le
sens de l'unité
Marcel Légaut ( 1900-1990
)
normalien, universitaire,philosophe,paysan,père
de famille... a connu Gabriel Marcel,Teilhard de
Chardin..
"Doctrine et institution sont indispensables à
l'existence de toute Eglise.......Cependant, ne faut-il
pas reconnaître que, par pente naturelle, la
religion chrétienne tend à avoir de grandes
ressemblances avec les autres, et d'autant plus que les
églises donnent une importane majeure à
l'adhésion à la doctrine qu'elles
enseignent et à l'observance de la loi qu'elles
imposent? Là où les préoccupations
idéologiques, éthiques et
théologiques, se font premières, les
divisions et les oppositions naissent et se multiplient
rapidement. Elles rendent impossible toute unité.
Elles ont tendance à se prévaloir des
institutions existantes pour s'affirmer et à les
utiliser pour s'imposer. Celles-ci y trouvent une raison
supplémentaire pour se justifier....
Les plus engagés des chrétiens dans la
vie de croyant, ceux qui ont atteint le niveau de la foi
et de la fidélité au-delà de la
simple adhésion aux croyances et de la stricte
obéissance aux lois, souffrent au fond
d'eux-mêmes plus que tous les autres, relativement
indifférents, des divisions qui opposent entre
elles les églises, et dont, depuis longtemps,
celles-ci semblent avoir pris leur parti. Cette situation
leur paraît d'autant plus contre nature
qu'étant en contact fréquent avec des
membres d'autres confessions, ils se sentent souvent plus
proches de certains d'entre eux que de nombre de leurs
correligionnaires..........
Cette impuissance,où les hommes se sont
trouvés jusqu'à nos jours ou presque,
d'être conscients de l'extrême cheminement
que Jésus a dû faire passer du Judaïsme
traditionnel, des plus hautement spirituels à une
religion filiale, intériorisée,
"missionnée" ne compte-t-elle pas parmi les
raisons qui font que depuis vingt siècles se
multiplient et s'aggravent les divisions et les conflits
entre chrétiens?
Sans le regard inspiré par la foi, qui seul
permet aux églises une critique intelligente des
conditions complexes et ambiguës de leurs origines,
tout effort vers l'unité restera vain et ne pourra
conduire qu'à des solutions politiques qui, ayant
contourné l'obstacle majeur au lieu de le
réduire, ayant finalement méconnu
l'essentiel au lieu de s'en inspirer, seraient
condamnées à la précarité des
situations mouvantes de
l'histoire..........................
Certes la crise que subit aujourd'hui l'ensemble des
confessions chrétiennes est d'une gravité
encore jamais atteinte. Elle vient visiblement des
conditions tout à fait nouvelles où les
églises se trouvent devant l'accroissement
prodigieux des connaissances de tous ordres qui heurtent
de front les évidences, les assurances, jadis
unanimement partagées, maintenant
ébranlées même chez ceux qui
s'efforcent de les conserver. Ne faut-il pas
reconnaître et avouer que jusqu'à nos jours,
ces facilités, périmées et
désormais indues, ont cependant participé
sans cesse et de façon active à
l'élaboration de la doctrine professée par
les églises et pas seulement à
l'adhésion qu'on lui donnait? Malheureusement,
leur manque de vigueur spirituelle ne permet pas aux
églises de se dégager de façon
franche de ce que leur enseignement présente
aujourd'hui de définitivement archaïque. Leur
atonie les empêche de reprendre leur doctrine
à la base, pour la renouveler de sorte qu'en
restant fondamentalement la même quant à
l'essentiel, elle s'adapte mieux à l'universel
mental du temps et corresponde mieux aux besoins et aux
possibilités actuels des hommes. Certes cette
pauvreté spirituelle, intellectuelle aussi,
où gisent les églises, qui sont loin
d'ailleurs d'être à même d'en prendre
conscience, n'est pas sans être
simultanément cause et effet de leurs
désaccords ainsi que du sectarisme dont aucune n'a
su se protéger,tant chacune est certaine de
détenir la vérité, sinon d'une
façon exclusive comme jadis, du moins d'une
manière plus qualifiée que les autres.
D'ailleurs, pour la même raison, cette
intransigeance se manifeste aussi de façon
endémique en leur sein même, sous une
apparente unité que seul le silence peut
sauvegarder. Elle paralyse les croyants qui seraient
susceptibles, par leur vigueur intellectuelle et leur
profondeur humaine, d'être vivants et
créateurs, capables de promouvoir à la
libération spirituelle à laquelle
déjà nombre de chrétiens aspirent et
qui dans l'avenir s'avérera toujours plus
nécessaire à la mission des églises
et même à leur
existence.....................
Que de bonnes paroles échangées, et sans
doute sincères, dans les nombreuses
assemblées où il est traité de
l'union des chrétiens; cette union que toutes les
autorités ecclésiastiques disent
désirer, mais qu'au vrai nulle d'entre elles ne
croit tout à fait possible ! Que tout ce
remue-ménage est de peu de poids à
coté des inerties qui paralysent nos institutions
bardées de "légitimité" et dont les
responsabilités, réduites à la
stricte observance des règles canoniques, ne sont
pour elles que source d'atermoiements sans fin! Toutefois
cette mondanité cléricale et pieuse,
où le vent souffle plus fort que l'esprit, n'aura
qu'un temps, un temps certes trop long!Toujours l'heure
vient à sonner où, selon la loi de fer qui
régit l'univers et lui permet de subsister, tout
ce qui n'a pas de finalité, et qui par suite
s'enlise dans l'inutilité, disparaît dans la
dérision et l'oubli........
Quand toutes ces paroles, à force d'être
dites et redites, apparaîtront dans leur
vanité et se tairont, quel silence!............
Alors jailliront des paroles, arrachées,des
paroles vraies créatrices..... Est-ce là le
retour du Seigneur? Ce sera certainement sa
victoire......................
Les autorités, quand elles s'affairent au sujet
de l'unité des chrétiens, sont souvent plus
inspirées dans leurs démarches par une
prudence professionnelle que réellement mues par
la conscience de sa nécessité vitale pour
la vérité et la fécondité des
églises. Tout en annonçant l'unité
à venir, elles multiplient les obstacles à
son accomplissement, dénonçant au passage
les risques inhérents à toute
démarche créatrice!Elles veulent en
protéger ceux qu'elles devraient plutôt
encourager et aider à être plus spirituels
pour qu'ils évitent ces périls. Elles n'ont
pas le souci de tous les êtres parmi les plus
vivants qui désespèrent et
s'écartent scandalisés par l'importance
qu'on donne aux préoccupations canoniques, si loin
de l'évangile et où ils ne voient que
mascarades. Par dessus tout, les autorités
redoutent un confusionnisme qui conduirait à dire
que "toutes les religions se valent".
J'avoue que ce confusionnisme m'inquiète un
peu. Il reste sur le plan où s'agitent et
s'affrontent des doctrines. Seuls les gens
compétents peuvent y déceler une tentation
et la combattre en tirant les choses au clair. Le
chrétien moyen ne connaît que de trop loin
et c'est fort regrettable la doctrine professée
par son église pour qu'il prenne conscience de
cette dérive possible. D'ordinaire, dans ce
domaine tout se passe pour lui dans un climat d'à
peu près, confus. Il n'a jamais pensé la
doctrine. Il se contente d'y adhérer globalement.
Il ne la professe pas avec tout son être. Il ne la
confesse que liturgiquement. C'est souvent en la chantant
plus qu'en la disant. Aussi, contrairement aux
spécialistes, il n'est pas en mesure de discerner
les nuances délicates et précautionneuses
dont la doctrine se munit pour assurer son
intégrité et sa
spécificité,ni l'attention et la prudence
avec lesquelles, au long d'une progression
surveillée, elle vogue entre les déviations
qui séduisent et les écueils où elle
ferait naufrage. Au chrétien trop crédule
pour avoir atteint de façon suffisamment explicite
le niveau de la foi, le confusionnisme, vagabond par
nature, n'est pas plus dommageable que ne lui est
vraiment utile la doctrine qu'il marmonne en passant. En
l'occurence, le confusionnisme, où à
l'occasion il se complaît, lui permet seulement
d'enrichir de mots nouveaux, souvent
ésotériques, un vocabulaire qu'il a
d'ailleurs rarement l'occasion d'utiliser....
"Un homme de foi et son église" (pages
194-195)
Tous les écrits de Marcel Légaut sont
à lire....1962 " Le travail de la foi " . 1970
"Intoduction à l'intelligence du passé et
de l'avenir du christianisme".1971 " L'homme à la
recherche de son humanité".1972 " Débat sur
la foi" avec Varillon 1975 "Mutations de l'Eglise et
conversion personnelle" .1978"Patience et passion d'un
croyant". 1980"Devenir soi". 1985 " Croire à
l'Eglise de l'avenir"........