il affirme qu’il y a diversité de rôles et
de services. On ne discute pas le fait que
certaines personnes soient destinées à
gouverner. Mais on n’accepte pas que le pouvoir
humain soit identifié au pouvoir de Dieu.
On ne peut pas nier que l’Église, comme tout groupe humain, a
besoin d’une organisation de pouvoir, mais pas
éternellement cette organisation née à une
époque historique donnée, limitée dans le temps.
Personne ne nie que l’autorité soit nécessaire.
Mais le système actuel de l’autorité fait que
des millions de catholiques, justement ceux qui
sont de la nouvelle culture urbaine, s’éloignent
de l’Église, ou tout simplement perdent
inconsciemment le sentiment d’appartenance à
cette Église.
Il faut donc voir et examiner de façon critique le système de
pouvoir qui existe dans l’Église, régi par un
droit canonique toujours relatif. Il faut voir
clairement la différence entre ce qui est
permanent dans l’Église et ce que l’histoire a
faite dans les siècles suivants. Sinon, nous
serons prisonniers de l’histoire, prisonniers
d’un passé mort.
1. L’ECCLÉSIOLOGIE DU NOUVEAU TESTAMENT ET LE
POUVOIR
L’ecclésiologie de Paul est centrée sur le concept du peuple
de Dieu, corps du Christ et temple de l’Esprit
Saint. Ce concept est sous-jacent à tous les
chapitres de ses lettres. Tout ce qu’il dit de
l’Église se réfère à ce peuple de Dieu.
La doctrine du pouvoir selon Paul est implicite dans sa
doctrine sur la Loi et l’Esprit. Le peuple de
Dieu passe par deux étapes. D’abord, il y a eu
le régime de la Loi et maintenant, avec Jésus,
commence le régime de l’Esprit. Dans le régime
de la Loi, la relation avec Dieu est une
relation de soumission. Le peuple de Dieu est le
peuple qui se soumet à la Loi. L’obéissance à la
Loi est la vertu suprême. Mais, la Loi ne serait
pas réelle si elle n’était pas présentée par des
dirigeants humains. La Loi n’existerait pas
comme telle, s’il n’y avait pas sur terre, au
dessus du peuple, une autorité qui oblige à la
respecter. Cette autorité est représentée par
les docteurs et les prêtres, ceux-là même qui
ont condamné Jésus. La soumission à la Loi se
traduit par la soumission à ses représentants.
Obéir à Dieu, se résume dans la pratique à obéir
aux autorités qui l’imposent.
Pour Paul, la Loi – c’est-à-dire tout le système centré sur
la Loi – ne sauve pas, parce qu’il ne change pas
l’être humain. La personne se soumet par crainte
du châtiment, mais sans se renouveler
personnellement. Il n’y a que l’Esprit pour
renouveler l’humanité. Sous le régime de la
Loi, l’autorité agit en imposant la Loi. Par
l’Esprit, la personne se sent interpellée,
poussée par une force interne qui la rend
capable de suivre le chemin de Jésus sans aucune
imposition. Elle fait le bien par sa propre
volonté, non par obligation.
Dans le régime de la Loi, les représentants de la Loi
l’utilisent pour imposer leur propre volonté.
Ils interprètent, augmentent, changent les
préceptes de la Loi pour qu’ils coïncident avec
leur volonté et leurs avantages, même matériels.
Dans sa doctrine de l’Esprit, Paul ne prête pas attention au
problème du pouvoir, que ce soit celui de
l’Église dans la société, que ce soit le pouvoir
dans l’Église, ou ce qu’on appelle maintenant
les ministères. Selon lui, le pouvoir
apostolique, c’est l’autorité pour annoncer
l’évangile de Jésus, comme force dans le monde.
C’est le pouvoir de Dieu, qui est le pouvoir de
conversion et de vie nouvelle. Mais il n’élabore
pas lui-même une doctrine de l’apostolat comme
pouvoir dans l’Église.
Selon lui, dans la communauté chrétienne, le pouvoir de Dieu
se manifeste dans l’abondance des charismes qui
sont des forces données à certains ou à tous les
membres. Les charismes semblent avoir une force
intrinsèque qui porte les membres de la
communauté. Comme apôtre de Jésus-Christ, Paul
exerce le pouvoir de dénoncer, d’exhorter,
d’orienter : le pouvoir de rappeler les
enseignements de Jésus. Lui-même ne définit pas
ce qu’est ce pouvoir des apôtres.
Mais de son côté, l’ecclésiologie des évangiles est centrée
sur la question du pouvoir. Dans la pensée de
Jésus, le problème du pouvoir est le problème
principal et prioritaire de l’Église. Ce mot,
Église, est presque absent des évangiles mais la
réalité est présente dans les disciples. Quand
Jésus se dirige aux disciples dans leur
ensemble, il énonce son ecclésiologie.
Les principaux textes sont dans le chapitre 18 de Mathieu
(surtout 1-7; 12-35) en Mathieu 2-,2--28, 23,
8-12 et dans le chapitre 13 de Jean.
Il n’est pas nécessaire de faire une exégèse très minutieuse
pour voir que Jésus installe une nouvelle façon
d’exercer le pouvoir, une nouvelle relation de
pouvoir. Pendant des siècles, on a lu ces textes
comme des conseils moraux, comme des
recommandations faites aux dirigeants pour
qu’ils adoptent une meilleure façon d’agir.
Jésus n’est pas venu faire de exhortations
morales mais pour changer les structures du
peuple de Dieu. Pour les exhortations morales,
il y avait les sages qui ont laissé de nombreux
écrits de sagesse. Jésus est venu détruire la
structure de pouvoir qui existait dans le peuple
pour construire une nouvelle structure de
relations à l’intérieur de ce peuple.
Pendant des siècles, on a interprété les paroles du Christ
comme si le disciple de Jésus devait exercer les
structures de pouvoir de toujours, mais avec un
nouvel esprit, d’une façon différente. L’Église
est tombée dans la même déformation que celle
qui affecte les sociétés civiles ou le peuple
d’Israël, c’est-à-dire, commettre l’injustice
mais avec des bons sentiments. Ce qui donne un
sens édifiant à la destruction des personnes. Ce
fut le cas pour l’Inquisition et pour toutes les
imitations de l’Inquisition. Tout se justifie
pour le bien de la personne poursuivie, torturée
ou tuée. Le chrétien agirait comme tout le monde
mais en y ajourant des bons sentiments et un
sens religieux : tout pour le bien de Dieu et de
son Église.
Jésus ne vient pas changer seulement la subjectivité mais la
structure elle-même des relations sociales. Par
son exemple, il nous indique quelle est la
structure d’autorité qui doit prévaloir.
Jésus n’utilise aucune forme de coercition pour imposer sa
volonté. Il n’a pas d’armes, ne peut pas
menacer, ne veut pas punir (Lc 9, 51-56). Il n’a
pas de moyens de défense contre ses adversaires,
pas même au moment de la prison, de la
condamnation ou de l’exécution. Il est incapable
d’exercer la moindre violence. Non seulement il
ne pratique pas la violence mais il n’a pas les
moyens pour l’exercer. Il n’a pas en réserve des
moyens violents, ce qui serait une menace. La
sagesse politique traditionnelle dit qu’il faut
montrer les armes pour ne pas avoir à les
utiliser. Jésus ne peut pas montrer les armes
qu’il n’a pas.
C’est le sens de la comparaison qu’il fait à propos des
enfants (Mt 18, 1-4). Les enfants n’ont pas le
pouvoir d’imposer leur volonté. Ils n’ont pas
encore le pouvoir de chantage qu’exercent les
enfants plus vieux des familles riches. L’enfant
est un être fragile. Jésus a choisi la
faiblesse.
Jésus ne définit pas les lois et il n’impose pas son autorité
au moyen de lois. Les lois sont faites pour
imposer une volonté supérieure à une personne
qui ne veut pas l’exécuter, il le fait seulement
par crainte de châtiment. La loi gouverne au
moyen de la peur d’être puni. La loi est basée
sur la peur.
Cela ne veut pas dire que Jésus a tout accepté. Il n’accepta
pas de procéder comme le font les autorités
d’Israël. Avec les pécheurs, la règle c’est le
pardon, le pardon sans limite. De fait, son
autorité est telle que les gens font ce qu’il
enseigne avec une liberté totale et avec grand
plaisir. Ils ne le font pas par peur, mais par
amour. L’autorité de Jésus est basée sur l’amour
qu’elle suscite. Il n’a pas besoin de définir
des lois parce que les personnes le suivent
volontairement et avec conviction. Il ne menace
pas, parce que les gens veulent ce que lui veut
et par conviction.
Son autorité est dans sa propre personne et dans sa façon
d’agir où se manifeste sa valeur absolue : cela
vient de Dieu.
L’autorité de Jésus se manifeste dans la recherche de la
brebis égarée, dans le pardon des dettes. Au
lieu d’imposer une punition, il propose le
pardon. Cela serait considéré comme de
l’anarchie dans notre société. Pourtant ce n’est
pas évident qu’il en soit ainsi. Tous savent
bien que les petits paient leurs dettes. Ce sont
seulement les grandes corporations qui ne paient
pas. Le problème, c’est l’existence des grandes
corporations qui de toutes façons ne plient pas
devant la loi, au contraire elles changent la
loi pour qu’elle leur soit favorable.
Jésus veut qu’entre les disciples les relations de pouvoir
soient différentes (Mt 20-28). La différence
n’est pas seulement dans la subjectivité mais
dans les structures mêmes du pouvoir. Sinon,
rien ne changerait. D’ailleurs dans toutes les
sociétés, il y a des principes qui rendent plus
supportables les relations de pouvoir sans
changer les structures et ainsi on laisse la
porte ouverte pour que le successeur vienne
exercer un pouvoir rigoureux.
Jésus dit : « Ne vous faites pas appeler « Rabbi » parce
qu’un seul est votre Maître et vous êtes tous
frères. N’appelez personne « Père » sur cette
terre, parce qu’un seul est votre maître : le
Messie » (Mt 23, 8-10). Les autorités de
l’Église qui désirent ces titres disent que
c’est une question sans importance, que Jésus
parle ainsi pour donner un exemple d’humilité,
mais qu’il ne veut pas définir une façon
d’être. Ils suppriment tout simplement
l’enseignement de Jésus. Pourtant, dans la
culture de Jésus, les noms sont très importants
parce qu’ils représentent la réalité. Celui qui
a le nom de maître croit qu’il a une autorité
supérieure qui lui permet d’imposer ses idées
aux autres. Avec cette question de noms, Jésus
veut changer les structures.
Le problème des structures est clair dans l’Église
d’aujourd’hui. Il y a des évêques plus humains,
des curés plus humains – chrétiens – qui
n’insistent pas sur leur pouvoir, qui consultent
ou tiennent compte des opinions des autres, qui
gouvernent avec patience et tolérance, qui
donnent place à la liberté et à la
responsabilité des laïcs. Mais, à tout moment,
un autre peut venir et se contenter d’appliquer
rigoureusement la loi canonique qui lui attribue
des pouvoirs exclusifs. Les structures du code
actuel attribuent à l’autorité un pouvoir
absolu, sans droit de se défendre, un pouvoir
exclusif, sans participation. N’importe quel
évêque ou curé peut détruire toute la liberté
qu’un prédécesseur a pu créer. Les cas sont
nombreux en Amérique latine. Les auteurs de ces
destructions peuvent invoquer la loi qui leur
attribue un pouvoir absolu, dictatorial.
Jésus lui-même dénonce la façon dont les scribes et
pharisiens exercent l’autorité. « Ils mettent de
lourds fardeaux sur les épaules des gens, mais
eux ne bougent même pas le petit doigt » (Mt 23,
4).
Comme les paroles de Jésus ne définissent pas de façon
juridique les relations qu’il veut établir entre
ses disciples, par la suite on a pu considérer
ses paroles comme de purs symboles ou des formes
littéraires sans contenu juridique. De fait, au
cours de 20 siècles, plusieurs des anciennes
relations de domination dans les sociétés
humaines sont entrées dans l’Église. Les
relations de pouvoir qui existent aujourd’hui
ne procèdent pas de la volonté de Jésus mais
plutôt de la pénétration des structures de
domination, propres aux cultures où l’Église
s’est établie.
2 L’ÉGLISE ET LE POUVOIR DANS LA CHRÉTIENTÉ
Il n’est pas nécessaire de rappeler toute la structure de
pouvoir qui s’est construite dans la chrétienté,
surtout l’occidentale. Il y eut quatre étapes
principales qui nous ont amené à ce que nous
connaissons aujourd’hui.
LES QUATRES ÉTAPES DU POUVOIR DANS L’ÉGLISE
La première étape
a commencé dans la troisième génération quand
les prêtres se sont démarqués davantage des
évêques monarchiques. C’était une imitation de
la structure des synagogues et des fraternités
romaines. Mais au nom des apôtres, les évêques
ont acquis une autorité toujours plus grande sur
les prêtres et sur l’organisation des Églises.
Au 4e siècle, les évêques ont déjà concentré
presque tout le pouvoir et tous les charismes.
Au Concile de Nicée, convoqué par l’Empereur,
tous ceux qui n’étaient pas évêques ont été
exclus et on a donné la totalité du pouvoir aux
évêques.
La deuxième étape
vint avec Constantin et ses successeurs qui ont
fait de l’Église la religion officielle et
obligatoire. C’est à ce moment que s’est créé le
clergé comme caste séparée et éloignée du
peuple. Le clergé a concentré tout le pouvoir
dans l’Église, il a supprimé les communautés et
a soumis les laïcs à une passivité totale sans
aucune responsabilité. Un abîme s’est créé entre
le clergé et le peuple, même si les textes
évangéliques sur le service étaient rappelés,
c’était sans aucune connection avec la réalité.
De plus en plus la Bible devint un livre de
symboles qui justifient le système en lui
donnant une idéologie avec laquelle on essayait
de convaincre les peuples. La liturgie du
lavement des pieds est une pieuse ironie.
La troisième étape
commence avec les Papes bénédictins ou
grégoriens dès le XIe siècle. C’est le début de
la mobilisation progressive du clergé, qui
durera 10 siècles, pour qu’il se transforme en
armée du Pape, avec lequel le Pape exerce un
pouvoir total sur la chrétienté. Le clergé
devient l’armée du Pape. Surtout les Mendiants,
auxquels les Papes imposent l’ordination
sacerdotale, qui vont favoriser cette
exaltation du pouvoir du Pape en faisant
pression sur tout le clergé diocésain. Depuis
lors s’établit une concentration croissante du
pouvoir du clergé dans les mains du Pape.
La quatrième étape
vint du Concile de Trente qui consacra la
structure du clergé, en affirmant avec force ses
fondements et en augmentant le pouvoir
centralisateur du Pape. Le Pape est de plus en
plus le chef du clergé. Après la Révolution
française, cette concentration du pouvoir du
clergé aux mains du Pape prend l’envergure que
nous connaissons aujourd’hui.
Tout cela est bien connu. Il n’est pas nécessaire de répéter
ce qu’on trouve dans les livres de l’histoire de
l’Église.
LES TROIS RAISONS POUR CONCENTRER LE POUVOIR
La question est la suivante : comment se fait-il qu’on a
légitimé cette plus grande concentration du
pouvoir aux mains du clergé et ensuite aux mains
du Pape ?
Il y a trois raisons : la défense de l’orthodoxie de la foi,
la défense des sacrements et la défense de
l’unité de l’Église.
En premier lieu,
on a invoqué la nécessité de défendre
l’orthodoxie. Pour ça il est nécessaire de
concentrer l’autorité dans le clergé et dans le
Pape qui sont les seuls à pouvoir défendre
l’authenticité de la foi. De nombreuses hérésies
sont apparues et pour défendre la foi contre ces
hérésies il faut un pouvoir fort : le pouvoir de
condamner jusqu’à la mort en plusieurs
occasions. On a monté tout un système qui
incorpore ce pouvoir du clergé et du Pape.
L’Inquisition a été la manifestation historique
la plus visible et la plus crainte.
La concentration du pouvoir augmente de plus en plus de nos
jours avec les documents du cardinal Ratzinger.
Selon ces documents, des hérésies envahissantes
sont apparues qui nient tout le contenu de la
foi : la théologie de la libération, la
théologie des religions.
L’expérience de l’histoire nous montre, après quelques
siècles, que les hérésies ne sont pas si loin de
l’orthodoxie. L’accord entre catholique et
luthériens sur la doctrine de la justification
en est un bon exemple. Les hérésies peuvent dire
la foi, d’une autre façon. Est-ce que les
doctrines présentées d’une façon différente
n’ont pas été traitées d’hérésies parce qu’il
fallait avoir des hérésies? Sans hérésies, le
pouvoir du magistère ne se manifeste pas et il
n’a pas d’opportunité de croître. Les hérésies
sont nécessaires pour justifier l’augmentation
du pouvoir du magistère. Les hérésies
n’auraient-elles pas été inventées pour donner
plus de pouvoir au Magistère ?
D’autre part, les hérésies du Moyen Âge sont une contestation
de ce qui donne tant de pouvoir au Pape et au
clergé. C’est une accusation contre le pouvoir
du clergé. C’est une contestation de tout ce qui
sert à augmenter le pouvoir du clergé. Cela
s’est produit au second millénaire. L’hérésie
est une façon pour les laïcs de se défendre de
la domination intellectuelle et culturelle du
clergé et du Pape qui est de plus en plus à la
tête du clergé. L’hérésie est une contestation
du pouvoir. L’attaque des hérésies, ne
serait-elle pas la défense du pouvoir du clergé
? Derrière ces nombreuses condamnations – qui
s’avéreront plus tard très relatives,
historiques et circonstancielles – n’y aurait-il
pas une défense du pouvoir du clergé qui se sent
menacé quand il perd le contrôle de la parole et
qui ne permet pas qu’on dise la même chose mais
en d’autres mots ? Toutes ces condamnations ne
seraient-elles pas avant tout l’affirmation du
pouvoir de la hiérarchie et de tout le clergé
avec elle ? Les luttes de doctrine
n’auraient-elles pas été, de fait, des luttes
pour le pouvoir et pour la définition des
pouvoirs ?
La deuxième motivation
du pouvoir du clergé c’est la défense des
sacrements. Ici aussi, les hérésies attaquent
les sacrements, le système au complet des sept
sacrements. Pourquoi condamnent-elles ce système
? Ne serait-ce pas que les sacrements sont le
fondement même du pouvoir clérical? Grâce aux
sacrements, que seuls les prêtres peuvent
administrer, les laïcs ne peuvent se sauver sans
passer par les mains du clergé, c’est-à-dire
sans se soumettre à toutes les conditions
imposées par le clergé.
En vraie théologie, les sacrements sont des signes de la foi,
signes d’amour de Dieu. Mais pendant plusieurs
siècles, ils ont été vécus comme des
obligations. Les sacrements deviennent des rites
nécessaires à la salvation, sans eux il n’y a
pas de salut. Voilà la loi que les chrétiens
doivent respecter et s’ils ne le font pas, ils
commettent un péché mortel et perdent le salut.
Les sacrements sont toujours accompagnés de
menaces et sont reçus avec crainte. Le clergé
prend note des mauvais chrétiens qui ne
reçoivent pas les sacrements au bon moment. Les
sacrements sont devenus un système par lequel
les prêtres rendent leur ministère
indispensable. Ils ont le monopole des
sacrements et tous doivent se soumettre à leur
monopole. Il faut recevoir le sacrement pour
éviter l’enfer. Les prédicateurs savaient
comment susciter la peur des peines de l’enfer
et ils réussissaient ainsi à pousser les
récalcitrants vers les sacrements.
D’autre part, les sacrements sont devenus une des principales
sources du pouvoir économique du clergé. C’est
une raison de plus pour les laïcs de résister
aux sacrements. Avec le temps, la peur de
l’enfer a diminué et les gens plus éduqués se
sont déclarés indépendants. Avant la Révolution
française, plus de 90% des français allaient à
la messe tous les dimanches. Vingt ans plus
tard ils ne sont plus que 20 % à s’y rendre.
Pour le clergé, il s’agit là d’une décadence. Pour eux, les
sacrements c’est leur vie, leur façon d’entrer
en relation avec le peuple et leur raison
d’être. Ils sont là pour célébrer les
sacrements. Pour plusieurs, leur vie de clerc ce
sont les sacrements. C’est aussi leur activité
professionnelle, leur façon de trouver les
moyens de survivre. Le curé c’est celui qui
célèbre les sacrements : c’est son travail
professionnel. C’est la principale source du
pouvoir du clergé et on peut les réduire à ça.
En troisième lieu,
il y a le pouvoir de gouvernement. Tous les
séculiers doivent se soumettre au clergé dans
tous les actes de vie chrétienne, surtout en ce
qui touche leur vie morale et sociale. Ici aussi
c’est le règne de la crainte de l’enfer. En
principe, cette soumission a pour but de
défendre le peuple chrétien contre le danger des
ennemis. En pratique, le gouvernement du clergé
veut toujours plus de pouvoir. Le principe de
Léon XIII a prévalu dès le moment où l’Église
s’est séparée des monarchies : en matière
politique, il faut toujours chercher l’alliance
et l’appui parmi ceux qui favorisent le plus
l’Église, c’est-à-dire le clergé ou le Pape.
C’est un principe de grand opportunisme qui
démontre comment l’action politique est la
soumission aux intérêts du clergé.
Ce qui nous amène à voir le pouvoir du clergé et du Pape dans
la société. En chrétienté, le clergé est la
première classe, la classe privilégiée, celle
qui a le plus de pouvoir, qui intervient sur
tout. Elle contrôle l’économie, le pouvoir des
rois, elle domine toute la culture. Voilà
l’idéal. En pratique, plusieurs rois et princes
ne suivent pas les directives du clergé : la
moitié du temps, les rois catholiques et les
empereurs ont été excommuniés. Il y a toujours
eu une culture souterraine critique du pouvoir
sacerdotal. Il y avait le pouvoir économique des
juifs, des banquiers qui ne se soumettaient pas
aux lois contre l’usure. Mais, fidèle au
système, le clergé a essayé de le sauver en
essayant de le maintenir même après les
révolutions libérales du XXe siècle.
Le clergé n’a pas accepté facilement la ruine de la
chrétienté, ce qui pour lui signifiait la perte
du pouvoir, une défaite politique, économique,
culturelle. Après 15 siècles de domination, il
est maintenant exposé à toutes les critiques
demeurées clandestines durant ces 15 siècles. On
accuse alors le clergé d’avoir voulu, au nom de
Jésus-Christ, dominer la société. Cette
accusation se répète inlassablement depuis les
derniers siècles. Évidemment, que le clergé
n’acceptera jamais cette accusation parce qu’il
sent que ses intentions sont différentes. Le
clergé invoque ses bonnes intentions au lieu de
voir les faits et les structures. Ses intentions
sont de défendre le peuple chrétien contre le
pouvoir économique (des autres) contre le
pouvoir politique (des autres), et contre les
menaces de corruption d’une culture non
contrôlée par le clergé. Il n’en reste pas
moins que les laïcs voient les choses avec plus
d’objectivité.
Cette accusation qui a été faite au clergé pendant des
siècles a toujours été rejetée avec indignation
par le clergé. Il n’accepte pas un examen
sérieux et critique de ses actions. Il croit
vivre une vie de service mais c’est une vie de
domination où les laïcs sont toujours de
service, mais les prêtres, non.
On a toujours répété que le clergé voulait dominer les
consciences. Qu’il ait voulu dominer la
société, ça pourrait toujours se supporter. Mais
dominer la pensée, la conscience morale, les
valeurs, c’était insupportable et cela provoqua
une réaction terrible. Parce qu’on savait que le
contrôle des consciences, c’était accepter
l’ordre établi, de la société établie. Le
contrôle des consciences avait comme but de
soumettre les catholiques à la société établie,
la société de la chrétienté. C’était
essentiellement conservateur et plusieurs laïcs
le voyaient ainsi. Au lieu d’être un ferment de
liberté, l’Église était le principal obstacle à
la liberté. Le clergé apparaissait comme une
classe liée au maintien des pouvoirs en place.
Les laïcs avaient perdu la crainte du clergé
qui exerçait le contrôle. Avant la Révolution,
ceux qui ne recevaient pas les sacrements
étaient fichés par la police et traités comme
suspects. Après la révolution ce pouvoir du
clergé a disparu.
Aujourd’hui, on ne fréquente plus les sacrements comme avant.
Cela démontre le peu de compréhension de la
valeur de signe, et indique le sentiment de
dépendance ou d’obéissance du peuple. Le peuple
ne craint plus l’enfer comme avant, il a donc
perdu la motivation pour recevoir les
sacrements.
La chrétienté n’existe plus comme un ensemble mais il en
reste des fragments, des fragments conservateurs
qui maintiennent un petit monde où on pratique
la fidélité aux comportements traditionnels de
la société rurale médiévale. Le clergé tente
encore de maintenir et consolider ce qui reste
de pouvoir dans l’Église. Il maintient, de la
même façon, son pouvoir sur la petite portion du
peuple qui lui demeure fidèle.
3. VATICAN II
Pendant ses sessions, Vatican II a reçu plusieurs
dénonciations de cléricalisme, juridisme,
bureaucratisme etc. Il n’a pu cacher les
critiques qui se sont faites pendant 15 siècles
mais qui n’ont jamais été acceptées. De là est
sortie une théologie renouvelée du peuple de
Dieu et du rôle de l’Église dans le monde. Mais
quand il s’agit de définir le rôle des évêques,
du clergé, que ce soit dans Lumen Gentium
ou dans les documents pour le clergé, la
doctrine demeure traditionnelle et ne tient pas
compte des problèmes soulevés. On multiplie les
exhortations morales, mais on ne change pas les
structures. On ne touche pas au problème du
pouvoir et du lien entre la recherche du
pouvoir et la définition du clergé qui a prévalu
pendant quinze siècles. On est retourné à la
doctrine conservatrice traditionnelle. Là, tous
les problèmes sociaux deviennent des problèmes
moraux, Si les prêtres étaient plus vertueux, il
n’y aurait pas de problèmes. De fait, s’ils
étaient plus vertueux, ils ne supporteraient pas
la structure actuelle. Il est impossible
d’imaginer un clergé où tout le monde est saint.
Le comportement moyen dépend des structures. Si
ces structures sont des structures de domination
qui n’accordent au peuple chrétien aucune
participation au pouvoir, l’exhortation morale
ne servira de rien.
Ceux qui n’ont pas besoin de conversion se convertiront et
ceux qui en ont besoin ne réaliseront pas toute
la domination qu’ils exercent sur les autres.
Les textes de Vatican II ne touchent pas au plus grand
problème, qui selon plusieurs évêques, était le
problème du siècle : le problème du clergé.
Plusieurs autres évêques ne pouvaient pas se
libérer du modèle qu’ils avaient en tête : le
rôle traditionnel du prêtre comme membre de la
classe privilégiée, comme fonctionnaire des
sacrements et défenseur du pouvoir de l’Église.
Comme l’épiscopat était divisé sur ce point, on
n’en a pas parlé.
On n’a pas parlé non plus de la relation entre le clergé et
le pouvoir politique. De fait, plusieurs
pensaient que le parti démocrate chrétien allait
solutionner tous les problèmes, en redonnant à
l’Église une place privilégiée et en empêchant
l’adoption de lois défavorables au clergé qui
réduiraient son pouvoir dans la société tant
dans les codes que dans la culture, l’éducation,
les services de santé. Ils comptaient sur
l’appui de partis politiques catholiques pour
éviter que l’Église renonce totalement à son
pouvoir dans la société. Le monde change, mais
la structure historique de la chrétienté se
maintient, au moins comme illusion dans la
pensée du clergé.
Du moment que le Concile n’a pas voulu, ou n’a pas pu,
traiter de la question du clergé, ce qui arriva
était prévisible. Dans le premier monde, les
vocations sont disparues, il n’y a plus de
crédibilité. Dans le Tiers-monde, les vocations
sont nombreuses mais basées sur le principe de
chrétienté : la prêtrise offre du pouvoir dans
la société et dans l’Église, cela est un grand
attrait pour les pauvres qui ont peu de moyens
d’ascension sociale.
4. IDÉALISME ET RÉALISME
Jean-Paul II a eu, parmi ses priorités, de rétablir le
pouvoir social du clergé. Il a pensé qu’un des
moyens les plus efficaces serait de rétablir la
discipline traditionnelle, ce qui ramènerait l’auto-estime
du clergé. Il a essayé de le faire et a réussi
en partie. Il a rétabli la séparation entre le
clergé et les laïcs, entre le clergé et la
société, pour éviter les tentations. Il a tout
fait, inlassablement, pour élever le statut du
clergé. Il a multiplié les documents dirigés au
clergé, par exemple, à l’occasion du Jeudi Saint
de chaque semaine sainte.
Ces écrits manifestent une conception idéaliste du sacerdoce.
Ils ne tiennent pas compte des conditions
matérielles, psychologiques et sociales de la
vie sacerdotale. Ils ignorent les problèmes des
prêtres des années 60, problèmes jamais résolus
et qui continuent de produire les mêmes effets
(abandon du sacerdoce, crise d’identité). Tout
cela est considéré comme une déficience morale.
On le solutionne par une affirmation encore plus
forte de la doctrine, c’est-à-dire, par un
renforcissement de l’idéologie traditionnelle du
clergé.
Le Pape s’appuie sur des mouvements sacerdotaux comme l’Opus
Dei, les Légionnaires du Christ, Sodalitium et
autres mouvements sacerdotaux. Ils sont tous des
intégristes dans la doctrine, rigoristes en
morale, inflexibles en discipline. Ils sont
l’incarnation de la loi totale. Leur moteur est
l’idéologie cléricale, telle que définie par le
Concile de Trente. Ces mouvements doivent donner
l’exemple à l’ensemble des prêtres. Ils seraient
les guides du clergé. Le Pape leur a donné le
rôle des jésuites dans l’Église tridentine.
Ces mouvements sont fascinés par le pouvoir. Ils manifestent
une volonté féroce d’accumuler une richesse
matérielle, du prestige social, le pouvoir
politique, le pouvoir culturel. Ils fondent des
institutions puissantes, supposément destinées à
l’évangélisation. Ils ne réalisent pas jusqu’à
quel point ils se donnent en spectacle à la
société, spectacle de sectes religieuses à la
conquête du pouvoir. Ils ne réalisent pas qu’il
va leur arriver ce qui est arrivé aux jésuites
au XVIIIe siècle. Ils font alliance avec les
puissants, avec les institutions dominantes de
la société occidentale. Ils n’entendent
aucunement la voix qui monte du monde des
opprimés. Ils ne tiennent pas compte de ce monde
parce que leur monde est celui des dominateurs.
En Amérique latine, ces mouvements sacerdotaux acquièrent de
grands pouvoirs dans tous les secteurs, surtout
en économie et en politique. Ils agissent par
l’intermédiaire des élites laïques qui leur sont
totalement soumises. Ils créent un laïcat
fanatique dépourvu de tout esprit critique et de
libre initiative.
Le clergé, inspiré par ces exemples, devient totalement
opportuniste. Il croit que le marketing
religieux va solutionner les problèmes de
l’évangélisation. Ils croient que, par la
manipulation des moyens de communication, il
sera possible de refaire une nouvelle
chrétienté dans laquelle l’Église pourra de
nouveau gouverner le monde.
Comme en temps de chrétienté, ils pensent qu’ils vont
évangéliser avec le pouvoir, par le pouvoir, en
augmentant leur pouvoir. Ils croient que leur
pouvoir va convaincre les chrétiens et les
soumettre à leur contrôle. Ils ne se rendent pas
compte que le monde a changé et que les laïcs
d’aujourd’hui ne sont pas tous comme ceux
d’autres temps. Ils pensent que l’exemple des
mouvements sacerdotaux intégristes va conquérir
la société et fonder un nouveau clergé semblable
à l’ancien et basé sur la même théologie. Et ils
pensent que les laïcs vont se soumettre à la
discipline de l’intégrisme.
5. QUELLES SERAIENT LES NOUVELLES ORIENTATIONS
AU SUJET DU POUVOIR DANS L’ÉGLISE D’AUJOURD’HUI
?
-
D’abord, il faut reconnaître le pouvoir des
laïcs, basé sur les charismes et dons
spirituels qu’ils ont reçus, les
responsabilités d’évangélisation qu’ils
assument, etc.
-
À tous les niveaux, à partir du Concile
œcuménique jusqu’aux conseils paroissiaux,
les laïcs doivent avoir droit de parole et
peuvent décider avec le clergé sur tout ce
qui ne touche pas à la doctrine clairement
définie.
-
Les laïcs doivent avoir une voix active lors
des élections à tous les niveaux, depuis
l’élection du Pape jusqu’à l’élection des
curés.
-
Les laïcs doivent avoir le droit de discuter
de liturgie, de catéchèse et de
l’organisation de l’Église.
-
Le principe de base, c’est que le pouvoir ne
peut pas être concentré dans une seule
personne.
-
Le fondement de toute réforme du système de
pouvoir, c’est l’information. La
préparation des décisions doit être ouverte,
publiée et les documents nécessaires doivent
être disponibles pour tout le monde. Il ne
peut y avoir de secret dans les nominations,
ni de décisions concrètes prises par une
seule autorité.
-
Il est nécessaire de créer une instance
juridique indépendante où les personnes,
qui se sentent victimes d’injustice,
peuvent recourir. Actuellement, un laïc n’a
aucune défense face au clergé ou aux
religieux; les religieuses n’ont pas de
défense face au clergé; les prêtres n’ont
pas de défense face à l’évêque, et les
évêques n’ont pas de défense face au Pape.
Le principe de base, c’est que le pouvoir est dans tous les
chrétiens, à degrés divers, et la structure doit
reconnaître cette situation.
Le second principe c’est qu’aucune personne humaine ne
représente le pouvoir de Dieu, donc elle peut
être corrigée dans tout ce qui n’est pas pouvoir
de Dieu. Il doit donc y avoir une correction
fraternelle qui doit être publique.
Le pouvoir de Dieu crée, construit, édifie, augmente, confère
plus de liberté. Tous les pouvoirs
ecclésiastiques qui n’agissent pas en ce sens,
ne sont pas pouvoir de Dieu et doivent être
contenus, limités, corrigés structurellement.
Les structures doivent éliminer les opportunités
d’abus de pouvoir. Car, dans l’Église il y a
abus de pouvoir comme dans toute société et pour
diminuer ça il faut avoir des normes qui
équilibrent les pouvoirs de tous.
Transcripteur - éditeur : Enrique A. Orellana F.,
du mouvement et cahiers SOMOS IGLESIA, Chil
Traducteur au français : Yves La Neuville
D’autres textes de José Comblin, en espagnol, sont
disponibles chez le transcripteur à :
somosiglesiachile@hotmail.com