GROUPE DE RÉFLEXION "SPIRITUEL ET PSYCHOLOGIE"
Dossier du groupe au terme de son travail– SEPTEMBRE
2011
Le Groupe de réflexion "Spirituel et Psychologie" se
composait de : Mgr Michel SANTIER, Président, évêque de Créteil ; Mgr
André DUPLEIX, France ; Mgr Denis LECOMPTE, Coordinateur de "Pastorale,
Nouvelles Croyances et Dérives sectaires" ; M. Bertran CHAUDET, diacre, Coordinateur de "Pastorale, Nouvelles Croyances et Dérives
sectaires" ; P. Claude FLIPO, s.j., (Lille) ; P. Étienne GARIN,
s.j.,(Paris) ; Dr Bertrand GUIOUILLIER, Psychiatre et psychanalyste
(Le Mans) ; P. Étienne MICHELIN,Notre-Dame-de-Vie (Vénasque) ; SrMarie-Ancilla, moniale dominicaine (Lourdes) (qui a
participé jusqu'en juin 2011).
Notre société est marquée par le souci du bien-être. C'est
devenu une priorité pour nos contemporains.
Pour eux, le droit au bien-être, non seulement social mais également
psychologique et biologique, est unimpératif justifiant tous les investissements possibles.
L'Église consonne pour une part à ce souci d'un
mieux-être qui manifeste un aspect de la vocation del'homme : il
aspire au bonheur et à son développement personnel. Dans
une création en devenir, il lui revientde les trouver à
partir de la réalité d'aujourd'hui et des
possibilités qu'il sait être en lui et dans les autres. Il
estresponsable de son avenir, de l'avènement d'un monde
meilleur. D’autre part, l'Église ne peut renoncer à
annoncer que le bonheur intégral de l'homme consiste dans la
vision de Dieu que seul le Salut réalisé dans le Christ
lui permettra d’atteindre.
L'Église se réjouit donc de voir de nombreux chrétiens faire
leur un tel souci et mettre en oeuvre
toutes les ressources médicales et psychothérapeutiques pour
lutter contre les multiples modalités de la
souffrance qui minent leur bonheur ou le bonheur des
autres. Elle sait cependant que «la création
entière gémit maintenant en travail d'enfantement
», que « nous avons été sauvés, mais
c'est en espérance » et qu'« espérer ce que
nous ne voyons pas, c'est l'attendre avec persévérance
» (Rm 8,22-25). Le développement des sciences humaines a
ouvert de nouvelles perspectives : nul doute qu'une meilleure
connaissance de la psychogenèse, c'est-à-dire des
processus par lesquels chaque personne se développe au sein de
la création et de la société, permet de
déceler ce qui aurait été dans sa
psychogenèse un facteur l'ayant amené à vivre des
souffrances psychologiques et même des maladies psychosomatiques.
La multitude des modalités actuelles des psychothérapies
dit la grande espérance des praticiens qui cherchent à
donner à leurs patients des moyens de déraciner
eux-mêmes ce qui est à l'origine de certaines de leurs
souffrances. En encourageant ces praticiens, l'Église s'inscrit
dans sa Tradition la plus constante.
Et cependant, l'Église est aujourd'hui invitée à être attentive à
ce qui est proposé par des groupes
de chrétiens organisant des sessions de guérison dites
"psycho-spirituelles".
Ces sessions attirent de plus en plus de chrétiens qui les
perçoivent comme un ministère offert par l'Église
au nom du Christ. L'importance de leur attrait urge la vigilance que
doit exercer tout évêque sur de telles propositions faites
dans son diocèse. Il est de sa responsabilité de
vérifier l'authenticité évangélique de ce
qui est proposé. C'est cette responsabilité même
qui est à l'origine de la création de notre groupe de
réflexion. Ce groupe est en mesure aujourd'hui de lister des
points de vigilance qui semblent mériter attention en raison de
déviances souvent présentes.
Le succès de ces sessions et de l'accompagnement
psycho-spirituel qui s'y pratique manifeste qu'une attente actuelle de
chrétiens est ainsi rejointe et reçoit une réponse
qui les satisfait. Il en résulte que la réputation et le
pouvoir que l’on accorde à ces sessions suscitent un
véritable engouement. Parmi ceux qui s’y inscrivent,
nombreux sont ceux qui, dans leur mise en oeuvre, mêlent deux
domaines : celui de la vie spirituelle et celui de la vie psychologique.
Les personnes qui
font confiance aux animateurs de ces
sessions et à ces accompagnateurs, perçoivent comme un "plus" le
fait que l'écoute qu'on leur offre soit tout à la fois spirituelle et psychologique. Elles ne semblent pas
réaliser que ce type d'écoute peut engendrer des confusions, parfois lourdes de conséquences
malheureuses. Comment distinguer la vie
spirituelle de la vie psychique lorsqu'en une seule démarche, on
s'adresse à la même personne ou au même groupe de
personnes ? Une meilleure connaissance de la Tradition leur ferait
saisir qu'une écoute spirituelle et une écoute
psychologique requièrent des personnes compétentes et des
lieux différents.
D'où l'interrogation que l'épiscopat doit absolument se poser :
Ces accompagnateurs et ces animateurs de sessions
psycho-spirituelles méritent-ils la confiance que leur font tant de chrétiens ?
- Spirituellement, leur foi est-elle éclairée ? L'objet de leur
espérance est-il vraiment le Royaume ? Sur quel discernement se fonde leur désir d'aider ceux qui souffrent en
leur parlant avant tout de guérison ? - Quelle formation sérieuse ont reçu ces personnes qui se disent
"accompagnateurs" ?
Durant l'année écoulée, notre Groupe de réflexion a élaboré
plusieurs documents qui, nous
l'espérons, soutiendront les évêques dans leur responsabilité de
vigilance pastorale.
1) Le Père Claude Flipo (cf. annexe 1) rappelle
que l'Église a acquis, de par sa longue expérience, une
réelle sagesse. Les situations malheureuses de personnes ayant
fait confiance à un tiers ayant exercé une
autorité sur elles, notamment dans la vie religieuse, ont
été à l'origine de règles de sagesse qu'il
serait malheureux d'ignorer ou de transgresser : - distinction du for
externe et du for interne, - impératif de la plus grande
discrétion en tout ce qui touche le for interne, - distinction
de l'autorité de directeur spirituel et de celle du
Supérieur, responsable de la réalité
ecclésialequi lui est confiée,
- observation des exigences de la loi civile qui encadre désormais
la fonction de psychothérapeute.
Il est loin d'être évident que les actuels directeurs ou
animateurs de sessions psycho-spirituelles répondentà ces
exigences. Un tel constat concerne la responsabilité
épiscopale dans la mesure où ceux-là
laissententendre au peuple de Dieu qu'ils ont la confiance de la
hiérarchie et qu'ils exercent un ministère
d'Église. S'il arrivait qu'un évêque reste
silencieux sur cette question, son silence ne pourrait être
interprété que comme une approbation. Ne risquerait-on
pas, alors, que les erreurs et les abus soient dévoilés
seulement au cours de procès civils intentés par des
victimes : manipulation mentale, manipulation psychologique, exercice
illégal de soins psychothérapeutiques, abus financiers
même ? La bonne volonté, la
générosité ne garantissent pas la qualité
du service. Les exigences de formation requises pour les directeurs
spirituels dans les séminaires indiquent la voie de ce qui
pourrait être demandé à ceux qui se retrouvent, de
fait, en situation d'accompagnateur spirituel.
2) Le Père Étienne Garin (cf. annexe 2
) aide à comprendre
où se situe le risque de déviance des
démarches psycho-spirituelles : le danger ne
réside pas dans le souci d'être attentif à la
réalité psychosociologique, car tout accompagnateur
spirituel classique doit l'être ; il provient de l'importance
primordiale attribuée à la santé
psychosociologique, comme si celle-ci était nécessaire
pour que la vie spirituelle soit possible. Cela nous invite à
deux réflexions : La dissymétrie des interfaces. La vie
spirituelle chrétienne est don en nous de la vie qui est en
Dieu, don de l'Esprit Saint. Cette vie peut avoir et a des effets sur
le corps et la réalité psycho-familiale de la personne
qui l'accueille, notamment des effets de guérison psychique et
biologique. En revanche, l'amélioration de la santé du
corps et du bien-être psychologique n'induit pas une meilleure
vie spirituelle, ni une conversion. « Ce qui est né de la
chair est chair, ce qui est né de l'Esprit est esprit ».
L'ordre de lacharité transcende les domaines du corps et de
l'être psychosociologique.
Une démarche psycho-spirituelle fait vivre simultanément aux
personnes deux mouvements orientés ensens opposés :
- le mouvement de la vie spirituelle les tourne vers Dieu ; il est
accueil de la Parole et de la miséricorde divine, offertes à tous gratuitement ; il oriente la
personne vers Dieu.
- le mouvement de la vie psychosociologique est oeuvre du sujet qui
met lui-même en activité ses facultés. Il centre donc le sujet sur lui-même.
Quand quelqu'un souffre et qu’on lui demande de se souvenir des
traumatismes qui pourraient être à l'origine de sa
souffrance, il y a fort à croire que son tourment deviendra
l'objet principal de la session ; la
Parole risque de n’être plus écoutée que comme moyen de guérison et
non comme présence du Seigneur lui même.
La démarche glissera vers un travail à caractère psychologique.
Est-ce là l'objet d'un ministère
d'Église ?
3) Psychiatre et psychanalyste, le Docteur Bertrand Guiouillier pose
un regard de praticien (cf. annexe 3). Son expérience de
psychothérapeute lui permet de saisir rapidement ce qui serait
faute professionnelle de sa part s'il agissait de telle ou telle
façon. Sa compétence lui interdit toute tolérance
vis-àvis de propositions déontologiquement inacceptables.
L’analyse qu’il a faite d'un livret de déroulement
de l’une de ces sessions n'a pas surpris les membres du Groupe de
réflexion. Tous ont retrouvé dans son texte ce qu'ils
constatent depuis longtemps en écoutant les personnes leur
parler – en bien ou en mal – de ces moments. Les
contributions de M. Bertran Chaudet et Sr Marie-Ancilla, confidents de
nombreuses plaintes, se trouvent clairement résumées dans
cette analyse, si bien que notre Groupe ne les a pas jointes au
dossier. Elles illustrent, à travers des exemples concrets, les
défaillances et fautes professionnelles en matière de
psychothérapie relevées par le Dr Guiouillier :
- méconnaissance de la psychologie de base, conduisant à des
interprétations erronées et des explications simplistes et réductrices ;
- interprétation unique et qui s'impose à
partir de ce qui est imaginé et projeté tout au long
d'une anamnèse. Le récit de la personne
écoutée devient fiction, alors qu'elle est
affirmée réalité historique ;
- glissement du psychoaffectif au spirituel...
Citons sa conclusion : « La démarche d'offrir des
réponses toutes faites à des questions ou blessures
personnelles peut apporter un soulagement dans un premier temps car le
sujet a l'illusion d'avoir trouvé la
raison de ses maux. Mais non seulement elle n'ouvre pas la voie vers un
travail personnel d'élaboration de ses propres conflits
psychiques mais elle risque au contraire d'aboutir à une
fermeture personnelle, voire à des ruptures relationnelles en
rapport avec des boucs émissaires désignés ».
Dans une seconde contribution (cf. annexe 3bis), l
e Docteur
Bertrand Guiouillier essaie
de mettre en tableau les principaux traits qui invitent à ne pas
rester dans l'indistinction de la vie spirituelle et de la vie
psychologique : leur logique et leur dynamisme sont très
différents, même si les effets d'une écoute
bienveillante sont communs. Quelle conséquence ? Lorsqu'une
session ou un accompagnement se centre avant tout sur l'obtention d'un
apaisement affectif, il peut paraître inutile de savoir si cette
guérison a pour origine un don de Dieu ou un travail à
caractère psychothérapeutique. Mais n'en
résultera-t-il pas l’attribution de cette guérison
volontiers à Dieu, alors qu'elle n'était que le fruit du
travail à caractère psychothérapique ?
L'accompagnement et les démarches psycho-spirituelles maintiennent
dans cette confusion.
4)
Les "blessés de la vie"2 (cf. annexe 4)
L’expression est devenue courante dans nos sociétés
de consommation, qui reconnaissent de plus en plus des victimes dans
les personnes ainsi désignées : elles n'auraient pas
reçu de la société ce qui leur serait dû.
D'où une étonnante vision anthropologique sur laquelle
sont fondées les démarches psycho-spirituelles et qui
peut se formuler ainsi : l'homme ne devrait pas être
blessé, mais nous le sommes tous de façon multiple car
nous n'avons pas été aimés comme nous aurions
dû l'être ; des blessures se sont accumulées depuis
notre conception et chacune a été un traumatisme lourd de
conséquences. Et voici l'affirmation essentielle : ces blessures
guériront si nous pardonnons à ceux qui nous les ont
faites.
Il est habituel aux accompagnateurs et animateurs de sessions
psycho-spirituelles de s’efforcer d’aider ceux qui viennent
à eux en leur demandant de se remettre en mémoire les
blessures qu'ils auraient reçues depuis leur conception
jusqu’au moment présent – et de demander à
l'Esprit Saint de les leur révéler s'ils n'en ont pas le
souvenir : ils pourront ainsi pardonner aux auteurs de ces blessures
– auteurs parfois imaginés, mais
toujours accusés – et seront de ce fait guéris.
Deux réflexions invitent à prendre conscience de l'ambiguïté de
cette démarche :
- Les récits de guérison rapportés par les
évangiles l'ignorent. Jésus lui-même n'a pas
été guéri desblessures que lui ont faites les
hommes. Ressuscité, il nous les présente
glorifiées : elles nous manifestent le Salut.
- Affirmer que toute blessure est due au traumatisme causé par
un manque d'amour, et se centrer sur la recherche de la personne qui en
serait responsable pour lui pardonner, n'est-ce pas mettre celui qui se
situe comme blessé en attitude d'accusation d’autrui ? De
plus, s'il est demandé à l'Esprit Saint de
révéler les auteurs des blessures, n'est-ce pas risquer
de faire de l'Esprit Saint un esprit accusateur ? N'est-ce pas
interpréter faussement la mission de l'Esprit de
Vérité ?
Par ailleurs, insister sur la recherche de ceux ou celles qui
auraient blessé la personne concernée, n'est-ce pas détourner son attention de ce qui, en fait, blesse
principalement sa vie spirituelle, à savoir son péché ?
5) En tant que
théologien, le Père Étienne Michelin (cf.
annexe 5)
resitue dans la mission pérenne de
l'Église les démarches psycho-spirituelles actuelles, avant tout
préoccupées de guérison.
Pour que les propositions faites puissent être reconnues par
l'Église catholique, il est essentiel d'avoir l'assurance
qu'elles sont fidèles à ce qui est fondamental : la
réalité du Salut dans le Christ, l'anthropologie
chrétienne et la transmission par la communauté
ecclésiale dont la famille est l'élément de base.
Sur cespoints, la responsabilité de chaque évêque
est d'une grande importance, principalement vis-à-vis des plus
fragiles.
En revanche, il n'y a pas lieu de s'étonner que des propositions
nouvelles nous déconcertent dans la mesure où elles
cherchent à répondre à des attentes prenant un
regain d’importance à notre époque, et notamment en
France. Ainsi des aspects du Salut quelque peu tus ou
négligés dans la doctrine catholique sont rappelés
par l'ouverture oecuménique et les préoccupations
influentes de notre société actuelle. Par exemple :
- la dimension affective de la relation au Christ a, sans aucun
doute, retrouvé sa place, grâce en partie au
Renouveau Charismatique d'origine Pentecôtiste ;
- la vie spirituelle est à nouveau reconnue dans sa dimension d'
"expérience personnelle", après des décades
où l'insistance était mise sur l'engagement social ;
- le souci de la santé qui règne dans nos sociétés – préoccupées de
bien-être – a remis en mémoire la dimension "guérissante" du Salut ;
- la vulgarisation des soins psychothérapiques attire l'attention du
clergé et influence l'action pastorale.
Tout cela bouscule… mais manifeste que le Peuple de Dieu est bien
vivant ! Devant cette créativité
"pastorale", les évêques ne peuvent que se réjouir,
mais à condition de rester clairvoyants. S'ils ont à
interpeller des fonctionnements ou des personnes devant certains
tâtonnements et même ambiguïtés, ce ne peut
être qu'en veillant soigneusement à ce que les traits
pérennes de la mission de l'Église soient
respectés.
Notre Groupe de réflexion a clairement conscience que beaucoup de
démarches psycho-spirituelles actuellement en vogue dans notre pays ne respectent pas ces traits
pérennes de la mission de l'Église.
Ce que notre Groupe de réflexion recommanderait volontiers aux
évêques de notre pays
Affirmons d'abord que notre Groupe a éprouvé de la joie
à réfléchir à ces initiatives. Elles
laissent entendre, au-delà de leurs
ambiguïtés, que des chrétiens s'engagent avec audace
au nom de leur souci de l'homme pour inventer, proposer, organiser des
démarches centrées sur la recherche d'un
mieux-être. Mais ce même Groupe de réflexion
n'hésite pas à formuler quelques vives recommandations :
Il convient d'éviter, malgré leur grand impact,
d'accréditer les sessions de guérison intérieure
lorsqu'elles n'offrent pas les conditions nécessaires pour
mettre en oeuvre la distinction fondamentale entre la vie spirituelle
et la vie psychique. Il s'agit également de veiller à ne
pas s'y rendre présent de manière officielle. La moindre
marque publique d'intérêt ou le plus petit signe officiel
d'attention risque d'être présentés ensuite comme
une approbation et même un envoi. Ces propositions sont
entachées de "messianisme
temporel". Les baptisés méritent mieux, et ce serait
mésestimer leur foi que de les laisser penser que
l'Évangile se réduit à cela. Il peut
apparaître nécessaire de refuser de telles
démarches dans un diocèse. Ce qui est sûr est qu'il
importe d'obtenir que les prêtres du diocèse ne
contredisent pas cette attitude de prudence de leur
évêque. Il importe de tout faire pour que ces
"organisateurs de sessions" soient davantage accompagnés,
interpellés et remis en question par des théologiens et
maîtres spirituels chevronnés. Il revient à
l'évêque del'exiger, mais il ne serait guère
opportun qu'il effectue cette tâche lui-même. • Nombre
de personnes ou de familles ont été victimes de ces
″sessions de guérisons intérieures″, ou de
″prières de guérison″, menées sans
discernement et aboutissant parfois à des ruptures entre
conjoints ou entre parents et enfants. Certaines familles victimes ont
pris conscience de ces dérives et ont demandé à
des responsables ecclésiaux d’intervenir. Leurs dossiers
sont consistants et factuels. Ils n’ont à ce jour
trouvé aucune réponse satisfaisante. Ces familles ont
alors fait appel aux pouvoirs publics, à la Miviludes (Mission
interministérielle de vigilance et de lutte contre les
dérives sectaires), si bien que des enquêtes sont en
cours. Des articles, émissions de télévision et de
radio seraient prévus pour les mois à venir. Ces familles
sont en attente d’une position claire des autorités
ecclésiales. Elles demandent que leurs proches, dont la
mémoire est maintenant habitée par de faux souvenirs
induits, puissent être écoutés par des personnes
compétentes pour tenter de réparer les préjudices
moraux et parfois financiers occasionnés par ces dérives.
• Sans doute faudrait-il enseigner plus souvent que tout
sacrement, notamment celui de la réconciliation, offre un fruit
de guérison, et que celle-ci est avant tout conversion. Cette
conversion permet à la grâce du sacrement de porter des
fruits de guérison psychosociologique, et même physique,
en réordonnant tout l'être intérieur.
• Veillons aussi à encourager les groupes dans lesquels
s'approfondit la connaissance de l'Écriture, et surtout celle
des récits de la Passion et de la Résurrection qui nous
révèlent une toute autre manière de vivre nos
blessures. C'est bien ce que le Concile Vatican II nous suggère
dans la dernière phrase de la Constitution dogmatique Dei Verbum
: « De même que l'Église reçoit un
accroissement de vie par la fréquentation assidue du
mystère eucharistique, ainsi peut-on espérer qu'un
renouveau de la vie spirituelle jaillira d'une vénération
croissante pour la parole de Dieu qui "demeure à jamais" (Is
40,8 et 1 P 1,23-25) ».
Quelques questions susceptibles d’aider à la réflexion
Ce n'est pas sans raison que ces sessions emploient, pour se
définir, le qualificatif de "psychospirituelles".
Travail à caractère psychothérapeutique et
prière sont proposés ensemble. La démarche se veut
holistique : les phénomènes biologiques, psychologiques
et spirituels sont vécus comme un tout. Une telle
démarche maintient dans l'ignorance de la réalité
des interfaces entre les trois ordres de Pascal3.
- Pourquoi une telle importance accordée aux blessures, comme si
la sainteté exigeait leur guérison ? Il faudrait en
conclure que la vie spirituelle serait déterminée par les
événements et les conditionnements de notre histoire
psychosociologique. N'est-elle pas un don gratuit que tout homme
reçoit par sa foi en Jésus- Christ, quel que soit son
état physique et psychosociologique ?
- Le Salut en Jésus-Christ est-il vraiment annoncé ? L'objectif de
ces sessions est de procurer un mieuxêtre.
Ne conduit-il pas à réduire la Parole à un moyen au service de celui
qui souffre?
- L'utilisation des sciences humaines est-elle vécue avec une
compétence en rapport avec leur possible impact sur la vie des
personnes ? La psychogenèse réfute le déterminisme
qui transforme toute personne souffrante en victime. Ce genre de
déterminisme réduit considérablement la
responsabilité de la personne par rapport à
l’état psychologique où elle se trouve.
Nous avons conscience que ce travail doit être poursuivi. Comment
?
- soit par le nouvel évêque qui accompagnerait la poursuite du
groupe de réflexion "Spirituel et Psychologie" ;
- soit par un groupe spécifique à constituer.
* * *
( "Tous les corps ensemble et tous les esprits ensemble et toutes
leurs productions ne valent pas le moindre mouvement de charité.
Cela
est d'un ordre infiniment plus élevé. De tous les corps ensemble
on ne saurait faire réussir une petite pensée. Cela est impossible
et d'un
autre ordre. De tous les corps et les esprits on n'en saurait
tirer un mouvement de vraie charité, cela est impossible et d'un
autre ordre
surnaturel" (Pensées, L 308 B 793).)
GROUPE DE RÉFLEXION "SPIRITUEL ET PSYCHOLOGIE"
ANNEXE 1
Note sur "For interne/For externe"
Père Claude Flipo, s.j. (Lille)
Cette distinction - qui recoupe plus ou moins les couples
subjectif/objectif, privé/public,
secret/révélé - est devenue plus floue en fonction
des développements de la communication. C’est ainsi que la
CNIL4 a été instituée en 1978 pour protéger
la vie privée et les libertés dans un monde
interconnecté : seules les personnes "autorisées" peuvent
accéder aux données personnelles contenues dans un
fichier informatique. Que dire aujourd’hui du secret
médical, du secret de l’instruction, de la
discrétion dans toutes les formes de la relation d’aide,
coaching, psychothérapies, etc. ? Dans l’Église, la
question se pose à l’occasion du développement de
l’accompagnement spirituel, vécu dans les
communautés de base comme dans l’entretien individuel, en
particulier quand cet accompagnement adopte les pratiques plus ou moins
avouées de certaines psychothérapies (anamnèse,
transfert, analyse, interprétation…) ou les
méthodes des stages du "développement personnel"
(ennéagramme…).
En vocabulaire juridique, le for (du latin forum, place publique)
désigne le lieu où une affaire est jugée.
D’où la distinction du droit canonique entre for interne
(ou intérieur), correspondant au jugement de la conscience et
qui relève du secret, et for externe (ou extérieur),
correspondant au
* * *
Repères historiques
La tradition ecclésiale a clarifié et imposé
progressivement cette distinction, non seulement à propos du
secret de la confession au prêtre - qui ne laisse aucun doute -,
mais à propos de l’ouverture de conscience dans la
tradition monastique depuis les pères du désert, puis de
la direction de conscience proprement dite dans les
congrégations religieuses et, depuis leur fondation, dans les
séminaires. On trouve mention de cette ouverture dans la
Règle de saint Benoît : « Qu’ils
s’ouvrent de leurs fautes cachées à
l’Abbé ou aux anciens, hommes spirituels qui savent
guérir les blessures sans les divulguer ». La pratique de
cette ouverture s’est développée chez les moines et
les moniales, même si les Constitutions des grands ordres du
XIIIe siècle n’en parlent guère explicitement. Au
XVIe siècle, les Constitutions de la Compagnie de Jésus
lui donnent une importance accrue en fonction de la mission
confiée : le "compte de conscience" au supérieur majeur
devient obligatoire, qu’il soit rendu en confession ou en dehors.
Le supérieur peut, sous certaines conditions (toute
révélation d’un secret étant interdite),
user de la science qu’il acquiert ainsi tant pour le bien du
sujet que pour celui de l’Ordre.
Cette pratique devait être reprise et adaptée, du XVIIe au
XIXe siècles, dans de nombreux instituts religieux
d’hommes et de femmes. Mais son application allait aboutir
à de graves abus : des supérieures ont pu estimer
qu’elles étaient établies pour assumer le
rôle de directeur de conscience. Il en est résulté
trop souvent "une réglementation officielle de la confiance, une
ingérence abusive, l’annihilation du confesseur et de sa
divine mission". L’aveu des péchés était
demandé, les conseils étaient donnés sans
compétence, et le secret était mal gardé.
Aussi, par son décret Quemadmodum du 17 décembre 1890,
approuvé par Léon XIII, la Congrégation des
évêques et réguliers devait-elle prendre une mesure
radicale : liberté pleine est laissée aux sujets de
s’ouvrir spontanément à leur supérieure ou
non. Mais celles-ci ne peuvent l’exiger. Le Pape abrogeait toute
disposition portant l’obligation, définie par les
Constitutions d’instituts laïcs ou sanctionnée par
des coutumes mêmes
immémoriales. Toute pression de la part de la supérieure,
directe ou indirecte, est interdite. En 1917, le Code étend ce
décret à tous les instituts religieux d’hommes ou
de femmes, de clercs ou de laïcs, ainsi qu’aux
sociétés de vie commune. Il maintient la
possibilité d’une ouverture de conscience, mais sous
condition de liberté. La révélation des "doutes et
anxiétés de conscience" n’est à faire au
supérieur que s’il est prêtre. Le "Directoire
Canonique sur la vie consacrée et les sociétés de
vie apostolique", publié en 1986, suite au nouveau Code de 1983,
n’ajoute rien à ces décisions :
l’accompagnement spirituel est proposé aux religieux comme
un moyen de croissance. Le religieux peut chercher librement cet
accompagnement auprès de son supérieur ou de sa
supérieure (et le Code encourage cette confiance), ou
auprès d’un religieux ou prêtre de son choix. Les
supérieurs ne peuvent en aucune façon exiger la
manifestation de conscience de leurs sujets5.
Nouvelle donne
La question du for interne s’est posée à nouveau
avec l’éclosion des "communautés nouvelles", qui
– même approuvées par l’Église –
n’ont pas toujours eu conscience du poids de sagesse des
traditions religieuses, du fait de la diversité des modes
d’appartenance de leurs membres et du statut de
l’autorité dans leurs groupes.
Dans quelle mesure leurs accompagnateurs spirituels sont-ils
réellement formés ? Comment sont-ils mandatés par
l’Église ? Quel rapport entretiennent-ils avec
l’autorité ? Quelle discrétion garde-t-on dans la
pratique de la supervision ?
Ces questions s’imposent d’autant plus à
l’attention que se développent, au sein de la mouvance
charismatique, des pratiques de guérison qui modifient la nature
même de la direction spirituelle. On peut se demander comment est
authentifié ce qu’on entend par "charisme de
guérison", et avec quelle discrétion il est
exercé. À lire certains documents et
témoignages, on a le sentiment qu’en focalisant
l’attention sur la "guérison des blessures", la personne
concernée est invitée à se considérer comme
victime plutôt que responsable de sa vie, comme malade
plutôt que pécheur, en quête de santé mentale
plutôt que de vitalité spirituelle. À la limite,
c’est la notion de conscience qui devient floue. La direction de
conscience peut alors se muer en écoute psychologisante,
l’examen de conscience en anamnèse des traumatismes
psychiques, le sens moral de la responsabilité personnelle en
analyse des origines de la névrose. Sous couvert d’un
accompagnement spirituel nommé "psycho-spirituel", on glisse
alors insensiblement vers des pratiques psychothérapeutiques mal
définies, sans respecter les distinctions nécessaires.
Alors que l’accompagnement spirituel vise à aider un
chrétien à progresser dans la docilité à
l’Esprit Saint - en prenant conscience des "signes" de son action
dans sa vie, en écartant les affections
désordonnées et en luttant contre les passions de
l’âme -, la psychothérapie, de son
côté, est attentive aux "symptômes" d’un
disfonctionnement interne du psychisme, dû en particulier aux
carences affectives de l’enfance.
Remarquons à ce sujet que la Loi sur la politique de
santé du 30 juillet 2004 réserve l’usage du titre
de psychothérapeute aux professionnels, inscrits au registre
national sur des listes départementales mentionnant les
formations suivies. Son Décret d’application (n°
2010-534), paru le 20 mai 2010, précise les modalités de
ces formations, les capacités requises pour y prétendre
(doctorat en médecine ou master en psychologie) et le mode
d’agrément des établissements qui les donnent. Par
ailleurs, le Code de déontologie de l’Association
Européenne de Psychothérapie (1995) stipule : « Le
praticien de la psychothérapie est strictement soumis à
la règle du secret professionnel ». Ce devoir
s’étend, en particulier, « à
l’entourage familial, aux médecins, auxiliaires
médicaux, établissements soignants et administrations de
tutelle ». Il couvre « toute information
acquise à l’occasion de l’activité
professionnelle… y compris l’identité du/des sujets
». « Ce n’est que lorsque les
nécessités de la thérapeutique exigent la
collaboration avec des personnes donnant des soins au sujet que le
praticien pourra partager de telles informations concernant le sujet,
et avec l’accord express de ce dernier ».
On dira peut-être que les pratiques de la "guérison des blessures"
relève de l’accompagnement spirituel ou, comme il est dit, de l’accompagnement "psycho-spirituel" ; mais
cette ambiguïté autorise ainsi des manières
faire qui ne relèvent d’aucune discipline objective reconnue, et
elle expose alors aux dérives sectaires.
Le respect de la distinction des dimensions spirituelle et
psychologique de la conscience suppose ainsi, de la part des
accompagnateurs, une sérieuse formation à
l’accompagnement spirituel (qui n’est pas seulement un
charisme, mais un art et une compétence reconnus et entretenus).
Elle suppose aussi de nos jours une suffisante formation psychologique
(sans parler du bon sens et d’un sain jugement) qui permette de
saisir quelque peu le fonctionnement psychique des personnes, de ne pas
confondre les domaines et d’user des remèdes
appropriés, en sachant, quand il le faut, orienter les personnes
vers des psychothérapeutes sages, et choisis à
l’extérieur des
communautés.
Dans les séminaires
À ce sujet, on pourrait s’inspirer des règles qui
président à la distinction for externe/interne dans les
séminaires sulpiciens. « Dans les décisions
à prendre concernant l’admission des séminaristes
aux ordres ou leur renvoi du séminaire, l’avis du
directeur spirituel ne peut en aucun cas être demandé, ni
celui des confesseurs » (DC 240,2). Pour l’Église
universelle, la non-perméabilité des deux instances ne
souffre donc pas
d’exception, fait remarquer Bernard Pitaud : « Il ne
s’agit donc pas, comme on le dit parfois, d’une pratique
qui serait liée aux séminaires de l’École
Française »6, même si celle-ci règle les
rapports entre la responsabilité du Conseil et celle du
directeur spirituel selon des modalités qui pourraient inspirer
le fonctionnement des communautés chrétiennes. À
savoir :
- Le respect strict de la distinction des fors externe et interne
est au service de la liberté spirituelle des personnes.
- Le for interne regarde la conscience, là où la liberté s’engage au
plan moral et religieux par un discernement spirituel. Celui-ci se fait avec l’aide et l’avis du
directeur spirituel, lequel est tenu au secret.
Mais c’est la conscience du sujet qui est le lieu de sa décision.
- Le for externe est l’instance ou le Conseil mandaté par l’évêque
pour le gouvernement de la communauté (au séminaire : pour présenter le candidat à
l’ordination).
- Le supérieur est chargé d’assurer à chacun le service d’un
accompagnement personnel, mais il n’est pas lui-même le directeur spirituel.
- Le directeur spirituel ne parle jamais ni au Conseil ni en-dehors du
Conseil de ceux qu’il accompagne. Il se tait. Mais il entendra au
Conseil d’autres points de vue que le sien sur celui qu’il
accompagne. Il ne pourra certes pas parler à son dirigé
de ce qu’il a entendu, mais il s’en aidera pour mieux le
conseiller.
Ainsi, « chacun de son côté - for externe et for
interne - essaie de se soumettre à l’Esprit Saint.
N’est-ce pas finalement la source de la confiance qu’ils
peuvent se faire l’un à l’autre ? ».
Ces pratiques ont évolué de manière progressive depuis le tournant
du XVIIIe siècle jusqu’au XXe siècle, où elles prennent leur forme stricte actuelle.
Janvier 2011
ANNEXE 2
Qu’entendons-nous par vie spirituelle chrétienne
et vie psychique ? Père Étienne Garin, s.j. (Paris)
I - L’homme est un vivant en ce monde. Le dynamisme qui l’anime a
deux origines :
La vie psychique par laquelle l'homme s’affirme sujet, se
réalisant lui-même au sein du cosmos et de la
communauté humaine. Parler d’un sujet, c’est
l’affirmer comme étant une personne, un être
conscient de soi, capable de relations et de faire des choix pour des
motifs, de s’adapter et de comprendre. C’est le sujet qui
génère sa vie psychique tout au long de son histoire en
exerçant ses facultés (sens, imagination, intelligence,
mémoire, volonté). Cette activité produit en
l’homme des phénomènes psychiques (sensations,
perceptions, sentiments, images, idées, jugements,
raisonnements, souvenirs, désirs, décisions). Le sujet
crée et organise luimême les représentations
mentales de cette vie. L'intérêt de l'apport freudien est
de souligner que l'ensemble de ces activités est fortement
marqué par les tonalités de plaisir et de
déplaisir. C'est ainsi que se mettent progressivement en place
des structures internes qui seront remaniées tout au long de
l'histoire de chacun. La vie psychique est le fruit d’une
psychogenèse.
La vie spirituelle est, pour le chrétien, don
de Dieu. « Au fond de sa conscience, l'homme découvre la
présence d'une loi qu'il ne s'est pas donnée
lui-même, mais à laquelle il est tenu d'obéir.
Cette voix, qui ne cesse de le presser d'aimer et d'accomplir le bien
et d'éviter le mal, au moment opportun résonne dans
l'intimitéde son coeur : "Fais ceci, évite cela" »
(Gaudium et Spes, n° 16).
Grâce à la Révélation, le chrétien a
une claire conscience de l’inouï de ce don que Dieu propose
à l‘homme : celui du « pouvoir de devenir enfant de
Dieu » (Jn 1,12). Baptisé, il se reconnaît
personnellement animé par l’Esprit Saint ;
cette présence se manifeste par la foi,
l’espérance, la charité, les dons spirituels et les
charismes… qui font de lui un disciple du Christ et, de ce fait,
un enfant du Père. « Ceux-là sont fils de Dieu qui
sont conduits par l’Esprit de Dieu » (Rm 8,14).
La vie spirituelle chrétienne est celle des enfants de Dieu
conduits par l'Esprit de Dieu.
Bien que d’un autre ordre que celui de la vie biologique et de la
vie psychique,
cette vie spirituelle ne peut se manifester qu’en animant notre corps et notre psychisme.
Don gratuit de Dieu, elle transcende tous les conditionnements de notre
univers et donc tous ceux de notre histoire. Elle n’est donc pas
déterminée par l’éducation reçue ;
cette dernière en favorise ou non l'expression. La relation de
Jésus à son Père n’est aucunement
déterminée par les événements, les
attitudes de ses contemporains, les insultes ou les rejets qui
l’atteignent, les blessures qui marquent son corps. Sa relation
à son Père est simplement filiale, toujours confiante
même lors de son agonie. Or la vie spirituelle chrétienne
est le don d’une participation à cette vie filiale.
Ainsi en toutes circonstances, le chrétien s'engage-t-il
à vivre à l'écoute de l’Esprit Saint, qui
l'invite à ordonner de façon nouvelle toute sa vie
psychosociologique en la conformant à celle du Christ
Jésus.
II - Les interfaces vie spirituelle/vie psychique et vie
spirituelle/vie biologique
La vie spirituelle chrétienne est don de Dieu. Elle n’est
aucunement déterminée par l’état du corps et
du psychisme de la personne, donc autonome. Des personnes
handicapées physiques ou mentales manifestent parfois une vie
spirituelle bouleversante. Des personnes souffrant de graves troubles
psychiques, parfois même psychotiques au dire des
médecins, peuvent vivre une authentique sainteté. Cette
autonomie de la vie spirituelle chrétienne en l’homme
n'exclut pas une action et par conséquent des effets sur son
corps (regain de santé, guérisons…) et sa vie
psychique (libérations de dépendances
malheureuses…).
L’interface vie psychique/vie spirituelle
Nul chrétien n’est en droit d'imaginer, ou même de
penser, que la mise en oeuvre de l'une ou l'autre de ses
facultés psychiques peut faire naître en lui une vie
spirituelle qui ne peut être que don de Dieu. Seul l'Esprit du
Seigneur peut nous faire nous écrier : « Abba » (Rm
8,15) et nous donner ainsi de participer par la foi en Jésus-
Christ à sa propre relation au Père. C’est ce que
Jésus déclare à Nicodème : « Qui
n’est pas engendré d’eau et d’esprit ne peut
entrer dans le Royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est
chair et ce qui est né de l’Esprit est esprit. Ne
t’étonne pas que je te dise : il vous faut être
engendrés d’en-haut » (Jn 3,5-7).
L’interface vie biologique/vie spirituelle
Nul chrétien n’est en droit d’imaginer qu’un excellent dynamisme
biologique pourrait produire, par lui-même, une quelconque divinisation de son être corporel.
« De tous les corps ensemble on ne saurait faire réussir
une petite pensée. Cela est impossible et d’un autre
ordre. De tous les corps et les esprits on n’en saurait tirer un
mouvement de vraie charité, cela est impossible et d’un
autre ordre, surnaturel » (Pascal, Pensées, L.308. B. 793).
III -
Le psycho-spirituel : une nébuleuse
L'expression "psycho-spirituel" recouvre une multitude de propositions
qui ont en commun d'inclure des démarches spirituelles et des
démarches psychiques. Ces propositions peuvent
révéler :
Une ignorance de ce qu’est la vie spirituelle chrétienne
Pour beaucoup de nos contemporains, la vie spirituelle n'est que la vie
psychique dans son déploiement le plus affiné. Elle
serait donc la fine pointe de la vie psychique, de même nature
qu'elle, du même ordre. C'est en développant le psychisme,
le mental surtout, que l'homme se découvrirait spirituel. Il
atteindrait ainsi un état
de conscience supérieur, proche du divin. Autant dire tout de
suite que cela équivaudrait à une ignorance radicale de
l'expérience chrétienne dans la foi qui est celle de
relations personnelles avec le Père, le Fils et l'Esprit Saint.
Une incapacité à distinguer la vie psychique de la vie
spirituelle qui laisse dans une certaine
confusion.
Dès lors, les démarches proposées mènent les deux réalités de front.
Même si elles tentent de les distinguer, elles n'y parviennent pas faute de pouvoir préciser le domaine
propre à l'une et à l'autre.
En Occident, ce fut une préoccupation permanente de distinguer
la vie spirituelle chrétienne, surtout lorsqu'elle était
reconnue "mystique", de la culture religieuse. Les écrits des
Pères de l'Église montrent toute l'attention qu'ils y
portèrent en raison de leur propre expérience. De nos
jours, dans nos universités catholiques, un cours de
théologie, d'exégèse ou de morale se refuse
à proposer aux étudiants une démarche
spirituelle. Les exigences de la rationalité sont à distinguer des
initiatives de l'Esprit Saint qui sont à la source de toute vie spirituelle.
Toutefois, la distinction ne s'est jamais traduite par une
séparation. Si l'autonomie de la vie spirituelle est
signifiée par la distinction entre les cours d'instruction ou de
formation religieuse et les temps de prière, il n'empêche
que la chapelle est habituellement incluse dans l'ensemble des
bâtiments des universités ou des écoles
catholiques.
Une distinction vie psychique/vie spirituelle affirmée, mais
la vie spirituelle chrétienne est
déclarée déterminée de quelque manière par la vie psychique.
Il y aurait une sorte de primauté de la vie psychique qui serait
ainsi de quelque façon condition pour que puisse se
déployer une authentique vie spirituelle. Un parallèle
erroné avec la primauté de la vie biologique sur la vie
psychique inspirerait ce propos : lorsque le cerveau est
malformé, la vie psychique s'en ressent et il
en serait de même pour la vie spirituelle lorsque la vie
psychique est blessée, malade ou défaillante. Il
s'ensuivrait qu'il faudrait soigner d'abord le psychisme pour qu'il
puisse y avoir une réelle vie spirituelle. Or la tradition
chrétienne affirme la transcendance radicale de la vie
spirituelle chrétienne. Une personne
handicapée physique ou mentale est reconnue, par le baptême, capable
de vivre pleinement de l'Esprit des enfants du Père. Il serait illusoire de penser qu'en améliorant son
état physique ou psychique, un homme accéderait de ce fait plus facilement à une vie spirituelle plus
authentique.
IV - La difficulté structurelle des démarches
psycho-spirituelles
Celles-ci maintiennent dans une situation difficile ceux qui les
vivent, car elles leur demandent de vivre des mouvements de sens contraire.
- En effet, le mouvement de la vie spirituelle chrétienne est
accueil de la miséricorde offerte à tous par
Jésus, l'envoyé du Père. Sa parole nous propose de
faire nôtre le don de Dieu, qui est relation aux personnes de la
Trinité et nous envoie dans le monde à la suite du
Christ. La vie spirituelle est alors attente et disponibilité
à l'amour du Seigneur pour les hommes.
- Le mouvement de la vie psychique est oeuvre du sujet qui met en
action ses facultés psychiques et biologiques ; il est donc centré sur lui-même.
Les dangers
1.
La centration sur soi voile la radicalité de la vie
spirituelle, pour les raisons suivantes :
- la difficulté de se détacher de soi ;
- la difficulté de renoncer à ruminer ses blessures ;
- la recherche des causes ou explications de la situation
malheureuse ;
- la volonté propre qui tient à réaliser ses désirs personnels.
2.
La parole de Dieu est le plus souvent réduite à l'état de
moyen au service du bien-être
psychosociologique au lieu d'être accueillie pour être méditée
et contemplée comme révélation de l'amour du Père manifesté en Jésus-Christ.
3.
Un même itinéraire ne peut pas concilier les processus ou les
déterminismes de la vie psychique et la
liberté à laquelle nous invite la vie spirituelle.
4
. Le vocabulaire employé dans de telles démarches se révèle
parfois ambigu et source de graves
confusions. Les mêmes mots sont utilisés pour des réalités
différentes d'ordre psychique ou spirituel.
"Souffrance". La souffrance psychique a pour origine des
conflits intrapsychiques et concerne le moi. La souffrance spirituelle
concerne la relation de l'homme à Dieu. Elle a pour origine soit
le péché, soit le désir d'union à Dieu qui
semblerait ne pas être donné.
Chercher à apaiser une souffrance psychique implique un travail
psychique. Demander au Christ une guérison psychique fait de
Jésus un moyen au service de mon bien-être
psychosociologique. Or Jésus est venu pour nous sauver du
péché, de la mort et pour nous révéler le
dessein de Dieu qui est de lui donner une multitude de frères
pour l'éternité.
"Blessures". Toute blessure est psychique ou physique.
La blessure psychique est subjective. Le sentiment pénible
d'avoir été blessé résulte
généralement de l'interprétation de l'attitude ou
des actes des autres à mon égard, et il n'implique pas
nécessairement que l'autre ait voulu volontairement me faire du
mal.
La vie spirituelle ne saurait comporter des blessures car l'Amour
n'est pas blessé : Jésus manifeste simplement que l'Amour en Lui est plus fort que toutes les blessures
dont les hommes ont affligé son corps et son psychisme. Celui qui aime n'est pas blessé car, avant tout,
il ne regarde que l'autre.
"Guérison". Spirituellement, parler de
guérison est analogique. Le mot qui convient est en effet celui
de conversion. Le pécheur qui se convertit, se tourne vers le
Seigneur, qui est miséricorde. S'il accueille le Salut, il est
sauvé et recouvre la santé spirituelle, qui est
sainteté. Dire, analogiquement, qu'il est spirituellement
guéri, c'est affirmer qu'il est réconcilié et
désire vivre en enfant du Père.
"Liberté". La liberté spirituelle
chrétienne est ce pouvoir de dire "oui" grâce à la
lumière et à la force de l'Esprit Saint qui nous invite
à écouter la Parole et à suivre Jésus en
toutes circonstances. En revanche, la liberté psychique est le
pouvoir de se déterminer à agir pour des motifs et sans
aucune contrainte ni
intérieure, ni extérieure. Celle-ci met en oeuvre le libre arbitre,
qui n'est que le pouvoir de choisir.
ANNEXE 3
Analyse du livret de retraite de Notre-Dame-du-Puy
Docteur Bertrand GUIOUILLIER
Psychiatre des Hôpitaux, psychanalyste, membre du GIREP
La lecture de ce livret nous inspire différentes réflexions, ainsi
résumées. Ce document mélange les registres.
Les auteurs associent du spirituel à du psychologique avec de
manifestes méconnaissances de la psychologie de base, ce qui
aboutit à des interprétations erronées et des
raisonnements simplistes et réducteurs. Je cite : « Si ma
naissance dure trop longtemps, j’ai le sentiment
d’étouffer et, aujourd’hui, je souffre de
claustrophobie. Si le cordon ombilical est enroulé autour de mon
cou, je me sens pris à la gorge, sentiment que
j’éprouve encore maintenant ».
Ceci
est faux, réducteur et dangereux, car figeant toute évolution.
La logique qui semble se dessiner au départ se perd au profit
de la recherche d’une fin qui justifierait les moyens. Les mises
en situations en sont l’illustration, où se confondent
l’imaginaire et la réalité. Elles sont de
véritables mises en scène, réductrices,
volontairement dramatisantes. Elles établissent les conditions
pour justifier le processus de restauration d’un homme
imaginaire, parfait, sans faille. On peut s’interroger sur le
fantasme de toute-puissance des auteurs de ce texte. Les parents,
imparfaits par nature, sont ici disqualifiés dans leurs
fonctions parentales et d’éducateurs. La figure paternelle
est la plus dégradée, qualifiée d’absente,
ce qui laisse beaucoup de place pour le père imaginaire parfait,
tout puissant, qui est assimilé à Dieu dans un glissement
du psychoaffectif au spirituel. D’emblée, dans la
définition de l’agapè, la recherche de bouc
émissaire est annoncée. Il y a confusion entre
l’événement et le traumatisme. Ce n’est pas
l’événement qui fait trauma, comme le laisse penser
le document, mais l’affect qui s’y rattache. En fait, les
auteurs ne font pas la distinction. L’événement est
interprété sans aucune analyse, sans aucune distance avec
une généralisation abusive du trauma qu’il pourrait
engendrer dans un lien linéaire de cause à effet.
Après la confusion de
l’imaginaire et de la réalité, il n’existe pas d’accès au
symbolique.
Le bouc-émissaire est recherché au lieu d’analyser
la responsabilité individuelle. Les auteurs recherchent un agent
extérieur pour tenter de déculpabiliser le sujet, ce qui
peut le soulager dans un premier temps, mais à quel prix ? Ils
utilisent le spirituel dans une fonction magique pour panser les plaies
psychoaffectives qui ne seront en fait ni nommées, ni
analysées, juste suggérées au risque de les
induire. En effet, le registre émotionnel domine, sans
l’aide de la pensée, puisqu’il est recommandé
plusieurs fois au retraitant de ne pas réfléchir…
ce qui laisse l’autre penser, réfléchir pour soi.
L’exclusion de la réflexion induit une dépendance
potentielle, terreau d’une soumission aveugle à un tiers
susceptible de suggérer, d’interpréter les faits
à sa place.
Pourquoi le corps traduirait-il ce que l’intelligence voudrait
dissimuler, comme cela est écrit ? Ceci manifeste une confusion
entre le conscient (assimilé à l’intellect) et
l’inconscient (assimilé au corps). Si le corps peut, bien
sûr, traduire des conflits de l’inconscient, il n’est
pas la seule voie d’expression : le langage est aussi une voie
élective. Que fait-on de la parole du sujet ? Par qui et comment
est-elle accueillie ?
Pourquoi ce catalogue à la recherche du traumatisme, comme étant
LA RÉVÉLATION, et dont la solution découlerait en même temps ?
La conception est réduite implicitement à la relation
sexuelle, qui n’est pas nommée car niée dans sa
fonction créatrice. Entachée, elle est l’expression
d’une sexualité refoulée, mal assumée, non
intégrée. La conception ne laisse pas place à la
vie et à son potentiel créatif, à
l’espérance. L’émotion transmise in utero est
surestimée et figée, ne laissant pas place à une
évolution adaptative, vivante. La distinction entre
l’enfant imaginé, fantasmé par la mère, et
l’enfant réel n’existe pas. Les figures parentales
sont également figées, avec absence de place pour une
évolution positive des relations maternelles et paternelles
On n’échappe pas à sa destinée. Il n’y
a place ni pour des phénomènes de résilience, ni
pour des évolutions positives de sorties des crises humaines, ni
pour des relations d’étayage avec des substituts
parentaux. La seule issue qui est proposée est le fantasme
d’une restauration d’une vie idéalisée in
utero, sans conflit, sans douleur,
d’une fusion primitive mère-enfant ou l’invitation
implicite à la régression. La figure maternelle est
initialement positive mais se dégrade progressivement pour
devenir castratrice, exclusive, mais ceci est en accord avec la fusion
qui a été louée antérieurement. Là
encore, il est fait appel à un dieu magique qui viendrait gommer
les
imperfections humaines, combler les manques constitutifs de la nature
humaine. Le tiers accompagnateur colle manifestement à ce
fantasme du bon parent. Rappelons que Winnicott a parlé de
mère suffisamment bonne, pas de mère parfaite. Le recours
à la glaise - je cite - « pour sentir la qualité de
cette relation, belle ou douloureuse, que tu vis encore
aujourd’hui avec lui [le père] », est purement et
simplement une fabulation délirante. L’adolescence est
abordée seulement sur son versant négatif, source
d’un profond malaise. Alors que, depuis le début de la
lecture et l’analyse du document, on se demande pourquoi une
telle place est réservée au traumatisme, la nature
sexuelle des traumatismes (au pluriel dans le texte) s’impose
comme une quasi-certitude.
Pourquoi une telle importance lui est-elle donnée ? Est-ce la
projection des auteurs du texte ? Estime-t-on que la fréquence
des traumatismes sexuels justifie une telle place ? Est-ce que les
auteurs du texte pensent que la majorité des retraitants
seraient perturbés dans leur personnalité à cause
d’abus sexuels ? Ce qui serait un partipris
important. Il convient de noter au passage que les mécanismes de
défense sont constitutifs de toute personnalité et ne résultent pas de traumatismes sexuels comme le
laisserait penser la formulation du texte (p.104).
Il nous semble que cette question du traumatisme sexuel est centrale
et constitue le soubassement – sinon la raison première
implicite à décrypter – de la démarche
proposée. La place réservée au traumatisme sexuel
pourrait en revanche induire implicitement, non seulement la notion de
la fréquence élevée, mais aussi la cause
fantasmée ou réelle à tous les maux psychiques.
C’est une hypothèse avancée initialement par Freud,
qu’il a lui-même abandonnée ensuite dans ses travaux
de recherche ultérieure.
La démarche d’offrir des réponses toutes faites
à des questions ou blessures personnelles peut apporter un
soulagement dans un premier temps, car le sujet a l’illusion
d’avoir trouvé la raison à ses maux. Mais, non
seulement elle n’ouvre pas la voie vers un travail personnel
d’élaboration de ses propres conflits psychiques mais elle
risque, au contraire, d’aboutir à une fermeture
personnelle, voire à des ruptures relationnelles en rapport avec
des boucs-émissaires désignés.
Février 2011
ANNEXE 3 bis Vie spirituelle et vie psychique
: distinguer pour mieux unir Docteur Bertrand GUIOUILLIER
Nous allons tenter d’aborder les liens qui unissent et
séparent la vie psychique et la vie spirituelle, avec
l’objectif d’ouvrir un débat beaucoup plus que
d’enfermer une parole dans un domaine ou l’autre. "Vie
psychique et vie spirituelle : une distinction nécessaire pour
mieux unir", titre un article de Tony Anatrella, prêtre et
psychanalyste. Cet auteur considère en effet que, trop souvent,
elles sont confondues alors qu’elles
représentent deux réalités distinctes,
vécues dans l’unité de la personne humaine. Faut-il
s’étonner cependant qu’elles utilisent certains mots
identiques, car elles peuvent avoir des objectifs communs comme de
soulager la souffrance ou de rechercher la vérité et la
vie.
Pour les chrétiens, la vie spirituelle est un espace où
s’engage un dialogue avec Dieu. Elle provient de l’action
de Dieu, de son Esprit Saint, au coeur de
l’intériorité de chacun.
L’intériorité de chacun est en prise directe avec
le fonctionnement psychique qui résulte de différentes
strates, niveaux d’organisation développés par
Freud, le père de la psychanalyse : - pulsionnel, avec le
ça ; - Moi ; - Surmoi issu de l’éducation qui est
intériorisée. Maurice Bellet, prêtre et
psychanalyste, écrit que « La psychanalyse, loin
d’éliminer la foi, lui ouvre une compréhension plus
profonde, montre comment la foi n’est pas quelque chose de
surajouté à la vie, un
système religieux…, mais plutôt une
expérience de la vérité que nous ne pouvons
construire, ni enfermer dans notre langage ». Il poursuit :
« Il faut accepter que la foi soit en nous mouvante, qu’on
a perdu la fameuse sécurisation par un processus dont on
n’était pas maître. Aussi, la foi n’est plus
ce refuge immobile, identifié à un contenu
déterminé de mots, de rites, d’institution ».
Mais les catholiques ont souvent été méfiants
à l’égard de la psychanalyse et de la psychologie,
notamment dans les suites des critiques de Freud qui est resté
ambivalent et plutôt hostile à la religion telle
qu’elle était à la fin du XIXe et au début
du XXe siècle, alors qu’il était témoin, en
Autriche, d’un catholicisme sévère et
austère. Les critiques qu’il a formulées sont
cependant intéressantes à entendre comme des risques de
dérives potentielles, notamment pour le sujet qui
nouspréoccupe, lorsque les dimensions psychologique et
spirituelle s’ignorent.
Quelques types de dérives possibles
Le refus de toute articulation entre les deux approches expose
à une position de toute-puissance : chacune ignore l’autre
et prétend tout expliquer par elle-même. Il y a un risque
de dérive sectaire.
Si la représentation de l’homme est réduite
à sa dimension pulsionnelle, occultant ses capacités
d’élaboration, de raisonnement et de discernement, elle
est compensée alors par une sur-dimension spirituelle qui
revêt un caractère unique d’éducation de ses
pulsions. La relation de Dieu et de l’homme est de type
infantile, et ce modèle renferme des germes de manipulation.
La fusion des deux approches dans un mélange psycho-spirituel,
où l’accompagnant spirituel vise des objectifs
thérapeutiques et où la psychothérapie a des
objectifs spirituels, peut entraîner des simplifications
outrancières avec des interprétations erronées
pour justifier une démarche psycho-spirituelle simpliste. Le
carnet de retraite des journées du Puy en est truffé.
Le premier et le troisième types dénient la
complexité de l’humain. On assiste à des
simplifications réductrices, sources pour le sujet d’une
rupture de liens avec des dimensions de sa richesse propre, au risque
d’entraver son évolution, car ne lui permettant pas
d’utiliser toutes ses ressources personnelles.
Logique et dynamique différentes du spirituel et du
psychothérapique
|
Spirituel |
Psychothérapique |
Objet |
Conversion |
Soulager la souffrance morale |
Finalité |
Se tourner vers Dieu
Tendre vers la Sainteté
Se reconnaître et vivre en enfant de
Dieu |
Changement comportement et psychique
Meilleur équilibre psychoaffectif
Être soi-même |
Nature |
Choisir le bien |
Capacité à choisir |
Mécanisme |
Dynamique de l’Amour et
Communion/autres |
Assouplir des défenses trop rigides
Diminution de l’angoisse
Diminution dépendance infantile |
Moyens |
Religion avec
- enseignement
- sacrement
- vie communautaire et fraternelle |
Parole exprimée
+ mise en lien des évènements de vie
+ donner du sens |
Effets psychothérapiques communs aux deux domaines
1 - Liés à l’écoute
- être écouté et trouver une liberté de parole ;
- être entendu et s’entendre soi-même ;
- être regardé positivement ;
- connaissance de soi-même en fonction de son histoire personnelle
et familiale : aider à se situer.
2 - Liés à la relation
Relation |
Accompagnement spirituel |
Psychothérapique |
Fondement |
Confiance + compassion |
Élaboration du transfert comme levier de
changement +
contre-transfert |
Moyen |
Trouver la bonne distance dans la
relation |
Analyse et interprétation dans le transfert |
Risque |
relation inconsciente
de dépendance |
Dépendance si la séparation ne s’élabore pas |
Effets psychothérapiques de l’accompagnement spirituel
- développement d’une introspection à travers la relecture de son
histoire ;
- se savoir aimé et être aimable ;
- avoir moins peur du don, de la parole donnée, de son propre désir
;
- diminution d’une angoisse d’abandon ;
- ajustement de ses attentes affectives/autres ;
- différencier responsabilité et culpabilité ;
- trouver un sens à son existence.
Effets spirituels d’une psychothérapie
- se découvrir aimé ;
- être acteur de sa vie, de ses choix ;
- choisir la vie avec accroissement de confiance en soi et en
l’autre.
Différencier accompagnement spirituel et psychothérapie
|
Accompagnement spirituel
dans la religion chrétienne |
Psychothérapie d‘inspiration analytique |
Fondement |
Théologie |
Sciences humaines |
Finalité |
Connaître et aimer Dieu |
Gagner en liberté intérieure
Diminution des conflits intrapsychiques |
Objets de
changement |
Vie morale |
Vie psychoaffective |
Leviers de
changement |
Amener la personne à poser des actes d’Amour
à lutter contre le péché
Repérer les actions de l’Esprit Saint |
Mettre à jour les conflits inconscients
Assouplir les mécanismes de défense |
Moyen |
Écoute ouverte +/- orientée/repérage des
obstacles, lutte, effort, choix |
Écoute analytique : associations libres
+faciliter les liens
+donner du sens |
Relation entre les deux
protagonistes |
Confiance et compassion
Guide sur le chemin de la vie intérieure |
Transfert et contre-transfert |
Cadre |
Entretien 1 à 2 fois/mois Gratuit
Centré sur la relation à Dieu et aux autres |
1 fois/semaine payant
centré sur la vie psychoaffective + histoire
personnelle et familiale + relation aux autres |
Signes de changement |
Foi et charité |
Plus de liberté intérieure
Amélioration de capacités d’adaptation |
Quelle articulation pratique entre accompagnement spirituel et
psychothérapie
Les deux ne sont pas incompatibles. Mais on ne doit pas ignorer le
risque de compétition inconsciente avec augmentation du discours
du religieux chez le psy, traduisant une augmentation des
résistances au changement en psychothérapie, ou
l’utilisation d’un espace de parole dans un accompagnement
spirituel qui fait
écran à une problématique psychologique sous-jacente.
Indication d’un accompagnement spirituel après une psychothérapie
- Que faire de cette liberté intérieure comme fruit d’une
psychothérapie ?
- Quel choix d’investissement, d’engagement dans sa vie ?
- Quel sens donner à sa vie ?
- Accompagner une démarche de pardon.
Février 2011
* * *
ANNEXE 4 Les blessures Père Étienne Garin, s.j.
(Paris)
Jésus ne parle jamais de blessures
Et cependant, dès Bethléem, il n'est guère
accueilli par son peuple. Il sera incompris, persécuté,
et finalement blessé à mort dans son humanité :
« dans ses blessures nous trouvons la guérison » (Is
53,5). Il vit avec ses blessures, quelles qu'elles soient, sûr de
faire ainsi la volonté du Père. Il ne demande pas
à son Père de le guérir mais vit son existence
d'homme maltraité en aimant jusqu'à l'extrême ceux
qui le blessent dans son
corps et son âme (son être psychosociologique), montrant ainsi à ses
disciples commentvivre en ce monde en enfant de Dieu.
La vie spirituelle ne saurait comporter de blessures car l'Amour n'est
pas blessé. Jésus manifeste simplement que l'Amour, en
lui qui est la Vie, est plus fort que tout le mal dont les hommes ont
affligé son corps et son psychisme, et transpercé son
coeur. Aucune blessure ne peut empêcher celui qui aime de vivre
en continuant d'aimer.
Jésus s'adresse à des hommes en qui – quel que soit leur état
corporel et psychosociologique –
il voit des
enfants du Père, manquant de foi en l'amour de ce
Père. Qu’ils soient en bonne santé ou malades,
riches ou pauvres, honorés ou méprisés…
qu'importe ! En présence d'aveugles, de sourds, de
lépreux, jamais Jésus ne demande : « comment cela
t'est-il arrivé ? Qui t'a blessé ? As-tu pardonné
? » Il ne se centre pas sur le mal qui les défigure aux
yeux des hommes, mais contemple leur coeur. Devant leur manque de foi,
d'espérance et d'amour, il les invite à croire davantage
en l'amour de Dieu : « où est votre foi ? ». C'est
à cette fin qu'il leur donne des signes : il parfait la
création de
l'aveugle-né qui va enfin voir. « Tes péchés
sont remis », dit-il au paralytique. Ceux qui en sont
témoins vont-ils croire davantage à l'amour
miséricordieux de Dieu ? Jésus propose à tous la
vie éternelle et se montre donc animé par cette
même vie, en toutes circonstances :
« Père, glorifie ton Fils afin que ton Fils te glorifie et
que selon le pouvoir sur toute chair que tu lui a donné, il
donne la vie éternelle à tous ceux que tu lui a
donnés. Or la vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent,
toi le seul vrai Dieu et celui que tu as envoyé
Jésus-Christ » (Jn 17, 1-3).
Mais les hommes ne voient en ces fils d'Abraham que des êtres
humains blessés, et se centrent sur ces
seules blessures.
L’état de ces malades ne leur paraît pas convenir
à l’être humain car la dignité ou
l’intégrité de l’homme en serait atteinte.
Ils veulent à tout prix que cette situation change. Leur foi en
Dieu les porte à penser que le Seigneur ne peut vouloir cela.
Ils voient selon les apparences et réduisent ces êtres
humains à leur seul état physique, psychologique et
sociologique qu'ils jugent déplorable à partir des seuls
critères terrestres.
Qui dit blessure dit meurtrissure :
-
Il y a blessure corporelle lorsque le corps est meurtri par
une cause extérieure,
ce qui en lui provoque une
lésion, une plaie ou un trauma. On ne parle donc pas de
"blessure", s’agissant d'une personne née avec un
handicap physique.
-
Il y a blessure morale lorsque l’on s’estime offensé dans sa
dignité humaine.
La blessure morale n'a qu’une réalité psychique :
elle est subjective. Le sentiment pénible d'avoir
été blessé résulte
généralement de l'interprétation que l’on
donne à l'attitude ou aux actes des autres à notre
égard, et donc pas nécessairement du mal que l'autre
aurait vraiment voulu nous faire.
Les blessures tant corporelles que morales sont à l'origine de
douleurs et de souffrances
Par conséquent, il est heureux de chercher ce qui les a
provoquées et comment les guérir. C'est bien pourquoi il
est bon que beaucoup fassent de cette préoccupation leur
activité professionnelle essentielle : médecins,
psychothérapeutes, etc., mais tout autant les éducateurs
de toutes catégories. Leur travail consiste :
- d'abord, à
diagnostiquer la blessure : blessure du corps,
blessure affective, intellectuelle, etc., donc psychique ou sociale ;
- puis, à se demander
qui est responsable de cette situation
: celui qui est blessé ou d'autres ? La personne en est-elle responsable ou victime ?
- enfin, à voir
qui peut la guérir ? Lui-même ? Un médecin,
si le mal est corporel ? Un travail
psychothérapeutique ? Quelque autre praticien ? Et pourquoi pas
Dieu ? Un Dieu tout-puissant et miséricordieux, auquel tout est
possible du haut du ciel !
Mais ne serait-ce pas alors lui demander de nous dispenser de vivre
les dures réalités de notre condition humaine ? Serait-ce encore croire à l'Incarnation ?
Pourquoi pas aussi les serviteurs de Dieu que nous sommes, dans des
sessions de guérison dites ″psychospirituelles″ ?
Les sessions psycho-spirituelles évitent difficilement deux
dérives, car notre bonne volonté peut
parfois être naïve.
La grande attention accordée aux blessures - qui nous situent
en victime -, relègue au second plan
la conversion. Fermés sur leur univers mental,
ceux qui participent à de telles sessions risquent d'oublier que
c'est à une conversion qu'ils sont invités : se tourner
vers Jésus et se mettre à son école en portant sa
croix comme il a porté la sienne. Jésus ne leur
lance-t-il pas un appel pour vivre les réalités de
l'existence terrestre comme lui, en enfant de Dieu,
c’est-à-dire en croyant que ce ne sont pas ces "blessures"
qui pourraient entraver leur relation filiale avec leur Seigneur ?
Dans de telles sessions, toute blessure est attribuée au mal qui
a meurtri notre humanité de quelque façon. En se centrant sur la blessure, on espère atteindre les
racines de ce mal et en être ainsi libéré.
Mais ce serait oublier qu'il y a des ″blessures″ dont il ne
faudrait surtout pas guérir…
Spirituellement, parler de guérison est analogique.
Le mot qui convient est en effet celui de conversion. Le pécheur
qui se convertit, se tourne vers le Seigneur qui est
miséricorde. S'il croit, il est sauvé et, quel que soit
son état physique et psychosociologique, il recouvre la
santé spirituelle qui est sainteté. Dire analogiquement
qu'il est spirituellement guéri, c'est affirmer qu'il s'est
laissé réconcilier avec Dieu et désire vivre en
enfant du Père.
D'où viennent les blessures de l'homme ?
Cette question nous permettra de mieux saisir que, pour le chrétien,
peu importe l'auteur des blessures.
La recherche de "coupables" ne l'intéresse guère. Pour
lui, comme nous l’avons déjà dit, l'essentiel est
de vivre avec ou sans blessures, et d'où qu'elles viennent, en
authentique enfant du Père à la suite de Jésus.
Chacun est lui-même auteur de nombre de ses blessures,
tant corporelles que psychiques, ou qui sont la conséquence de
ses péchés : celui qui se casse une jambe par maladresse
aura à trouver comment vivre avec son plâtre ; celui qui
se nourrit d'images ou de pensées perverses blesse autant sa
sensibilité que son intelligence ; celui qui se juge, ou jalouse
autrui, se blesse lui-même puisqu'il se comporte en homme
pécheur.
Les autres me blessent. Qu'importe que ce soit
volontairement ou non, qu'il s'agisse de blessures dues aux
conséquences du comportement pécheur de mess
ancêtres (péché originel), de mes parents et
éducateurs, de mes contemporains, etc.
L
es puissances du mal peuvent également blesser
mon humanité. Sans entrer dans une réflexion sur le
mystère d'iniquité, l’Évangile nous parle du
Tentateur qui est menteur, accusateur et homicide. Il parvient à
nous blesser, ne serait-ce qu'en se déguisant en ange de
lumière pour mieux nous tromper. Il blesserait parfois
même notre corps, si l'on en croit certains mystiques.
Dieu lui-même peut être à l'origine de certaines blessures,
dénommées "blessures d’amour"
Citons le Dictionnaire de spiritualité : « Les écrivains spirituels
donnent à l'expression blessure d'amour tantôt un sens large, tantôt un sens strict.
Au sens
large, ils désignent ainsi des grâces variées mais
qui toutes entraînent une souffrance : grâces ordinaires ou
éminentes, s'échelonnant depuis la petite,
causée par le regret des fautes passées, jusqu'à la
transverbération, faveur mystique très haute, réservée aux
âmes parvenues à l'union transformante. Au sens strict,
cette appellation est réservée à une grâce
spéciale, nettement déterminée… qui
appartient aux purifications passives de l'esprit. Sainte
Thérèse d'Avila et saint Jean de la Croix l'ont
analysée avec précision. »
Voici ce qu'en décrit
Giovanni-Battista Scaramelli,
jésuite du XVIIIe siècle : « [...] une touche
enflammée et brûlante d’amour par laquelle Dieu
élève subitement l’âme à la possession
affective et sentie de lui-même, et se retire aussitôt...
Pareil à un trait de feu qui éclaire et brûle en
même temps, il donne à l’intelligence une
connaissance plus vive des perfections divines et imprime à la
volonté un élan impétueux vers le
Bien-aimé... qui se dérobe aussitôt. Alors, le
sentiment aigre de l’absence de Dieu déchire
l’âme
comme une flèche qu’on arrache brusquement d’une plaie, et lui cause
une peine saignante et savoureuse à la fois. »
Et saint
Jean de la Croix : « Dieu n'a qu'un but
en les faisant : blesser plus que guérir, affliger plus que
satisfaire. Elles ne servent qu'à donner une connaissance plus
vive, un appétit plus fort, donc une douleur plus grave. »
Le public des sessions de guérison
Il se compose de chrétiens fréquentant, pour beaucoup,
des groupes de prière. Nombreux parmi eux sont ceux qui ont
vécu une "effusion de l'Esprit" dans une assemblée de
prière charismatique. Ce sont des priants, des personnes pour
qui le Seigneur est au centre de leurs préoccupations. Le plus
souvent, Marie tient une grande place dans leurs prières
(chapelet, pèlerinage à Lourdes…).
Nombre de ces personnes ont certainement fait l'expérience
d'être "blessées d'amour"..
Elles ontvécu une ou plusieurs fortes "consolations
spirituelles" et leur coeur en garde la nostalgie, ces grâces
n’étant plus ressenties à présent avec la
même force. Les voici douloureuses, assoiffées de Dieu et
toutes prêtes à croire, si on le leur suggère, que
cette sécheresse spirituelle serait due à quelque
blessure ignorée.
Elles arrivent à la session pleines d'espoir, disponibles et
prêtes à vivre tout ce qui sera proposé afin que
l'Esprit Saint – comme on le leur promet – dévoile
une ou plusieurs des blessures qui pourraient sans doute être
détruites à la racine, si le pardon est accordé
à leur(s) auteur(s).
Pareille recherche détourne ces personnes du chemin habituel
de la vie spirituelle.
Elles s'évertueront à chercher une blessure, au lieu de
vivre les purifications nécessaires pour cheminer vers une union
plus profonde au Christ. Ce qui leur est proposé dans la session
les incite par conséquent à se
centrer sur elles-mêmes et à transformer la Parole en
moyen, alors qu'elle est la Vie. En outre, prier longuement dans
l’espoir de trouver la blessure secrète qui serait la
cause de leurs difficultés spirituelles, facilite la
création de blessures imaginaires. Le soi-disant pardon que l'on
accordera alors à ceux qui auraient été à
l'origine de ces blessures établira dans une satisfaction de soi
orgueilleuse, bien à l'opposé
de ce à quoi invitait le Seigneur en les "blessant d'amour". De
plus, le récit de leur histoire que feront peu à peu ces
personnes risque de n'avoir plus grand chose à voir avec la
réalité, et de se ramener à une simple fiction.
N'en doutons pas, aucune "blessure d'amour" ne sera jamais
"guérie" par ce qui est ainsi proposé. Nombreuses sont
les personnes qui suivront session sur session, puisqu'elles n'auront
pas trouvé la blessure cachée qui cause soi-disant leur
sécheresse spirituelle ou leur souffrance de ne plus
goûter comme auparavant la présence aimante du Seigneur.
Espérons que le Ressuscité lui-même viendra les
surprendre et les délivrer
ainsi de leur errance, en les remettant par grâce sur la voie
habituelle des purifications spirituelles.
Un tel danger n'est guère à craindre chez la plupart des
participants
Ils sont venus à l'une de ces sessions psycho-spirituelles parce
que des amis les y ont encouragés. Leur vie chrétienne se
limitait auparavant à une vie morale attentive à la
doctrine de l'Église. Le plus souvent, l'évocation dans
la prière de ce qu'ils ont pu vivre depuis leur conception
jusqu'à ce jour remet en mémoire des souvenirs
réels qui vont enfin pourvoir être regardés de
près. Le fruit en sera le plus souvent une meilleure
connaissance de soi, un bienfait psychologique indéniable. La
session par ailleurs permettra à beaucoup d'entendre un enseignement fondamental sur ce qu'est la vie
baptismale, et c'est des plus heureux.
Ces retraitants ont fait un acte de foi très édifiant en
s'inscrivant à de telles sessions. Ils ont beaucoup prié
le Seigneur de guérir leurs blessures. Le Seigneur voit le coeur
et les exaucera au-delà de ce qu'ils demandaient, en se
révélant lui-même de quelque façon à
eux.
Faudrait-il renoncer à demander à Dieu la guérison des
blessures ?
Bien sûr que non, mais seulement comme une grâce que nous
ne pouvons que mendier. Cette guérison ne peut pas être un
but en soi, comme si le Seigneur n'était invoqué qu'en
tant que moyen pour l'obtenir. Pareille demande ne fait appel
qu'à la liberté du Seigneur, invoqué au nom de sa
miséricorde. Pareille prière n'a donc
aucunement à se prévaloir d'un diagnostic ou de l'identification de
la cause de la blessure.
En guise de conclusion
Citons simplement le "Principe et Fondement"8 des Exercices
Spirituels de saint Ignace de Loyola :
« L'homme est créé pour louer, respecter
et servir Dieu notre Seigneur, et par là sauver son âme.
Les autres choses sur la face de la terre sont créées
pour l'homme, pour l'aider à poursuivre la fin pour laquelle il
est créé. Il s'ensuit que l'homme doit en user dans la
mesure où elles lui sont une aide pour sa fin, et s'en
dégager dans la mesure où elles lui sont un obstacle.
Pour cela, il faut nous rendre indifférents à toutes les
choses créées, en tout ce qui est permis à la
liberté de notre libre arbitre et ne lui est pas défendu.
De telle manière que nous ne voulions pas, quant à nous,
santé plus que maladie, richesse plus que pauvreté,
honneur
plus que déshonneur, vie longue plus que vie courte, et ainsi de
tout le reste ; mais que nous désirions et choisissions uniquement ce qui nous conduit davantage à la fin
pour laquelle nous sommes créés ».
Mai 2011
* * *
Complément au texte sur "Les blessures" L'homme blessé
La Révélation nous ouvre les yeux : non seulement elle
nous dévoile le Dieu Trinité, Père, Fils et
Esprit, mais elle nous découvre le visage de l'homme juste en ce
monde, celui de Jésus, vrai Fils de Dieu : c'est le visage d'un
homme blessé dont les blessures ne seront pas guéries.
"Voici l'homme"
Devant Pilate, Jésus est le Fils de Dieu fait homme au terme de
son cheminement parmi nous. Il est le juste en qui nul mal ne fut
trouvé, l'homme vrai qui assume son insertion dans l'histoire.
Il est la Vérité, telle qu'elle est présente en
notre monde. Et c'est un homme blessé qui est ainsi devant
Pilate, un homme dont les blessures ne seront pas guéries. Le
Fils de Dieu qu'il est n'en est pas exempté : il est vrai homme.
En vrai Fils de Dieu qu'il est, il nous montre simplement le chemin,
c'est-à-dire comment un fils de Dieu vit en homme blessé,
si bien que l'Esprit répandu dans nos coeurs nous invite
à nous comporter comme lui lorsqu'à notre tour nous
sommes blessés.
« Voici l'homme ». Qui parcourt le chemin de l'existence se
retrouve toujours de quelque façon blessé, car les
blessures sont inévitables ici-bas. Mais, il est de la vocation
de l'homme de vivre ces blessures en enfant du Père, donc comme
le Fils qui, crucifié, manifeste que ces blessures ne
l'empêchent pas d'aimer ses frères humains, même
ceux qui le blessent. À son tour, il prend le chemin de la
glorification.
Au calvaire, nous contemplons trois hommes crucifiés…
Trois hommes dans le même état, au terme de leur existence ; trois
hommes blessés à mort.
Seul Jésus ne mérite d'aucune façon pareil sort.
S'il est ainsi traité, ce n'est sûrement pas du fait qu'il
n'aurait pas su vivre sa vie d'homme. Quoi qu'il en soit, il est
blessé autant dans son psychisme que dans son corps : son
affectivité est maltraitée par tous, même par ses
amis, qui doutent de lui ; son intelligence est brutalisée par
l'absurdité du
comportement des hommes pécheurs ; sa volonté d'aimer est
heurtée par le rejet du peuple de Dieu. Mais, ainsi
blessé de toutes manières, il reste divinement libre et
témoigne de son amour indéfectible pour les hommes. Les
blessures ne l'empêchent pas de rester pleinement lui-même,
de se comporter comme il l'a toujours fait jusqu'alors. Il manifeste
simplement qu'il est habité par l'amour miséricordieux du
Père : « Père, pardonne leur, car ils ne savent pas
ce qu'ils font ». Son coeur transpercé laisse jaillir pour
tous ceux qui le contemplent les eaux de cette miséricorde.
Auprès de Jésus, deux hommes…
Des larrons, comme nous le sommes tous de quelque manière,
puisque nous sommes tous pécheurs. Tous deux sont mis dans le
même état que Jésus, mais, à la
différence de ce dernier, ils sont pour une bonne part
responsables de leur sort. Ni l'un ni l'autre ne seront guéris
de leurs blessures. Cependant, l'un s'ouvre à Jésus et
meurt dans la paix, déjà bienheureux malgré toutes
ses blessures, celles de son corps qui sont les plus récentes,
mais aussi celles, tant affectives que rationnelles, accumulées
tout au long de son existence. « Tu n'as même pas la
crainte de Dieu ! Pour nous, c'est justice. Jésus, souviens-toi
de moi quand tu seras dans ton Royaume » (Lc 23,40-42). Il est
sauvé, vraiment "guéri" pouvons-nous dire, puisqu'il se
comporte enfin comme Jésus, en enfant de Dieu. L'autre larron
reste fermé à Jésus et meurt dans les tourments,
puisqu'il n'a pas accueilli le Salut.
La "guérison" en Jésus-Christ s’appelle le Salut et
le Salut se reçoit du Ressuscité. Par l'Esprit Saint, il
nous est donné de pouvoir vivre en enfant de Dieu dès ce
monde si, avec Jésus, nous mourons aux désirs de la
chair. Et parmi les désirs de
la chair, il faut bien nommer une certaine idolâtrie de la santé
physique ou du bien-être psychique.
Aujourd’hui, ne faut-il pas veiller à ne pas accorder
à la guérison des blessures plus d’importance qu’un disciple de
l’évangile ne le doit ?
Du moins si, par cette guérison, nous entendons un
rétablissement de l'homme "originel", la restauration d'un
bienêtre physique et psychique. En effet, si Jésus
guérit les corps et restaure les relations sociales chez ceux
qui en sont dépouillés, tels les lépreux, il ne
cesse de nous rappeler que la vraie santé de l'homme est dans
son union au Père. Le reste n'a qu'une importance relative :
« Ne craignez rien de ceux qui tuent le corps et qui,
après cela, ne peuvent rien faire de plus » (Lc 12,4).
« Aimez vos ennemis et priez pour vos persécuteurs, afin
de devenir les fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait
lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la
pluie sur les justes et sur les injustes » (Mt 5,44-45). La vraie
santé de l'homme consiste à être capable de se
comporter en toutes circonstances en authentique enfant de Dieu.
C'est bien ainsi que l'ont compris les apôtres. Pierre nous y
exhorte : « Heureux quand vous souffririez pour la justice
» (1 P 3,14). Paul en est témoin : « Souvent, j'ai
été mis à mort. Cinq fois j'ai reçu des
Juifs les 39 coups de fouet ; trois fois j'ai été battu
de verges, une fois lapidé, trois fois j'ai fait
naufrage...dangers des rivières, dangers des
brigands,... dangers des faux-frères ! » (2 Co 11,22-26).
Paul est un homme en pleine santé du fait que, pour lui,
l'essentiel est de « connaître le Christ avec la puissance
de sa résurrection et la communion à ses souffrances, lui
devenir conforme dans sa mort afin de parvenir si possible à
ressusciter d'entre les morts » (Ph 3,10-13).
Pour le chrétien, il est normal d’être blessé
de mille façons tout au long de l'existence. Il y a tant de
façons de souffrir en raison des injustices à notre
égard ou en luttant contre celles qui blessent les autres ! Cela
ne devrait pas plus empêcher un chrétien de vivre en
enfant de Dieu que Paul qui écrit : « Oubliant le chemin
parcouru, je vais droit de l'avant, tendu de tout mon
être, et je cours vers le but, en vue du prix que Dieu nous
appelle à recevoir là-haut dans le Christ Jésus
» (Ph 3,13-14).
Étienne, lapidé, s'écrie : « Seigneur Jésus, reçois mon esprit… Ne
leur compte pas ce péché » (Ac 7,59-60).
Origine de l'expression "blessure d'amour" (cf. Dictionnaire de
Spiritualité)
L'origine de cette expression est le verset 5 du chapitre 2 du Cantique
des cantiques : « quia vulnerata suma dilectione »
(Septante) – « quia amore langueo » (Bible de
Jérusalem). L'Épouse est figure de l'Église ou de
l'âme. Pour saint Ambroise, l'Église est blessée
d'amour quand elle prêche la mort du Sauveur. Si l'Épouse
figure l'âme, la charité dont elle se dit blessée
n'est autre que le Christ (Deus caritas est), flèche choisie,
envoyée par Dieu à ceux qui les servent : « Posuit
me sicut sagitam electam » (Is 49,9). Origène assigne
comme cause à la blessure d'amour lacontemplation de la
beauté du Verbe, image et splendeur du Dieu invisible, ou de la
création oeuvre du Verbe et reflet de sa beauté…
Pour Augustin, les paroles de Dieu sont des flèches qui excitent
l'amour, non la douleur. La douleur vient de l'amour qui ne
possède pas encore ce qu'il aime. « Qui hoc vulnere non
fuerit vulneratus, ad veram sanitatemnon potest pervenire »
(Enarratio in Ps 36,50). Saint François de Sales, dans le
Traité de l'Amour de Dieu, consacre un chapitre à "la
blessure d'amour".
L'homme, selon la Révélation en Jésus-Christ, est
irrémédiablement blessé et l'est sans cesse de
nouveau tout au long de son itinéraire au sein de la
création et de l'humanité. Depuis Jésus-Christ,
aucune blessure de l'homme ne peut plus être regardée
seulement comme un mal. Certaines sont de réelles grâces,
notamment celles dont l'auteur est le
Seigneur lui-même. S'il est légitime de chercher à
éviter les blessures et comment les guérir, le
chrétien ne peut considérer la guérison de ses
blessures comme un objectif prioritaire. En disciple du Christ
crucifié et ressuscité, il met toute sa liberté
à l'oeuvre pour accueillir les blessures dont il souffre en
enfant de Dieu, afin que soit manifestée la
puissance de l'Esprit dans la faiblesse qu'elles provoquent en lui
(2 Co 12,10).
Cette anthropologie de l’homme blessé est bien étrangère aux
aspirations psychologisantes de nombre de nos contemporains, qui cherchent avant tout un épanouissement et un
bien-être tant physique que psychique.
Saint Jean de la Croix insiste sur ce rôle purificateur des
"blessures d’amour"
« Dieu n'a qu'un but en les faisant : blesser plus que
guérir, affliger plus que satisfaire. Elles ne servent
qu'à donner une connaissance plus vive, un appétit plus
fort, donc une douleur plus grave. Cette connaissance permet à
l’âme de contempler, avec une acuité exceptionnelle,
l’amabilité infinie de Celui qui l’attire, et elle
enflamme à ce point la
volonté que l’âme va, s’embrasant du feu et
des flammes de l’amour, jusqu’à paraître se
consumer au milieu de ces flammes... Dieu a fait sentir sa
présence à l’âme sans lui laisser le temps
d’en jouir. Cette touche rapide excite en elle un désir
anxieux et sans mesure de posséder enfin son Dieu...
L’âme vulnérée ne peut s’empêcher
de se plaindre, non pas parce que l’amour l’a
blessée mais parce qu’il ne l’a pas blessée
assez pour qu’elle en meure et soit en mesure de se voir jointe
à lui dans la vision sans voile et sans ténèbres
où l’amour est parfait ».
Ces blessures que fait Dieu sont soudaines, et il y a
simultanément une souffrance indicible et une
pénétrante douceur. Elles s'accompagnent de la certitude
que c'est là l’oeuvre du Seigneur qui se
répète ; il se forme alors dans l’âmeune
plaie d’amour qui va s’élargissant et
s’approfondissant à chaque blessure nouvelle... Elle n'est
pas passagère. Dieu la réitère selon son bon
plaisir, à intervalles plus ou moins rapprochés, et cela
durant plusieurs années… La connaissance des perfections
de Dieu grandit de jour en jour et, parallèlement, la douleur de
l'âme qui se voit privée de lui.
Effets sur l'âme : la résolution de souffrir pour Dieu, le
désir d'avoir de nombreuses croix à porter. L'élan
d'amourqui l'emporte vers Dieu fait sortir l'âme
d'elle-même et de tout le créé : elle s'oublie
totalement.
L'Écriture parle souvent des flèches de Dieu pour signifier les
malheurs dont il frappe ses ennemis.
* * *
ANNEXE 4 Facteurs structurants, facteurs pérennes,
facteurs conjoncturels, points d’attention
P. Étienne MICHELIN, Notre-Dame de Vie (Vénasque)
Le souci de la santé et de la guérison appartient de
droit à la mission de l'Église. Cette dimension de sa
mission lui a été révélée par le
Christ. Elle ne peut être dissociée de la totalité
de la foi. Depuis l’origine, l’Église a
engagé de multiples oeuvres institutionnelles et actions
personnelles. On peut vérifier historiquement qu’il
n’y a jamais eu de désintérêt
ecclésial pour cette mission9.
Ce texte se déroule en deux temps. On évoque d’abord certains
facteurs structurants du rapport entre mission de l'Église et questions de guérison ; on souligne ensuite
quelques points particuliers d’attention en vue d’un discernement.
1 – Facteurs structurants
Les nouvelles problématiques concernant le rapport de la mission
de l'Église aux questions de guérison sont au croisement
de multiples facteurs. Parmi ceux-ci, certains sont pérennes,
d’autres sont conjoncturels et présentent un
caractère plus ou moins récent.
• Facteurs pérennes
Du point de vue catholique, les facteurs pérennes, qui sont
révélés et engagent la foi, doivent demeurer la
norme épistémologique des attitudes pastorales,
mêmes confrontées aux nécessités urgentes.
J’en souligne trois :
Le premier concerne
la réalité du salut dans le Christ.
Il s’agit de savoir comment la grâce de la
rédemption agit et est reçue librement par l'homme
pécheur. Sous cet aspect, une distinction rigoureuse doit
être faite entre le péché personnel avec ses
conséquences et toute forme de mal-être psychologique.
Le second concerne
les fondements anthropologiques
tels que la foi catholique les professe. Sous cet aspect, il
n’est pas possible d’adopter n’importe quelle
théorie anthropologique sans lui appliquer un discernement
critique rigoureux.
(9 Ceci, contrairement à ce que semble suggérer
Dominique AUZENET dans sa préface au livre de Francis MACNUTT,
La guérison qui
vient du Christ (Éditions Bénédictines, 2010, p. 5). Ne
serait-il pas souhaitable également que cette préface à un
livre qui pose nombre
de questions évite d’opposer, dès le début, expérience et «
théologie dans un bureau » ? À ce sujet, dans Le Christianisme
au défi des
nouvelles religiosités (Presses de la Renaissance, 2002,
p.60), Joseph-Marie VERLINDE note que « le slogan très à la
mode du
syncrétisme pratique pourrait s’énoncer comme suit : "La
théologie divise, alors que la mystique unit. Plutôt que de
nous affronter sur
des textes ou des interprétations dépassées, plongeons dans
l’expérience qui permet de communiquer là où les discours nous
séparent"
». De même, il ne serait pas inutile de signaler que le
cheminement de Francis MACNUTT est plus complexe qu’il n’y
paraît. Il est vrai
que, par la suite, le préfacier établit tellement de nuances
implicites qu’au terme de la lecture il est bien délicat de
savoir quelle est
réellement son opinion)
Le troisième concerne
le rapport entre l’individu et la
communauté dont
il est issu, particulièrement la famille ; ce rapport doit
être considéré dans la problématique de la
transmission. Sous cet aspect, la note de la Commission doctrinale de
l’épiscopat français11 devrait être
appliquée dans toute sa rigueur et servir de critère de
discernement.
Il existe certainement d’autres facteur pérennes, en particulier
touchant la dimension de l’économie sacramentelle en rapport avec les souffrants, mais ceux que l’on
vient de mentionner apparaissent comme fondamentaux dans la situation actuelle.
• Facteurs conjoncturels
J’en retiendrai quatre. Le premier est d’ordre général, les trois
autres concernent plus particulièrement ce qui se passe en France.
Le premier, de grande importance, touche à
la question
oecuménique :
il s’agit de la conception même du salut. Je pense que
l'Église catholique devrait étudier, sur le fond, la
conception du salut qui a cours dans les divers courants du
christianisme d’où sont issues, d’abord la galaxie
du Renouveau, puis ses multiples ramifications parmi lesquelles le
concept de thérapie (christo-thérapie,
agapèthérapie, et bien d’autres propositions de
″guérison″), qu’il faut soigneusement
distinguer de la mise
en oeuvre d’un charisme. Ce n’est pas un hasard si, de
fait, l’émergence des propositions de guérison est
due à des courants du christianisme issus de la Réforme,
et parfois tout récemment entrés dans l'Église
catholique romaine.
Le second facteur est d
’ordre historique. Dans
le catholicisme français, jusqu’à
l’apparition du Renouveau, et mis à part quelques lieux
spécifiques, la dimension affective de la relation au Christ a
été globalement laissée de côté, au
profit de la dimension intellectuelle et de l’engagement social.
La pastorale et la prédication habituelles ont massivement
négligé, voire rejeté, la réalité de
la "vie spirituelle" comme lieu d’expérience
intérieure et communautaire d’une transformation
réelle.
Les conséquences pour le catholicisme français,
jusqu’aux années 1970 au moins, ont été
très dommageables. Certaines options pastorales
quasi-officielles ont conduit souvent à remplacer
l’expérience spirituelle par l’engagement caritatif
et/ou sociopolitique, à promouvoir la "foi" au détriment
de la "religion", reléguant ainsi la vie de prière dans
le domaine de la piété individuelle, durcissant en
oppositions irréductibles des distinctions parfaitement
légitimes et fécondes de la vie baptismale. Ces options
sont maintenant largement abandonnées, mais non encore
suffisamment critiquées en leur source. Il semble indubitable
que ce fait soit pour partie à l’origine de la
difficulté
pour les évêques de proposer ensemble une parole
d’autorité à propos des réalités qui
gravitent autour des problématiques de guérison et, pour
certains d’entre eux, de ne pas oser prendre dans leur
diocèse des décisions qui pourraient s’imposer.
Quoi qu’il en soit, cet état de fait a créé
un grand vide, et contribué à orienter nombre de
personnes, en quête légitime d’expérience
intérieure et de vie fraternelle fondées dans la relation
personnelle au Christ, vers des propositions de plus en plus
nombreuses, d’origine chrétiennes ou non, en dehors de la
vie ecclésiale habituelle. Ces personnes ont trouvé dans
ces propositions un mieux-être (réel ou supposé,
durable ou très éphémère). Parfois ces
propositions se sont révélées (et se
révèlent encore) contenir des éléments plus
ou moins pervertis.
( 10 Ce discernement critique rigoureux manque
gravement dans le livre de Bernard DUBOIS et Daniel DESBOIS,
La libération intérieure.
Psychothérapie, accompagnement spirituel, comment choisir ?
(Presses de la renaissance, 2010). On le voit dès la p. 24 : «
Nous
résumons dans un tableau, en fin de partie, les sept
caractéristiques étudiées de manière
à les comparer plus aisément avec les autres
accompagnements ». Cette phrase contient un principe
herméneutique : il est possible de mettre en parallèle
l’action du Dieu sauveur et celle du thérapeute. P. 96,
parlant de Thérèse d’Avila, les auteurs
écrivent : « Cette distinction de l’école
carmélitaine en phase active puis passive a rendu de grands
services aux accompagnateurs spirituels pour discerner le passage de la
vie spirituelle naturelle à la vie spirituelle surnaturelle
». Jamais Thérèse d’Avila ne dirait
qu’il existe une première phase durant laquelle Dieu
n’interviendrait pas. On se demande comment le Père
Abbé de Kergonan a pu donner une préface à un
ouvrage tissé de telles confusions, qui ressemble plus à
un plaidoyer pro domo qu’à une étude respectueuse.
Par ailleurs, ce livre, écrit relativement simplement, offre des
aspects suggestifs.
11 Cf. ″Note doctrinale n°6 sur la guérison des racines
familiales par l’Eucharistie″, Commission doctrinale des
Évêques de France, 19
janvier 2007.)
Le troisième facteur conjoncturel prend en compte la
problématique
de la santé et de la guérison
dans la sphère culturelle. Définir la guérison
implique de définir la santé. Or, définir la
santé est une opération complexe, en raison de
l’interaction des points de vue physiologiques, médicaux,
psychologiques, sociologiques, culturels, et bien sûr religieux.
Si la santé est « un état complet de
bien-être physique, mental et social »12 , des
conséquences notables découlent d’une telle
définition pour la compréhension spontanée du
salut comme guérison.
Par ailleurs, et ceci est de toute première importance, il
existe un champ sémantique proprement biblique de la
guérison et de la santé, en référence
constante à la question de la destinée humaine.
Ce champ sémantique croise donc celui du salut comme
libération ou guérison du péché. Il
n’en est jamais séparé totalement, et il est bien
difficile de l’explorer à partir d’un contexte
premièrement hédoniste et pratiquement athée comme
le contexte actuel. La difficulté redouble lorsque l’on
utilise
la Bible en fonction d’un but fixé d’avance par
telle ou telle option psychothérapeutique, comme cela est
semble-t-il le cas dans la pratique des sessions du Puy-en-Velay. Dans
ce cadre, distinguer les réalités, les conjoindre, les
ordonner entre elles, s’avère tâche urgente et
délicate13, à laquelle ne sauraient suffire ni les
théoriciens, ni les "expérimentateurs", ni les
témoins à décharge ou à charge.
L’enjeu est central : il s’agit de la pertinence du catholicisme
dans le concert des propositions à caractère religieux.
Le quatrième facteur, nouveau pour une part, vient de l’extension
et de la
vulgarisation des approches
psychologiques de tout genre, et de la multiplication des
outils d’évaluation de la personnalité. Il faut se
garder de toute diabolisation a priori, et prendre le temps
d’analyser objectivement et dans le détail les divers
outils mis sur le "marché du confort personnel". On peut
cependant se demander si la générosité des
propositions de guérison intérieure, mêmes faites
dans le cadre de l'Église catholique, suffit toujours à
pallier un manque de discernement quant à ces outils, et si
l'Église catholique peut
prendre la responsabilité de laisser mettre en oeuvre des
techniques psychothérapeutiques par des personnes non
suffisamment formées et dans un contexte de grande confusion
jouant sur l’émotionnel.
2 – Points d’attention
L’urgence est mauvaise conseillère. En même temps
elle est réelle, parce qu’il s’agit de personnes en
souffrance, et que l'Église catholique a reçu mission
d’aller à leur rencontre.
Quatre points d’attention me semblent prioritaires :
- La demande de mieux-être doit être entendue, assumée, éclairée, et
satisfaite pour autant que ce soit possible. Un vaste champ d’investigation attend un enseignement
clair.
- Dans les diverses propositions, il faut veiller à
repérer et corriger cette forme d’éclectisme qui
prend un peu partout ce qui lui semble bon : en plus de trahir leurs
sources, ces propositions risquent de trahir aussi les personnes qui
leur accordent leur confiance.
- Une prise de position sur les différents outils est
nécessaire : elle ne peut être entendue que si elle est
menée par des personnes compétentes et
désintéressées.
- Un point particulier peut servir de révélateur : comment les
diverses propositions de guérison ou de libération intérieure lisent-elles l'Écriture Sainte ?
Février 2011
(
12 Préambule à la Constitution de l'Organisation
mondiale de la Santé, tel qu'adopté par la Conférence
internationale sur la Santé, New-
York, 19-22 juin 1946, signé le 22 juillet 1946 par les
représentants de 61 États, (Actes officiels de l'Organisation
mondiale de la Santé,
n°2, p. 100) et entré en vigueur le 7 avril 1948. « La santé
est un état de complet bien-être physique, mental et social,
et ne consiste pas
seulement en une absence de maladie ou d'infirmité ».
13 L’ouvrage de Denis BIJU-DUVAL, Le psychique et le spirituel
(Éditions de l’Emmanuel, 2001), est remarquable pour opérer
cette
tâche. Et il est étonnant que le livre de Dubois et Desbois
puisse s’y référer sans se rendre compte de l’incompatibilité
d’une telle
référence.)