La "Sainte Famille"

vue par un psychiatre: Françoise Dolto


Gérard Séverin a interrogé Françoise Dolto sur la famille de Jésus, sur ses parents.

Que signifie la virginité de Marie ?

Quel est le sens de la paternité de Joseph ?

Qu'est-ce qu'être père ?

Je vous laisse découvrir cet entretien passionnant tiré de l'ouvrage "L'Evangile au risque de la psychanalyse" de Françoise Dolto. Cet entretien suppose que l'on ait en mémoire Luc 1,26-38 et Matthieu 1,18-25.

Joseph est un homme sans femme. Marie est une femme sans homme. Jésus est un enfant sans père. Peut-on alors parler de vraie famille ?

Françoise Dolto

Oui, on peut parler de vraie famille, au point de vue de la responsabilité devant la loi.La famille animale n'existe pas devant la loi. La famille est un terme humain qui entraîne devant la loi la responsabilité réciproque des parents pour l'éducation d'un enfant.De la famille découlent aussi la participation aux biens, à la fortune commune du groupe ainsi qu'à ses épreuves communes et une manière de vivre et de parler accordée aux moeurs du groupe.Mais votre question vient de ce que, dans cette partie des évangiles, il y a du mythe.

Mais alors, qu'est-ce qu'un mythe pour vous ?C'est une projection des imaginaires préverbaux, du ressenti du vivre dans son corps. Quand je dis mythique, je dis au-delà de l'imaginaire particulier de chacun ; c'est une rencontre de tous les imaginaires sur une même représentation.On peut préciser aussi que Le mythe nous dit toujours comment quelque chose est né. Ici, nous assistons à la naissance de Jésus-Christ et du Nouveau Testament.

Le mythe participe aussi du mystère, c'est-à-dire qu'il révèle une vérité. Ce mythe des origines du christianisme est riche et lourd de sens Bien souvent, on accepte la grandeur et l'épaisseur humaine des mythologies grecques ou hindoues par exemple, tandis que l'on néglige sur ce plan les ressources des mythes judéo-chrétiens. Il est vrai que pour le croyant ces traditions le concernent sur un autre plan. Peut-être est-ce une certaine peur de l'au-delà ou du transcendant qui empêche la plupart des incroyants d'en être partisans ?

Sans doute. Pour moi, il ne fait aucun doute que la « Sainte Famille » comme disent les Catholiques, ou les évangiles racontant l'enfance de Jésus, s'expriment par des images mythiques mais ils véhiculent aussi un mystère, une vérité qui se révèlent dans ses. textes.Il y a du mythe dans ces passages d'Evangile. C'est certain. Mais, pour moi croyante et psychanalyste, il n'y a pas que cela.

Que savons-nous avec nos connaissances biologiques, scientifiques, de l'amour et de son mystère ?Que savons-nous de la joie ?De même, que savons-nous de la parole ? N'est-elle pas fécondatrice ? N'est-elle pas parfois porteuse de mort ?Que savons-nous de cette extraordinaire alchimie qu'est la greffe chez les végétaux, phénomène pourtant naturel. Déjà Virgile en avait chanté le prodige ! Il parle de la vigne greffée étonnée de porter sur ses branches des fruits qu'elle ne reconnaît pas !

Et si la parole reçue par Marie était l'instrument de la greffe de Dieu sur ce rameau de David ?Et même s'il n'en est pas ainsi, que Jésus, en tant qu'homme, soit conçu de la rencontre charnelle de Marie et de Joseph, je n'y vois au fond aucun inconvénient ! En effet, ce n'est pas cette rencontre charnelle qui a fait que son destin d'homme incarne totalement Dieu.Vous comprenez donc que toutes les discussions gynécologiques concernant la Vierge m'apparaissent comme des ergotages imbéciles, de même les sous-entendus moqueurs touchant le statut marital de Joseph.

L'ange annonce à Marie : « La puissance du TrèsHaut te couvrira d'ombre. » Où est Joseph ?

Mais l'ombre de Dieu, tout homme ne l'est-il pas pour une femme qui aime son homme ?La puissance et l'ombre de Dieu qui couvrent Marie peuvent être la charnalité d'un homme qu'elle reconnaît comme époux. Pourtant, il semble que Joseph ne se reconnaît pas l'époux de Marie ou du moins le géniteur de Jésus. En effet, il veut répudier Marie quand il apprend qu elle est enceinte. Et Marie dit par ailleurs : « je ne connais pas d'homme. »

Il faut chercher à découvrir ce que veulent dire ces textes. Cette révélation de la conception de Jésus, est faite à Marie dans sa veille et à Joseph dans son sommeil, dans un rêve. C'est dire que les puissances phalliques, créatrices féminines du désir de Marie sont éveillées, disposes, tandis que les puissances passives du désir de Joseph sont au maximum.

Autrement dit, Marie désire. Elle sait, par l'intervention de l'Ange (là c'est une manière de parler mythique) qu'elle deviendra enceinte. Mais, comment ? Elle n'en sait rien. Mais comme chaque femme, elle espère, elle désire être enceinte d'un être exceptionnel.

Quant à Joseph, il sait par l'initiation reçue dans son sommeil, que pour mettre au monde un fils de Dieu, il fallait que l'homme se croit y être pour très peu.Nous sommes loin, voyez-vous de toutes les histoires de parturition et de coït. Ici est décrit un mode de relation au phallus symbolique, c'est-à-dire au manque fondamental de chaque être. Ces évangiles décrivent que l'autre, dans un couple, ne comble jamais son conjoint, que toujours il y a une déchirure, un manque, une impossible rencontre et non pas une relation de possession, de phallocratie, de dépendance.En Joseph, rien n'est possessif de sa femme. De même que rien, en Marie, n'est a priori possessif de son enfant. Fiancés, ils font confiance à la vie, et voilà que le destin de leur couple en surgit. Ils 1'acceptent.

On dirait un couple d'aujourd'hui, un couple hors mariage !

C'est un couple au contraire, exemplairement marié : l'enfant n'est pas le fruit d'une passion mais d'un amour.Leur désir est décrit comme transcendé dans l'amour de leur descendance et de plus, ils ont soumis leur vie, leur destin aux Ecritures.Pour moi, c'est parce qu'ils sont soumis aux Ecritures, c'est-à-dire à la Parole de Dieu écrite qu'ils sont un couple exemplaire, un couple de parole justement. Parole reçue. Parole donnée.Parole donnée qui est venue de la parole reçue créatrice et fécondatrice. Parole donnée d'être garant de cette femme, Parole donnée de faire sien cet enfant. Parole donnée de faire confiance, d'être mère sans savoir comment...

Parole écoutée par Joseph qui voit que sa femme est enceinte alors qu'il ne se sent pas être l'auteur de cette grossesse. Il lui est dit dans son sommeil : « Elle porte l'enfant de Dieu, ne l'abandonne pas. »Parole écoutée pour sauver l'enfant, à la veille du massacre des Innocents, là encore, dans son sommeil, dans un rêve ! Et Joseph se soumet à cette obéissance et cet enfant n'est peut-être pas l'enfant de sa chair. Il n'en serait donc pas le père ?

Peut-être ! Il faut dire que souvent, on fait la confusion entre père et géniteur. Il faut trois secondes à l'homme pour être géniteur. Etre père c'est une tout autre aventure.Etre père c'est donner son nom à son enfant, c'est payer de son travail la subsistance de cet enfant, c'est l'éduquer, l'instruire, c'est l'appeler à plus de vie, plus de désir... C'est bien différent que d'être géniteur. Tant mieux, peut-être, si le père est le géniteur, mais, vous savez, il n'y a que des pères adoptifs.Un père doit toujours adopter son enfant. Certains adoptent leur enfant à sa naissance, d'autres quelques jours après, voire quelques semaines plus tard, d'autres l'adopteront quand il parlera, etc. Il n'y a de père qu'adoptif.

Et j'ajoute qu'un homme n'est jamais sûr d'être le procréateur, il doit faire confiance à la parole de sa femme.Ainsi, la densité humaine de chaque couple se retrouve dans l'histoire du. couple que forment Joseph et Marie. Mais, en retour, ce couple extraordinaire, nous aide à découvrir ce qu'il en est de la profondeur d'une rencontre entre un homme et une femme ordinaires.

Mais qu est-ce qu'une famille aujourd'hui, dans laquelle la mère serait vierge, où une vierge serait mère ?

Mais c'est ce que nous rencontrons chaque jour. Tout fils voudrait que sa mère fut vierge. C'est un fantasme qui vient de la nuit des temps, tandis que le fils était dans l'utérus. Là, il n'y a aucun rival. Il ne connaît l'existence de l'homme de sa mère que lorsqu'il est doué d'audition, de vision et de discrimination des formes de ceux qui entourent sa mère. Donc, pendant un très long temps de sa vie, le garçon, par ses désirs hétéro-sexuels imaginaires qui sont anticipateurs de sa vie d'adulte, peut croire qu'il comble le désir de sa mère. Adolescent, il voudrait continuer sa vie sur les données archaïques de son désir.

Mais la virginité dont parlent les évangiles c'est quand même autre chose que des fantasmes mal liquidés !

Oh oui... Etre vierge c'est être disponible. Pour la femme vierge, pour l'homme vierge, la parole devient plus importante que la chair. Ici, la parole de Dieu est plus importante que la chair.C'est pour cela, me semble-t-il, que l'Eglise veut que Marie soit vierge avant et après l'accouchement, comme si elle avait accouché d'une parole, comme si c'était une parole, la Parole de Dieu, le Verbe qui était sorti d'elle et non une masse charnelle qui aurait jailli, dans l'espace, à travers son corps charnel de génitrice.En chaque être humain, qu'il soit homme ou qu'il soit femme, il y a un homme et une femme, il y a donc Joseph et Marie, il y a l'aimant qui donne et l'aimant qui reçoit.

Nous avons tous une disposition à la maternité qui peut être vierge et rester vierge, de même qu'une disposition à la paternité. Qu'est-ce à dire ? Sinon que nous pouvons porter les fruits d'une parole reçue d'un autre.Notre pensée peut être fécondée par une idée venue d'ailleurs, sans savoir qui nous l'a donnée. Or, ce qui estpsychologiquement vrai ne pourrait-il pas l'être spirituellement ?

C'est cela que représente Marie : elle est une image, une métaphore de la parfaite disponibilité. C'est cela que représente Joseph, sa virginité, sa chasteté comme époux et père médiatisent, la même vérité : être disponible. Chacun d'eux, elle éveillée, lui endormi, accueillent la Parole de Dieu. Leur désir acquiesce dans leur chair à celui de Dieu qui désire s'incarner homme.

L'important c'est que les mots relatant l'incarnation de Dieu dans l'espèce humaine continuent à poser problème : ils confrontent sans cesse notre rapport au désir et à l'amour.Le fantasme de mère-vierge, fantasme masculin, y trouve sa résonance. En s'identifiant à Jésus, puis à Jean, un homme, dans un amour de coeur à coeur à Marie, rédime et transcende son attachement foetal, oral, charnel d'individu porté, né et nourri par sa mère humaine. Pourquoi pas ? Marie sert alors de transfert et de relai à tout amour filial.Et les filles, les épouses ou les mères peuvent désaltérer avec Marie, leur coeur souvent blessé, tant par leur propre mère que par l'incompréhension masculine.

Marie et Joseph sont pour vous des êtres de chair et des figures,

j'allais dire des modèles. Marie est précisément la représentation chez une femme de la totale réceptivité à Dieu, à l'état de veille.Joseph est la représentation de la totale réceptivité à la parole de Dieu à l'état de sommeil. L'actif dort - l'homme est actif dans son émission créatrice génitale. La passive est éveillée et à l'écoute - la femme est passive dans sa réceptivité génitale.

C'est peut-être un exemple à méditer concernant la disponibilité consciente et inconsciente qui ne parle pas, qui écoute Dieu.Joseph est un exemple extraordinaire car il accepte d'élever cet enfant justement jusque dans son inconscient. Il sait qu'on n'a jamais les enfants qu'on a rêvés et il l'adopte. Il accepte de le protéger, de le guider, de l'instruire de la loi, de lui enseigner son métier d'homme, sans être son rival.De quelle valeur exemplaire, les mots qui racontent cela ne sont-ils pas porteurs pour nous qui censurons des enfants au lieu de les accepter et qui pieuvrons nos enfants par peur ou par rivalité ?

Terminons. On dirait que pour vous toutes les questions concernant la virginité de Marie, le statut marital de Joseph, etc. toutes ces questions sont finalement sans grande valeur.

En effet, pour moi ce sont de fausses questions parce que tout ce qui est de la vie spirituelle est un scandale pour la chair. Tout ce qui est de l'ordre de la logique de la chair n'a pas de sens à partir du moment où nous sommes questionnés par la vie spirituelle, quand nous sommes désirants de vie spirituelle.

Bien sûr, nous savons en tant que psychanalystes que la vie charnelle peut être un piège pour le désir mais ce n'est pas parce que cela peut l'être que cela l'est toujours.De même, nous savons que la vie spirituelle - mais est-ce encore une vie spirituelle ? - nous savons que la vie spirituelle peut être une sorte de surnarcissisme : nous nous mettons à aimer, par exemple, nos propres paroles que nous disons à Dieu, nos mots, nos phonèmes que nous émettons vers Dieu ! Ce n'est pas parce que la prière risque d'être ceci qu'elle l'est toujours !La prière est au-delà de tous nos phonèmes, au-delà de tous les sons. Elle est dans un mutisme que ne connaissent pas les êtres humains entre eux. Un mutisme claironnant de désir dont tout homme, toute femme, à un moment de sa vie, sent la force qui l'appelle à vivre une vie spirituelle. Ce désir peut le rendre intrépide.

Je ne perçois plus la relation que vous faites entre cette vie spirituelle, scandale de la chair, et la « Sainte Famille ».

Mais la « Sainte Famille » qui n'en serait pas une puisqu'elle a l'air de ne pas être ordinaire quant au processus de la génitude sur le plan humain, cette famille focalise toutes les nécessités des processus de la génitude sur le plan spirituel. Elle indique comment on naît, comment on répond à la vie spirituelle.Vous voyez un homme qui croit en la parole, alors qu'il est dans un sommeil profond. Ceci n'est pas logique ! L'homme croit aux actes, à sa puissance de corps : à celle de son sexe dans laquelle, témoin de lui-même, il met sa fierté.

Vous voyez une femme, totalement impuissante, qui, éveillée, croit à la possibilité que Dieu se manifeste par elle !Tout ceci est complètement alogique, surréaliste et pourtant ils vivent tout à fait dans la vie de tous les jours. Ils partent en Egypte pour que Jésus échappe au massacre des soldats d'Hérode. Ils ne sont pas riches.Ce sont de petites gens qui ont l'intelligence de la chair, du coeur et de la vie spirituelle.


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