UNE VÉRITÉ CONTESTÉE
Extrait des " Mémoires II " de Hans Kung
pages 240 à243
Première question: Qui a inventé la
doctrine de l'infaillibilité?
Sensationnelle fut pour moi la
découverte de Brian Tierney l' historien
américain dont j'avais fait la connaissance
personnelle à l'université de Cornell,
à Ithaque (Etats-Unis). Après de longues
années de recherche, ce médiéviste
de premier rang avait retrouvé qui avait
été l'auteur de cette doctrine de
l'infaillibilité devenue si populaire au XIXe
siècle, mais que personne n'avait jamais
enseignée pendant les premiers siècles
chrétiens; car même au cours de la
réforme grégorienne du XIe siècle,
qui avait engendré l'absolutisme pontifical, on
s'en tenait fermement à l'idée qu'un pape
pouvait errer en matière de foi. Ce ne furent donc
ni les théologiens ni les canonistes papaux du
haut Moyen Âge qui inventèrent la chose,
mais Petrus Olivi ( +1298), un franciscain quelque
peu excentrique qu'on avait plusieurs fois accusé
d 'hérésie. En défendant son
idée, il voulait contraindre tous les papes
successeurs de Nicolas III à s'en tenir au
décret que celui-ci avait porté en faveur
de sa fondation franciscaine où l'on obligeait
à une pauvreté rigoureuse. C'est pourquoi,
en l324 le pape Jean XXII avait condamné sa
théorie de l'infailhblhte comme l' œuvre du
démon, le père du mensonge.
Conséquence: l'infaillibilité du pape
était à l'origine une
hérésie! .
Deuxième question: Qu'en est-il de
l'infaillibilité du concile
œcuménique?
Résultat des recherches de
Herman-Josef Sleben, jésuite: même Athanase,
le grand combattant du premier concile de Nicée
(325), n'y croyait pas. Il fondait en effet d'une tout
autre façon l'autorité du concile
œcuménique: celle-ci ne tenait pas simplement
au fait que, sous certames conditions, ce concile
était œcuménique, ni même au
fait qu'on ne pouvait tenir certains propos qu'en faisant
appel au Saint-Esprit; mais plutôt à la
façon dont il témoignait de la foi des
apôtres. Athanase formule cette idée de
façon fort heureuse:
«L'Écriture respire.
» Bref le concile a autorité dans la mesure
où il fait valoir l'Évangile de
façon authentique et
crédible.
Troisième question: Qu'en est-il finalement
de l'infaillibilité papale ou épiscopale
dans le Nouveau Testament?
Je suis quand même surpris de n'avoir
entendu au cours du débat aucun
exégète répondre de façon
précise à cette question essentielle
posée par Vatican 1: sur quoi se fonde
l'infaillibilité de Pierre? Au contraire. Ni Josef
Blank, ni Rudolf Pesch, ni Wolfgang Trilling,
exégètes allemands représentatifs de
la science actuelle, ne faisaient partie de la commission
théologique de Vatican II. Or ils sont tous
d'accord pour dire qu'on ne trouve au cours des trois
premiers siècles aucun point de départ pour
affirmer cette prérogative de Pierre, à
plus forte raison de l'évêque de Rome. Tous
trois pensent d'ailleurs que «Pierre, rocher»
(qui ne se trouve que chez Matthieu 16, 18), n'est pas
historiquement un mot de Jésus, mais une
création postpascale de la communauté
palestinienne, celle de Matthieu.
Jésus n'y aurait rien compris.
Même Rahner le reconnaît dans
une interview du Spiegel du 28 février 1972:
«Si je m'imagine hypothétiquement, pure
hypothèse, lire à Jésus en chair et
en os la définition du premier concile du Vatican
de 1870, avec tout son savoir humain empirique, il
n:aurait pu que s'étonner et ne rien y
comprendre.» L'étonnant, c est que, à
notre époque, «avec tout notre savoir
empirique », nous puissions comprendre ce à
quoi Jésus, auquel se réfère
Pourtant toute la tradition chrétienne, n'aurait
rien compris.
Jésus n'aurait d'ailleurs rien
compris non plus à l'Inquisition qui.se
réclame de lui et, lui qui fut
déclaré hérétique à
cause de sa critique, de la fausse piété
légaliste et du culte du Temple, il aurait
appelé a «purifier le
Temple».........
"Un suisse défie le pape",
s'intitule un article de Die Zeit ( 3 mai 1971
). Mais tandis que, il y a quelques années,
des théologiens comme Congar, Rahner,
Schillebeekcx se voyaient encore infliger des
méthodes vaticanes d'interrogatoire, Küng
semble être le premier à contraindre
l'autorité censoriale romaine à renoncer
à sa position autoritaire. »
Effectivement: en février 1971, au terme d'une
longue attente, la Congrégation de la foi publie
le règlement de la procédure de l'examen de
la doctrine. La « déclaration pour la
liberté de la théologie» que
j'avais lancée en 1968 et qui avait
rassemblé les signatures de 1 360
théologiens avait provoqué quelques
améliorations: «L'auteur» (et non
plus «l'accusé») ne doit être
jugé que sur ses propres livres, articles et
propos; il a un défenseur à sa disposition
(relator pro auctore, bien sûr
désigné par Rome); on fera rapidement appel
aux évêques concernés. Mais
toujours pas le droit de prendre connaissance des actes
ni aucune chance sérieuse de sortir du
procès sans capitulation. Bien sûr,
affirme-t-on, cette procédure doctrinale ne
relève pas du droit pénal, mais elle n'en
prévoit pas moins des sanctions: si, au
cours du procès, il ressort que l'auteur du livre
incriminé maintient son opinion et n'entend
recourir à aucun « moyen de salut» pour
remédier à son «erreur », il doit
s'y attendre. Lesquelles? Mgr Giuseppe Tomko, membre
de la Congrégation de la foi (par la suite
cardinal de curie en raison de ses mérites), qui
présente la nouvelle procédure lors d'une
conférence de presse, échappe à la
question par une plaisanterie macabre: «Ne sont
prévues ni chaise électrique ni chambre
à gaz.» Mais il concède tout de
même qu'on appliquera à l'indigne serviteur
de l'Église des mesures disciplinaires. En
fait, le retrait de son habilitation à enseigner,
l'exclusion de sa chaire ou la suspension de ses pouvoirs
sacerdotaux sont une façon de «couper la
tête» d'un théologien, à moins
qu'on ne l'ait forcé à capituler ..
Cela avait été encore peu
avant le cas de Mgr Ivan Illich, un Croate de
quarante-quatre ans, le chef de l'institut CIOC qu'il
avait fondé à Cuernavaca (Mexique). Il
avait critiqué !es liens intenses des
Églises d'Amérique latine avec les
pouvoirs, ainsi que l'interdiction de la pilule. Il
fut forcé de se retirer et de renoncer à sa
présidence (une «victime intellectuelle»
selon le mot du cardinal Seper, préfet de la
Congrégation de la .foi ) Cependant, un an plus
tard, il dut encore se rendre au palais du Saint-Office
pour s'y soumettre à un pénible examen sur
ses « erreurs» concernant l'Eglise et le
clergé, sur son intervention contre l'interdiction
de la pilule, et jusque sur son amitié avec Che
Guevara et sa relation avec les femmes. Il refusa de
répondre à la moindre question et publia
finalement dans Excelsior, un journal mexicain, le
questionnaire auquel il avait été soumis,
ce que reprirent plusieurs autres journaux, y compris en
Italie, de telle sorte qu'on connut pour la
première fois les détails de la
procédure de ce soi-disant «colloque ».
Par la suite, la Congrégation de la foi voudra
éviter une telle épreuve.
Le 1 0 août 1971, L' Osservatore
Romano le confirme: «L'enquête sur Küng
est introduite.» Un peu plus bas, sous la rubrique
«Catholique»: «Un coup contre les
théologiens modernes: on les chasse de
l'Université ». Me voici donc
épinglé dans le Bildpost catholique avec
Schillebeeckx, en compagnie du président de
l'Union humaniste, auteur d'un livre, Le Malheur du
christianisme, ou Plaidoyer pour un humanisme
athée, qui voudrait chasser la théologie de
l'Université au profit d'une science des
religions. D'autres organes de presse évoquent
ce qui se passe en Union soviétique où,
depuis des décennies, on se dresse avec des
«méthodes scientifiques» contre la
religion, mais aussi de manière
générale contre toute volonté de
réforme. C'est ainsi qu'on peut y lire:
«Ce que le Kremlin est pour Sakharov, le Vatican
l'est pour Küng. » Mais je ne me mêle
pas à un débat de ce niveau. Devant cette
vague de bruits, je me contente de déclarer
laconiquement: «Je me demande si je ne dois pas
faire collection des timbres du Vatican. »
Entre-temps, pour moi comme pour la
majorité des catholiques de
l'hémisphère Nord, et à la
différence du magistère
ecclésiastique le problème de
l'infaillibilité était réglé.
Ce n'était plus un défi intellectuel, mais
seulement une question de politique
ecclésiastique. C'est pourquoi je me refuserai
désormais à en discuter.
1 y avait longtemps que je m'étais
lancé dans d'autres domaines auxquels je
m'attacherai et me consacrerai infiniment plus.
Extrait des " Mémoires II "
de Hans Kung pages 240 à243
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