Les
dirigeants des groupes chrétiens selon le Nouveau Testament
André
Myre Jésuite . Bibliste. Enseignant pendant 30 ans à la
faculté de Théologie de Montréal Canada
L’histoire
de la direction des groupes chrétiens dans le Nouveau Testament ne
peut être tracée que dans ses grandes lignes, car les données sont
fragmentaires. Nous en savons quand même assez pour pouvoir
prendre nos décisions en toute clarté. Je m’appuie, en les
réorganisant autrement, sur les données rassemblées il y a plus de
vingt-cinq ans pour un article intitulé « Nouveau Testament et
ministères» . Les conclusions alors tirées valent toujours. Je
m’étonne de m’étonner d’avoir à redire ce qui est clair
depuis longtemps. La marche à suivre est toute tracée, il ne manque
toujours que la volonté d’agir. Mouvement
qui doit évidemment émaner de la base, les changements ne partant
jamais d’en haut puisque le Dieu vivant s’adresse toujours à son
peuple d’abord.
Cependant, il faut bien voir que ni lui ni le seigneur Jésus ne
feront le Groupe à notre place, tout comme ils n’empêcheront
personne de le faire sans eux ou même contre eux. Si nous
n’apprenons pas à nous diriger, d’autres le feront à notre
place.
La
présentation qui suit est nécessairement schématique, j’y fais
le point sur la direction des Groupes chrétiens dans le Nouveau
Testament selon les grandes périodes dans la vie du christianisme
primitif. Partout, je vais utiliser le mot «Groupe» plutôt
qu’«Église», ce dernier mot étant piégé et faisant surgir des
images et concepts qui, souvent, n’ont rien à voir avec la réalité
dont parle le Nouveau Testament.
I. LE
NAZARÉEN
Ce qui touche la vie de Jésus sort nécessairement
des limites de l’existence du christianisme primitif. Allons-y
cependant de quelques énoncés évidents, qui méritent quand même
d’être formulés.
1.
Jésus n’était pas un chrétien.
La
foi chrétienne porte sur deux réalités qui ne sont pas de l’ordre
de l’histoire et que Paul a jadis formulées de façon définitive:
«Si
tu proclames de ta bouche que Jésus est seigneur,
et si tu crois
du fond de toi que Dieu l’a ressuscité des morts,
tout ira
bien» (Romain 10,9).
Jésus
n’avait évidemment pas foi en sa résurrection et sa seigneurie
avant que celles-ci deviennent réalité.
2.
Jésus n’a jamais eu l’intention de fonder un Groupe qui lui
survivrait.
Il
se voyait vraisemblablement comme le dernier prophète de son peuple,
pour son peuple :«Je n’ai été envoyé
qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël» --( Mt
15,24), à devoir être actif au cours des derniers jours de
l’histoire, juste avant le Règne de Dieu. On ne fonde rien quand
on attend une fin imminente de l’histoire, on encourage les uns, on
avertit les autres. Ce qui s’en venait après lui, c’était le
Dieu vivant lui-même, et non pas un Groupe quelconque. On peut
certes faire remonter à lui l’existence des Douze, le texte
suivant est le témoin le plus clair du rôle qu’il voyait pour
lui: «Vous qui m’avez suivi, … vous
siégerez sur douze trônes pour gouverner
les douze tribus d’Israël» (Mt 19,28). Dans cette parole,
le Nazaréen visait l’existence après l’instauration du Régime
de Dieu, alors que la royauté serait abolie et qu’on serait
retourné au système des douze tribus d’Israël, à la tête
desquels il voyait douze hommes formés à écouter les besoins du
peuple. Ce texte allait donc trouver son application dans l’au-delà
de l’histoire, et non dans la période située entre sa vie et
l’entrée en force du Régime de Dieu.
3.
Il n’y a aucune fonction de Groupe qui remonte à lui, aucun
aspect d’une telle fonction qui ait donc valeur permanente ou rite
quelconque lui étant attaché qui doive s’imposer.
Cette
affirmation découle des deux précédentes. La seule chose qu’on
puisse et qu’on doive faire remonter à Jésus, c’est la ligne et
la radicalité de son interpellation. Le Nazaréen n’a rien dit sur
un Groupe destiné à lui succéder, encore moins sur les
caractéristiques de la fonction de direction à la tête de ce
Groupe.
II.
LES ANNÉES 30-35
Jésus
est vraisemblablement mort le vendredi 7 avril 30. Une quinzaine de
jours plus tard, en plein lac de Galilée, au cours d’une séance
de pêche, Shimeôn bar-Jônâ a été rencontré par le Nazaréen.
C’est le commencement absolu de la foi chrétienne. Il en a parlé
à ses copains, qui, sans avoir vu le Nazaréen d’abord, en l’ayant
vu ensuite, ont cru celui qui allait à partir de là recevoir le nom
de Kêphâ, c’est-à-dire roc, d’où Pierre, en français. Le
Groupe était né. Ensuite, selon Paul en 1 Co 15,3-8, sur une
période de trois à cinq ans, le Nazaréen a été vu de plus de
cinq cents frères à la fois, puis de Jacques et de tous les
envoyés, dont Paul lui-même, le dernier.
C’est
au cours de ces années que l’événement à l’origine de ces
expériences a reçu le nom de résurrection et d’exaltation. C’est
la période clef de la naissance du Groupe, sauf qu’à l’époque
nul ne sait encore qu’il y aura Groupe, car la réalité du
Nazaréen ressuscité et exalté est comprise comme déterminante
pour l’ensemble du peuple d’Israël. Il faudra quelques années
d’entreprise missionnaire plus ou moins réussie pour que naisse la
conscience de l’existence d’un Groupe distinct à l’intérieur
d’Israël. La présence de l’autre, distinct et différent de
soi, est nécessaire à la prise de conscience de soi. À l’origine,
il y a donc un certain nombre de croyantes et croyants à l’intérieur
d’Israël, qui ressentent l’impérieux besoin de parler de ce
qu’ils vivent, sans savoir encore ce qu’il adviendra de leur
parole. Avec le temps, ils prendront conscience de leur devenir
Groupe, et devront se donner des structures minimales comme le
fait tout groupe qui commence. Ce qu’il faut voir clairement,
cependant, c’est qu’eux-mêmes ne voient clairement rien du tout,
à part la force de leur expérience et l’orientation qu’elle
veut donner à leur vie. Ils vont se donner les éléments minimaux
d’une structure, sous les poussées de la vie, sans projet
clair, sans directives aucunes venant d’En haut, sans aucune
intention de jeter les bases d’une structure permanente. Ce qui
nous conduit à cet autre énoncé qui s’impose:
4.
Ce n’est pas parce qu’un élément de structure existe à
l’époque, qu’il doit être conçu comme liant le devenir du
Groupe.
Pierre.
Le premier croyant, Pierre, joue
alors un rôle manifestement important. Mais c’est un rôle
intransmissible, que nul ne pourra jamais jouer après lui, soit
d’être le premier croyant, le roc du Groupe. À partir de cette
donnée fondamentale, comme des silences significatifs des textes,
quelques conclusions s’imposent, qui valent pour les périodes
suivantes et qu’on peut élargir à l’ensemble du Nouveau
Testament:
5.
Le Nouveau Testament ne dit jamais de Pierre qu’il a été
épiscope (évêque), ni à Rome ni ailleurs.
On
ne lui attribue explicitement le leadership d’aucun Groupe.
Le
Nouveau Testament ne connaît pas la réalité d’un leadership sur
le Groupe universel, exercé par un seul homme.
Le
Nouveau Testament ne parle pas explicitement d’une autorité de
Pierre qui s’exercerait à l’intérieur des Douze.
Le
Nouveau Testament n’attribue jamais de successeur à Pierre.
Les
Douze. De
façon surprenante, le rôle historique des Douze après la
résurrection de Jésus est difficile à préciser. À part Pierre et
Jean, dans les Actes, ils n’ont aucun rôle missionnaire spécial.
Pierre reste le seul duquel il est dit qu’il est sorti du
territoire d’Israël: selon Ga 2,11, il est allé à Antioche. Ils
n’ont pas vraiment de rôle de leaders. Selon Ac 6,2, ils
s’occupent de la parole de Dieu et ne veulent vraiment pas de la
fonction attribuée aux Sept. Historiquement parlant, ils ont joué
un rôle de transition entre le Nazaréen et le Groupe naissant,
témoignant collectivement de l’identité du Nazaréen et du
Ressuscité (Ac 1,20-22). Et, tout comme c’était le cas pour
Pierre, nous savons davantage ce qu’ils n’ont pas été que ce
qu’ils furent.
6.
Le Nouveau Testament ne dit jamais des Douze qu’ils ont été
épiscopes (évêques), ni qu’ils ont été ordonnés tels.
On
ne leur attribue explicitement le leadership d’aucun Groupe.
Le
Nouveau Testament ne connaît pas la réalité d’un leadership sur
le Groupe universel, exercé par les Douze.
Le
Nouveau Testament n’attribue jamais de successeurs aux Douze. Quand
ils établissent certains leaders dans un Groupe, il s’agit d’une
forme de direction dont eux-mêmes ne veulent pas. À
strictement parler, la spécificité de leur témoignage exclut que
d’autres puissent leur succéder.
Les
Douze ne jouent aucun rôle missionnaire spécial dans le Groupe
primitif.
Les
Sept. Le récit
de Ac 6,1-6 parle de l’accession à la direction d’un Groupe de
sept leaders, chiffre qui correspond à celui des administrateurs de
municipalités juives à l’époque. Il y avait, dans les premières
années, à Jérusalem, une grande communauté chrétienne composée
de deux entités culturelles différentes: culture
araméenne et culture hellénistique.
Les tensions interculturelles ont conduit à l’établissement d’un
leadership différent pour la branche hellénistique.
«Choisissez-vous
sept hommes…»,
demande le texte des Actes, révélant par là que c’est
la communauté qui fait le choix de
ses dirigeants, en reconnaissant leur sagesse et leur fidélité au
souffle saint (Ac 6,3). Ce que les Actes, par la suite, disent de
deux de ces leaders, Étienne et Philippe, montre qu’ils étaient
beaucoup plus des serviteurs de la parole que des préposés aux
tables (diacres). À partir de ce qui précède, les conclusions
suivantes s’imposent:
7.
Les Sept ne sont pas des «diacres».
Ils
ne sont pas les successeurs des Douze, mais, simplement, les premiers
leaders locaux dont nous parle le Nouveau Testament. Ils peuvent
avoir été, pour les Hellénistes, l’équivalent des anciens à la
tête des communautés araméennes.
À
ce qu’on sache, les Sept n’ont pas eu de successeurs à Jérusalem
ou ailleurs. Il s’est agi d’une forme spéciale de leadership
pour une communauté particulière. Pour être authentique, une forme
de leadership n’a pas à traverser l’histoire.
Les
Sept ont été choisis par la communauté, preuve que c’était
faisable à l’époque.
Le
personnage de Jacques, le frère de Jésus, aurait pu être traité
dans la présente section, car il a dû commencer à exercer une
fonction de direction dès les premières années du christianisme.
Mais les textes en parlent plus tard, c’est le cas pour le plus
ancien, Ga 1,19, dans lequel Paul déclare l’avoir rencontré à
Jérusalem, au moins «trois ans» après son expérience
d’apparition, mais sans spécifier le rôle qu’il jouait à
l’époque. Mieux vaut donc le présenter dans la période suivante.
Même chose pour les anciens, dont la fonction doit dater des
premiers temps du christianisme, mais donc les textes du Nouveau
Testament font mention de l’activité plus tard.
Ce
qu’il faut retenir, pour l’instant, c’est surtout que, dans les
débuts du christianisme, il n’existe aucune structure de Groupe
qui ait été prévue, aucune fonction de leadership dont on apprend
qu’elle avait été voulue par Jésus, ou imposée par le Christ
pour la suite des temps. On devine déjà que ce sont les pressions
de la vie qui vont ouvrir la question du leadership, et le
discernement qui va en faire trouver les formes.
III.
LES ANNÉES 35-50
Les
années 35-50 en sont de bouillonnement intense. Les Groupes se
mettent en place, la tradition orale est en pleine effervescence,
Paul entreprend un long processus pour se reconstruire
intérieurement.
La
source Q, seul
texte dont nous disposons pour représenter le mode de vie des
partisans de Jésus en Galilée et dont les traditions ont commencé
à être rassemblées à la fin de cette période, n’a pas une
seule parole portant sur le leadership de ses communautés, pas un
seul mot pour désigner une fonction de gouvernement. Ce sont les
interpellations reçues de Jésus qu’elle veut transmettre, la
structure du Groupe n’en faisant manifestement pas partie et ne
l’intéressant nullement. Il y a des silences qui parlent: «Vivez
comme Jésus»,
voilà ce que la Source nous dit, «et
organisez-vous donc comme vous le désirez»,
voilà ce qu’elle laisse entendre.
Jacques
et les anciens.
Cette période est
le témoin de l’ascension de Jacques, le frère de Jésus, au
leadership du Groupe de Jérusalem. Dans sa fameuse liste de 1 Co
15,3-8, Paul déclare que Jésus est apparu «à
Céphas, puis aux Douze»,
d’un côté, et «à
Jacques, puis à tous les envoyés»,
de l’autre. Sa formulation pourrait témoigner du passage, dans le
Groupe de Jérusalem, dès les premières années, d’une communauté
centrée sur le témoignage des Douze (un peu comme la communauté
johannique autour du «partisan
bien-aimé»), à
une communauté structurée sur le modèle de la synagogue. Quand
Paul se rend à Jérusalem, en 49, il y rencontre ceux qu’il
appelle «les
trois colonnes»,
soit Jacques, Céphas
et Jean. Il est
notable que Jacques soit nommé le premier et, qu’avec les deux
autres, il ait exigé de Paul d’avoir la responsabilité des
judéo-chrétiens de la Dispersion (Ga 2,9). Son autorité est alors
manifeste. Pendant cette fameuse rencontre, Jacques apparaît comme
un acteur influent (Ac 15,13-21), mais Luc fait surtout intervenir
ceux qu’il appelle «les
Apôtres et les anciens».
Quand il parle des Apôtres, de façon caractéristique, il désigne
les Douze. Les «anciens»
(presbuteros,
en grec, a donné presbyter
en vieux français, puis prestre)
sont le décalque
chrétien des collèges de leaders qui dirigeaient la synagogue
juive. Luc assure
leur présence en Judée (Ac 11,29-30), et en particulier à
Jérusalem (Ac 15,2.4.6.22.23). Plus tard, il mentionnera leur
présence à Éphèse (Ac 20,17). En 14,23, il déclare que Paul et
Barnabé en établissaient dans chaque Groupe de Syrie. Mais comme
Paul n’en parle jamais dans ses propres lettres, il est permis de
penser que ce sont les envoyés de Jérusalem, dont Jacques semble
avoir été le responsable, qui ont répandu cette structure dans les
Groupes judéo-chrétiens de la Dispersion.
Le
portrait n’est pas des plus clairs, mais les conclusions suivantes
pourraient leur rendre justice :
8.
Jacques a été un leader local, à la tête d’une sorte de
conseil d’anciens qui dirigeait la communauté judéo-chrétienne
de Jérusalem, conseil parallèle aux Sept qui dirigeaient la branche
hellénistique.
Il
n’était ni envoyé, ni évêque (aucune ordination n’est
mentionnée à son sujet), et n’est jamais présenté comme le
successeur de Pierre ou des Douze, qui n’ont jamais exercé
d’autorité semblable à la sienne avant lui.
La
communauté s’est manifestement inspirée d’un modèle de
gouvernement fréquent à l’époque, et aucune référence n’est
faite à Jésus ou à une intervention des Douze, ou encore à celle
du souffle saint pour l’expliquer.
Quand Luc mentionne
ensemble Apôtres et anciens, c’est pour indiquer l’accord qui
existait entre les premiers témoins et le leadership du temps.
Envoyés,
prophètes et enseignants.
La triade envoyé - prophète - enseignant est très ancienne, elle
est peut-être née à Antioche pour se propager rapidement dans les
Groupes pauliniens. Pour notre propos, elle est très importante.
Aussi, faut-il citer au complet le texte suivant de Paul. Même
si sa rédaction date du milieu des années 50, il permet d’éclairer
la situation du leadership communautaire à Antioche.
Voici
ceux que Dieu a posés dans le Groupe:
«d’abord,
les envoyés,
deuxièmement,
les prophètes,
troisièmement,
les enseignants,
ensuite,
les gestes de puissance,
ensuite, les dons de guérison, d’aide,
de gouvernement,
et
les sortes de langues.» (1 Co 12,28)
Un
texte capital. Paul énumère plusieurs fonctions par ordre
d’importance. Les trois premières, selon lui, l’emportent sur
les autres, et même celles-là suivent un ordre. D’abord l’envoyé:
c’est le fondateur des Groupes, sorte de révélateur qui permet à
celles et ceux qu’il rencontre de prendre conscience de l’appel
qui monte du plus profond d’eux-mêmes. Ensuite, le prophète,
personnalité ajustée à celle de Dieu ou du Christ, capable de
tracer la voie à suivre, si dérangeante soit-elle. Ensuite
l’enseignant,
qui situe la parole du prophète sur la ligne de l’Écriture. Trois
serviteurs de la Parole, qui ouvrent l’avenir, indiquent le chemin,
décrivent la tâche. Sans eux, il n’y a pas de Groupe, pas de vie.
Paul parle ensuite de gestes puissants, sans les décrire. Suivent
une série de trois charismes: dons de celles et ceux qui savent
soigner les malades, celles et ceux qui sont toujours prêts à
aider, celles (peut-être) et ceux qui sont à la tête de la
communauté, puis, en dernière place, une réalité bien prisée des
Corinthiens, mais dont Paul se méfie, les manifestations
d’exaltation. Il faut noter ici, bien sûr, l’endroit où Paul
place ceux qui font l’objet même de cet exposé, soit les
dirigeants des Groupes chrétiens: à l’avant-dernière place de sa
liste, et à la dernière de sa triade sur celles et ceux qui
viennent en aide aux membres du Groupe. Il faut noter aussi que le
don du gouvernement
est complètement séparé des trois fonctions de la Parole,
lesquelles sont, pour Paul, les plus importantes. Je serais porté à
suggérer qu’il faudrait longuement réfléchir sur ce texte de
Paul, peut-être a-t-il beaucoup de choses à nous dire, et ce n’est
pas parce que l’histoire a pris un autre chemin qu’il est devenu
désuet. En quittant la fameuse triade des débuts, les conclusions
suivantes s’imposent:
9.
Dans les communautés primitives hors Palestine, il y avait des
leaders locaux, dont les fonctions étaient différentes de celles
des envoyés, des prophètes et des enseignants.
Dans
sa liste de 1 Co 12,28, Paul ne fait aucune mention de la présence à
Corinthe d’une fonction sacerdotale, cultuelle ou rituelle.
Les
leaders locaux ne semblent pas avoir le contrôle des trois
principales fonctions, ni des autres charismes de la communauté.
IV.
LES ANNÉES 50-70
Les
années 50-70 sont la grande période dans la vie du Groupe
primitif, celle de l’épopée missionnaire. Une fonction domine,
celle de l’apostolos, l’envoyé. Le Groupe
se répand, de multiples Groupes locaux sont fondés un peu partout
dans le monde méditerranéen. On sait malheureusement peu de choses
de la situation des Groupes de Judée et de Galilée. On peut dire
qu’en règle générale, en dehors des lettres pauliniennes et des
Actes, le Nouveau Testament ne s’intéresse pas à la question du
leadership communautaire. Dans le cas précis de Paul, ce dernier
était essentiellement un fondateur de Groupes et n’était pas le
leader des Groupes qu’il fondait. Les communautés pauliniennes
sont des organismes décisionnels et autonomes, les véritables
vis-à-vis de Paul. Ce dernier ne leur passe jamais par-dessus la
tête. Cet état de fait relativise beaucoup l’importance du
gouvernement communautaire et pourrait expliquer le peu de choses que
Paul en dit.
Certes,
il y a des leaders dans les communautés pauliniennes.
«Nous
vous demandons, frères et sœurs, d’apprécier ceux qui peinent
pour vous, qui ont été placés à
votre tête par le seigneur et vous
conseillent. Ayez-les en très haute estime, avec amour, à cause de
leur travail.» (1 Th 5,12-13)
«Nous
avons des charismes différent, selon la grâce qui nous a été
donnée: prophétie, en proportion de la foi; service, dans le
service; enseignant, dans l’enseignement; exhortant, dans
l’exhortation; généreux, dans le don; à
votre tête, avec dévouement; plein
de compassion, avec joie.» (Rm 12,6-8)
Paul…
à tous les saints de Philippes par le Christ Jésus, avec
surveillants et serviteurs. (Ph 1,1)
À
Thessalonique, il y a des leaders qui travaillent fort mais ne
semblent pas tenus en très haute estime. Le rôle du Christ dans
leur choix est affirmé, mais on ignore quel titre leur était
attribué, s’ils en avaient. Le cas de Corinthe a déjà été
traité. Le Groupe de Rome, qui n’a pas été fondé par Paul, est
un cas spécial. Les dons spectaculaires de Corinthe (puissances,
guérisons, parlers en langues) y semblent absents. Contrairement à
la liste de Corinthe, prophétie et enseignement font partie des
charismes. Mais, tout comme à Corinthe, la fonction du leadership
communautaire est noyée dans l’énumération et située en
avant-dernière place. Chez Paul, les questions de structure ou
d’organisation ne sont pas considérées comme importantes. En Ph
1,1, pour la seule et unique fois dans les lettres qu’il a lui-même
rédigées, Paul nomme deux catégories de dirigeants: les épiscopes
(«veillant sur») et les diaconoi (serviteurs). Le
contexte ne permet pas de dire quoi que ce soit sur leur fonction,
seul le sens des mots conduit à leur attribuer les rôles de veiller
sur le Groupe et d’être au service des autres. Nous ignorons si
ces surveillants et serviteurs correspondaient aux gouvernants de
Corinthe ou de ceux qui étaient à la tête du Groupe de
Thessalonique. L’ensemble de ces données ne permet pas de tirer
beaucoup de conclusions sur la fonction de gouvernement dans les
Groupes pauliniens.
10.
Nous ignorons si les leaders des Groupes pauliniens avaient les
mêmes titres et la même fonction.
Nous
ignorons qui les nommait, comment, et même si Paul jouait un rôle
dans leur choix.
Paul
ne parle jamais de la présence de presbuteroi (anciens) dans ses
Groupes. Peut-être cette fonction était-elle trop liée à
Jérusalem et voulait-il que ses communautés s’en distinguent en
ayant à leur tête des leaders qui correspondaient à leur culture.
La
figure particulière de ses Groupes manifeste clairement que Paul n’a
jamais entendu parler ou rien voulu savoir d’une structure de
Groupe qui remonterait à Jésus Christ, aurait été mise en place
par les Douze pour être ensuite étendue à l’ensemble du Groupe,
tant d’origine juive que païenne.
Nous
ignorons si Paul s’est jamais posé la question de la continuité
du leadership qui se mettait en place dans ses Groupes. L’avenir
d’une structure n’a jamais semblé le préoccuper.
Il
n’y a rien chez lui d’un rite d’imposition des mains, d’un
sacerdoce, de rites ou actes cultuels réservés à certains, de
pouvoirs qu’on pourrait se transmettre, etc.
V.
LES ANNÉES 70-100
La
période des années 70-100 est marquée par la chute de Jérusalem,
la quasi-disparition du judéo-christianisme, l’inculturation du
christianisme dans l’empire romain et l’établissement d’un
leadership de Groupe qui tend rapidement à s’uniformiser. Les
grandes personnalités s’estompent au profit des fonctions. Une
triade domine le paysage, celle des presbuteroi
(anciens) - episcopoi (surveillants) - diaconoi
(serviteurs).
Prophètes
et enseignants.
Certes, dans les Groupes, il se
trouve encore des prophètes et des enseignants. Un texte de la
lettre aux Éphésiens est éclairant à cet égard:
«C’est
lui (le Christ) qui a fait don des envoyés, des prophètes, des
évangélistes, des pasteurs
et des enseignants, pour qu’ils forment les saints à pratiquer le
service et pour qu’ils construisent le corps du Christ.»
(Éph 4,11-12)
Nous
rencontrons à nouveau la fameuse triade paulinienne des envoyés -
prophètes - enseignants. Mais deux fonctions y sont insérées,
celle des évangélistes, dont nous ignorons quelle tâche ils
exerçaient, et celle des pasteurs, seul endroit du Nouveau
Testament qui attribue ce titre à des dirigeants de Groupe plutôt
qu’au Christ. Nous ne savons pas si ces pasteurs avaient un autre
titre qui les désignait. Mais, ce qui est significatif dans ce
texte, c’est la promotion des dirigeants au niveau du service de la
Parole. Pour Paul, les dirigeants d’Église étaient de simples
administrateurs. La lettre aux Éphésiens témoigne de leurs efforts
pour prendre du galon. Le temps de la fondation de Groupes est passé,
le temps des surprises du souffle signifiées par les prophètes
l’est également, l’époque est aux pasteurs, maintenant désireux
d’enseigner leur communauté. Il s’est passé quarante ans depuis
la première lettre aux Corinthiens. Les temps changent.
La
triade des anciens - surveillants - serviteurs, à l’avant-plan de
la fin du premier siècle, est surtout présente dans les lettres
dites Pastorales. On peut dire que ces lettres veulent promouvoir le
changement dans la continuité. La continuité, c’est Paul qui
l’exprime, le Paul des années 40-60, censé s’exprimer dans ces
lettres. La charnière, c’est la génération des vieux compagnons
de Paul, qui ont pris sa relève dans les années 60-80 et passent
maintenant la main à une nouvelle sorte de leaders. Le changement,
c’est la nouvelle génération des années 80-100 qui l’incarne.
Des temps nouveaux, à la fois excitants et dangereux. C’est dans
ce cadre de pensée que s’expriment les Pastorales, qui, comme le
reste du Nouveau Testament, n’ont aucunement en vue l’établissement
d’une structure destinée à traverser les siècles. C’est le
système déjà en place qu’il faut consolider là où il existe,
ou établir là où il n’est pas encore. Il n’est jamais question
d’une structure remontant à Jésus Christ, qu’il faudrait
établir sur son ordre.
Les
anciens.
Luc témoigne de la présence
d’anciens à Éphèse (Ac 20,17) on peut penser que telle est la
situation au moment de la rédaction des Actes. À l’intérieur
d’un discours attribué à Paul, il a cette phrase significative:
«Prenez
soin de vous-mêmes et de tout le troupeau
sur lequel le souffle saint vous a posés comme surveillants
pour faire paître
le Groupe de Dieu.» (Ac 20,28)
Dans
le même discours, on retrouve les concepts d’anciens, de
surveillants et de pasteurs. C’est affaire de gouvernement de la
communauté.
Dans
les lettres Pastorales, les anciens sont mentionnés dans deux textes
dont voici les passages clefs :
«Les
anciens
qui sont de bons dirigeants, qu’ils soient jugés dignes d’un
double salaire, surtout ceux qui peinent à la Parole et à
l’enseignement… Ceux qui sont mal orientés, reprends-les devant
tout le monde… N’impose hâtivement les mains à personne…»
(1 Tm 5,17.20.22)
«Si
te t’ai laissé en Crête, c’est pour que… tu établisses des
anciens dans
chaque ville, comme je te l’ai prescrit. Quelqu’un qui soit sans
reproche, mari d’une seule femme, ayant des enfants croyants…
Oui, il faut que le surveillant
soit sans reproche en tant qu’intendant de Dieu, …hospitalier,
…attaché à la parole de foi selon l’instruction, pour être
capable d’exhorter par l’enseignement…» (Tt 1,5-9)
Ce
second texte, dans la lettre de Tite, sur le surveillant, a un
parallèle dans la première lettre à Timothée:
«Si
quelqu’un aspire à la surveillance,
il désire un beau travail. Il faut donc que le surveillant
soit inattaquable, mari d’une
seule femme, …hospitalier, capable d’enseigner, …dirigeant bien
sa maison, …car si quelqu’un n’est pas capable de diriger sa
propre maison, comment prendra-t-il soin du Groupe de Dieu ?... Il
faut que ceux d’en dehors lui rendent un bon témoignage…»
(1 Tm 3, 1.2.4.5.7)
Un
ancien est un dirigeant chargé de «veiller sur» son Groupe. Mais
il y a plus. L’utilisation des deux vocables témoigne de
l’histoire. Les anciens sont une institution née en monde
palestinien. Les surveillants et les serviteurs (Ph 1,1) sont des
titres hellénistiques donnés à des dirigeants. Ceux-ci ont donc
deux noms qui témoignent de l’histoire du christianisme. Celui-ci
s’est tout naturellement formé en se laissant influencer par les
modèles culturels qu’il avait sous les yeux.
Autre
chose à noter. Les anciens, comme le dit la première lettre
à Timothée, «peinent à la Parole et à
l’enseignement». On s’éloigne donc notablement du modèle
qui existait dans le Groupe de Corinthe. Une étape a été franchie
depuis Éph 4,12: les anciens sont des dirigeants qui se sont
appropriés la fonction des enseignants (1 Tm 6,17). Celui qui
aspire à devenir ancien ou surveillant doit démontrer qu’il a été
un bon père de famille, sinon il serait hasardeux de le mettre à la
tête d’un Groupe (1 Tm 3,4-5).
En
Crête, les Groupes, établis dans chaque ville, semblent moins
structurés qu’à Éphèse, aussi Tite doit-il y voir. Chaque
Groupe doit être dirigé par un groupe d’anciens. Là aussi
l’ancien a le titre de surveillant, et l’auteur dit de ce dernier
qu’il doit être «attaché à la parole de
foi selon l’instruction, pour être capable d’exhorter par
l’enseignement» (Tt 1,9). Le vocabulaire dit beaucoup. Dans
la première lettre aux Corinthiens, en 14,3, Paul dit du prophète
que son rôle est «la
construction (du Groupe), l’exhortation
et l’encouragement». En unissant exhortation et
enseignement, l’auteur de la lettre à Tite fait de l’ancien et
surveillant un dirigeant qui joue le rôle du prophète et de
l’enseignant. À noter qu’il va de soi, pour l’auteur de la
première lettre à Timothée (3,2) et de celle à Tite (1,6) que les
anciens sont mariés, et que le fait d’avoir des enfants croyants,
qui savent se conduire, ne semble pas aller de soi (Tt 1,6; voir 1 Tm
3,4).
Une
autre donnée significative est la pratique, pour l’établissement
des anciens, d’imposer les mains: «N’impose
hâtivement les mains à personne…» (1 Tm 5,22). La
pratique vient du monde juif. Le geste manifeste publiquement la
présence d’un don de leadership chez quelqu’un. Selon la
première lettre à Timothée, c’est ce dernier qui fait le choix
des dirigeants et leur impose les mains. Nous ignorons, toutefois,
comment ce choix s’est fait par la suite, et par qui. Autre signe
du fait que, dans le Nouveau Testament, on ne réfléchit pas à
partir d’une structure préétablie qu’il faut mettre en place,
et dont il faut prévoir les mécanismes pour qu’elle se reproduise
telle quelle dans l’histoire. On répond aux problèmes de
l’époque, en s’inspirant de la culture du temps pour choisir le
mode de gouvernement approprié. Le Nouveau Testament ne manifeste
aucune préoccupation pour établir un leadership qui traverse les
âges.
Ailleurs
que dans le monde paulinien ou les Actes, il y a présence d’anciens
dans la lettre de Jacques, adressée «aux
douze tribus de la Dispersion»
(Jc 1,1). Le contexte est celui d’une maladie grave:«L’un
de vous est malade ? Qu’il fasse venir les anciens du Groupe. Ils
prieront sur lui après l’avoir enduit d’huile au nom du
seigneur» (Jc
5,14). La communauté, d’origine judéo-chrétienne, manifeste sa
compassion pour ses malades par l’entremise de ses dirigeants. Il
s’agit d’un contexte largement humain et non pas proprement
liturgique. L’auteur de la première lettre de Pierre, adressée
elle aussi à la Dispersion (1
P 1,1), exhorte ainsi les anciens des Groupes auxquels il écrit:
«Les
anciens
parmi vous, je les exhorte, moi, co-ancien…: faites paître le
troupeau de Dieu chez vous, le surveillant,
…pas en dominant ceux dont vous êtes responsables mais en devenant
les modèles du troupeau…
De même vous, les jeunes, soumettez-vous aux anciens.» (1 P
5,1-3.5)
Le
langage est typique de la période: anciens - pasteurs et
surveillants. S’y expriment clairement la tentation de transformer
la tâche de veiller sur les autres en pouvoir à exercer, de même
que l’inévitable rébellion des jeunes.
Les
surveillants. Nous
avons déjà rencontré quelques-uns des textes qui parlent des
surveillants. Il reste à présenter Tt 1,7-9. Il faut dire, d’abord,
que ce texte suit immédiatement le passage dans lequel l’auteur
déclare à Tite qu’il l’a laissé en Crête pour y établir des
anciens, hommes sans reproche, maris d’une seule femme, ayant des
enfants bien élevés. Sur ce le texte ajoute:
«Il
faut, en effet, que le surveillant
soit sans reproche en tant qu’intendant de Dieu, … hospitalier, …
tenant fermement à la parole de foi, telle qu’elle est enseignée,
pour être capable d’exhorter par un enseignement correct et de
réfuter les contradicteurs.» (Tt 1,7-9)
De
même qu’en 1 Tm 3,4-5, le surveillant a explicitement la tâche de
diriger le Groupe, le v. 7 lui attribue le même rôle en le
désignant comme «intendant de Dieu»
(theou oikonomos). Mais il remplit également les fonctions
des enseignants et prophètes des Groupes pauliniens. Il enseigne
comme les premiers, et exhorte comme les seconds. Cela ne faisait pas
partie de la tâche des anciens des Groupes judéo-chrétiens, ni de
celle des leaders des Groupes pauliniens. La fameuse triade
paulinienne est à toutes fins utiles disparue. Les nouveaux
dirigeants occupent tout le terrain. Ils reçoivent le nom d’anciens
(terme la plupart du temps au pluriel), conformément à leur origine
juive, ou de surveillants (mot utilisé la plupart du temps au
singulier), conformément à la terminologie hellénistique
postérieure. Ce n’est pas un hasard si le Nouveau Testament ne
parle jamais de la présence de surveillants dans les Groupes
palestiniens des débuts, le mot vient d’une autre culture. Dans
les textes, l’usage du singulier est générique et ne désigne pas
une catégorie de leaders supérieure à celle des anciens. Il n’y
a pas de leadership à trois étages dans le Nouveau Testament.
Le leadership des Groupes, établi à la fin du premier siècle, en
est un à deux étage: anciens ou surveillants d’un côté, et
serviteurs de l’autre.
Les
serviteurs. Les
textes sur les serviteurs, en tant que leaders des Groupes chrétiens,
sont relativement rares. Paul ne fait que mentionner leur présence
dans le Groupe de Philippes (Ph 1,1). Il recommande aussi au Groupe
de Rome «Phoebé,
notre sœur, qui
est servante
du Groupe de Kenchrées»
(Rm 16,1). Le troisième et dernier texte est en 1 Tm 3,8.10-13, tout
de suite après le passage sur l’épiscope (3,1-7):
«Que
les serviteurs
aussi soient dignes; … qu’ils servent s’ils sont sans reproche.
Que les femmes aussi soient dignes Que les serviteurs
soient les maris d’une seule femme et dirigent bien leurs enfants
et leur propre maison. Car ceux qui servent bien gagnent un bon
statut…»
Il y
a donc des serviteurs à Éphèse (1 Tm 1,3), Philippes et Rome. Leur
présence n’est jamais mentionnée dans les Groupes primitifs de
Palestine. Il s’agit donc vraisemblablement d’une fonction
inspirée du monde hellénistique. À l’origine, il y avait
des anciens en Judée, puis il y eut des surveillants et des
serviteurs ailleurs (Ph 1,1; 1 Tm 3,1-13). Les textes ne précisent
pas le rôle des serviteurs; 1 Tm 3,12-13 laisse entendre qu’il
s’agit bien d’une fonction de direction (faut savoir bien diriger
sa maison, question de statut), mais sans plus. C’est la seule
fonction à propos de laquelle il est dit qu’elle était accessible
aux femmes, mais elle semble avoir été d’un niveau inférieur à
celui des anciens ou surveillants. On n’en sait malheureusement pas
plus.
Que
retenir de cette masse plus ou moins éclatée de données? Les
conclusions suivantes semblent leur rendre justice :
11.
On ne peut tirer du Nouveau Testament, et des lettres
Pastorales en particulier, la notion d’un plan préétabli,
remontant à Jésus Christ, qui aurait conduit à l’établissement
d’anciens - surveillants et de serviteurs. L’organisation des
Groupes s’établit en fonction des besoins, en s’inspirant des
modèles culturels ambiants. Il n’est jamais
dit qu’on est à mettre sur pied une structure destinée à
traverser les âges. Bien plus, les auteurs du Nouveau Testament
n’ont jamais manifesté la moindre préoccupation de fonder en
Jésus Christ la fameuse triade anciens - surveillants - serviteurs.
Les
lettres Pastorales sont les témoins d’une certaine tendance à
l’uniformisation au profit des anciens ou surveillants, lesquels,
tout en ayant un rôle de direction, absorbent les fonctions des
prophètes et des enseignants très actifs aux origines.
Le
Nouveau Testament ne connaît pas de hiérarchie à trois degrés,
avec un surveillant unique au sommet, qui serait le supérieur d’un
groupe d’anciens, lesquels jouiraient de l’aide d’un groupe de
serviteurs.
Le
Nouveau Testament ne connaît pas de processus régulier
d’ordination.
Chez lui, le geste ne donne
pas les qualités
requises ou le pouvoir pour exercer les fonctions, il a un sens de
reconnaissance publique et d’authentification.
Le
Nouveau Testament ne connaît pas de succession
apostolique dans
la gestion des Groupes.
Historiquement parlant, Pierre, les Douze, Jacques, les Sept, ou les
envoyés à la suite d’une apparition de Jésus n’ont pas eu de
successeurs. Si on peut dire que Paul a eu une relève en Timothée
et Tite, ces derniers n’étaient pas ses successeurs, et personne
n’a pris leur relève en jouant le même rôle qu’eux.
Les
anciens - surveillants ainsi que les serviteurs des Pastorales ne se
voient jamais attribuer de rôle cultuel ou liturgique. Dans le
Nouveau Testament, le sacerdoce n’est jamais mentionné à propos
d’aucun des dirigeants. es leaders des Groupes se conduisent sur le
modèle des enseignants juifs, qui n’étaient pas prêtres et de
qui le culte ne relevait pas.
La
présidence de l’eucharistie n’est jamais attribuée ni réservée
à quiconque. La théorie de l’existence d’un pouvoir sur
l’eucharistie, remontant à Jésus, confié aux Douze, pouvoir
transmissible, réservé à certains dirigeants autorisés, cette
théorie n’a aucun fondement dans le Nouveau Testament.
Le
Nouveau Testament ne connaît pas de mécanisme de passation de
pouvoirs, il ne connaît que l’appel à discerner ceux qui
possèdent les qualités requises pour bien diriger leur Groupe.
Il
va de soi, pour l’auteur des lettres Pastorales, que les
dirigeants soient mariés, et que des femmes puissent exercer une
fonction de direction.
CONCLUSION
Les
conclusions à tirer de cette étude sont à la fois simples et
lourdes de conséquence. Les premiers chrétiens n’avaient pas de
plan d’avenir à leur disposition. Ils se devaient de discerner des
décisions à prendre au fur et à mesure du déroulement de
l’histoire. Rien n’assure qu’ils ont pris les meilleures
décisions possibles, et nous ne sommes pas liés par elles,
d’ailleurs la suite de l’histoire montre que leur héritage a été
profondément transformé. Ils seraient ahuris de voir l’organisation
qu’on a créée en leur nom. C’est leur attitude face à la
vie qu’il nous faut répéter, et non nécessairement les
modalités de gouvernement qu’eux ou ceux qui sont venus après eux
se sont données. La
foi n’est pas dans une structure mais dans l’agir continuel
du Christ, lequel veut déterminer le présent et le futur de son
Groupe. Le Nouveau Testament est un livre ouvert qui n’impose
rien.
Il
n’y a pas grand-chose de notre organisation de Groupe qui remonte
au Nouveau Testament, lequel ne connaît ni succession apostolique,
ni sacerdoce, ni ordination remontant à Jésus le jeudi avant sa
mort, ni processus régulier d’ordination, ni pape, ni évêque, ni
prêtre, ni diacre au sens du premier échelon du sacerdoce, ni droit
canon, ni code liturgique, ni sacrements, ni rites réservés à
certains, etc. Je ne veux pas dire que tout cela est illégitime
puisque non fondé dans le Nouveau Testament. Je dis simplement que
l’histoire de notre Groupe témoigne de sa liberté de se façonner
à sa guise, après discernement de la volonté du Christ. Notre
organisation de Groupe est le fruit d’une large inculturation, qui
diffère radicalement de celles dont témoigne le Nouveau Testament.
Cela prouve que le Groupe d’aujourd’hui n’est pas de soi lié
par l’organisation issue du passé. Ce n’est tout simplement pas
vrai que ce que Jésus Christ a voulu une fois, il le veut pour
toujours. Le rôle de Pierre n’existe plus, le rôle des Douze
n’existe plus, le rôle de Jacques n’existe plus, le rôle des
trois colonnes de Jérusalem n’existe plus, le rôle des Sept
n’existe plus, le rôle de Paul n’existe plus, le rôle des
envoyés n’existe plus, le rôle des prophètes n’existe plus, le
rôle des enseignants n’existe plus, le rôle des anciens -
surveillants n’existe plus, le rôle des serviteurs n’existe
plus. Je parle de ces rôles tels qu’ils étaient exercés à
l’époque. Tout a changé.
Si
tout a changé, tout est possible. Ceci dit, il y a une chose de
sûre: c’est que si nous attendons d’avoir la permission du
leadership actuel du Groupe pour changer, nous ne changerons jamais.
Certes, le Christ rend libre, mais c’est justement parce qu’il
rend libre qu’il ne va jamais agir à la place de celles et de ceux
qu’il a libérés. Tout est affaire de foi, de discernement et
d’initiative. Je reprends une phrase écrite plus haut en
l’élargissant: «Vivez
comme Jésus», voilà ce que le Nouveau Testament
nous dit, «et organisez-vous
donc comme vous le désirez». Si nous trouvons que rien
ne bouge, nous n’avons qu’à nous en prendre à nous. Les
dirigeants actuels sont fidèles à leur système, en vertu duquel si
rien ne bouge ils auront toujours le pouvoir. Et pour le garder,
ils sont prêts, en pratique, à nier la seigneurie de Jésus, en
enfermant ce dernier dans le passé et en le rendant prisonnier des
décisions qu’il a jadis prises. Notre tâche est de libérer le
pouvoir d’action du Christ. Ce qui ne peut se faire qu’en Groupe,
ce qui suppose que le Groupe existe, ce qui suppose qu’une envoyée
l’a réuni, qu’une prophétesse lui a tracé le chemin, qu’un
enseignant l’a situé sur la lignée qui traverse le temps, et
qu’une dirigeante l’ait informé par courriel du prochain lieu de
rencontre…